5. M. Jean-Bernard RUIDAVETS, INSERM, Toulouse
Je suis médecin, praticien hospitalier au CHU de Toulouse, et j'exerce mon activité médicale et de recherche dans le domaine cardio-vasculaire. Le travail que je vais vous présenter a été mené en collaboration avec l'Institut national de veille sanitaire, car si j'ai des compétences dans le domaine des cardiopathies ischémiques, j'en ai peu dans celui de l'environnement. J'ai profité de la présence à Toulouse d'un médecin, le Dr. Sylvie CASSADOU, qui coordonnait le PSAS-9, pour entreprendre ce travail et rechercher de possibles facteurs de risque lié à l'environnement sur les cardiopathies ischémiques. Cela concerne essentiellement l'infarctus du myocarde.
Pour mettre en place cette étude, on avait besoin de trois types de données. Le premier est la météo, car la concentration de l'air atmosphérique en polluants en est très dépendante, mais surtout parce que certains polluants, et notamment les polluants gazeux, peuvent être plus nocifs par une augmentation de la solubilité due par exemple à un taux d'humidité plus important et donc à une meilleure pénétration des voies aériennes vers la circulation sanguine de certains polluants gazeux. Il est donc important de tenir compte dans l'analyse de ces paramètres pour étudier et contrôler l'effet de la pollution. Le deuxième outil concerne les mesures de la pollution qui est faite dans la région Midi-Pyrénées, et notamment à Toulouse, par l'Observatoire régional de l'air en Midi-Pyrénées (ORAMIP). Enfin, un outil (il en existe trois en France) que l'on appelle un registre des cardiopathies ischémiques, par lequel on enregistre depuis 1985, date à laquelle on a mis en place ce registre sur le département de la Haute-Garonne pour les personnes âgées de 35 à 64 ans, l'ensemble des événements de cardiopathie ischémique (infarctus du myocarde) qui surviennent dans la population résidente de ce département, hommes et femmes. Les mesures sont faites par l'ORAMIP à l'aide de deux types de capteurs. Certains mesurent une pollution spécifique, qui n'est pas celle qui nous intéresse, par exemple la pollution automobile à un carrefour ou l'émission d'ammoniaque à AZF, à l'époque. Notre intérêt est porté sur des capteurs qui mesurent la pollution moyenne, c'est-à-dire la pollution à laquelle la population est exposée tous les jours, et non pas seulement à des pollutions très spécifiques, soit en quantité soit en qualité.
Sur l'agglomération toulousaine, un certain nombre de capteurs sont positionnés pour mesurer cette pollution de fond. Plusieurs types de polluants sont mesurés, mais nous avons travaillé sur les trois premiers, les polluants gazeux, ozone, oxyde d'azote et dioxyde de soufre. Nous n'avons pas encore travaillé sur les particules, mais nous avons commencé le travail, car les indicateurs n'étaient pas fiables au moment où nous avons engagé cette étude.
Le registre, depuis 1985, concernait au départ les 35-64 ans, et nous l'avons étendu à une tranche d'âge supplémentaire d'une dizaine d'années. Nous arrivons maintenant à 74 ans. La zone cible étudiée est l'agglomération toulousaine, qui est couverte à la fois par les capteurs et par le registre. La population exposée, d'après le recensement de 1999, était environ de quatre cent mille habitants. Nous avons conduit l'étude de janvier 1997 à juin 1999. Je signale quelques indicateurs, notamment les taux d'incidence de l'infarctus du myocarde sur la communauté urbaine de Toulouse, en prenant en compte également les décès coronaires. En effet, l'infarctus du myocarde est une maladie à mortalité précoce, et souvent, les personnes n'ont pas le temps matériel d'être admises dans une structure hospitalière. Par conséquent, le fait d'enquêter auprès des médecins généralistes sur le dossier médical du sujet permet de qualifier ces décès de coronariens lorsque tous les éléments permettent de l'identifier. Enfin, on a également enregistré les morts subites, car certains infarctus du myocarde peuvent survenir subitement, massivement, entraînant une mort subite. C'est une maladie essentiellement masculine pour cette tranche d'âge, puisqu'elle concerne les hommes à 85-90 %.
La méthode d'analyse utilisée est une méthode à cas témoins croisés : on fait défiler tous les jours de l'année et, à chaque fois que l'on observe un infarctus, on apparie à ce jour-là un jour témoin. Dans ce cas, on a apparié quatre jours témoins. Lorsqu'un infarctus survenait un lundi, on appariait le lundi précédent, et au fur et à mesure, on faisait défiler. Le principe étant que si ce jour-là est survenu un infarctus, on peut penser que l'exposition était plus importante par rapport au jour témoin qui n'a pas eu d'infarctus avec donc une exposition plus faible. On a étudié la relation entre l'exposition au polluant au même jour que la survenue de l'infarctus du myocarde. Nous avons essayé de voir s'il y avait un temps de latence, le temps que les mécanismes physiopathologiques se mettent en jeu pour déclencher la maladie, puis nous avons examiné s'il y avait un effet cumulatif, c'est-à-dire si le fait d'avoir successivement des pollutions importantes entraînait un risque supplémentaire.
