3. Comment fournir l'hydrogène massivement ?
L'hydrogène, tout en étant un des éléments les plus abondants de la planète - il suffit de rappeler qu'il est présent dans l'eau - n'est pas pour autant disponible à l'état pur. Il n'en existe aucun gisement. Il faut donc l'extraire.
Pour cela il faut disposer d'une source d'hydrogène (gaz naturel, eau), et d'une source d'énergie (hydrocarbures, électricité...). L'hydrogène n'est donc pas une source d'énergie primaire, mais, isolé, devient un vecteur énergétique, permettant de transporter une certaine quantité d'énergie d'un lieu de production à un lieu d'utilisation.
C'est donc un raccourci dangereux que de considérer l'hydrogène comme systématiquement « propre ». Tout dépend de la manière dont il est produit et utilisé. Si sa production provoque le rejet de gaz à effet de serre, si elle est dépendante d'hydrocarbures ou si elle consomme plus d'énergie que l'hydrogène n'en restitue, il n'est pas certain que le procédé soit vraiment rentable.
L'hydrogène est d'ores et déjà un produit industriel. La consommation mondiale s'élève à 50 Mt par an et représente près de 140 Mtep (2 % de la consommation mondiale d'énergie).
96 % de l'hydrogène est produit à partir d'énergie fossile, dont 48 % à partir du gaz naturel, 30 % des hydrocarbures liquides, 18 % du charbon. 4 % seulement est produit à partir de l'électricité.
Il s'agit presque exclusivement d'une production sur site dédiée à un usage particulier : la production d'ammoniac (51 %), le raffinage pétrolier (35 %) et le méthanol (8 %). C'est donc un produit habituel pour l'industrie pétrolière et l'industrie chimique. Air Liquide est très présent dans ce domaine. L'hydrogène est aussi extrait pour des applications spatiales.
Son usage pour les transports et l'automobile en particulier serait une véritable révolution qui nécessiterait un changement d'échelle et de méthode de toute la filière.
Trois grandes questions se posent : Comment le fabriquer ? Où le fabriquer ? Comment le stocker, le transporter et le distribuer ?
Ces questions, qui doivent être dissociées pour mieux comprendre les différents enjeux, doivent néanmoins pouvoir être évaluées simultanément pour dégager l'écobilan et les coûts de l'ensemble d'une filière.
a) Comment le fabriquer ?
Quel que soit le lieu de la production d'hydrogène, deux grands types de méthode existent : le reformage thermochimique et l'électrolyse de l'eau . Plusieurs autres sont explorées mais restent du domaine de la recherche fondamentale.
La méthode choisie dépend de la source dont on veut extraire l'hydrogène.
A partir des sources hydrocarbonées, c'est le reformage qui est la solution la plus efficace. Trois méthodes différentes sont possibles : le vaporeformage , l'oxydation partielle et le reformage autotherme.
La production d'hydrogène à partir du méthane est la plus répandue auprès des industriels pour les besoins de raffinage de l'industrie pétrolière. Au cours de ce processus, la molécule de CH 4 est brisée par la chaleur et la vapeur d'eau sur un catalyseur au nickel. La réaction est dite « endothermique », c'est-à-dire qu'elle nécessite un important apport de chaleur (840-950 °C). Le CO issu de cette première réaction est ensuite converti en CO 2 par l'adjonction d'eau ( Water gas shift ). Il en résulte la production d'hydrogène et de dioxyde de carbone. Une troisième étape est la purification de l'hydrogène sur tamis moléculaire 53 ( * ) .
Un autre procédé est utilisé pour traiter les carburants plus lourds comme le gazole, il s'agit de l'oxydation partielle . Cette opération s'effectue à plus haute température (1 200-1 500 °C) et sous assez forte pression (20 à 90 bars). L'hydrocarbure est oxydé en présence d'oxygène. Les deux opérations suivantes sont identiques au vaporeformage : conversion du CO et purification. Cette réaction est elle « exotherme », c'est-à-dire qu'elle dégage de la chaleur.
La troisième méthode est le reformage autothermique . Elle consiste à tirer parti du caractère endo et exothermique des deux réactions précédentes. Elle fait encore l'objet d'importantes recherches.
Dans tous les cas, seul l'hydrogène est conservé. Le carbone est rejeté sous forme de gaz carbonique .
Sans séquestration du carbone, cette méthode contribue à l'effet de serre et ne permet donc pas d'atteindre l'objectif visé. La séquestration du carbone est donc une des technologies clefs de l'économie de l'hydrogène et de la lutte contre le changement climatique, c'est pourquoi l'Office a été saisi d'une étude sur ce sujet.
