3. La liberté d'aller et venir : un droit fondamental
• Un mode de développement en question
Face à ces prévisions qui mettent en lumière la difficulté d'atteindre les objectifs fixés pour 2050, la tentation est forte, chez certains experts, de promouvoir des solutions coercitives ayant pour objectif de contraindre les citoyens à abandonner leur voiture particulière pour les transports en commun, voire contraindre à une réduction de la liberté de déplacements trop consommateurs d'énergie, tels les voyages aériens.
Or, la voiture particulière, et plus largement la mobilité, « la liberté d'aller et de venir » est indissociable des sociétés libérales modernes. Avoir une voiture, c'est accéder à l'autonomie, à la liberté de mouvement.
Elle joue un rôle fondamental dans l'évolution des modes de vie vers une plus grande mobilité dans des espaces géographiquement plus vastes et diversifiés mais temporellement plus resserrés, c'est pourquoi elle a pu être qualifiée « d'adaptateur territorial universel » 7 ( * ) .
L'automobile et la multimotorisation sont aussi les symboles et les outils du développement du travail féminin et de l'accession à la propriété en milieu périurbain. L'accession des femmes au permis de conduire a sans doute été aussi importante dans leur « libération » que d'autres conquêtes.
Le passage à l'âge adulte se fait en partie par l'obtention du permis de conduire à la majorité, l'automobilité étant très importante dans l'acquisition de l'autonomie 8 ( * ) .
La liberté de voyager selon le mode souhaité est le propre des pays libres et démocratiques. Tous les régimes autoritaires ont instauré des passeports intérieurs et des interdictions de déplacement. Les sociétés modernes ont certes besoin des transports pour l'économie mais elles en ont tout autant besoin pour la culture, les échanges humains, les rencontres et les échanges d'idées. Il n'est pas forcément inutile de rappeler que le libéralisme politique et économique a constamment associé aux libertés politiques et économiques la liberté d'aller et venir, droit énoncé par la déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789.
Il est apparu très clairement à vos rapporteurs, aux cours de leurs différents entretiens, que leurs interlocuteurs les plus prompts à vouloir contraindre nos sociétés à certaines évolutions n'étaient pas sans arrière- pensées. Hostiles depuis toujours aux moyens de transport non collectifs ou non conformes à certaines normes, ils se sont saisis de la pollution ou du réchauffement climatique pour vouloir imposer une société différente. La diminution des émissions ne justifie-t-elle l'interdiction ou la limitation de nombreuses activités ? Ne justifie-t-elle pas l'abandon de notre mode de développement trop consommateur d'énergie et de matière ? Trop technologique ? Trop inégalitaire ? Ne remet-elle pas en cause le niveau même de notre développement ? Des arguments malthusiens resurgissent.
Certes, notre modèle de développement n'est pas exportable tel quel à tous les pays émergents. Mais l'objectif ne peut être de l'abaisser pour permettre à d'autres de l'élever. Si certaines ressources sont finies, la croissance économique et le progrès technologique n'ont pas de limite donnée à l'avance. La poursuite d'un bien-être, d'une protection contre la faim ou la maladie n'ont pas à s'arrêter en Occident pour permettre aux autres nations de les rejoindre. L'objectif qui doit être poursuivi est bien la continuation de notre développement technologique pour être plus économes en énergies non renouvelables et plus économes en ressources. On ne peut vouloir arrêter la croissance ; elle doit être poursuivie avec des technologies non polluantes.
• Un besoin quotidien pour les Français
Les sondages menés par les professionnels de l'automobile comme les études menées par les instituts publics de recherche ou de statistiques confirment la place prépondérante de la voiture dans les déplacements des français.
Fin 2003, le Comité des constructeurs français d'automobiles (CCFA) avait commandé un sondage sur la place de l'automobile en France à l'institut TNS Sofres. L'échantillon de 963 personnes interrogées associait de manière quasi unanime - + 80 % - l'automobile à la mobilité, à la facilité de vie au quotidien et à la liberté. A plus de 60 % avec l'innovation, les loisirs et le plaisir. Cependant, cette image était ambivalente puisque 80 % l'associaient aussi à la pollution et au danger et plus de 70 % aux encombrements.
