TRAVAUX DE LA
COMMISSION
AUDITION POUR SUITE À DONNER À
L'ENQUÊTE RÉALISÉE PAR LA COUR DES COMPTES,
EN
APPLICATION DE L'ARTICLE 58-2° DE LA LOLF,
SUR LES FRAIS DE JUSTICE
PÉNALE
Présidence de M. Jean Arthuis, président
Séance du mercredi 22 février 2006
Ordre du Jour
- Audition de MM. Alain Pichon, président de la 4e chambre de la Cour des comptes, Philippe-Pierre Cabourdin, conseiller budgétaire, Marc Moinard, secrétaire général, Léonard Bernard de la Gatinais, directeur des services judiciaires, Jean-Marie Huet, directeur des affaires criminelles et des grâces au ministère de la justice, et Philippe Josse, directeur de cabinet du ministre délégué au budget et à la réforme de l'Etat pour suite à donner à l'enquête de la Cour des comptes relative aux frais de justice en matière pénale.
__________
La séance est ouverte à 9 heures 40.
M. le président - Messieurs les Présidents, mes chers collègues, Monsieur le Secrétaire général, Messieurs les Directeurs, Mesdames et Messieurs, une fois encore, nous voici réunis pour une « audition de suivi » d'une enquête réalisée par la Cour des comptes en application de l'article 58-2° de la LOLF.
Il s'agit aujourd'hui d'une enquête sur les frais de justice pénale, engagée à la demande de la commission des finances, sur la proposition de notre collègue Roland du Luart, rapporteur spécial pour la mission « Justice ».
Les frais de justice sont constitués principalement des dépenses d'enquête et de procédure dont la charge incombe à l'Etat.
Ces dépenses ont augmenté très fortement au cours des dernières années. En 2004, l'aggravation a été proche de 23 %. Les raisons en sont multiples et tiennent notamment à un besoin croissant de justice de la part de la population, à une législation de plus en plus coûteuse et mal évaluée en amont et aux coûts élevés de l'expertise scientifique qui, par ailleurs, peut permettre à la justice d'amplifier son efficacité.
Il convient aussi de relever une gestion quelque peu aveugle de la justice qui semble avoir trop longtemps ignoré la culture de la concurrence. Comme Roland du Luart, j'apprécie cependant les efforts accomplis en la matière depuis quelque temps, aussi bien par la chancellerie que par les juridictions.
En conférant aux frais de justice la nature de crédits limitatifs, alors que ceux-ci étaient précédemment évaluatifs, la LOLF n'a pas visé particulièrement les crédits de la justice. En effet, sauf exceptions très spécifiques, par exemple les charges de la dette de l'Etat ou les comptes de concours financiers consentis par l'Etat, tous les crédits sont désormais, par principe, limitatifs.
C'est dans ce contexte que la commission des finances a sollicité de la Cour des comptes, le 1er mars 2005, une enquête sur les frais de justice pénale. Celle-ci a été transmise à la commission des finances le 18 novembre.
Parallèlement, notre rapporteur spécial pour la mission « Justice » a souhaité, en utilisant ses pouvoirs de contrôle budgétaire résultant de l'article 57 de la LOLF, étudier la mise en oeuvre de notre nouvelle « Constitution financière » dans les juridictions judiciaires. Notre collègue nous a expliqué que c'est la tonalité des propos qu'il a entendus au cours de ses déplacements dans les juridictions, au printemps 2005, qui l'a convaincu d'établir un rapport sur ce sujet.
Etudiant la mise en oeuvre de la LOLF dans les juridictions, il ne pouvait pas contourner la question des frais de justice, interrogation centrale pour les magistrats et les greffiers.
Son rapport d'information, publié en septembre, a mis l'accent sur deux impératifs. D'abord celui d'une culture de gestion au sein de la justice, incontournable, au regard du niveau préoccupant, notamment pour les prochaines générations, de la dette du pays.
Le second impératif, également relevé par notre collègue Roland du Luart, réside dans le respect du principe de l'indépendance de l'autorité judiciaire, établi par l'article 64 de la Constitution.
Ces deux principes de valeur constitutionnelle doivent donc être combinés. L'indépendance n'exclut pas la responsabilité.
Ce faisant, il est clair que le contenu et les objectifs du rapport d'information de Roland du Luart ne sauraient être placés sur le même plan que l'enquête réalisée par la Cour des comptes, dans sa mission d'assistance du Parlement, fixée par l'article 47 de la Constitution.
La présente audition, comme les précédentes qui ont été organisées après livraison d'enquêtes de la Cour des comptes, a, pour objet principal, de faire en sorte que les travaux réalisés et les rapports publiés connaissent une suite effective, ce dont nous souhaitons nous assurer.
Cette préoccupation, s'agissant des moyens de fonctionnement de la justice, est commune aux commissions des finances et des lois. Je suis donc très heureux de recevoir le président Jean-Jacques Hyest et les membres de la commission des lois ayant pu se libérer, en particulier notre collègue Yves Détraigne, rapporteur pour avis de la commission des lois pour la justice et l'accès au droit. Nous ne pouvons que nous réjouir du développement d'une étroite coopération entre nos deux commissions.
Nous recevons, pour la Cour des comptes, M. Alain Pichon, président de la 4ème chambre et MM. Gérard Moreau et Christian Michaut, magistrats ayant participé à l'enquête.
La chancellerie est représentée par M. Marc Moinard, secrétaire général du ministère, chargé par le ministre de suivre précisément la question des frais de justice. Nous entendrons aussi MM. Léonard Bernard de la Gatinais, directeur des services judiciaires, Jean-Marie Huet, directeur des affaires criminelles et des grâces et Philippe-Pierre Cabourdin, conseiller budgétaire du ministre.
Pascal Clément, Garde des sceaux, Ministre de la Justice, m'a annoncé que, en raison de l'importance qu'il attache au sujet, il espérait pouvoir nous rejoindre avant l'issue du Conseil des ministres.
Il nous a paru aussi utile de bénéficier de la participation de Bercy, puisque, au cours de la dernière discussion budgétaire, le Garde des sceaux nous a exposé que, en sus des crédits de frais de justice inscrits dans la mission « Justice », soit 370 millions d'euros, une somme de 50 millions d'euros pourrait être dégagée par Bercy en cours d'exercice.
M. Philippe Josse, directeur de cabinet du ministre délégué au budget et à la réforme de l'Etat et Mme Cécilia Téjédor, conseillère du ministre délégué, chargée de la justice, de la sécurité et de la défense, pourront sans doute nous en dire plus sur le contenu réel des conventions conclues avec la Chancellerie concernant les conditions de déblocage de cette somme de 50 millions d'euros et sur ce qui est prévu dans le cas où ces crédits de précaution ne s'avéreraient pas suffisants pour permettre un fonctionnement normal de la justice jusqu'à la fin de 2006.
Vous serez aussi interrogés sur les méthodes d'évaluation, sincères je l'espère, des frais de justice dans le projet de loi de finances pour 2007. En effet, notre rapporteur spécial « Justice » s'est, non sans raison, fortement interrogé sur la vraisemblance de leur évaluation dans la dernière loi de finances.
Afin de préserver une possibilité effective de dialogue et de débat, je demande que les interventions liminaires de la Cour des comptes, du ministère de la justice et de celui du budget se limitent aux observations principales.
Ensuite, je donnerai prioritairement la parole à notre rapporteur spécial, puis au président Jean-Jacques Hyest, ainsi qu'au rapporteur pour avis Yves Détraigne.
Enfin, chaque commissaire des finances, comme des lois, qui le souhaitera pourra librement poser ses questions.
Pour que tout ceci soit possible dans des délais raisonnables, il nous faut donc des interventions liminaires réduites à quelques observations, sachant que l'enquête de la Cour des comptes a déjà été diffusée aux commissaires des finances et des lois.
Je rappelle aux membres de la commission des finances que nous aurons ensuite à prendre une décision sur la publication de l'enquête de la Cour des comptes au sein d'un rapport d'information.
Pour commencer, je donne la parole à M. Alain Pichon, président de la 4ème chambre de la Cour des comptes pour présenter les points principaux de l'enquête réalisée par la Cour des comptes sur les frais de justice pénale.
M. Alain Pichon - Monsieur le Président, vous avez rappelé les conditions dans lesquelles la Cour des comptes a été saisie par la commission des finances du Sénat au de titre de l'article 58-2°. Je n'y reviendrai pas si ce n'est pour rappeler que l'enquête a été réalisée principalement par MM. Moreau, conseiller maître et Michaut, conseiller référendaire Elle a été conduite par questionnaires et entretiens auprès de la chancellerie et du département comptable du ministère de la justice, par des vérifications de pièces justificatives tant au niveau de l'administration centrale que sur un échantillon de sept juridictions et enfin par un contrôle sur place au niveau de la Cour d'appel de Lyon, retenue en 2004 pour une expérimentation.
Avec 320 millions d'euros de dépenses en 2004, soit un volume supérieur au budget même de fonctionnement des juridictions, qui ne représente que 225 millions d'euros, les frais de justice pénale ont été financés jusqu'en 2005 sur la base de crédits évaluatifs.
Cette dérogation au principe du caractère limitatif des crédits a pris fin au 1er janvier 2006 avec la mise en oeuvre des dispositions de la LOLF. Désormais, les crédits afférents aux frais de justice sont fongibles avec les crédits de fonctionnement des juridictions voire, dans le cadre de la fongibilité asymétrique, avec les dépenses de personnel au sein du programme « Justice judiciaire » de la mission « Justice ».
Les investigations menées par la Cour des comptes ont mis en évidence la très forte croissance des frais de justice, avec une tendance aggravée sur la période récente.
Plusieurs facteurs expliquent cette évolution : une demande sociétale forte en matière d'élucidation des infractions, l'entrée en vigueur de nombreux textes législatifs et réglementaires tendant à rendre la procédure à la fois plus complexe, ce qui aggrave le coût de l'instruction, l'apparition de techniques d'investigation coûteuses, notamment en matière de téléphonie et de police scientifique.
S'y ajoute, de la part des fonctionnaires habilités à engager les frais de justice, une vigilance insuffisante à l'égard de dépenses jusque là non contingentées. Le passage à un régime de crédits limitatifs intervient donc dans un contexte peu propice à la stabilité des coûts et caractérisé par des pratiques peu rigoureuses.
La problématique des frais de justice s'en trouve donc fortement bouleversée, ce qui justifie les interrogations, voire les inquiétudes de votre commission et la saisine de la Cour des comptes.
* Première remarque : une augmentation globale des frais de justice, des flux mal maîtrisés et une dérive très forte des dépenses ces dernières années.
Après un doublement entre 1988 et 1995, les frais de justice ont progressé à un rythme plus contenu jusqu'en 2001, avec une augmentation de l'ordre de 4,5 % par an. Cette relative stabilisation résultait, parmi d'autres facteurs, de la volonté affichée par le ministère d'une meilleure connaissance et d'une utilisation plus rationnelle de la dépense. Une circulaire du Garde des sceaux du 16 avril 1996 avait mis en place un système de bonus qui permettait d'espérer une maîtrise et une meilleure stabilité de ces dépenses.
