4. La réglementation de l'usure comporte des malfaçons techniques qui invitent à la modifier
Comme on l'a indiqué, chacun des éléments de la réglementation de l'usure est discutable.
Ainsi que le souligne le récent rapport du Professeur André Babeau 48 ( * ) , le calcul des moyennes de taux d'intérêt observées à partir desquelles sont décrits les taux plafonds pourrait lui-même être caractérisé par davantage de transparence (informations prises en compte, pondérations utilisées, etc.). On a vu en particulier ci-dessus, que la notion de crédits nouveaux s'adaptait mal à des catégories de crédits comme le découvert bancaire ou les crédits permanents ; pour ces types de crédit, comment la notion de crédits nouveaux a-t-elle été traduite ? Les taux effectifs moyens sont déterminés dans chaque catégorie de prêts, à partir d'une enquête auprès de certains établissements de crédits ou agences d'établissements, considérés comme représentatifs. La Banque de France publie la liste des établissements faisant partie de cet échantillon qui est également utilisé pour la collecte des statistiques européennes harmonisées de taux d'intérêt et, à ce titre, défini de façon à respecter les règles de représentativité fixées par la Banque centrale européenne. Néanmoins, des difficultés subsistent tant dans l'interprétation de certaines informations transmises par les établissements de crédits que dans leur prise en compte par la Banque de France - notamment dans le cadre des différents niveaux de pondération retenus.
Il faut ajouter , sur ce point, que la référence aux taux pratiqués lors du trimestre précédent présente certains risques dans les situations de tensions sur les taux d'intérêt . En théorie, dans une telle configuration, les offreurs de crédit sont incités à réduire leurs prêts jusqu'à ce que la nouvelle référence tarifaire leur permette de renouer avec une offre de crédits compatibles avec leurs objectifs de marges d'intermédiation. Ainsi, la réglementation en vigueur peut avoir un effet procyclique indésirable en renforçant l'effet restrictif d'un resserrement des conditions monétaires .
Les conditions de modulation de l'assiette des crédits sont peu satisfaisantes .
S'agissant de crédits à la consommation, le rapport précité estime à juste titre que les catégories de crédit distinguées pourraient elles-mêmes faire l'objet d'une nouvelle réflexion ; la catégorie « découverts en compte, prêts permanents et financement d'achats ou ventes à tempérament » est en effet très hétérogène ; déjà le rapprochement du découvert en compte et du crédit permanent peut, à certains égards, être critiqué ; mais l'assimilation avec le financement des ventes à tempérament est encore plus surprenante.
En outre, il estime que le seuil de 1.524 euros devrait certainement, de son côté, faire l'objet d'une actualisation puisqu'il n'a pas été changé depuis 1989.
Pour les crédits immob iliers, l' assiette ne fait l'objet d'aucune modulation .
Enfin, les conditions de financement des encours considérés sont entièrement négligées . L' application d'une règle d'usure uniforme à des établissements dont les crédits sont adossés à des ressources plus ou moins coûteuses a pour effet d'imposer des contraintes de marges effectives différentes aux acteurs . La réglementation de l'usure n'est sans doute pas principalement un moyen de « moraliser » les marges bancaires. Mais, outre ses effets en termes de distorsion de la concurrence , il faut prendre la mesure de son impact sur la diffusion du crédit . Le paysage bancaire français reste marqué par la diversité des statuts des offreurs.
Les établissements sans réseaux de collecte y occupent encore des positions fortes, en particulier dans le financement des ménages. L'uniformité de la règle relative à l'usure aboutit à les pénaliser relativement et, sans doute, à travers cet effet, à réduire leur potentiel d'offre de crédit.
Cette situation pose un problème d'autant plus aigu qu'elle se combine avec l'application d'un coefficient uniforme.
L' un des objectifs de la réglementation de l'usure est d'éviter le surendettement des ménages qui dépend, dans une certaine mesure, des charges qu'ils supportent du fait des emprunts contractés auprès du système du crédit.
Or, l'application d'un coefficient unique à des montants de niveaux très différenciés ne permet pas de suffisamment distinguer les effets en valeur absolue de l'endettement .
Il faut rappeler cette réalité élémentaire qu'un taux de 100 % appliqué à une assiette de 100 euros représente 100 euros et que ces mêmes 100 euros sont la contrepartie d'un taux de 1 % appliqué à un capital de 10.000 euros.
En outre, la réglementation de l'usure si elle contraint la tarification du crédit s'accompagne d'une béance de la réglementation sur la distribution du crédit et peut ainsi apparaître un peu symbolique puisque ne rationner que le prix du crédit sans surveiller le montant des crédits c'est ne prendre en compte qu'une partie - la plus minime - des occasions de surendettement.
Ces sortes de considérations fondent la suggestion du rapport précité de créer une catégorie nouvelle de prêts, par exemple, d'un montant inférieur à 500 euros pour lesquels le montant des intérêts ne serait pas supérieur à un montant exprimé en valeur absolue (plutôt qu'en taux).
Votre rapporteur estime qu' il existe des arguments raisonnables pour modifier la réglementation de l'usure sur la base d'une modulation des plafonds de taux en fonction du montant du capital emprunté et, peut-être, des modalités de financement des établissements prêteurs .
Par ailleurs, il semble judicieux de tenir compte de l'effet des hausses du coût du financ ement dans les périodes où de tels phénomènes interviennent , afin d'éviter qu'elles ne se trad uisent par une raréfaction artificielle du crédit .
Pour autant, une telle réforme ne serait socialement et économiquement pleinement acceptable qu'accompagnée d'une large consultation et d'un effort commun pour résorber les phénomènes de subventions croisées .
En outre, elle pourrait faire l'objet d'une expérimentation avec un suivi initial destiné à s'assurer que l'équilibre des relations commerciales entre banquier et client ne soit pas rompu, autrement dit que l'aménagement de la réglementation ne débouche pas sur des phénomènes de « sur-marges » de crédit.
* 48 « La demande des ménages en matière de crédit à la consommation et les ajustements nécessaires pour y répondre », Janvier 2006. BIPE.