2. M. Philippe LAMELOISE, Directeur d'Airparif
Quelle est la perception de la qualité de l'air en Ile-de-France ? Sans parler des progrès réalisés, qui ont été nombreux, les Franciliens, et les habitants de l'agglomération parisienne, n'ont pas vraiment besoin de nous pour savoir que le problème demeure, à travers la simple variation des conditions météorologiques, qui agit plus comme un révélateur plus ou moins intense que comme une cause de la pollution atmosphérique. A huit jours d'intervalle, à la même heure, en termes de visibilité de particules en suspension dans l'air, il existe une certaine différence entre un jour avec beaucoup de vent, où l'air nous vient de l'Atlantique, et un jour où les masses d'air vont stagner pendant un certain temps sur l'agglomération parisienne, accumulant et transformant la pollution atmosphérique.
Cela se traduit vis-à-vis de ce que perçoit l'opinion publique sur deux grands types d'indicateurs de la pollution. Le premier est l'indice de la qualité de l'air ATMO, qui caractérise la qualité de l'air d'une journée sur l'agglomération parisienne. Si l'on déploie l'observation sur les sept ou huit dernières années, la qualité de l'air à Paris est bonne, ou relativement bonne 80 % du temps, ce qui signifie que pendant les 20 % des jours restants, la pollution atmosphérique pose encore des problèmes. Cela se traduit également par la médiatisation relativement forte des épisodes de pollution atmosphérique correspondant aux journées les plus polluées de l'année, avec deux grands types de journées. Le premier, qui disparaît progressivement, se caractérise par de mauvaises conditions dispersives de l'hiver qui conduisent à des dépassements principalement de dioxyde d'azote sur l'agglomération parisienne, aux alentours de cinq jours par an, contre quinze jours par an voici une dizaine d'années. L'autre problème est celui récurrent de l'ozone pendant l'été, qui concerne toute l'Ile-de-France, avec une fréquence qui se maintient aux alentours de quinze jours par an où l'on dépasse ces objectifs de qualité, premier seuil des valeurs d'alerte.
Au point de vue de la pollution atmosphérique, l'Ile-de-France, c'est d'abord une énorme concentration d'émissions. C'est notre difficulté principale : l'intensité des émissions au centre de l'agglomération pour le dioxyde d'azote. Cette ville de presque dix millions d'habitants, qui n'est comparable qu'à Londres, en termes d'importance, au niveau européen, induit une densité d'émissions au centre qui lui pose un certain nombre de problèmes. Par ailleurs, cette agglomération a beaucoup d'avantages : elle est dans une plaine, elle « bénéficie » d'un climat fréquemment pluvieux et venteux (mais « bénéficie » est un terme de spécialiste atmosphérique car ces avantages ne plaisent pas forcément à tout le monde). En ce qui concerne les responsabilités, les transports, et plus particulièrement le trafic routier, sont encore les activités dominantes pour l'agglomération parisienne, en termes d'émissions polluantes. Il convient de garder à l'esprit qu'au cours des prochaines années, cette situation risque de changer car ces activités connaissent une baisse très intense des émissions, par rapport à d'autres activités qui stagnent ou qui augmentent.
Pour ce qui est de l'oxyde d'azote, problème principal dans l'agglomération parisienne, 51 % des émissions sont liées au trafic routier, avec quatre parts pratiquement égales entre les véhicules personnels à essence, les véhicules personnels diesel, les véhicules utilitaires légers et les poids lourds, sur lesquels il faudrait revenir car ils représentent un bon tiers. Paris à lui seul ne représente que 10 % des émissions régionales, qui ne sont elles-mêmes que 10 % des émissions nationales. En termes d'importance des émissions, l'Ile-de-France, par rapport à l'activité économique, est une « petite » émettrice. Le problème concerne la concentration. Il convient également de surveiller le secteur des autres transports (9 %), comprenant le trafic aérien, qui n'est pas vraiment en baisse. Alors que les autres secteurs ont connu d'importants progrès technologiques, pour le trafic aérien on constate une croissance de l'activité des plates-formes aéroportuaires et peu de progrès technologiques permettant de réduire fortement les émissions.