En revanche, à partir de 2002, on a constaté une forte accélération, de l'ordre de 12 % parfois 20 % à 25 % en moyenne. Dans certains ressorts, l'augmentation a même dépassé 40 %.
Les hausses les plus rapides concernent les réquisitions des opérateurs de télécommunications, la location de matériels d'interception téléphonique et les examens toxicologiques et biologiques.
* Deuxième remarque : les informations dont on dispose restent partielles. En effet, aux termes de la circulaire du 16 avril 1996, chaque Cour d'appel est tenue de présenter à la direction des services judiciaires un rapport semestriel sur l'évolution de la dépense pénale dans son ressort. Si les obligations mises à la charge des Cours d'appel sont dans l'ensemble respectées, les progrès ainsi enregistrés demeurent insuffisants.
En effet, l'information en provenance des juridictions est parfois tardive.
Elle est souvent approximative, les chiffres émanant des Cours d'appel pouvant différer sensiblement des données de la direction générale de la comptabilité publique.
Il s'agit d'un suivi des décaissements, qui ne permet en rien d'appréhender le montant des dépenses engagées, les charges échues, et encore moins les reports de charges à l'exercice suivant.
Enfin, la nomenclature des frais de justice pénale est souvent mal adaptée au pilotage et au suivi statistique de ces dépenses.
Dans ces conditions, les statistiques de dépenses n'ont qu'une valeur indicative ou relative. Selon le ministère de la justice, l'absence de données sur les volumes d'actes s'expliquerait, outre les imperfections de la nomenclature budgétaire déjà évoquées, par l'hétérogénéité des logiciels informatiques qui équipent les régies des juridictions.
La Cour ne peut que recommander à cet égard d'améliorer la saisie statistique des dépenses de frais de justice et se réjouir des progrès constatés.
* La troisième remarque -la plus grave- concerne l'insincérité des dotations budgétaires.
Pour respecter le principe de sincérité de la présentation budgétaire, il est essentiel que les crédits nécessaires soient estimés aussi précisément que possible. Cette estimation repose actuellement sur deux éléments : la prise en compte de l'évolution tendancielle de la dépense et la mesure de l'impact de réformes législatives ou réglementaires intervenues ou envisagées.
Or, il a été constaté sur la période récente un écart croissant entre les crédits inscrits en loi de finances initiale, les dotations finales et les dépenses réelles de l'exercice.
Si, jusqu'en 2002, les crédits ouverts en loi de finances initiale permettaient de financer la totalité des dépenses de l'exercice, ce n'est plus le cas depuis 2003. Une différence croissante s'est manifestée à partir de cette date : 3 millions d'euros en 2003, mais 61 millions d'euros en 2004 et une estimation de l'ordre de 140 millions d'euros pour 2005. Je pense que la chancellerie pourra vous donner tout à l'heure des chiffres plus précis sur l'exécution de la loi de finances pour 2005.
Le caractère insincère des prévisions budgétaires pourrait emporter des conséquences très préoccupantes avec le caractère désormais limitatif des dépenses et des crédits pour le programme « Justice judiciaire ».
Compte tenu de son ampleur, la sous-dotation chronique qui affecte le budget consacré aux frais de justice pourrait entraîner des dépassements de crédits qui, soit seraient financés par simple redéploiement, absorbant l'essentiel des marges de manoeuvre pour l'exécution du programme et compromettant le fonctionnement des juridictions, soit donneraient lieu à des reports de charges sur l'exercice suivant, ce qui est une procédure hétérodoxe au regard des principes de sincérité et de fidélité comptables.
Deuxième série d'observations : la Cour a constaté un encadrement insuffisant dans l'exécution de la dépense en matière de frais de justice.
Je serai plus bref concernant l'inadaptation du cadre réglementaire car les constatations de la Cour ont été modifiées en raison d'une récente réforme visant à la simplification des règles de tarification qui évitera de passer par la procédure très lourde des décrets en Conseil d'Etat.
La Cour a relevé aussi la rigidité de la règle du rattachement. Le principe du rattachement des frais à une procédure identifiée constitue un frein à une gestion efficace des dépenses. Ainsi, chaque interception téléphonique exige une ouverture de la ligne, facturée 172 euros par France Télécom, et un abonnement provisoire de 25 euros par mois alors que l'ouverture d'une ligne permanente permettrait de réduire considérablement les coûts.
Je crois savoir qu'en matière de relations avec les opérateurs téléphoniques et principalement France Télécom, des progrès allant dans le sens d'une tarification plus économe vont être mis en oeuvre.
D'une manière générale, dans les juridictions, les frais de justice faisaient l'objet d'un suivi lointain ou peu attentif. Les chefs de juridiction semblaient considérer l'augmentation des frais de justice comme un phénomène inéluctable, lié à la hausse de l'activité judiciaire, à la multiplication des dépenses rendues obligatoires par le législateur et aux habitudes et pratiques des officiers de police judiciaire, lesquels seraient peu attentifs ou peu sensibles au coût de mesures qui, au demeurant, ne s'imputent pas sur le budget du ministère dont ils dépendent.
Les parquets ont renoncé en général à donner des directives destinées à rationaliser les frais de justice pénale.
Faute, jusqu'à présent, d'orientations claires au niveau national, régional ou de chaque juridiction, il n'est pas surprenant que les dépenses soient fréquemment engagées par les OPJ sans considération de leur coût potentiel. Très rares ont été les Cours d'appel qui se sont livrées à une étude précise des facteurs d'évolution des frais de justice ou au simple recensement des bonnes pratiques dans leur ressort.
Dans les régions tests ou dans les cours ou tribunaux fortement sollicités d'y faire attention, on peut constater, dès la première année, une amélioration sensible et une meilleure maîtrise des coûts de justice, ce qui peut inciter à un certain optimisme.
Troisième observation : un contrôle défaillant des coûts prévisionnels. Le contrôle a priori est assez limité. La chancellerie n'a pris que récemment des mesures destinées à répondre aux enjeux budgétaires qui s'attachent aux frais de justice. Elle a lancé au printemps 2004 un plan d'économie ambitieux, -20 millions d'euros d'économie en douze mois, mais ce plan s'est heurté à des difficultés structurelles qui ont rendu assez vains les efforts de contrôle des dépenses.
L'absence de connaissance préalable des coûts, les prestations non tarifées, empêchent tout suivi de la dépense et expose le ministère à des engagements assez difficiles à maîtriser et à contrôler d'un exercice budgétaire à l'autre.
L'absence de comptabilité d'engagement est aussi un facteur aggravant. Elle permettrait de s'assurer à tout moment de la disponibilité des crédits et du respect des seuils de mise en concurrence mais, jusqu'à présent, le ministère n'a pas mis en place cet outil, qui est pourtant imposé par la loi organique.
Aucune juridiction ne tient un compte, même approximatif, des réquisitions prises à l'occasion d'une procédure pénale. Même lorsqu'elle est obligatoire, l'autorisation préalable du parquet sur les mesures prises par les officiers de police judiciaire fait souvent défaut et il n'existe pas davantage d'outil de suivi de la dépense par magistrat ou par grand service prescripteur.
Autre remarque : la concurrence était rarement mise en jeu.
Par leur montant, la fréquence et la possibilité de standardiser certaines prestations, les frais de justice pourraient faire l'objet d'une mise en concurrence qui, le cas échéant sur simple devis, serait de nature à favoriser la constitution de prix plus contenus, notamment en matière de transports, de fournitures ou de location de matériels, de frais de voirie ou de gardiennage de voitures.
La chancellerie semble avoir pris récemment la mesure de l'intérêt d'une confrontation plus fréquente entre fournisseurs potentiels, en particulier dans les secteurs des empreintes génétiques ou de la location de matériel d'interceptions téléphoniques.
Enfin, la Cour a constaté que, là où il n'y avait pas concurrence, notamment vis-à-vis de certains opérateurs téléphoniques, l'absence de mise en jeu de cette concurrence ne permettait pas de négocier de meilleurs prix. Cette remarque semble avoir été profitable puisque des négociations ont été entreprises avec les principaux opérateurs.
Le contrôle a posteriori de la dépense reste assez inefficace car le circuit de paiement est opaque. Les frais de justice ne font pas l'objet d'une procédure de mandatement classique. Les circuits de paiement font intervenir tantôt un magistrat du siège sur réquisition du ministère public, tantôt un greffier mais l'ordonnateur réel de la dépense, au moment de l'engagement, n'est pas clairement identifié.
En effet, le magistrat taxateur, qui va arrêter le niveau de la dépense, est souvent le président de la juridiction ou le magistrat qu'il délègue à cet effet. Or, lorsqu'il fixe le montant de la dépense, celui-ci, qui agit sur réquisition du procureur, connaît souvent mal l'affaire et les besoins qui ont justifié l'engagement des frais. L'ordonnateur de fait, qui est le magistrat ou l'OPJ prescripteur, n'est donc pas l'ordonnateur de droit.
La Cour avait constaté qu'on avait expérimenté de nouvelles règles budgétaires, notamment à Lyon. Je ne suis pas sûr que cette expérience puisse être totalement probante, car elle a subi quelques ajustements en cours d'année par régulations budgétaires et aussi parce qu'elle a pu fonctionner grâce au fait que la Cour d'appel de Lyon disposait d'emplois vacants. Elle a donc utilisé des dépenses de personnel pour s'ajuster à peu près. Cela a donné des résultats satisfaisants, mais dans des circonstances originales. Je crois donc qu'il faudra être mesuré dans les enseignements que l'on pourrait en tirer.
Dernière série de remarques : le dispositif pourrait être redéfini, selon la Cour, en prenant garde à ce que les inscriptions en dotation budgétaire tendent à plus de sincérité, avec des imputations budgétaires plus cohérentes, qu'on développe des liens avec des services enquêteurs, que le logiciel « Fraijus » puisse mieux fonctionner non seulement dans les tribunaux, mais avec les autres opérateurs impliqués dans l'engagement des frais de justice et qu'une réflexion soit également engagée sur la place des parties.
Longtemps protagonistes passifs des procédures pénales, les victimes se sont vu reconnaître des droits étendus, qui sont en partie à l'origine de frais de justice croissants.
Ainsi en va-t-il de mesures telles que la possibilité désormais reconnue aux parties de demander des investigations complémentaires, la prise en charge par l'Etat de frais de déplacement des victimes sur autorisation du juge d'instruction et, dans certains cas, de procédures alternatives préalables au classement d'affaires décidé par le parquet.
Certaines de ces mesures s'inscrivent plutôt dans le dispositif d'aide aux victimes. On peut s'interroger sur leur imputation en frais de justice, alors qu'elles ne contribuent pas toujours à la recherche de la vérité.
Par ailleurs, les droits conférés aux parties civiles, la gratuité de l'instance et des expertises, le principe selon lequel le criminel tient le civil en l'état constituent autant d'incitations pour les victimes à engager une procédure pénale génératrice de coûts alors même que leur intervention n'a parfois d'autre but que la réparation du préjudice qu'elles ont subi et qui paraît plutôt relever de la procédure civile.
* * *
En conclusion la Cour a constaté, au sein du ministère, une prise de conscience réelle, peut-être tardive et partielle mais qui croît ces derniers mois, de la nécessité d'assurer un suivi plus attentif de ce poste de dépenses.