L'électrolyse de l'eau est la deuxième grande famille de méthode d'extraction de l'hydrogène disponible aujourd'hui. Elle est très marginale - 1 % de l'hydrogène produit - et réservée à la production d'hydrogène de très grande pureté où lorsque le coût n'est pas un obstacle. Un tiers des stations-service en démonstration dans le monde fonctionne grâce à ce procédé. Pour être rentable écologiquement et économiquement l'électricité utilisée doit être bon marché et sans émission de CO 2 , c'est-à-dire venant des centrales nucléaires et hydrauliques. En effet, si elle provient de centrales fonctionnant avec des combustibles fossiles, la production d'hydrogène redevient source de gaz à effet de serre. L'objectif poursuivi serait manqué.
Beaucoup de scientifiques rencontrés ne croient pas en l'avenir de l'électrolyse. On estime notamment que l'alimentation du parc automobile français en hydrogène nécessiterait le doublement ou le quadruplement du parc nucléaire actuel.
En effet, les meilleurs résultats de production d'hydrogène par électrolyse auraient été obtenus par des laboratoires américains qui seraient parvenus à récupérer 50 % de l'énergie investie grâce à un procédé d'électrolyse à haute température (1000 °C) et utilisant une membrane de céramique pour séparer les deux gaz. L'électrolyse haute température présente plusieurs avantages liés à l'utilisation de la chaleur qui accélère la réaction et abaisse le coût de production de l'hydrogène. Elle fonctionne selon le principe inverse des piles SOFC et rencontre des problèmes analogues, notamment la tenue des matériaux à haute température.
Deux types de fonctionnement sont possibles. Ils sont dits « allothermique » et « autothermique ». Le système est dit allotermique lorsque l'électricité et la chaleur seraient fournies par un réacteur nucléaire de génération IV. Il est dit autothermique lorsque l'alimentation en vapeur d'eau serait fournie par une source géothermique et en électricité par une autre source, par exemple un barrage hydroélectrique.
La source d'électricité nécessaire à la production d'hydrogène est maintenant au coeur des débats politiques et scientifiques aux États-Unis et en Allemagne. Le passage à l'économie sans carbone nécessite la production massive d'hydrogène. Trois sources sont possibles : les énergies fossiles, le nucléaire et les énergies renouvelables.
Aux États-Unis, le Gouvernement étudie actuellement le projet d'une centrale nucléaire de nouvelle génération permettant la production industrielle d'hydrogène grâce aux deux méthodes d'électrolyse à très haute température (+ 900 °C) et par réaction thermochimique. Cette centrale serait installée dans l'Idaho et nécessiterait un investissement supérieur à 1,5 milliard de dollars pour un début de production à l'horizon 2020. Le rendement énergétique envisagé est de l'ordre de 45 %. Un tel dispositif permettrait également le stockage de l'électricité au cours des périodes de moindre consommation. Les centrales de génération IV sont aussi étudiées en France. Dans le cadre international du Forum génération IV, le programme bénéficie d'une dotation de 30 millions d'euros par an et de 65 millions à partir de 2008.
Un tel projet suscite de vives critiques de la part des associations écologistes, notamment la Green Hydrogen Coalition qui promeut une production à partir d'énergies renouvelables, à l'instar de l'un de ses porte-parole, l'essayiste Jeremy Rifkin, auteur de L'économie de l'hydrogène .
Produire de l'hydrogène à partir d'énergie éolienne est possible mais reste aujourd'hui au stade expérimental. La rentabilité est très faible car il faut 4,5 kWh pour produire 1 kg d'H 2 . Une expérimentation est en cours en France, dans le Nord-Pas-de-Calais. Dans le cadre du PREDIT et d'un partenariat entre la ville de Dunkerque, Gaz de France et Espace éolien développement, un bus fonctionnera à un mélange d'Hythane (80 % de méthane, 20 % d'hydrogène) comprimé à 200 bars. L'hydrogène nécessaire sera produit par une éolienne.
Au niveau européen, le projet RES2H2 a permis l'installation en Grèce et aux Canaries de deux unités de production d'hydrogène par électrolyse.
L'Europe soutient également un projet en Espagne (Heliosol) de génération d'hydrogène par le solaire thermique.
En dehors des deux grandes méthodes (reformage des hydrocarbures et électrolyse de l'eau) de nombreuses recherches sont menées mais ne permettent pas d'envisager une véritable production d'hydrogène avant plusieurs années, voire plusieurs décennies.
Parmi celles-ci, la production d'hydrogène à partir de la biomasse est peut-être celle dont la réalisation est la plus proche. Cette filière est l'une des plus prometteuses. L'ADEME estime qu'à l'horizon 2015, la biomasse pourrait représenter jusqu'à 21 Mtep/an, dont 15 Mtep/an pourraient être mobilisées pour la production d'hydrogène.
Il s'agirait de transformer la biomasse par voie thermochimique. Ce processus s'effectue en trois étapes : thermolyse de la matière première, gazéification et purification. A haute température le rendement masse de carburant est de l'ordre de 25 %. L'énergie nécessaire est comparable à celle utilisée pour le vaporeformage. Des essais sont effectués par l'IFP et le CEA.
