QUESTIONS-RÉPONSES : L'AVIS DES EXPERTS

- Professeur Francois Bricaire, chef du service des maladies infectieuses et tropicales à l'hôpital de la Pitié-Salpétrière ;

- Professeur Paul Reiter, directeur de l'unité Insectes et maladies infectieuses à l'Institut Pasteur de Paris ;

- Professeur Michel van der Rest, directeur du département scientifique « Vivant » au Centre national de la recherche scientifique (CNRS) ;

- Docteur Hervé Zeller, responsable du centre national de référence des arbovirus à l'Institut Pasteur de Lyon.

Qu'est-ce que le chikungunya ?

Le terme chikungunya signifie en swahili « celui qui marche courbé », en raison des douleurs musculaires caractéristiques qui obligent le malade à adopter cette posture.

Le chikungunya fait partie de la famille des arbovirus, comme le sont notamment la dengue et la fièvre jaune. Il s'agit plus précisément d'un arbovirus du groupe A (Alphavirus) de la famille des Togaviridae, proche du virus O'nyong-nyong. Deux souches virales ont été identifiées à ce jour : une souche africaine et une souche asiatique. C'est vraisemblablement la première qui est responsable de l'épidémie qui sévit à la Réunion.

La première épidémie de chikungunya rapportée par la littérature médicale est survenue en Tanzanie en 1952. Ce virus est présent en Afrique et en Asie du Sud-Est, notamment au Zimbabwe, au Mozambique, en Tanzanie, en Thaïlande, en Malaisie, en Inde et au Cambodge. En Afrique, des cas cliniques ont été décrits de 1957 à 1974, notamment en Afrique du Sud, en Ouganda, au Congo, au Nigeria et au Ghana. Il a, pour la première fois, été observé aux Etats-Unis en 1985, où il est désormais présent dans vingt-six Etats de l'ouest du Mississippi, et en Italie depuis une quinzaine d'années. En 2005, il est apparu à Barcelone, dans les Alpes-maritimes et dans le Var. Il a également été repéré en Australie, au Japon et en Amérique Latine.

Le virus du chikungunya est transmis à l'homme par l'aedes albopictus , également appelé « tigre asiatique » (asian tiger mosquito). Ce moustique, dont seule la femelle est dangereuse, est présent sur toute la région littorale de la Réunion, aussi bien en milieu urbain que dans les zones inhabitées, et ne survit pas au-delà de 1.200 mètres d'altitude. Il constitue également un vecteur secondaire de la dengue.

Le cycle de développement de l'aedes albopictus dure de huit à douze jours. Il s'infecte en piquant un malade en phase de « virémie » puis contamine les sujets sains après neuf à quatorze jours d'incubation, délai nécessaire à la réplication du virus dans son organisme. Il peut transmettre la maladie pendant quatre à huit semaines, soit sa durée de vie moyenne. En revanche, aucune contagion d'homme à homme n'a encore été constatée. De même, les animaux domestiques ne sont pas susceptibles de développer la maladie.

Après la piqûre, le virus va progressivement se disséminer dans tout l'organisme. Après une période d'incubation de quatre à sept jours, les premiers symptômes apparaissent et l'organisme va réagir en produisant des anticorps, qui, après sept jours, détruisent les virus circulants. Ces anticorps sont néanmoins responsables de la persistance d'une inflammation au niveau articulaire.

Une maladie bénigne ?

Dans la grande majorité des cas, la maladie reste bénigne , alors que d'autres arboviroses provoquent des manifestations plus violentes. De fait, le taux d'hospitalisation est inférieur à 5 %.