Les initiatives annoncées en la matière par la chancellerie ne peuvent qu'être encouragées.
Pour qu'elles produisent les résultats attendus, elles exigeraient un renforcement des effectifs que la direction des services judiciaires consacre à ce sujet. Elles supposeraient aussi que soit définie plus précisément la notion de frais de justice, la distinction étant à opérer avec les moyens des services enquêteurs et, en conséquence, les conditions d'une éventuelle participation des ministères de l'intérieur et de la défense à la prise en charge de certains frais de justice.
Si le pilotage de la dépense demeure insuffisant, son contrôle apparaît défaillant, tant a priori qu'a posteriori.
Indépendamment de la mise en place d'une comptabilité d'engagement, qui constitue à la fois une nécessité pratique et une obligation légale, il paraît souhaitable de renforcer les procédures tendant à une meilleure identification préalable des coûts : mise en place de mécanismes d'autorisation pour les dépenses atypiques, définition de référentiels de prestations, protocoles d'enquête pour les infractions courantes et sensibilisation accrue des principaux acteurs, notamment des OPJ.
Enfin, certaines orientations de la législation -sécurité, protection de la maîtrise des frais de justice, notamment en matière pénale.
A supposer, comme l'avancent certains, qu'une évolution vers une procédure de type accusatoire se développe, une réflexion complémentaire sur les modalités d'intervention des parties dans la prescription des frais de justice serait alors judicieuse.
J'en ai terminé, M. le Président.
M. le président - Merci.
Au moins le ministère de la justice et les juridictions ne sont-ils pas suspectes de s'être livrés à une culture de gestion jusqu'à une période récente !
Monsieur le Secrétaire général, voulez-vous nous faire part de votre appréciation et nous préciser les dispositions prises pour combler ces déficits de pilotage et de contrôle des frais de justice, tant a priori qu'a posteriori ?
M. Marc Moinard - Quelques observations avant d'aborder le fond de l'affaire.
La première est que la chancellerie partage, dans l'ensemble, les constatations de la Cour.
Elle note toutefois, comme la Cour, que les choses évoluent, tant à la centrale que dans les juridictions. Il est vrai que l'on partait d'assez loin et que le souci concernant les frais de justice est relativement récent.
La prise en compte du coût de la mesure n'était pas la préoccupation manifeste des magistrats et le fait qu'il s'agisse de crédits évaluatifs ne poussait pas à le faire.
J'ai été procureur avant de devenir directeur des affaires criminelles : très rarement le coût de la mesure a été une de mes préoccupations. Je crois que mes collègues étaient dans le même cas. On a donc dépensé sans compter et les crédits évaluatifs y poussait.
La centrale ne s'en préoccupait pas puisque, à la fin de l'année, on portait l'addition ; les juridictions n'avaient pas non plus ce souci.
Certains mettaient même sur le compte de l'indépendance de la justice le fait de ne pas prendre compte le coût de la justice.
Je ne dis pas que tout cela a changé ; il y aura toujours des poches de résistance et des raisonnements de ce type, mais il faut reconnaître un changement de mentalité et de culture chez les magistrats. Le coût de la mesure est désormais pris en compte.
Un exemple : quand un juge d'instruction ordonne un contrôle judiciaire, cela coûte et le contrôle s'étale dans le temps. Or, c'est la première fois que je vois arriver des contestations. Les juges ne veulent plus signer des mémoires de frais, reprochant au parquet d'avoir audiencé l'affaire tardivement et d'être responsable du délai et du surcoût.
Le retard mis à porter une affaire devant la justice dans le cadre de l'audiencement est l'occasion d'une querelle. On se rend enfin compte que le temps, c'est aussi de l'argent.
Ce n'est pas forcément un bon exemple, mais c'est une chose dont on n'aurait jamais parlé autrefois et une préoccupation que les magistrats n'auraient pas eue.
Cette prise de conscience des magistrats est essentielle. En effet, on a déjà obtenu des baisses tarifaires importantes, 40 % de réduction sur les tarifs des opérateurs de téléphonie, soit 30 millions d'euros, par exemple. C'est évidemment une avancée importante mais, si les magistrats n'intègrent pas eux-mêmes un comportement financier différent, notre action n'aura de valeur qu'une année ! Il faut donc que le changement culturel se poursuive pour maîtriser sur le long terme la dépense de frais de justice.
Ce changement, qui est en train de se produire, provient de multiples actions, mais avant tout de la LOLF. Il fallait mettre le budget des frais de justice sous contrainte forte pour que les comportements évoluent. Il était essentiel que chacun comprenne que l'on ne pourra plus payer les frais de justice si on n'arrive pas à se discipliner !
Il y a aussi une prise de conscience citoyenne : gérer mieux l'argent public, c'est respecter ceux qui ont donné de l'argent !
Ce changement est indispensable, car il permettra de faire perdurer les actions déjà engagées.
Et actuellement, quand on fait le compte des frais de justice dépensés en 2005, on constate une décélération, notamment pour les frais de justice criminelle, en augmentation de 27 % en 2004 et qui n'ont cru en 2005 que de 17 %, soit une dépense totale de frais de justice de 487 millions d'euros.
M. le président - Quelle était l'inscription prévisionnelle ?
M. Philippe-Pierre Cabourdin - 353 millions d'euros étaient inscrits en LFI ; 378 millions d'euros avaient été inscrits au 1 er octobre ; au final, la totalité des 487 millions d'euros a été couverte globalement. La ventilation entre les différentes catégories de frais de justice s'établit comme suit : justice pénale : 77 %, justice civile : 12 %, justice commerciale : 8 %, autres frais : 3 %.
M. le président - En loi de règlement, nous serons donc à 487 millions d'euros. L'inscription en loi de finances initiale pour 2006 s'élève à un peu moins de 400 millions d'euros.
M. Philippe-Pierre Cabourdin - 370 millions d'euros.
M. Roland du Luart - Plus 50 millions d'euros en réserve à Bercy.
M. Marc Moinard - Encore une fois, c'est la première année que l'on constate une décélération de la dépense des frais de justice. Cela montre qu'une certaine discipline s'établit. Au surplus, on constate qu'au cours des derniers mois de 2005, le montant des paiements a doublé. En effet, nous avions donné des instructions pour que l'on paye un maximum de mémoires dans le cadre des crédits évaluatifs.
M. le président - Il n'y avait pas d'arriérés sous le coude ?
M. Marc Moinard - C'est le problème. On s'est alors aperçu que les experts présentaient des mémoires de 2003, de 2004 et quelques-uns de 2005.
On a de fortes inquiétudes sur la réalité du retard de paiement, moins du fait des retards de fonctionnement imputables aux services du ministère que des mémoires qui ne sont pas envoyés par les experts.
M. Michel Charasse - Avez-vous enlevé ceux qui étaient prescrits ? La cour des comptes dit que ce n'est pas le cas !
M. le président - A-t-on une idée de la dette latente correspondant aux arriérés ?
M. Marc Moinard - L'évaluation se fait plus à la hausse qu'on ne l'imaginait. On est à 40 % sans doute de mémoires de frais qui seront présentés en 2006 pour des prescriptions de 2004, 2005 et, éventuellement, 2003, d'autant que certaines prestations s'étalent par définition dans le temps. Ainsi, par exemple, les contrôles judiciaires peuvent durer deux ans.
M. le président - 40 %, cela représente 200 millions d'euros. Peut-être les experts veulent-ils reporter dans le temps la constatation de leurs revenus imposables.
M. Marc Moinard - Je ne suis pas sûr qu'il y ait une forte maîtrise de leurs mémoires par les experts eux-mêmes !
M. Roland du Luart - Est-ce 40 % de 480 millions d'euros ?
M. Marc Moinard - Oui, sans doute, mais, dans ce domaine, faute d'avoir disposé d'un outil de suivi de nos engagements, nous n'avons pas de certitude.
Cela résulte d'un défaut de comptabilité d'engagements.
Jusqu'à maintenant, personne dans les juridictions n'était capable de dire ce qui était en cours. Les commandes n'étaient pas prises en compte. Seuls l'étaient les paiements et on ne connaissait la dépense de l'année que les années suivantes.
M. Michel Charasse - Les chambres de l'instruction ne se posent jamais la question de savoir si une mesure de deux ans est utile ?
Il faudrait peut-être que le parquet leur pose systématiquement la question !
M. Marc Moinard - Le calcul des 40 % a été fait à partir des dépenses payées en 2005, qui étaient des factures des années 2003, 2004 ou 2002.
Ce décalage structurel existera encore. Existera-t-il à hauteur de 30, 40 ou 50 % ? Là est la difficulté de la prévision, mais il n'est pas envisagé que les experts présentent la totalité de leurs factures immédiatement pour l'ensemble des procédures, compte tenu du fait qu'elles ont une certaine durée.
M. Michel Charasse - Sauf si on les y oblige en modifiant pour eux les règles de prescription !
M. Marc Moinard - C'est alors un choix avec des conséquences budgétaires immédiates !
M. le président - La logique de la LOLF -et la Cour est désormais chargée de certifier la sincérité des comptes- est que l'on fasse apparaître au 31 décembre l'évaluation des dépenses engagées non encore payées.
Au 31 décembre 2006, il conviendra donc de faire apparaître dans vos dépenses de frais de justice celles que vous aurez payées en 2006, plus celles qui seront en suspens au 31 décembre.
On considérera qu'une partie des dépenses 2006 sont en fait des dépenses 2004 ou 2005, soit que c'est une année de transition, mais la logique veut que vous ayez à partir de maintenant une comptabilité d'engagement et que vous constatiez à la fin de l'année la dette correspondant aux dépenses engagées en 2006.
M. Marc Moinard - On a un outil informatique qui nous permettra de faire un suivi statistique de nos engagements.
Il y a eu neuf cours expérimentales, huit plus la Cour d'appel de Lyon. La première année a été difficile et je partage la vision de la Cour des comptes.
La seconde année a été plus facile.
Pour ces cours, alors que l'action de la centrale sur les tarifs n'avait pas encore porté ses fruits, on a assisté à une baisse des frais de justice en matière pénale de 7 % dans l'ensemble de ces cours.
Il s'agit là d'une baisse et non d'une décélération.
La prise de conscience a été plus nette dans ces ressorts. Un travail de fond a été réalisé, frais de justice par frais de justice, sur l'opportunité et le coût de chaque mesure et sur les délais d'audiencement. Un audiencement retardé constitue des frais de justice inacceptables.
Des politiques pénales sont même remises en cause : faut-il utiliser tels moyens à propos de telle affaire ? Il est disproportionné de recourir à l'interception téléphonique pour savoir qui a volé un téléphone portable ! Cela se faisait. Cela se fait moins.
Tout cela n'est qu'un début, car il faut bien voir qu'on n'était pas préparé à la gestion et que l'on n'a pas de tradition en la matière.
M. Michel Charasse - Elle est chez les autres, vous ne pouvez pas l'avoir chez vous !
M. Marc Moinard - En tout cas, on a une baisse de 7 % des frais de justice en matière pénale dans les 9 cours expérimentales. C'est largement insuffisant, mais révélateur.
Une autre action est en train de se mettre en place à propos des frais de justice civile et commerciale. Ce n'est pas ici l'objet, mais c'est important puisqu'il s'agit de plus de 100 millions d'euros.