Une dizaine de projets européens et 23 millions d'euros ont été consacrés par le 5 e PCRD sur ce sujet.
Par ailleurs, sont explorées deux voies thermochimiques . Des travaux existent depuis le milieu des années 1960. Pour dissocier la molécule d'eau par la chaleur seule, il faudrait opérer à 4 500 °C, ce qui est très difficile et inaccessible aux réacteurs nucléaires, même de génération IV. Il faut donc chercher à combiner l'usage de la chaleur avec d'autres réactions. Le cycle iode-soufre est une solution envisageable. Il est basé sur la dissociation de deux acides (sulfurique H 2 SO 4 et iodhydrique HI) à haute température (400 à 900 °C). Il pourrait conduire à la production d'hydrogène en grande quantité dans un réacteur nucléaire à très haute température qui devrait voir le jour en 2020. Les recherches les plus avancées ont été conduites au Japon, avec des expérimentations en laboratoire. Un dérivé du cycle iode-soufre, faisant appel à l'énergie électrique, a été expérimenté en Russie dans les années 1980. Il s'agit du « cycle hybride Westinghouse ». Un troisième cycle est le « cycle UT-3 » à partir d'acide bromhydrique. Il est de conception japonaise et est également au stade de la recherche fondamentale.
D'autres recherches permettent d'espérer produire de l'hydrogène par :
- photolyse de l'eau (dissociation photoélectrochimique de l'eau par la lumière solaire) grâce à des cellules photoélectriques spécifiques,
- photosynthèse de certains micro-organismes puis de catalyseurs biomimétiques. Certaines algues (Chlamydomonas reinhardtii) ont la faculté de produire de l'hydrogène par phase (hydrogénase). Ces recherches font l'objet d'un projet international, Solar H : hydrogen from sun and water financé par le 6 e PCRD.
Au-delà des expérimentations, c'est bien le coût qui sera déterminant, coût de la production mais aussi de la chaîne complète de distribution . Le département de l'énergie des États-Unis (DOE) a fixé pour 2010 des objectifs très ambitieux, de 0,4 €/lee d'hydrogène distribué, fabriqué à partir du méthane et hors séquestration.
Le consultant américain SFA Pacific a réalisé sur ce sujet une étude pour le DOE en 2002. SFA Pacific a considéré que l'hydrogène était produit dans de grandes installations (150 000 kg/j) puis transporté dans 411 stations service dans un rayon de 150 km de la centrale, soit sous forme gazeuse par des canalisations, soit sous forme liquide par camions. Le reformage à la vapeur du méthane s'est révélé le plus économique à produire (1 €/kg) mais ce résultat est très dépendant du prix du gaz naturel (50 % du coût) et ne prend pas en compte la séquestration du CO 2 . L'électrolyse est cinq fois plus coûteuse (5 €/kg).
Dans le coût final à la pompe, le mode de transport joue un rôle très important. Le transport par canalisation représente un coût supérieur à 1,7 €/lee54 ( * ), alors que le transport liquide est très bon marché (0,1 €/lee). Ainsi l'hydrogène pourrait être disponible entre 1 et 1,5 €/kg par vaporeformage et entre 2 et 2,5 €/lee par électrolyse.
Il est probable que les pays mettront en place un « bouquet » de solutions pour produire de l'hydrogène, chacune d'entre elles offrant des avantages différents et plus ou moins prononcés selon les lieux de production.
La maturité et les coûts des différentes techniques conduit M. Paul Lucchese 55 ( * ) à estimer qu'elles ne sont pas concurrentes mais se succéderont au cours du 3 e millénaire. Il propose un scénario d'évolution en quatre périodes successives de plus en plus propres. La période actuelle dite « fossile » pourrait se prolonger au-delà de 2030, l'hydrogène serait essentiellement produit à partir d'hydrocarbures. A partir de 2020-2030 et sans doute jusqu'à la fin du 21 e siècle (phase « fossile et propre »), la séquestration se mettra en place et une production d'hydrogène par électrolyse (nucléaire et/ou renouvelable) se développera. Au-delà de 2060, et peut-être pendant 50 ou 200 ans, les méthodes propres de fabrication d'hydrogène domineraient. Une quatrième phase dite « durable » pourrait débuter vers 2100. Elle se caractériserait par la fabrication d'hydrogène à partir de ressources renouvelables exclusivement (H 2 ex-fusion, solaire, photoélectrochimie et biologie).
* 53 Matériau qui, possédant des pores de dimension équivalente à celle des molécules à retenir permet de séparer et capturer ces dernières.
* 54 Litre équivalent essence.
* 55 Direction de la recherche technologique, CEA Fontenay-aux-Roses.