Les symptômes, qui durent en moyenne dix jours, se manifestent généralement de manière brutale et se caractérisent par une forte fièvre (40°C et plus) accompagnée de frissons, de nausées, de vomissements, d'une ultra sensibilité des yeux à la lumière ainsi que d'éruptions cutanées. Des polyarthralgies sévères prédominant aux extrémités (chevilles, poignets, phalanges), ainsi que des myalgies, sont souvent observées. Des troubles de l'expression dus à une paralysie partielle du larynx et de la langue ont été également rapportés, ainsi que des oedèmes, des céphalées importantes et des épisodes hémorragiques modérés de type gingivorragies.

Chez les patients âgés ou fragilisés (insuffisants respiratoires, cardiaques, rénaux, hépatiques, patients diabétiques ou immunodéprimés, alcooliques chroniques, etc.), le virus peut provoquer des décompensations qui réactivent des pathologies antérieures . En outre, certains nourrissons cesseraient de s'alimenter à cause des douleurs. Chez les sujets les plus affaiblis, l'incapacité à se mouvoir et à faire les gestes de la vie courante peut également les conduire à un état de déshydratation et de sous-alimentation avancé.

Par ailleurs, il peut arriver que des malades confrontés à des douleurs persistantes et parfois invalidantes, sans véritable traitement, montrent des signes dépressifs .

Des formes virulentes et rares de la maladie ont également été enregistrées à la Réunion, notamment des cas de méningo-encéphalites et de transmission materno-foetales du virus jamais observés jusqu'à présent. De même, une quinzaine de cas de co-infection dengue-chikungunya ont été constatés. La survenance de ces situations extrêmes lors de la présente épidémie s'explique toutefois essentiellement par le nombre extrêmement élevé de personnes atteintes.

Les manifestations les plus graves de la maladie peuvent entraîner le décès du patient, lorsque la faiblesse générale de l'organisme est accrue par le chikungunya. Les décès entraînés par l'agent infectieux lui-même sont donc rares ; il s'agit essentiellement de cas de co-morbidité en lien avec d'autres pathologies. Parmi les causes de décès mentionnées, on a observé des défaillances cardiaques, des accidents vasculaires cérébraux, des arrêts cardio-respiratoires, des pneumonies avec choc septique. Ils concernent, dans 75 % des cas, des personnes de plus de cinquante ans.

Les complications neurologiques et cardiaques graves, qui pourraient expliquer le décès de sujets plus jeunes, doivent être analysées avec attention avant d'affirmer avec certitude l'existence d'une relation directe entre les deux phénomènes. En effet, certaines pathologies comme le diabète et l'alcoolisme ou l'utilisation prolongée et à très fortes doses des médicaments prescrits dans le traitement de la maladie pourraient, en aggravant les symptômes du chikungunya, provoquer des manifestations aigues et, plus largement, rendre la maladie mortelle. En effet, le paracétamol est hépatoxique à fortes doses, surtout sur un foie déjà malade, et les anti-inflammatoires favorisent les insuffisances rénales, notamment en cas de déshydratation.

La convalescence est longue , marquée par une fatigue intense ; les raideurs et douleurs articulaires sont persistantes et peuvent durer plusieurs mois, en particulier au niveau des mains et ce en l'absence de signes radiologiques.

Contrairement à ce qu'affirmait jusqu'à présent la littérature médicale, il semble qu'une personne infectée par le virus n'est pas protégée de toute nouvelle contamination. En effet, de nombreux cas de rechutes ont été signalés à la Réunion, où les médecins généralistes font état de 10 % de récidives .

Faute de recul par rapport à la maladie, les médecins ne sont pas en mesure de se prononcer sur les séquelles éventuelles . La seule étude réalisée dans ce domaine en Afrique du Sud est encourageante, mais le panel choisi était majoritairement constitué de personnes jeunes, alors que de nombreux sujets âgés ont été touchés par le virus à la Réunion.

Les encéphalites constatées sur certains patients, dont de très jeunes enfants, sont susceptibles d'occasionner des séquelles à long terme au niveau sensoriel et cognitif, qui se traduiraient par un retard à l'acquisition de la lecture, des troubles de la vue, de l'audition, de l'équilibre, de la sociabilité ou encore une diminution de la mémoire.