Les frais de justice civile sont recouvrés sur la partie perdante ; pour l'instant, le recouvrement n'est pas loin d'être nul. On recherche des solutions avec le ministère des finances pour arriver à un recouvrement qui correspond à une certaine réalité.
Autre catégorie de frais civils : les frais commerciaux qui, jusqu'à maintenant, n'ont fait l'objet d'aucun contrôle. Ce sont des frais dont une bonne partie sert à payer le greffe de commerce ou certains experts. Entre deux juridictions de taille à peu près identique, les frais de justice varient du simple au double. Il faut donc s'y intéresser à tous point de vue.
L'inspection générale qui a maintenant la capacité d'inspecter les tribunaux de commerce a reçu mission de voir ce qui s'y passe.
Pour en revenir au bilan de l'année 2005, deux Cours d'appel expérimentales sur neuf ont connu une augmentation très largement inférieure à l'augmentation classique, Angers avec 3 %, Colmar avec 12 %. Toutes les autres ont baissé. Lyon a baissé pour la seconde année de 3 % ; Nîmes de 4 %, Bordeaux de 5 % Basse Terre de 10 %.
Versailles, avec 24 %, enregistre la plus forte baisse, mais s'agit-il d'un retard de paiement des mémoires ?
Les cours non expérimentales ont certes toutes augmenté mais en limitant largement l'augmentation par rapport aux années précédentes, presque 10 points de moins d'évolution en matière pénale : en 2005, l'augmentation a été de 17,67 %, alors que l'augmentation avait été de 27,3 % en 2004 et 21,2 % en 2003.
Qu'en est-il de l'insincérité de la dotation ? Il faut distinguer deux choses. La première concerne les engagements qui vont être pris. La seconde les paiements.
Sur les paiements, on a enregistré une baisse naturelle de 7 % dans les cours expérimentales. Les cours ont repris un par un les postes de dépenses et les ont analysés. On a diffusé le travail fait par Lyon et Aix. C'est un travail solide : on a mis en concurrence, on a demandé des devis. Les choses sont en train de changer du fait d'une certaine prise de conscience et par peur des conséquences de la loi organique sur les crédits de fonctionnement des juridictions.
On peut estimer que l'ensemble des cours non expérimentales vont enregistrer cette année une baisse équivalente de 7 %.
Par ailleurs, s'agissant des nouveaux engagements de dépense, un certain nombre de mesures ont été prises à travers des négociations pour réduire les tarifs pratiqués. Ainsi, sur la téléphonie, sur l'interception, sur les mobiles, manifestement, les opérateurs n'ont pas fait beaucoup de pertes ces dernières années. On a obtenu un rabais général de 40 %. Cela va permettre d'économiser 30 millions d'euros.
Il y a donc bien deux responsabilités encourues dans cette affaire, celle de la centrale et celle des acteurs des terrains. Ce sont des responsabilités communes ; elles n'ont pas été exercées. Elles commencent à l'être.
Si donc on cumule la baisse de 7 % et les baisses tarifaires, on n'est pas loin des 420 millions d'euros, 370 millions d'euros et 50 millions d'euros de crédits en réserve de Bercy.
Je pense donc que, pour les engagements 2006, on ne sera pas loin du chiffre, et peut-être même tout à fait en dessous.
C'est facile à dire ici, moins facile dans les juridictions mais, à mon sens, on n'en sera pas loin.
En revanche, pour les paiements, nous n'avons pas bien évalué le retard. On avait d'ailleurs du mal à le faire, non pas qu'il y ait de la rétention chez les experts, mais pas mal d'incurie. Quand on a fait savoir aux juridictions qu'il fallait payer le plus possible parce qu'on était dans le cadre des crédits évaluatifs, les experts ont sorti un maximum de choses de 2003 et de 2004. En outre, le circuit des paiements dans les juridictions connaît un certain retard. Ce qui nous inquiète, c'est de savoir combien il reste à payer sur les engagements antérieurs.
Je ne pense pas qu'il s'agisse d'insincérité. On a fait une évaluation des retards de paiement dans la mesure où on pouvait la faire. Personne ne peut dire actuellement où on en est. On a fait des sondages auprès des experts. Ils nous disent ce qu'ils veulent. Je ne suis pas sûr qu'ils sachent vraiment eux-mêmes.
On nous dit que l'on a payé deux fois des frais de justice. C'est sans doute vrai, mais il y en a certains que l'on n'a jamais payés. Cela reste dans les tiroirs des experts du fait d'une mauvaise gestion.
En 1983, lorsqu'on avait procédé à la réforme de la comptabilité des greffes, on s'était aperçu qu'il y avait des trous mais, en réalité, globalement, c'était positif, certains fonds étant restés dans ces comptabilités de greffes.
La dotation de 370 millions d'euros a, il est vrai, été contestée dans les juridictions mais a créé une peur salutaire -et c'était aussi fait un peu pour cela.
Cela a aussi obligé la centrale à mener des actions précises.
On a pris les postes les plus importants un par un. Le premier concerne la téléphonie mobile et les interceptions téléphoniques. C'est une facilité dans certaines affaires. Je ne dis pas qu'il ne faut pas le faire, mais l'interception téléphonique a sans doute permis à certains opérateurs de financer largement leurs investissements. On est arrivé, à travers des négociations qui n'ont pas été faciles -ce sont des interlocuteurs de poids- à obtenir une baisse de 40 %.
Le CGTI (Conseil général des technologies de l'information) a défini un juste prix. Nous allons le diffuser aux juges d'instruction, aux chambres de l'instruction, afin qu'il serve de référence à la taxe. Sur quatre opérateurs, deux l'ont accepté.
On a aussi changé la méthode juridique pour modifier la tarification. Auparavant, cela se faisait par décret en Conseil d'Etat, procédure longue et compliquée. C'est pourquoi certains tarifs n'ont pas bougé depuis des années. Désormais, cela se fait par arrêté.
Un arrêté devrait être pris au mois d'avril pour fixer la tarification des opérateurs.
Second élément concernant la téléphonie. L'intervention judiciaire met en cause deux modes d'intervention, l'opérateur et le loueur de matériel.
On a obtenu d'eux -ils sont une dizaine sur le marché- un rabais de 12 %, mais on a surtout décidé de mettre en place une plate-forme technique dédiée aux interceptions judiciaires.
Fin 2007, courant 2008, cette plate-forme technique sera opérationnelle et on n'aura plus recours aux loueurs. Cela représente 30 millions d'euros d'économies. Il faut en déduire le coût d'exploitation, qui est évalué à 5 millions d'euros par an.
Il s'agit surtout d'une maîtrise de la dépense par l'Etat, ces loueurs pouvant augmenter sans cesse leurs prix. On était dans un marché relativement captif.
Autre mesure d'économies : les lignes permanentes, qui représentent 3 millions d'euros. Les choses sont en train de se faire.
On met aussi en place des centrales téléphoniques. En 2007-2008, quand on aura nos plates-formes techniques, on n'aura plus besoin des loueurs. Jusque là, on a besoin d'eux. On installe donc des centrales téléphoniques, plutôt que d'avoir un appareil par écoute. C'est aussi un gain d'argent.
Ce n'est pas facile puisqu'on les informe qu'en 2008, on se passera de leurs services, mais il y a quand même des gens qui se présentent sur le marché, en espérant qu'on aura du retard.
D'autres mesures, dont la technicité nous échappe, sont plus difficiles à expliquer.
Second poste exponentiel : les empreintes génériques, dont on avait du mal à isoler le coût. On ne le connaissait pas au moment où la Cour des comptes en faisait la remarque. En 2005, la nomenclature budgétaire ayant été modifiée, on sait que ce poste a représenté une dépense de 23 millions d'euros.
Il existe deux types d'analyses. Le premier concerne les empreintes génétiques sur des personnes dénommées, dont la simplicité ne justifie pas le coût, certains laboratoires pratiquaient un tarif de 360 euros quand d'autres réclamaient 120 euros. Il s'est trouvé que l'on a eu un certain retard. En effet, la demande d'analyses pour l'alimentation du FNAEG a dépassé les capacités des laboratoires publics, et l'on s'est alors partagé, entre les ministères de l'intérieur, de la défense et de la justice, le traitement de ce retard.
C'est une réussite pour le ministère, mais aussi un reproche latent : en huit jours, on a trouvé un laboratoire qui a analysé 40.000 empreintes pour 85 euros ! Cela a permis d'établir un coût sur le marché. Autant il faut mettre un frein aux dépenses en matière de téléphonie, autant les empreintes génétiques constituent la reine des preuves. Ce n'est contesté par personne devant les cours d'assises. On hésite même à faire venir l'expert, puisque c'est une vérité judiciaire.
Le second point, beaucoup plus compliqué, concerne les analyses sur les traces.
Une femme a été violée ; il y a des traces. Ce n'est pas facile à prélever. Cela demande un, deux, trois, quatre essais. Le second niveau est celui de l'expertise mitochondriale où, avec un petit point seulement, on peut relever la filière maternelle. Ces deux expertises coûtent beaucoup plus cher et on ne le tarife pas parce que c'est difficile.
Un audit dit de « modernisation » a été pratiqué sur les empreintes génétiques, essentiellement celles destinées à l'alimentation du FNAEG et non pas celles pratiquées par les magistrats dans le cadre d'une procédure, lorsqu'il s'agit de rechercher le coupable.
Ce fichier est actuellement alimenté à hauteur de 120.000 analyses par an. Il faudrait arriver à 200.000. Pour cela, il faut sans doute parvenir à passer un marché public en coordination avec les autres ministères concernés.
Parce que, dans ce cadre très précis de l'alimentation du FNAEG, on n'est pas, à mon sens, dans la problématique de la liberté de choix des magistrats, car on n'est pas dans le cadre de la recherche de la vérité.
Pour le reste, il faut maintenir la liberté de prescription des magistrats.
Un autre poste concerne les frais postaux. Ce poste de dépense s'élève à 50 millions d'euros par an. Le monopole de La Poste, pour les envois supérieurs à 50 g, a disparu. On fait l'inventaire du marché pour savoir qui va offrir les prestations les plus intéressantes, dans le cadre d'un marché public.
Pour les envois de moins de 50 g, on aura toujours recours à La Poste. On nous promet un rabais de 4 %. Ce sont des sommes considérables. On commence à peine, mais cela amène des recherches auxquelles on n'était pas habitué. Il nous faut, à la centrale, des « technico-commerciaux » pour négocier au mieux ces tarifs.
L'autre point insupportable, c'est le problème des scellées et du gardiennage. La criminelle a envoyé de nombreuses circulaires à ce sujet. Cela fait une dizaine d'années que l'on demande de faire attention. Il y a des expériences malheureuses : on arrive en Cours d'appel avec une voiture saisie, alors que le propriétaire était en première instance, mais n'était pas appelant. On a gardé la voiture 7 à 8 mois de trop !
Les garagistes qui gardent une voiture qui a été saisie attendent un an avant d'envoyer la facture. C'est une rente de situation. Il faut impérativement leur imposer d'envoyer la facture très régulièrement et se poser la question de savoir s'il faut garder la voiture ou non.
C'est un travail assez ingrat. Combien de fois s'y est-on attelé sans y parvenir ?