Par ailleurs, depuis 2000, il y a toujours plus de 70 % des personnes interrogées qui estiment que l'absence d'une voiture dans leur foyer manquerait beaucoup. Plus significative encore est l'analyse qui est faite des conséquences de la disparition potentielle de la voiture : perte de temps (89 %), gêne pour les commissions (84 %), perte de confort dans les déplacements (84 %), diminution des sorties (78 %), diminution des sorties en fin de semaine et en vacances (76 %), sentiment d'isolement (71 %), handicap pour le travail (59 %), difficulté de conduite des enfants (48 %). Logiquement, ils sont donc plus de 80 % à estimer la possession d'une voiture indispensable .
Son usage n'est sans doute pas toujours optimum puisqu'il ressort de ce sondage que dans 78 % des cas, la voiture sert à faire un seul déplacement à partir du domicile, 21 % seulement des déplacements seraient combinés.
Par ailleurs, l'INSEE mène tous les dix ans environ une étude globale sur les transports en Ile-de-France. Pour la dernière étude menée entre octobre 2001 et avril 2002, 10.500 ménages ont été interrogés. La précédente étude avait eu lieu en 1991 et auparavant en 1983 et 1976. Cette enquête a pour but d'appréhender les évolutions de long terme des comportements en matière de déplacements. Elle couvre l'ensemble des trajets et s'adresse à tous les membres de plus de 6 ans des foyers interrogés.
En 2001, les Franciliens ont effectué 35 millions de trajets par jour, soit une progression de 6 % par rapport à 1991. Elle correspond à l'augmentation de la population de 5,9 %. Chaque Francilien a effectué en moyenne 3,5 déplacements par jour. Ce niveau est constant depuis 25 ans.
La marche à pied est le mode de transport qui progresse le plus. Elle représente 34,1 % des déplacements des Franciliens et 46,6 % des déplacements de Parisiens.
En revanche, malgré les investissements publics, la part des transports en commun régresse à 19,4 % contre 20,1 % en 1991. Pourtant, selon le Syndicat des transports d'Île-de-France (STIF), le nombre de places/km offertes a progressé de 66 %. L'une des explications est sans doute la baisse des déplacements entre Paris et sa banlieue, comprise entre 2 et 10 %, alors que les déplacements entre banlieues augmentent entre 9 et 11 %. Or, le réseau de transports en commun ne s'est pas adapté à cette évolution.
La distance des trajets à légèrement augmenté (5 km contre 4,7) pour l'essentiel en automobile en grande couronne.
L'automobile représente 44 % des déplacements quotidiens, 40 % des trajets entre Paris et la banlieue, 45 % en petite couronne et 60 % en grande couronne . L'utilisation de la voiture est passée entre 1991 et 2001 de 1,51 à 1,54. Le parc automobile a progressé de 1 % par an, contre 3 %/an entre 1976 et 1983 et 2 %/an entre 1983 et 1991. La grande couronne est à l'origine de 75 % de l'augmentation du parc automobile.
Cette analyse sur la région parisienne a été confirmée par le rapport de la Cour des comptes d'avril 2005 sur les transports publics urbains. La Cour y remarquait que le trafic automobile avait augmenté partout sauf à Paris intra muros, où 53 % des ménages n'en possèdent pas.
En dehors des déplacements internes aux agglomérations, il est aussi important de comprendre l'exacte place de l'automobile. C'était l'objet d'une enquête réalisée par la Sofres pour le ministère de l'équipement et des transports en 2004. Elle portait sur les déplacements, à plus de 100 km du domicile, des personnes âgées de 15 ans et plus. Peu d'évolutions sont intervenues depuis 2000. 188 millions de voyages de ce type ont été effectués en 2003, soit 195 milliards de km. 70 % ont été effectués en voiture , 15 % en train et 6 % en avion. En termes de kilomètre parcourus, la voiture représente 51 %, l'avion 31 % et le train 11 %.
81 % des trajets sont effectués pour des motifs personnels et 19 % pour des motifs professionnels.
Globalement, pour tous les trajets inférieurs à 1.000 km sur une journée, c'est la voiture qui est privilégiée. Elle l'est également pour les voyages de plusieurs jours en famille.
Enfin, il convient de rappeler que l'enquête transport de 1994 menée par l'INSEE et l'INRETS avait montré que 72 % des déplacements en voiture concernaient des déplacements de moins de 100 km. Elle représentait 63 % des déplacements de moins de 80 km en France .
* 7 G. Dupuy, 1995, Les territoires de l'automobile, Paris, Anthropos, 216 p.
* 8 Lomasky, 1997, « Autonomy and automobility », The independant review.