Quels sont les traitements disponibles ?

Il n'existe actuellement aucun agent antiviral connu ni vaccin utilisable contre le virus . En effet, les essais cliniques visant à traiter le chikungunya par antiviraux se sont, jusqu'à présent, soldés par un échec. Toutefois, cent soixante-dix molécules sont actuellement testées en laboratoire pour évaluer leur effet éventuel sur le virus. Ils doivent faire l'objet de recherches sur des cultures cellulaires, avant d'être essayés sur la souris puis sur l'homme.

En outre, il s'est avéré que le vaccin précédemment découvert par l'armée américaine produisait les mêmes symptômes que la maladie elle-même ; il a donc été abandonné prématurément en 2003. Il semblerait, en tout état de cause, que la piste vaccinale ne se révèle pas appropriée à la lutte contre le chikungunya, dont les épidémies sont sporadiques et imprévisibles.

Dans la majorité des cas, des antalgiques et des anti-inflammatoires non stéroïdiens sont donc prescrits pour remédier aux violentes douleurs articulaires et musculaires et lutter contre les fortes fièvres. Au cours de l'épidémie actuelle, 280.000 traitements de ce type ont été distribués gratuitement aux personnes âgées, aux femmes enceintes, aux enfants et aux nourrissons.

Comment éradiquer le moustique vecteur du virus ?

En l'absence de vaccin et de traitement étiologique, l'unique voie de contrôle de l'épidémie de chikungunya passe par la prévention et la lutte anti-vectorielle contre les larves et les moustiques adultes.

L'aedes albopictus est extrêmement difficile à éradiquer par la démoustication , car il trouve refuge dans les eaux stagnantes naturelles - flaques d'eau, marécages, fonds de ravines -, les plantes et les arbres creux, mais aussi dans des cavités artificielles près des habitations - récipients de stockage d'eau, pneus usagés, carcasses de voitures et gouttières. En outre, les oeufs peuvent se maintenir pendant la saison sèche au sein des gîtes, ce qui permet au moustique de réapparaître massivement avec le retour des pluies.

Aussi, l'Organisation mondiale de la santé (OMS) conseille-t-elle d'en contrôler l'expansion en éduquant et en mobilisant la population pour ramasser les déchets et les objets abandonnés dans les jardins et dans les rues, qui sont susceptibles d'abriter des moustiques ou des larves. Toutefois, cette méthode a échoué lors de l'épidémie qui a sévi à Porto Rico.

Par ailleurs, les aérosols et les insecticides semblent peu efficaces .

L' épandage de produits chimiques est en conséquence le moyen le plus souvent utilisé dans les opérations de démoustication, qui doivent être réitérées régulièrement. Des associations écologiques se sont inquiétées des conséquences de ces épandages sur la santé, la faune et la flore, et ce d'autant qu'ils ont également été effectués dans des zones résidentielles. Toutefois, il convient de rappeler que les produits chimiques, utilisés aux Antilles depuis plus de cinquante ans, n'ont pas eu à ce jour de conséquences sur la santé humaine.

Les autorités sanitaires ont donc décidé, dans un second temps, de privilégier, autant que possible, le recours à des produits moins toxiques . Le Bacillus thuringiensis israelensis (BTI), produit biologique, est ainsi préféré au Téméphos, utilisé contre les larves, et le Fénitrothion, organo-phosphore utilisé contre les moustiques adultes, remplacé par la Deltaméthrine, dont la persistance dans l'environnement est moindre. En outre, une veille environnementale a été mise en place pour la faune et la flore.

Toutefois, il est actuellement difficile de juger de l'efficacité des actions de lutte anti-vectorielle mises en place à la Réunion et ceci pour deux raisons : l'absence de données sur la sensibilité de l'aedes albopictus aux insecticides utilisés et l'insuffisance de la surveillance entomologique (suivi des densités de vecteurs) par manque de moyens humains disponibles.