Il existe une application informatique qui a pris du retard, mais qui sera implantée d'ici fin 2007. Il s'agit de Cassiopée, qu'on appelle parfois l'Arlésienne.
M. le président - Expérience douloureuse !
M. Marc Moinard - L'accouchement arrive à peu près à son terme.
Cette application permettra, quel que soit le moment de l'affaire, d'avoir la fiche qui retrace la procédure et de connaître le coût financier de celle-ci à chaque instant.
Cassiopée a prévu un système de signalement automatique et à terme fréquent des affaires sous gardiennage. On ne peut tolérer ce qui se passe. Ce sont des rentes de situation faites à des gens qui ont d'autres moyens de subsistance.
M. Michel Charasse - Cela concerne toutes les pièces à conviction !
M. Marc Moinard - On peut dire la même chose des pièces à conviction. Là encore, cela fait vingt ans que l'on se bat et on a du mal à arriver à quelque chose.
Je souhaite maintenant évoquer le nouveau logiciel mis en place dans les juridictions depuis le début de l'année 2006 : Fraijus. C'est l'application qui va retracer les engagements. Dans les juridictions, jusqu'à l'année dernière, il n'y avait aucune comptabilité des engagements.
Aucune personne dans une juridiction ne pouvait savoir ce que celle-ci avait dépensé durant les trois premiers mois.
Ce logiciel se met en place difficilement. Il a été assez significatif du retard de gestion et des inquiétudes générés par un début de changement de culture.
On nous a dit que Fraijus n'irait pas bien loin, 30 % des frais de justice étant engagés par les OPJ. La Cour des comptes a bien pointé ce problème.
A quoi cela sert-il, dans ces conditions, de faire des comptabilités d'engagement ?
M. Michel Charasse - Il y a quand même le contrôle du parquet !
M. Marc Moinard - Effectivement, c'est un contrôle légal qui a connu des réalités diverses.
Pour les frais de justice, si les OPJ sont en flagrant délit, ils n'ont pas besoin de l'autorisation du parquet.
Or, dans le cadre du traitement en temps réel, 60 à 70 % des affaires traitées sont des flagrants délits. Certaines Cours d'appel, en matière de flagrants délits, veulent être avisées de toute dépense supérieure à 150 euros.
Pour ce qui est des enquêtes préliminaires, il faut une autorisation. Jusqu'à maintenant, les parquets n'ont pas totalement usé de leur contrôle sur les OPJ.
Par exemple, concernant les empreintes génétiques, on s'est demandé si c'était à la justice ou à l'intérieur de payer. De toute façon, c'est l'Etat qui paiera. Le fait que le ministère de la justice paye est aussi un moyen de contrôler sa police judiciaire.
30 % des frais de justice sont donc engagés par les policiers et les gendarmes. Un protocole a été passé avec les ministères de l'intérieur et de la défense, au terme duquel ils font désormais remonter tous les mois, avec la nomenclature de Fraijus, par TGI, les frais engagés par les OPJ. La centrale les renvoie à chaque TGI et cela s'intègre immédiatement dans Fraijus.
Nous sommes en période de test mais, dès le mois prochain, nous aurons une liaison télématique opérationnelle.
Des circulaires ont été envoyées, qui n'ont d'ailleurs pas été bien acceptées par les OPJ, qui y voient là une tâche indue.
Autre point : toute dépense de justice doit être comptablement rattachée à une procédure. On nous fait donc une facture à chaque fois et le coût de cette facturation à l'acte est quasiment insupportable. Il faut sans doute réfléchir -et la Cour nous y aidera certainement- à la création d'un centre facturier.
Deux Cours d'appel se sont portées candidates pour cette expérimentation. Par exemple, en matière de téléphonie, plutôt que d'envoyer affaire par affaire une facture qui coûte cher, on enverrait au juge une facture de l'ensemble des mesures ordonnées pour l'année.
M. Michel Charasse - Les maniaques des écoutes vont apparaître dans la comptabilité !
M. le président - Quel est l'objectif ? Est-ce un objectif de contrôle ?
M. Marc Moinard - Avec Fraijus, on nous a accusés de procéder à un « flicage » à travers les frais de justice.
Il y a deux bornes pour les comptabilités d'engagement et on butte toujours sur l'une ou sur l'autre. Au départ, on retrouvait dans Fraijus chaque affaire nominativement, avec son numéro et l'indication de la mesure prise.
Outre que ce logiciel avait pour défaut majeur de nécessiter 250 personnes pour le mettre en place, on pouvait voir ce qui passait dans les affaires ! Or, si quelqu'un sait que l'on est en train de mettre des écoutes téléphoniques en place dans son affaire, ce n'est plus la peine de l'engager !
On a donc créé un autre logiciel plus léger en termes de fonctionnement. On indique désormais le nom du juge d'instruction, sans préciser l'affaire. On ne peut donc remonter à celle-ci. On connaît le nom de l'opérateur qui réalise l'écoute téléphonique, mais c'est tout.
Je pense qu'on a trouvé là un point d'équilibre.
M. le président - Ce sont moins les frais de justice eux-mêmes que la gestion des frais de justice par les juridictions et du ministère qui sont en cause.
M. Marc Moinard - Non. Comment les gens peuvent-ils se discipliner s'ils ne savent pas ce qu'ils dépensent ?
M. le président - Je comprends bien la démarche : il faut avoir à la fois une observation très précise des frais de justice eux-mêmes, mais aussi de ce que coûte la gestion des frais de justice et les procédures que vous avez à mettre en oeuvre.
M. Marc Moinard - En effet, mais la facturation rentre dans le coût des frais de justice.
M. Michel Charasse - Cela n'empêchera pas chaque juge d'avoir le bilan de ce qu'il dépense ?
M. Marc Moinard - Avec Fraijus on a, à n'importe quel moment de l'année, le montant dépensé par le juge et ce qu'il reste dans l'enveloppe.
La prise de conscience s'est faite de manière disparate mais, globalement, elle s'est faite. Chacun va savoir ce qu'il a dépensé.
Auparavant, certains refusaient de signer les frais de justice au prétexte qu'ils n'étaient pas responsables de la dépense. C'est donc significatif d'une évolution chez les magistrats, même si l'on n'est pas au bout du compte.
L'essentiel est d'enfoncer le clou. Cette démarche s'appuie sur la responsabilité de la centrale, qui doit continuer à travailler sur les frais de justice pour donner aux juridictions les moyens de mieux dépenser.
En dépensant mieux, on dépensera moins. Il ne faut pas toucher à la liberté de prescription, qui est absolue, mais il y a une obligation morale de mieux dépenser l'argent public.
Il serait souhaitable que l'on juge les résultats de toutes ces actions sur les engagements et non sur les paiements, qui représentent l'arriéré et ne répondent que du passé.
M. le président - Messieurs les directeurs souhaitent-ils apporter un complément ?
M. Jean-Marie Huet - Désormais, les rapports de politique pénale contiennent des demandes très précises aux 181 parquets et aux 35 procureurs généraux sur la maîtrise de frais de justice.
C'est dire combien nous tenons à ce que chaque parquet et chaque parquet général ait quotidiennement à l'esprit la nécessité de cette maîtrise.
En second lieu, dans les tous prochains jours va être distribué à l'ensemble des juridictions un opuscule, fruit d'une réflexion sur l'organisation des parquets, qui dépasse cette seule problématique des frais de justice, mais dans lequel une place est faite à la question de leur maîtrise.
Cette question est désormais inscrite dans les indicateurs lolfiens de performances.
La sous-direction du casier judiciaire édite dès maintenant des indicateurs sur les taux de rejet, par nature de juridiction et par juridiction, d'inscription du casier judiciaire.
Cela signifie que l'on sera en mesure de savoir, pour tel type de juridictions, quelles sont les difficultés de transmission des décisions ; cela permet d'améliorer la qualité de celles-ci, avec indicateurs de délais extrêmement précis dans lesquels la décision est transmise, entre le moment où elle est rendue et le moment où elle arrive au casier judiciaire.
Nous aurons donc, de manière transparente, une visibilité totale de l'activité des juridictions.
C'est dans cet esprit, de la même manière que nous mettons en place des bureaux d'exécution des peines avec une volonté d'accélérer l'exécution des peines, que la direction s'est totalement associée aux initiatives prises par le secrétaire générale et la direction des services judiciaires en ce domaine.
C'est notre responsabilité de donner une ligne directrice claire à l'ensemble des parquets généraux et des procureurs de la République dans ce domaine.
Le secrétaire général a cité l'exemple des téléphones portables volés. Des éléments de plus en plus précis sont communiqués à l'ensemble des magistrats, au vu des observations formulées.
Dernier mot en termes d'évaluation : en vingt ans, les politiques pénales et les choix du procureur de la République ont considérablement évolué. Il faut qu'il puisse mesurer la pertinence du choix de telle ou telle mesure, notamment si c'est une médiation ou un contrôle judiciaire -et le fait qu'il ait recours à une association habilitée peut décupler le coût de la mesure.
Nous avons, pour l'ensemble de l'année 2005, fait un travail d'évaluation sur un certain nombre de sites pour voir la valeur ajoutée que constitue ce recours aux associations, qui n'est pas contestable dans certains cas mais qui, dans d'autres, peut avoir des incidences sensibles en termes budgétaires et inciter à saisir un délégué du procureur de la personne physique.
M. Léonard Bernard de la Gatinais - Je voudrais revenir sur la notion d'engagement et de paiement. Pour avoir quitté une Cour d'appel il y a peu, je peux dire que les instructions constantes, tant des premiers présidents que des procureurs généraux, étaient de faire ressortir le plus rapidement possible l'ensemble des mémoires qui pouvaient traîner dans les juridictions ou chez les experts.
En matière de paiement, les évolutions constatées tiennent aux évolutions législatives, à la pression de l'opinion, qui exerce une demande de justice très forte, mais aussi à cette volonté d'apurer au maximum.
Il y a là, entre l'augmentation liée à des évolutions et l'augmentation liée à la « chasse aux mémoires » en retard, une part qui n'est pas très facile à établir, d'autant que nous ne disposions d'aucune comptabilité d'engagement. Nous ne savions donc pas ce qui pouvait relever de 2003, de 2004 ou de 2005.
Aujourd'hui, avec l'outil mis en place, nous aurons, à la fin de l'année, une lisibilité claire de l'engagement, ce qui me paraît essentiel pour démontrer à la représentation nationale la volonté du ministère de la justice de maîtriser les frais de justice.
Le signe de l'engagement sera à mon sens très fort. Il y a là -et je peux en témoigner, à la fois en tant que chef de cours récemment installé à la direction des services judiciaires, mais aussi en tant que directeur des services judiciaires- une véritable prise de conscience, une véritable réflexion qui est menée à l'intérieur des cours.
Lyon en a été l'exemple, mais Aix-en-Provence peut aussi en être un ; je rappelle qu'une cour comme Aix représente, en 2005, 10 % du budget national des frais de justice, soit environ 47 millions d'euros, ce qui est énorme. La Cour d'Aix s'est engagée dans un processus d'analyse très pointu de ses coûts, des différentiels qui peuvent exister entre les moyennes nationales pour tel type d'investigations et les moyenne de la Cour d'appel d'Aix -expertises non tarifées ou tarifées.
