B. L'IMPORTANCE DE LA MODÉRATION SALARIALE
Une des questions posées par les projections est de savoir si la baisse du chômage à moyen terme qu'elles comportent est compatible avec une inflation stable.
Compte tenu de la croissance simulée dans le scénario central (2,25 % par an), de l'hypothèse d'évolution de la productivité par tête (1,7 % par an dans le secteur marchand) et de l'augmentation de la population active (+ 0,3 % par an en moyenne sur la période 2006-2010 contre 0,6 % par an en moyenne sur 1996-2005 53 ( * ) ), le taux de chômage diminue de 0,6 point par an (soit environ 120.000 chômeurs de moins chaque année) et reflue à 7,2 % en 2010.
Dans le même temps, l'inflation est stable sur la période (+ 1,6 % par an pour les prix de la consommation, soit une faible accélération par rapport à celle de la période 1996-2005).
Depuis les travaux de PHILLIPS en 1958, la liaison entre inflation et baisse du chômage est une des bases de l'analyse macroéconomique. Un demi-siècle plus tard, les débats entre économistes sur la nature et la pertinence de ce dilemme inflation-chômage sont toujours extrêmement nourris, mais finalement assez peu conclusifs.
Cette question peut être présentée aujourd'hui dans les termes suivants :
- il existe un niveau du chômage en dessous duquel apparaissent des tensions sur le marché du travail, des difficultés de recrutement et donc des revendications qui tendent à accélérer l'évolution des salaires et des prix ; ce niveau de chômage « accélérateur d'inflation » 54 ( * ) est actuellement estimé pour la France par la plupart des institutions économiques (OCDE ou Direction de la prévision) autour de 9 %. Donc, en première analyse, on pourrait craindre que le passage du chômage effectif en dessous de ce seuil n'entraîne des tensions inflationnistes ;
- néanmoins, les estimations de ce niveau de chômage « accélérateur d'inflation » - ou NAIRU - varient selon les époques : ainsi observe-t-on finalement que le NAIRU baisse lorsque le chômage effectif diminue ;
- par ailleurs, les périodes où le chômage effectif est passé au-dessous du seuil de l'estimation du NAIRU sont malheureusement trop rares et trop courtes pour en tirer des conclusions sur la robustesse de cette estimation ;
- enfin, la période 1998-2001 a montré qu'une forte baisse du chômage, bien en dessous des 10 % qui correspondaient à l'estimation du NAIRU en 1998, n'a pas entraîné de tensions inflationnistes.
Qu'en conclure pour le moyen terme ? Tout d'abord, que les mesures du niveau de chômage « accélérateur d'inflation » sont certainement valides à court terme, mais qu'elles ont néanmoins peu de sens pour le moyen terme. On en sait trop peu, en effet, sur le niveau du chômage d'équilibre pour en déduire dans quelle mesure une forte baisse du chômage pourrait engendrer à un horizon de cinq ans, une accélération de l'inflation.
Néanmoins, on perçoit a contrario que la compatibilité entre baisse du chômage et relative stabilité des prix, privilégiée dans cette projection, constitue aussi une incertitude de ce scénario .
Celui-ci suppose que l'économie pourra s'adapter à une baisse prolongée du chômage, et, ainsi, éviter des tensions sur le marché du travail.
Cela passe par une modération salariale 55 ( * ) à l'instar de la période 1998-2001 mais aussi par l'approfondissement des politiques visant à favoriser la rencontre entre les besoins et l'offre de travail. A cet égard, la fluidité du marché du travail doit être améliorée au moyen de politiques facilitant la mobilité géographique - la prime de déménagement est une bonne mesure en ce sens - et de politiques de formations, initiale et continue, plus performantes.
* 53 Soit 60.000 personnes supplémentaires environ sur le marché du travail entre 2006 et 2010 contre 140.000 personnes supplémentaires environ sur 1996-2005.
* 54 Ou NAIRU pour « Non Accelerating Inflation Rate of Unemployment »
* 55 C'est-à-dire que la progression du salaire moyen par tête sera, au mieux, égale à celle de la productivité par tête : dans ce cas, le taux de marge des entreprises est, au minimum, stable.