L'objectif est aujourd'hui de trouver des méthodes de démoustication efficaces et sans danger pour l'environnement. Dans cette optique, les organismes génétiquement modifiés (OGM) constituent une piste, actuellement étudiée en laboratoire, pour éradiquer, à l'avenir, les moustiques vecteurs. De la même manière, il est envisagé de lâcher des mâles stériles, qui ne transmettent pas le virus, dans les zones infestées pour limiter, puis éliminer la source de contamination.

Quoi qu'il en soit, une éradication totale de l'aedes albopictus semble utopique avec les méthodes chimiques et mécaniques actuelles. Le contrôle de la densité du vecteur apparaît, en revanche, plus réaliste.

Où en est la recherche ?

Comme pour la cinquantaine d'arboviroses connues, la science dispose de très peu d'éléments sur le virus du chikungunya . Les recherches avancent lentement, car les moyens matériels et humains nécessaires ne sont pas affectés prioritairement aux maladies qui frappent essentiellement les pays tropicaux, et les résultats sont encore peu probants.

De fait, les recherches mises en oeuvre sur ce type de virus le sont souvent à la suite d'une épidémie virulente, mais sont ensuite abandonnées après quelques années. Les études menées par le centre national de référence des arbovirus de l'institut Pasteur font partie des rares à être maintenues sur longue période dans ce domaine. Par ailleurs, des travaux sont en cours à l'institut Pasteur de Dakar sur le processus de transmission du chikungunya dans les forêts sénégalaises.

Par ailleurs, il est inquiétant de constater la quasi-disparition de l'entomologie , alors que les recherches sur les insectes vecteurs de la maladie n'ont pas encore fourni de résultat. Ainsi, les besoins en chercheurs n'ont pas été anticipés et le cours d'entomologie dispensé à l'institut Pasteur a progressivement été réduit à portion congrue, passant d'un cours annuel à une formation de quatre mois et demi, puis de neuf semaines aujourd'hui.

Il serait donc souhaitable d'assurer un financement pérenne aux études sur les arboviroses, affecté tant aux recherches sur les insectes vecteurs qu'aux moyens de protection vaccinale. A cet effet, des bourses pourraient être versées aux chercheurs des pays tropicaux pour implanter des équipes de haut niveau scientifique dans les pays touchés par les arboviroses.

Pour remédier à l'insuffisance constatée des connaissances sur le virus et face à la situation à la Réunion, des recherches ont été lancées sous l'égide de la nouvelle cellule nationale de coordination des recherches sur le chikungunya, dirigée par l'Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm). Ces recherches concernent tant le virus que le moustique vecteur. Il s'agit de créer des synergies dans le système de recherche français sur les sciences du vivant , aujourd'hui trop morcelé entre différents organismes.

Neuf millions d'euros ont été alloués par l'Etat à ce programme de recherche spécifique. Côté clinique, cinq études sont prévues dans les hôpitaux de la Réunion et de Mayotte : une première sur les cas d'infection materno-foetale, avec la sélection de 5.000 femmes enceintes qui seront suivies pendant deux ans, une deuxième sur les symptômes graves de la maladie et trois études de séroprévalence (recherche d'anticorps contre le chikungunya dans une population donnée) destinées à savoir si le virus circulait dans l'île avant 2005. Enfin, une étude anthropologique et sociologique est prévue pour connaître les conséquences sociales de l'épidémie dans la population réunionnaise. Toutefois, ces recherches ne devraient pas aboutir à un traitement préventif et curatif efficace avant plusieurs années .

Par ailleurs, un centre de recherche et de veille sanitaire dédié aux maladies émergentes sera créé sur l'île et constituera un pôle de référence en la matière pour tout l'océan Indien.

Les thèmes associés à ce dossier

Page mise à jour le

Partager cette page