Il s'agit d'un effort très significatif. J'ajoute qu'il a été décidé par le ministère de la justice, à travers le secrétariat général, de mettre en place des référents frais de justice dans l'ensemble des juridictions. Ils sont basés dans les cours et déclinent leur représentation dans les juridictions, de façon que tout le monde ait bien conscience de cette problématique et de ces enjeux.
Enfin, je voudrais aborder un point délicat, celui du co-ordonnancement. C'est une donnée particulière résultant de la diarchie entre siège et parquet.
Je crois qu'il est essentiel de le maintenir. En effet, la recherche de vérité ne relève pas du siège ou du parquet. Elle est unique. Si, dans le cadre d'une procédure, on devait séparer la mission du siège de celle du parquet, nous aurions un résultat contraire à ce que nous recherchons, chacun, dans son pré carré, voulant maîtriser ses propres frais de justice et n'abordant pas forcément les questions qu'il convient de se poser à tel ou tel moment de l'enquête.
Je crois qu'il faut conserver cette unité de la procédure. Il a été fait allusion à certaines procédures de type composition pénale. La composition pénale n'est pas une procédure entièrement entre les mains du parquet. L'aboutissement du processus de composition pénale est la validation par un juge ; dès lors, nous sommes dans une procédure comparable aux autres.
Il est très important de maintenir cette unité, même s'il y a une distinction entre la phase de poursuite et la phase de jugement, à moins de choisir d'autres systèmes qui ont d'autres conséquences que l'on connaît.
M. le président - Il reste à souhaiter que vos systèmes d'information soient opérants pour permettre cette maîtrise en temps réel et ce pilotage.
Philippe Josse va, je pense, nous rassurer sur la capacité du ministère du budget à abonder au moins à hauteur de 50 millions d'euros les crédits limitatifs des frais de justice.
M. Philippe Josse - Si vous m'y autorisez, je ne me bornerai pas seulement à cet aspect du problème.
Quelques mots pour rappeler un élément de contexte. En 2002, le budget de la justice s'élevait à 4,5 milliards d'euros. En 2006, on est passé à 6 milliards d'euros.
A périmètre constant, la progression n'est pas tout à fait celle-là, puisqu'on est à 5,5 milliards d'euros. C'est donc 1 milliard d'euros qui a été ajouté à cette mission. C'est dire si, pour le Gouvernement, il s'agit d'une priorité, peut-être la plus marquée de toutes. C'est presque un événement macro-budgétaire. Il s'agit d'une évolution trois fois supérieure à celle du rythme d'ensemble de l'évolution du budget de l'Etat.
S'agissant des frais de justice, il est vrai que l'on est sur des dépenses qui dérapent. Il s'agit cependant d'un dérapage récent. Le rapport de M. Roland du Luart sur la mise en place de la LOLF dans le domaine de la justice, montre que, pendant des années, cette dotation a été sous-évaluée.
Le problème existe depuis trois ans et il faut le traiter de trois manières différentes. La première, c'est la mise en oeuvre de la LOLF. C'est l'élément-clef. La LOLF a, à la fois, révélé le problème et fourni une partie des outils qui permettront de le traiter en rendant les crédits limitatifs.
Les frais de justice ne sont pas des dépenses différentes des autres. Ce sont des dépenses qui profitent aussi à la mission de la justice, qui est de contribuer à la manifestation de la vérité. De ce point de vue, il n'y a pas deux catégories de crédits : un produit fatal constitué par les frais de justice et le reste. J'insiste sur le fait qu'il s'agit là d'une dépense de justice comme les autres.
Cette dépense, il faut la traiter en tant qu'elle est à évolution extrêmement rapide en agissant sur ce rythme d'évolution et en veillant à ce que les crédits soient cohérents avec la dépense.
Quant à l'action sur le dynamisme de la dépense, je dois dire que j'ai été vraiment rassuré par tout ce que j'ai entendu de la part de mes collègues de la justice. La prise de conscience est réelle et, surtout, on est en train de se donner les moyens concrets de traduire cette prise de conscience. C'est très satisfaisant et c'est un facteur d'optimisme.
Comment va-t-on maîtriser cette dépense ? Beaucoup de choses ont été dites par le secrétaire général, je n'y reviens pas.
On va maîtriser la dépense en la connaissant, car on ne contrôle bien que ce qu'on mesure. Vous insistez très souvent sur ce point, Monsieur le Président, et je crois qu'il est crucial.
On va donc se doter d'une comptabilité d'engagement. On connaîtra ainsi nos dépenses restant à payer à l'issue de l'exercice. Ce n'est pas une innovation extraordinaire. C'est déjà ainsi que cela se passe généralement, mais les frais de justice, en tant qu'il s'agissait de crédits évaluatifs, avec certaines particularités pour la gestion de la dépense, n'obéissaient pas à ce régime qui est déjà celui de la comptabilité de l'Etat et qui, avec la LOLF, va être généralisé.
A ce propos, ce qui était imputé sur les frais de justice pourrait éventuellement -la Cour le note d'ailleurs dans son rapport- relever d'autres catégories de dépenses.
Les comptables ont accepté l'imputation. Ils n'auraient pas toujours dû.
En second lieu, je mets en garde contre le statut du chiffre de l'exécution 2005. Je pense - sans pouvoir l'affirmer avec certitude - qu'il y a eu un phénomène logique, provoqué, d'apurement des factures profitant de qu'on était encore en crédit évaluatif, qui a certainement entraîné une accélération de la dépense.
Nous ne savons pas encore dans quelle mesure ceci impacte le chiffre de l'exécution 2005 par rapport au rythme normal de la dépense, mais il faut considérer ce chiffre avec une certaine prudence. Je pense que le chiffre de 2005 n'est pas homogène avec les chiffres qui précédaient, pas plus qu'il ne le sera avec les chiffres qui vont suivre.
La véritable réponse, on l'aura avec la comptabilité d'engagement, qui permettra de tracer chaque année la réalité de la dette de frais de justice ; puis, on surveillera le rythme de paiement. La connaissance est donc extrêmement importante.
Il y a ensuite une action d'économie à mener sur les volumes et sur les coûts.
L'économie sur les volumes passe par la responsabilisation des prescripteurs. On a entendu beaucoup de témoignages sur la prise de conscience de ceux-ci, conséquence heureuse, mécanique et naturelle de la LOLF, ces dépenses devant venir en concurrence avec d'autres.
Quant aux économies sur les coûts, il y a aussi beaucoup de facteurs d'espoir, d'abord par la massification, avec ses possibilités de mutualisation. On a parlé du fichier central d'empreintes génétiques. On vient faire un audit dans le cadre de notre programme d'audit qui avance à marche forcée. On a vu que ce qui coûtait 300 euros l'unité coûte désormais 85 euros et peut encore être abaissé à 60 euros.
La massification peut également opérer dans le cadre des écoutes téléphoniques. Plutôt que de faire une facture par écoute, il est plus intelligent de faire une facture globale, ce qui n'empêche pas un relevé détaillé.
C'est comme si nous, particulier, recevions une facture pour chaque communication téléphonique que nous passons. Il y a donc des marges de progrès, ce poste coûtant très cher.
Je pense qu'avant de parler de redotation, il faut parler de dépenses, et je crois que c'est là la philosophie de la commission des finances.
Il faut aussi, à un moment donné, que les crédits convergent vers la dépense. Cela nous ramène au problème de ce que nous appelons le « rebasage ». Je n'aime pas les mots « d'insincérité budgétaire ». Nous sommes plus technocratiques dans notre jargon.
M. le président - Fort heureusement, la Cour ne donnera pas d'appréciation sur la sincérité des lois de finances initiale. La Cour donnera une opinion sur la sincérité de la loi de règlement, mais ce n'est pas une raison pour avoir une loi de finances initiale manifestement insincère !
M. Philippe Josse - Monsieur le Président, en utilisant une sémantique différente, je convergeais vers votre option.
Ce rebasage a donc été fait puisque, depuis quatre ans, 80 millions d'euros de plus ont été inscrits en loi de finances initiale. Il est probablement encore insuffisant -et il est de la coresponsabilité des deux ministères de faire converger la dépense en la maîtrisant et les crédits en ayant une appréciation budgétaire initiale plus proche de ce que sera l'exécution.
J'ai dit que l'on n'y voit pas très clair cette année. De ce point de vue, la démarche choisie, qui a consisté à inscrire un chiffre de 370 millions d'euros, en progression par rapport à l'année précédente -tout en indiquant que le ministre de la justice, compte tenu des incertitudes, aurait un accès privilégié à la réserve de précaution de l'ensemble du budget de l'Etat- me paraît de bonne gestion.
Si tous les efforts ne suffisent pas pour maîtriser la dépense, on est convenu, au moment des arbitrages budgétaires, que 50 millions d'euros auraient vocation à être dégagés sur la réserve de précaution d'ensemble du budget de l'Etat.
Cette réserve n'est pas un gel de crédits au sens où on l'entendait traditionnellement ; ceci a été soumis à votre vote au moment de l'élaboration de la loi de finances et est expressément prévu par la LOLF, l'ensemble des programmes dotés de crédits limitatifs contribuant à hauteur d'un pourcentage forfaitaire à cette réserve de précaution du budget de l'Etat.
Le pourcentage a été fixé à 5 % et ceci a été soumis à l'appréciation du Parlement au moment du dépôt du projet de loi de finances. Ce sont 4 milliards d'euros qui sont destinés à financer tous les aléas que l'Etat peut rencontre, avec accès du ministère de la justice à concurrence de 50 millions d'euros à cette réserve de précaution pour couvrir un éventuel écart au-delà de 370 millions d'euros.
M. le président - Cette réserve de précaution n'est pas constituée par un prélèvement sur les frais de justice ?
M. Philippe Josse - Elle est totalement forfaitaire et s'applique à l'ensemble des programmes dotés de crédits limitatifs.
M. le président - Il y a donc 5 % sur les frais de justice.
M. Philippe Josse - Absolument.
M. le président - C'est rassurant !
M. Philippe Josse - Mais logique !
M. le président - La parole est au président Jean-Jacques Hyest, non sans avoir remercié les intervenants pour les propos extrêmement encourageants qu'ils nous ont livrés.
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois - Je me réjouis de cette initiative de la commission des finances, à la suite de l'excellent rapport de M. Roland du Luart en matière de frais de justice et du travail exceptionnel de la Cour des comptes.
M. Pichon a évoqué la possibilité d'une orientation vers une procédure accusatoire : je crois qu'il est un peu prématuré d'en parler. Il ne faudrait pas interpréter ces propos comme une orientation partagée par tous.
Par ailleurs, il faut noter que le ministère de la justice souffrait depuis toujours d'une absence totale de sens de la gestion. Je crois qu'il y a une prise de conscience réelle des outils, même si l'on sait que le ministère a eu beaucoup de mal à utiliser les nouveaux moyens de communication, notamment en matière d'informatique.
L'autonomie de la prescription inquiète par ailleurs les magistrats.
En outre, on peut en effet faire des progrès considérables en matière d'écoutes téléphoniques ou d'examens.
Ma préoccupation porte sur le coût des expertises, -et pas seulement en matière de justice pénale. On a là un gros effort à faire.