Pour l'ozone, on constate que le risque le même jour est de 1,05. Cela signifie que pour chaque augmentation dans l'atmosphère de 5 microgrammes par mètre cube d'ozone, il y a un risque de 5 % de faire un infarctus du myocarde. Ces relations sont très significatives et concernent à la fois le même jour et le jour précédent. En revanche, lorsqu'on remonte sur l'exposition en termes chronologiques, il n'y a plus de relations, puisque le risque relatif diminue à 1 environ. De la même façon, nous avons étudié l'exposition au dioxyde de soufre et au dioxyde d'azote. Aucune relation significative n'a été trouvée sur l'exposition à court terme. Nous avons examiné aussi si des populations particulières dans cet ensemble de population étaient plus à risque que d'autres. Nous avons pensé que probablement, les personnes qui avaient déjà une cardiopathie ischémique étaient plus à risque que ceux qui n'en avaient pas. Mais c'est l'inverse qui a été observé. Les personnes qui n'avaient aucun antécédent de cardiopathie ischémique avaient plus de risque de faire un infarctus du myocarde par rapport à ceux qui avaient déjà des antécédents. Les explications sont nombreuses, et ne restent que des hypothèses. On sait que ces personnes sont traitées par des vasodilatateurs et ce que l'on appelle des IOC, qui ont un rôle protecteur contre la vasoconstriction et la rechute de l'infarctus du myocarde. Probablement, ces traitements ont permis de diminuer le risque chez ces malades. Par ailleurs, on a examiné si le risque était plus important chez les personnes âgées (55-74 ans) par rapport aux plus jeunes (35-54 ans), et l'on s'est aperçu sans surprise que ce sont les plus âgés qui sont les plus à risque.
L'effet marquant est qu'il s'agit d'un risque à court terme. On peut dire que c'est dans les vingt-quatre heures qui précèdent l'infarctus du myocarde que les choses se sont passé. C'est une association spécifique. Jusqu'à présent, on avait travaillé sur des maladies cardio-vasculaires, des hospitalisations, des données hospitalières, de mortalité, mais jamais sur une pathologie spécifique, comme l'infarctus du myocarde. C'est une association robuste car quelles que soient les décisions que l'on prend, on retrouve toujours les mêmes relations. Cela affecte la population jeune (35-64 ans). Les plus âgés sont les plus sensibles, mais cela affecte également les personnes qui n'avaient aucun précédent vasculaire et les jeunes. Enfin, c'est une relation linéaire, c'est-à-dire qu'il n'y a pas de seuil. A chaque fois que l'on augmente la concentration de l'ozone, on augmente d'autant plus la survenue de l'infarctus du myocarde.
Sur les mécanismes physiopathologiques qui sont évoqués, on observe que c'est une relation à court terme. On évoque le rôle de l'inflammation, locale mais aussi générale. D'autres travaux ont montré que des marqueurs de l'inflammation produits par le foie sont des marqueurs généraux de l'inflammation, et que les marqueurs locaux produits autour des vaisseaux étaient augmentés lorsqu'on était exposé à de la pollution atmosphérique. Par ailleurs, on a démontré chez l'animal qu'il y avait une stimulation d'un vasoconstricteur (endothéline-1) mais aussi l'inhibition de la sécrétion de vaso-dilatateur. Enfin, on observe un rôle direct sur le système neurovégétatif. On a également montré que l'ozone avait un rôle sur la fréquence cardiaque, en la diminuant, à l'inverse des autres marqueurs (NO 2 et SO 2 ), qui sont cardio-accélérateurs.
En conclusion, je présente quelques données comparatives. On s'est posé la question de savoir pourquoi on ne trouvait pas d'association avec le NO 2 ou le SO 2 , alors que cela avait été décrit par ailleurs. On constate que, concernant le dioxyde d'azote, si on le compare à Toulouse, toutes les études qui ont montré une relation positive avec des taux très supérieurs à ceux que l'on observe à Toulouse, considèrent le taux moyen ou le taux médian sur la période d'étude. On constate que c'est deux à trois fois plus important. De la même façon, dans toutes les études qui ont montré une association entre le SO 2 et la survenue de cardiopathies ischémiques, Toulouse a un taux très faible. La population étudiée n'est probablement pas suffisante en nombre pour mettre en évidence ces relations. Cependant, lorsqu'on examine l'ozone, on constate l'effet inverse : Toulouse compte des taux très élevés, comparables à Barcelone ou Mexico, et l'on a mis en évidence dans ces villes des relations équivalentes.
Je vous remercie.
• M. Christian CABAL
Merci pour cette présentation et pour les différentes présentations de cette première partie de cette matinée, puisque les intervenants ont respecté le cahier des charges du point de vue de la durée, ce qui les a parfois amenés à être un peu rapides. Nous avons une petite marge de temps pour passer à la partie questions ou commentaires sur cette première série d'interventions sur ces quatre thématiques de la matinée.