En ce qui concerne les poussières, une grande accusation, partiellement injuste, est portée sur le diesel. Lorsqu'on observe de près les émissions de particules en Ile-de-France, le transport est un gros contributeur, mais c'est l'industrie qui reste majoritaire. A l'intérieur du transport, les véhicules personnels diesel comptent pour un tiers, les poids lourds et les véhicules utilitaires légers faisant le reste. C'est bien sûr principalement la motorisation diesel qui génère des particules, mais ce n'est pas forcément toujours le diesel qui génère toutes les particules que l'on trouve en Ile-de-France. La situation est très compliquée, puisqu'à la différence des gaz les particules sont remises en suspension par le vent, et elles sont chimiquement fabriquées à partir des gaz. On a donc trois sources. L'action sur les émissions dites primaires, qui sortent des pots d'échappement ou des cheminées, n'est pas forcément aussi efficace qu'on peut l'imaginer sur les niveaux immédiats de poussière.
Un autre élément important consiste à observer les différentes émissions par type de véhicule, avec quelques ordres de grandeur qui sont relativement frappants. Un poids lourd, c'est en termes d'oxyde d'azote l'équivalent de neuf véhicules particuliers. Il convient également de poser la question des deux roues, qui pour le monoxyde de carbone correspondent à l'heure actuelle à trois véhicules particuliers, ainsi que pour les hydrocarbures imbrûlés. Cela tient à des décalages de réglementation. Il existe une réglementation très forte au niveau européen sur les véhicules particuliers. Sur les deux roues, elle commence à se mettre en place, mais le parc moyen est loin d'être exemplaire en termes d'émissions de polluants atmosphériques.
Je n'évoquerai pas le dioxyde de soufre, car cela ne concerne pas vraiment le trafic automobile, mais de grands progrès ont été réalisés en quarante ans. En ce qui concerne le trafic automobile, on peut évoquer le monoxyde de carbone. L'effet de la modernisation du parc automobile permet une réduction très importante des niveaux de monoxyde de carbone à proximité du trafic. Je n'évoque pas les limites européennes, car elles sont très loin de l'échelle du diagramme, et nous n'avons plus de problèmes de ce point de vue. On peut observer que sur un endroit symboliquement congestionné comme Victor Basch, que tout le monde connaît sous le nom de carrefour d'Alésia, congestionné depuis des décennies, et les Champs-Elysées, dont le type de trafic change progressivement, pour aller du relativement fluide vers le congestionné, on a des variations de réductions qui ne sont pas tout à fait les mêmes. L'amélioration du parc s'observe dans les deux cas, mais la congestion favorise les émissions de dioxyde de carbone, et les progrès se font moins vite sur les Champs-Elysées. En ce qui concerne le benzène, on constate également d'importants progrès, avec l'efficacité d'une action sur les carburants. La nouvelle réglementation dans ce domaine en 2000 a entraîné des effets immédiats, alors que lorsqu'on agit sur le parc, les effets sont beaucoup plus longs du fait des délais du renouvellement du parc. En situation de fond, loin des sources de pollution, nous n'avons plus de problèmes avec le benzène. Près des sources de pollution, le problème demeure sur un certain nombre d'axes.
Trois polluants sont critiques à l'heure actuelle parmi les polluants réglementés : le dioxyde d'azote, l'ozone et les particules. On a beaucoup parlé du dioxyde d'azote, avec une évolution favorable, contrairement à ce que l'on pense, mais avec des dépassements récurrents. Cela évolue bien, mais pas assez vite. Lorsqu'on observe les émissions d'oxyde d'azote, on s'aperçoit que l'on gagne sur les sites trafic aux alentours de 27 % et sur les sites de fond aux alentours de 42 % en l'espace d'une petite dizaine d'années. En ce qui concerne le dioxyde d'azote, on gagne beaucoup moins. En dix ans, on ne gagne rien sur les sites de proximité, et l'on gagne péniblement 20 à 22 % sur les sites de fond. Cela tient à des phénomènes de chimie relativement complexes entre l'ozone et les oxydes d'azote, qui font que les efforts réalisés sur les oxydes d'azote totaux n'ont pas une résultante immédiate et aussi intense qu'on le souhaiterait sur le dioxyde d'azote. Or, c'est celui-ci qui est réglementé. Cela donne, non pas en pointe de pollution mais en exposition chronique, au niveau moyen annuel, une zone supérieure aux objectifs de qualité, en fonction des conditions météorologiques. 2003 a été une année très défavorable, non seulement en raison de la canicule, et 2004 a été une année très favorable. Tout le coeur de l'agglomération parisienne est au-delà de ces objectifs, ce qui représente d'une année sur l'autre entre deux et quatre millions d'habitants exposés chaque jour à des niveaux supérieurs aux objectifs de qualité.