Il faudra également étudier de près la limitation des frais de justice civile et commerciale. Ce pourrait être un travail complémentaire.
Le travail est extrêmement utile, dans la mesure où il amène une prise de conscience. Là où il a été fait, c'est un progrès.
S'agissant du co-ordonnancement. Je suis d'accord avec votre proposition, à condition qu'il y ait auprès des présidents et des procureurs ou des présidents de Cours d'appel et des procureurs généraux de vrais techniciens de l'administration et des finances, formés comme il convient.
Il y a bien sûr les SAR, mais le travail d'un président ou d'un procureur n'est pas de s'occuper de la gestion. C'est peut-être la tâche des greffiers et des greffiers en chef. Cela commence à l'école des greffes avec des spécialités. C'est une orientation indispensable si l'on veut moderniser le fonctionnement des juridictions et donc de la justice.
M. le président - Il n'est donc pas nécessaire que les gestionnaires soient des magistrats.
M. Léonard Bernard de La Gatinais - Les prescripteurs sont des magistrats. Il convient que les chefs de cour aient l'oeil sur cette situation.
Quant à l'évolution de la gestion au sein du ministère de la justice et au sein des cours, je crois que celle-ci est favorable. Les formations mises en place pour former nos coordonnateurs de SAR sont d'excellente qualité.
Au-delà, il y a peut-être une réflexion à mener sur le contenu de la formation initiale ou même du concours d'accès aux fonctions de greffier en chef, en l'axant plus sur la gestion.
En tout cas, les choses sont en place. Dans les SAR nous sommes plus face à des difficultés quantitatives que face à des insuffisances qualitatives. L'essentiel des coordonnateurs sont d'excellente qualité.
Pour les chefs de cour, ce sont des collaborateurs des chefs de cour de haut niveau.
M. le président - La parole est au rapporteur général.
M. Philippe Marini, rapporteur général - Ma question porte sur la frontière entre frais de justice et crédits de fonctionnement du ministère de l'intérieur d'une part et de la gendarmerie d'autre part.
Les ministères ont-ils bien analysé ces questions ? Y voit-on plus clair qu'au moment où la Cour a fait son enquête ?
M. Philippe Josse - C'est une question qui reste essentielle, mais qui l'est moins qu'elle ne le fut, grâce à la LOLF.
La tentation logique qui pouvait être celle de certains services de recourir aux frais de justice non soumis à contrôle disparaît, moyennant quoi il faut que l'on ait une traçabilité fine des frais de justice et de ce que l'on impute à ce poste.
On a vu qu'il s'agissait d'un indicateur de performance du ministère que de faire diminuer le montant des frais de justice par affaire.
Il faut que l'on puisse avoir une bonne traçabilité. Je dirais qu'il n'y a pas de problème pour une part importante de la dépense -empreintes génétiques, analyses biologiques, écoutes, expertises. Il n'y aura pas de difficultés pour le comptable à contrôler l'imputation qui sera faite par l'ordonnateur.
Il faudra peut-être que nos services se rapprochent. Cela a déjà été le cas pour définir un protocole sur certains sujets.
M. Marc Moinard - Nous nous sommes mis d'accord avec les services de police et de gendarmerie sur l'établissement d'une liste pour déterminer ce qui doit être rattaché au budget de fonctionnement des services d'enquête et non pas mis sur le compte des frais de justice.
En contrepartie, on pose le problème des transferts, ce qui n'est pas une mince affaire.
Quelques parquets ont demandé aux services d'enquête, quelles que soient les circonstances, de faire connaître la dépense qu'ils comptent effectuer avant d'engager tout frais de justice. Faire connaître, c'est déjà en discuter.
Certains parquets ont choisi un seuil de 150 euros. Cela permet de regarder davantage ce qui se passe.
M. le président - Peut-être les salaires des officiers de police judiciaire seront-ils un jour rattachés à la mission justice.
C'est une question qui peut se poser : cela relève-t-il de la sécurité ou de la justice ?
La parole est au rapporteur spécial.
M. Roland du Luart, rapporteur spécial - Je suis d'accord avec le directeur de cabinet et futur directeur du budget lorsqu'il souligne l'effort considérable effectué par la Nation vis-à-vis de la justice.
C'est en raison de cet effort, lorsque j'ai pris mes fonctions de rapporteur spécial, que je me suis investi dans le problème des frais de justice, trouvant regrettable que, malgré un effort considérable, 90 % de l'augmentation des dépenses de fonctionnement des services judiciaires soit consommés par les frais de justice.
Je suis confiant dans l'avenir en raison de cette comptabilité d'engagement qui se met en place, mais je suis en total désaccord avec la situation constatée. Pour 2005, le ministère de la justice avait annoncé un budget de 358 millions d'euros ; on a abouti à 487 millions d'euros.
Nous avions déjà souligné l'insuffisance de crédits à l'automne 2004. A l'automne 2005, je me suis à nouveau ému de la sincérité des crédits alloués et suis tout à fait en phase avec l'analyse de la Cour des comptes pour dire que ceux-ci ont été sous-évalués.
M. Moinard vient d'en donner la confirmation. Compte tenu du « trou » de 200 millions d'euros, il va nous falloir deux à trois ans pour digérer la réforme initiée par la LOLF, qui est une réforme salutaire.
Je rends hommage à la culture de gestion de l'ensemble des magistrats. Celle-ci progresse et je l'ai senti à travers mes auditions sur l'ensemble du territoire, mais nous sommes dans une impasse pour les deux ou trois ans à venir -sans parler du nombre de factures dont on a du mal à appréhender la mesure !
Je crois qu'il faut avoir le courage et l'honnêteté de dire que l'on parvient à inculquer cette culture de gestion grâce au travail de la chancellerie, que la LOLF est salutaire mais qu'à l'instant présent, il y a un véritable problème pour permettre l'absorption du retard des frais de justice insuffisamment évalués.
C'est du moins l'impression que j'ai à force d'écouter de nombreux chefs de cour.
M. le président - Cela a fait l'objet d'une évocation permanente ce matin ! C'est un pari pris par le ministère : vous serez jugés aux actes.
M. Marc Moinard - On a constaté dans les deux derniers mois de 2005 que le paiement des frais de justice avait doublé par rapport aux autres mois.
M. Philippe Josse - Nous ne connaissons pas le statut du chiffre de l'exécution 2005. Ce sera certainement un chiffre atypique et le rythme mensuel de paiement double de la normale témoigne bien du fait qu'on a résorbé le stock de factures plus qu'on n'a accru la dépense par elle-même.
Nous ne savons même pas, compte tenu des vertus de la LOLF et des efforts qui sont faits, s'il y aura réellement insuffisance.
Je me permets donc d'être moins pessimiste que le rapporteur spécial.
M. Roland du Luart - Je pense que nous sommes, nous, politiques, coupables de ne pas avoir mesuré l'impact financier des réformes que nous avons votées.
J'aimerais beaucoup, en liaison avec la chancellerie, que nous puissions travailler d'arrache-pied, si des projets de loi sont présentés, sur une simulation d'impact financier préalable pour éviter ces dérapages.
M. Marc Moinard - C'est une fonction qui a été dévolue au secrétariat général.
M. le président - A chaque fois que le Gouvernement viendra avec un projet de loi, s'il n'y a pas eu d'étude d'impact fine, le Sénat s'abstiendra donc de participer à la délibération !
On met de l'ordre dans l'art de légiférer.
La parole est à M. Yves Détraigne.
M. Yves Détraigne, rapporteur pour avis de la commission des lois - Il est vrai qu'il a été souvent aussi reproché au législateur de prendre des dispositions législatives dont il ne mesurait pas l'impact pour les services judiciaires.
Je voudrais faire une observation pour dire que je constate avec satisfaction que les services du ministre de la justice ont bien progressé par rapport à ce qui n'était que des pistes de travail à la fin de l'an dernier.
Des mesures sont mises en oeuvre et des aspects très précis ont pu nous être présentés. Je crois que c'est de bon augure et que ceci va dans le sens d'un meilleur suivi de l'évolution des frais de justice et d'une plus grande responsabilisation des prescripteurs.
Ma première question portera sur la redéfinition des frais de justice. J'avais noté, au moment de la loi de finances, que l'on trouvait dans les frais de justice des mises en oeuvre de mesures alternatives ou un certain nombre de mesures relevant plus de l'aide aux victimes que de la recherche de la vérité. Un travail a-t-il été fait sur ce point ?
Seconde question : vous avez évoqué la mise en place de référents frais de justice. Le Garde des sceaux y avait également fait référence au montant de la loi de finances. Pouvez-vous nous en dire plus sur leur déploiement et sur le rôle qui leur sera assigné ?
Enfin, s'agissant de Fraijus, nous avons entendu, au moment de la loi finances, des versions différentes sur le niveau de précision du logiciel, dont on attend beaucoup en matière de responsabilisation des prescripteurs.
Ce logiciel sera-t-il accessible à chaque prescripteur ou est-ce une information réservée à l'administration centrale et aux chefs de cour ?
M. Marc Moinard - Fraijus est un logiciel local qui est accessible par l'intranet. Tout le monde y a accès.
Ce logiciel a déjà une histoire. La première version était une version lourde, presque inquisitoire. Les affaires étaient repérées une par une, et identifiées.
Ceci avait été mal reçu par les juridictions. La Cour d'appel de Lyon a refusé de le mettre en oeuvre, estimant qu'il s'agissait là d'un travail qui ne serait pas supportable, puisque 250 emplois étaient prévus.
En second lieu, Fraijus posait le problème de la confidentialité de certains éléments de l'instruction, notamment la décision d'y faire figurer les écoutes téléphoniques.
On a donc pris en urgence la décision d'arrêter ce logiciel au coût peu supportable en proposant un logiciel plus souple qui n'a pas fait l'objet d'observations. Je crois qu'on a maintenant trouvé un point d'équilibre.
La mise en service du logiciel a dû être retardée d'un mois car on a saturé le réseau intranet.
En tout état de cause, Fraijus a été un révélateur de toutes les peurs de l'institution judiciaire.
M. le président - Le délégué, c'est le référent ?
M. Marc Moinard - Non, le délégué est un médiateur.
On disposait de médiateurs qui portaient la parole du procureur. A un moment donné, ils ont un peu échappé aux procureurs et on en a fait des délégués.
Quand le procureur décide de classer une affaire sous conditions, le délégué n'a pas autre chose à faire. C'est un traitement de l'affaire. Cela ne me paraît pas détachable.
Il y a deux catégories de délégués, des personnes physiques et les associations. Pour les associations, le coût de la mesure est le double.
Les procureurs font vite le calcul et vont de plus en plus vers les délégués, dont le tarif pour un rappel à la loi est de 8 euros. Il va falloir du reste le réévaluer car, conformément à ce qu'a relevé la Cour, nous allons enfin prélever des cotisations sociales.
Pour ce qui est des référents, le directeur des services judiciaires vous en dira un mot dans un instant.
Par ailleurs, nous mettons en place une cellule technique qui pourra être sollicitée par les juges d'instruction et tous les magistrats prescripteurs pour les aider dans les mises en concurrence de prestataires dans des domaines de haute technicité.
Je vous donne un exemple : dans le domaine des écoutes téléphoniques, les avocats ont trouvé la parade et mettent en cause l'identification de la voix. Or, peu de sociétés sur le marché procèdent aux identifications de la voix. On ne connaît même pas leurs prix.
On va donc mettre en place à la chancellerie une cellule qui repère toutes les nouvelles technologies et essaye d'avoir des référentiels de prix pour pouvoir consulter les différentes sociétés sur le marché. Les référents seront en lien constant avec cette cellule.
M. Léonard Bernard de la Gatinais - Le réseau de référents est constitué de magistrats ou de greffiers en chef co-désignés par les chefs de Cour d'appel.
La mission du référent est de suivre et d'analyser l'évolution des engagements et des dépenses liées aux frais de justice, de manière à prendre toute disposition ou à évoquer la situation en cas de dérive constatée. Il s'agit donc d'assurer au plus près le suivi de l'évolution des frais de justice avec le service de l'administration régionale.
Il fallait que quelqu'un s'en préoccupe et soit clairement identifié au niveau de la Cour et des juridictions, afin de faciliter l'échange entre les uns et les autres.
Ce réseau a aussi vocation à faciliter la mise en concurrence des spécialistes et à aider les magistrats dans leur rôle de juge taxateur. Tout le monde ne peut avoir une polyvalence absolue et une connaissance exhaustive en toute matière, dans toute technique, pour savoir quel est le meilleur spécialiste au meilleur coût.
Il ne s'agit pas de guider la prescription mais de renseigner utilement le magistrat sur tel ou tel type de technique, étant entendu qu'au ministère, la cellule a aussi vocation à aider tout magistrat prescripteur qui souhaiterait se renseigner sur des prescriptions hors normes justifiant une analyse technique, afin d'avoir le recul nécessaire pour appréhender la véritable technicité de l'expert qu'il va devoir désigner et le coût de la prestation.
Voilà l'esprit et la réalité des référents frais de justice qui sont aujourd'hui déployés dans toutes les juridictions.
Ils vont être réunis le 22 mars de façon à évoquer le contenu de leur mission et ce qu'on attend d'eux.
M. le président - Comment est perçue une affaire comme celle du juge d'instruction qui prend un hélicoptère pour aller reconstituer les circonstances de la mort d'un ours abattu dans les Pyrénées ? C'est un cas d'école ?
M. Jean-Marie Huet - Il y a un certain nombre d'autres exemples que l'on pourrait citer et sur lesquels il faut que l'on puisse avoir, entre le juge du siège et le parquet, le temps de la réflexion, de la responsabilisation, afin que la mesure soit parfaitement adaptée à la nécessité de manifestation de la vérité.
M. le président - Nous sommes dans une démocratie médiatique ; il peut arriver que tel ou tel magistrat soit pris sous le poids des médiats pour déclencher des frais de justice quelquefois disproportionnés. On répond parfois plus à une gesticulation qu'à une nécessité pour faire émerger la vérité.
M. Marc Moinard - C'est pourquoi il faut que le référent soit de très haut niveau. On voulait que ce soit les chefs de juridiction. Au niveau des Cours d'appel, ce ne peut être les chefs de cour eux-mêmes, mais il faut que ce soit des gens qui aient toute la confiance des chefs de cour -la plupart du temps, ce sont leurs secrétaires généraux qui ont été désignés- pour que, dans des hypothèses de cette nature, il y ait un contact possible entre les chefs de cour et l'intéressé.
Il faut revenir à quelque chose de raisonnable. La centrale ne peut le faire. On serait soupçonné tout de suite.
S'agissant de la cellule d'aide à la décision, il existe d'ores et déjà à la centrale, pour les affaires financières, un conseiller qui donne son avis sur le coût de l'expertise. La question s'est posée de savoir s'il ne faudrait pas, quelle que soit la nature de l'expertise, lorsque celle-ci dépasse un certain montant, que le prescripteur ait l'obligation de saisir la cellule pour obtenir son avis, sans pour autant être tenu de le suivre.
Cela n'a pas été tranché. On est toujours dans la liberté de prescription, mais on pourrait aller vers une saisine obligatoire de la cellule.
M. Jean-Marie Huet - Sous réserve de l'urgence.
M. le président - Tout cela est compatible. Ce qu'il faut, c'est savoir ce que l'on fait et pouvoir en rendre compte.
La parole est aux commissaires.
M. Jean-Claude Frécon - J'aimerais avoir une explication sur le problème de l'évaluation des arriérés.
Vous avez parlez d'une évaluation grossière de 40 %.
M. Marc Moinard - On ne sait pas où on en est.
Ce qui nous a inquiétés, c'est que certains mémoires remontaient à 2004. On a donc une incertitude.
Le chiffre de 200 millions d'euros peut donc être excessif -je le souhaite en tout cas.
M. le président - Il sera dit que ce chiffre est totalement aléatoire.
M. Jean-Claude Frécon - Concernant les « travailleurs clandestins » du ministère de la justice que sont les experts, il est surprenant de voir ce qui se passe par rapport à d'autres administrations et dans les collectivités locales : c'est choquant !
M. Marc Moinard - On est arrivé à un accord à 90 % avec le directeur de la sécurité sociale, sauf pour une catégorie d'experts indépendants non affiliés. Cet accord n'est pas finalisé. Le dossier est resté en suspens pendant plusieurs années ; il a été repris il y a quatre mois. Une forfaitisation va être mise en place.
M. Jean-Claude Frécon - Je le souhaite, car cela ne fait pas bon effet.
M. Marc Moinard - Je suis d'accord.
M. Jean-Claude Frécon - Enfin, vous avez affirmé que, pour les frais de justice commerciaux, la situation était peut-être pire. Peut-on avoir un rapport à ce sujet -bien que cela ne relève pas du sujet traité aujourd'hui ?
M. Marc Moinard - Certes, on doit mieux dépenser partout.
C'est la première fois que l'on s'intéresse vraiment aux frais de justice commerciaux, qui ont augmenté de 25 % en 2005.
M. Jean-Claude Frécon - J'ai personnellement beaucoup apprécié cette réunion et j'en remercie le ministère.
M. le président - S'agissant des frais de justice commerciale, certains frais d'expertise sont directement pris en charge par les sociétés concernées. On a du mal à les évaluer. Dans de très nombreuses affaires, tout l'argent part dans des frais d'auditeurs et d'experts. Je suis frappé de voir à quel point une industrie se développe pour expliquer les lois. Quand il y a des licenciements, on fait appel à quelques cabinets spécialisés, constitués généralement d'anciens de l'administration. Cela représente des prélèvements assez extraordinaires.
L'évaluation de la complexité des lois est un vrai sujet. On se demande ce qui reste dans les entreprises une fois payés tous ceux qui interviennent pour expliquer ce qu'il faut faire, tant à l'administration qu'aux entreprises. Ce que vous voyez donc passer en frais de justice commerciale ne représente selon moi qu'une toute petite partie, l'essentiel étant supporté directement par les entreprises concernées.
Que représentent les frais de numérisation des pièces ? Est-ce une ligne des dépenses qui tend à se développer ?
M. Marc Moinard - On ne la trouve pas dans la nomenclature qui concernait les postes supérieurs à 9 millions d'euros.
M. le président - Le mouvement engagé est très positif. Il ne faut pas attendre d'emblée la perfection. En revanche, la dynamique est impressionnante.
Y a-t-il d'autres questions ?
S'il n'y en a pas, nous allons conclure.
J'ai été très positivement impressionné par cette audition. S'il fallait une argumentation en défense et illustration de la LOLF, je pense que cette audition serait une référence absolue.
Je voudrais rendre hommage aux représentants du ministère de la justice car, ici, la démonstration est faite que deux principes constitutionnels sont compatibles. Il n'est pas question de porter atteinte à l'indépendance des magistrats ; en revanche, les magistrats ont l'obligation de rendre compte. C'est une chose ; autre chose est de brider la dépense.
Il ne s'agit pas ici de cela mais de permettre aux magistrats d'y voir clair, sans quoi l'Etat, dans ses fonctions régaliennes, est en péril, car on ne pourra pas faire face à des évolutions non maîtrisées des dépenses publiques.
Ce qui est engagé ici est donc très impressionnant. J'espère qu'il en sera tenu compte dans les prochaines rentrées solennelles des juridictions. La LOLF a été un grand sujet de commentaires, avec quelquefois de l'irritation perceptible chez certains chefs de cours.
Il est vrai que le ministère de la justice avait des marges de progression, mais il les emprunte avec méthode et détermination, vous en avez témoigné les uns et les autres, Messieurs les directeurs, sous le contrôle bienveillant et optimiste du futur directeur du budget. Voilà qui est parfaitement encourageant.
Je comprends les craintes exprimées par Roland du Luart et par Yves Détraigne, dans une moindre mesure, mais nous sommes ici dans un pacte de confiance. Encore une fois, la loi de finances initiale est encore quelquefois un sujet de communication.
Elle peut être exposée à des gesticulations médiatiques. La seule loi de finances réelle, c'est la loi de règlement et nous nous retrouverons si vous le voulez dans un peu plus d'un an pour constater ce qu'il en est. On y verra beaucoup plus clair sur ces arriérés extrêmement difficiles à évaluer.
Je retiens les commentaires que vous avez faits, notamment ceux de M. Philippe Josse : 2005 étant « évaluatif », chacun a compris qu'il fallait essayer de « vider les tiroirs », toutes les factures antérieures tombant en 2006 étant malvenues, parce que venant en régime « limitatif »..
On essayera d'y porter remède avec une constatation plus juste des engagements au 31 décembre, afin de constater la dette effective. On va sortir d'une logique de trésorerie pour faire vivre les principes des créances acquises et des dettes engagées.
Je crois pouvoir dire que c'est une audition extrêmement encourageante, qui apporte de l'eau au moulin de la LOLF.
Merci de vous être prêtés de si bon gré à cet exercice. Je vous remercie au nom de tous les membres de la commission des finances et au nom des membres de la commission des lois.
Je remercie M. Yves Détraigne de s'être privé d'une réunion de commission pour rester avec nous.
Je me réjouis d'ailleurs de la coopération très étroite entre la commission des lois et la commission des finances. Nous sommes là dans la bonne direction.
Je demande aux membres de la commission des finances de rester un instant car il va falloir que nous nous prononcions sur l'opportunité de rendre cette audition publique. Je pense que vous souhaitez avec impatience que nous puissions publier cette enquête de la Cour et les propos tenus par les uns et par les autres. Nous vous ferons parvenir le compte rendu de vos propos afin que vous puissiez les viser et éventuellement les corriger.
Je ne doute pas qu'il s'agira d'un document relatant fidèlement tout ce qui s'est dit ce matin et que ce sera une bonne contribution à la LOLF. Je suis certain que ceux d'entre nous qui se rendront à l'invitation des chefs de cour dans les premiers jours de l'année judiciaire 2007 entendront des propos très rassurants sur les conséquences de la LOLF, car la LOLF n'est pas là pour brider la dépense, mais pour éclairer, mettre de la lumière dans toutes les pièces de la maison publique, y compris dans les juridictions.
Puis-je considérer que la commission des finances est d'accord pour la publication ? Merci.
La séance est suspendue à 12 heures 10.