Le Plan de protection de l'atmosphère concentre tout l'enjeu de rattraper cette situation, en s'appuyant notamment sur les progrès technologiques qui vont être réalisés par les véhicules. Sur les véhicules particuliers, pour tous les polluants d'ici 2010 des progrès considérables seront faits en termes d'émissions unitaires. On le constate également sur les émissions totales. La zone du trafic se réduit très fortement alors que les autres secteurs progressent nettement moins. A travers la modélisation mise en oeuvre, on n'aura pour les années favorables pratiquement plus de problèmes en matière de pollution de fond, sauf autour de l'aéroport de Roissy. Pour les années défavorables, les problèmes seront beaucoup plus atténués que ceux qui peuvent exister à l'heure actuelle. C'est plutôt une bonne nouvelle. En revanche, à la pollution de fond, loin des sources, il faut ajouter la situation près du trafic. Cela va dépendre de l'intensité du trafic et des caractéristiques de l'environnement immédiat (rue encaissée par exemple). Le long des grands axes, 65 % du réseau francilien dépassera l'objectif de qualité actuel, la moitié étant situé dans la Grande couronne, ce qui est assez surprenant. Même loin de Paris, près des axes, on aura des problèmes de pollution en niveau moyen pour le dioxyde d'azote, et la totalité du réseau de Paris et de la Petite couronne dépassera ces objectifs de qualité, le long des trottoirs des grands axes. Si l'on observe la situation en 2010 à proximité du trafic sur les cinq stations de mesure, on s'aperçoit que les réductions liées aux différentes mesures européennes ne suffiront pas à respecter notre valeur limite 2010 de l'Union européenne. On va diminuer de 20 à 30 % les niveaux en bordure des axes, alors que dans certains il faudrait le faire de 50, voire 60 %.
Une autre problématique est l'ozone, polluant en hausse pour des raisons de chimie relativement complexes. La diminution du dioxyde d'azote a tendance à favoriser dans un premier temps la formation de l'ozone. C'est un polluant qui voyage. L'importation du reste du continent européen nous amène pratiquement les deux tiers de l'ozone que nous subissons sur la Région parisienne. C'est un polluant plutôt des zones rurales sous le vent de l'agglomération. Le secteur sud-ouest rural de l'Ile-de-France subit les maximums d'ozone, mais cela ne s'arrête pas à l'Ile-de-France, et l'agglomération parisienne va avoir un effet au-delà, sur la région Centre, voire même sur les Pays de Loire. En ce qui concerne la carte de l'ozone le 8 août 2003, en pleine canicule, on constate que c'est la coulée d'ozone qui part du Nord de l'Europe qui nous arrive sur la Région parisienne. Ainsi, si l'on avait pu arrêter toutes les émissions de l'agglomération parisienne, on n'aurait pas évité les dépassements d'ozone. On observe également que lorsque le « panache » repart de l'agglomération parisienne, il est encore plus « chaud ». Les niveaux maximums ont été atteints dans la région Centre du fait conjugué de l'Europe et de l'agglomération parisienne. Lorsqu'on projette à 2010, c'est un peu plus difficile pour l'ozone. On n'arrivera sans doute pas à respecter les équivalents objectifs de qualité de l'Union européenne en Ile-de-France pour l'ozone.
Enfin, sur les particules en suspension PM10 et PM2-5, on n'identifie pas pour le moment très fortement les problèmes, par rapport à la réglementation européenne, mais ils vont apparaître car celle-ci va en se durcissant. On est de plus en plus sûrs que des effets importants des particules agissent sur la santé. Les normes de la qualité de l'air vont se durcir, et l'on voit que nos niveaux ne baissent pas. Ils n'augmentent pas, mais ils restent stables. Si le plafond descend et que les niveaux restent les mêmes, on rencontrera des problèmes. En termes de proximité au trafic, sur environ 4 % du réseau francilien on dépasse l'objectif de qualité, et la situation est plus grave à proximité du trafic. Voilà ce que je voulais signaler sur la situation en matière de pollution urbaine.
• M. Christian CABAL
Merci, Monsieur LAMELOISE. Je propose que nous poursuivions les interventions de la matinée. Nous aurons avant la pause la possibilité de poser des questions et d'apporter des réponses. Je donne la parole à M. Laurent SELLES.