2. La nécessaire conciliation avec une justice de qualité
Dès lors que les droits de la défense et ceux de la victime sont préservés, les procédures rapides de jugement peuvent contribuer à renforcer la qualité de la justice rendue dans notre pays :
- d'une part, comme les développements précédents viennent de le souligner, elles permettent en effet d' améliorer le taux de réponse pénale ;
- d'autre part, la diversité de la palette de procédures permet aussi d'apporter une réponse plus adaptée aux circonstances de l'infraction et à la personnalité de l'auteur des faits (primo-délinquant ou récidiviste, etc.) ;
- enfin, les procédures rapides présentent le double intérêt pour le justiciable de lui permettre d'être rapidement fixé sur son sort et de garantir une certaine prévisibilité de la sanction ; à ce titre, elles contribuent à réduire l' « aléa judiciaire » .
La multiplicité des procédures apparaît à cet égard comme une chance de mettre en oeuvre une réponse judiciaire mieux ciblée. Dans l'ensemble, ces différents dispositifs apparaissent plutôt complémentaires.
Leur choix est dicté par une double considération : le type d'infraction en cause et le profil du délinquant (réitérant ou non). La comparution immédiate vise ainsi les délits d'une certaine gravité ou ceux commis en réitération ou en récidive. L'ordonnance pénale a vu son champ circonscrit aux délits routiers. La composition pénale et la CRPC obéissent à une logique proche (le principe d'une justice acceptée) mais la seconde qui permet le prononcé de peines d'emprisonnement ferme a vocation à s'appliquer à des infractions plus graves.
Néanmoins, les frontières entre les différentes procédures sont loin d'être étanches. Certaines juridictions choisissent ainsi de traiter le même type d'infractions routières tantôt par la voie de l'ordonnance pénale tantôt par celle de la composition pénale. D'autres recourent à la CRPC en substitution de la comparution immédiate. Les interférences les plus nombreuses concernent les champs d'application de la composition pénale et de la CRPC. Elles peuvent s'expliquer par la montée en puissance progressive de cette dernière procédure mais devraient, à terme, s'atténuer.
La diversification croissante des procédures peut, à ce titre, brouiller la lisibilité de la réponse pénale . En outre, cette multiplicité peut entraîner des disparités , voire des inégalités de traitement du justiciable . En effet, le choix de la procédure influence la nature de la peine prononcée ainsi que son quantum . A titre d'exemple, l'auteur d'un délit routier sera sans doute puni plus sévèrement au terme d'une audience correctionnelle classique que dans le cadre d'une composition pénale ou d'une CRPC. La situation des justiciables peut donc être très différente d'une juridiction à l'autre selon les choix des parquets.
Certes, en vertu de l'article préliminaire du code de procédure pénale, « les personnes se trouvant dans des conditions semblables et poursuivies pour les mêmes infractions doivent être jugées selon les mêmes règles ». Néanmoins, comme l'a d'ailleurs souligné devant la mission M. André Ride, président de la Conférence nationale des procureurs généraux, ces dispositions doivent être comprises à la lumière du principe de l'individualisation de la peine et n'impliquent pas qu'un mode de poursuite déterminé soit réservé à un type d'infractions et un profil d'auteur donnés.
Comme l'a précisé, à plusieurs reprises, le Conseil constitutionnel, il est loisible au législateur de prévoir des règles de procédure différentes selon les faits, les situations et les personnes auxquelles elles s'appliquent, pourvu que ces différences ne procèdent pas de discriminations injustifiées et que soient assurées au justiciable des garanties égales au regard, notamment, du principe des droits de la défense 143 ( * ) .
La diversification des voies de poursuite n'est donc pas, en tant que telle, contraire au principe d'égalité.
Il n'en reste pas moins que la mise en oeuvre de ces procédures peut soulever des difficultés de trois ordres :
- en premier lieu, ces instruments ne sont pas utilisés dans tous les tribunaux . Sans doute est-il logique que ces dispositifs puissent être utilisés dans des proportions différentes selon la taille du tribunal et les particularités de la délinquance auxquelles la juridiction peut être confrontée. Il serait anormal en revanche qu'une procédure soit totalement écartée. Ainsi, on ne saurait admettre qu'au delà de la phase de mise en place de la CRPC, certains tribunaux continuent à en écarter l'application, interdisant ainsi aux justiciables un mode de traitement sans doute plus individualisé de l'infraction pénale ;
- ensuite, ces dispositifs peuvent être utilisés d'une manière très différente d'un tribunal à l'autre .
S'il est souhaitable de garantir aux juridictions la marge d'appréciation nécessaire, le mode de poursuite et la jurisprudence doivent tendre à une certaine homogénéité pour un même type d'infractions ;
- enfin, la mise en oeuvre des procédures rapides a parfois pu fragiliser la cohérence de la politique pénale . Ainsi, à plusieurs reprises, il a été signalé à la mission que les alcoolémies contraventionnelles jugées par le tribunal de police étaient sanctionnées de manière plus sévère que les alcoolémies délictuelles traitées selon l'un des modes de poursuite accélérés.
Ces difficultés appellent des correctifs. Il semble d'abord indispensable que les parquets appréhendent l'intégralité des instruments institués par le législateur et les mettent en oeuvre. En outre, comme le suggérait d'ailleurs M. Jean-Louis Nadal, procureur général près la Cour de cassation, chaque procédure devrait être dédiée à des champs de contentieux déterminés. Ainsi, les champs d'application respectifs de l'ordonnance pénale, de la composition pénale et de la CRPC devraient être clairement identifiés afin de garantir la cohérence de la politique pénale. Tel est le cas dans certains tribunaux en matière d'alcoolémie : selon le niveau d'alcool par litre d'air expiré, la conduite sous l'emprise d'un état alcoolique relève, dans l'ordre croissant de gravité , de l'ordonnance pénale, de la composition pénale et de la CRPC.
Cette clarification des champs d'application incombe au ministre de la justice ainsi qu'aux parquets généraux. La loi du 9 mars 2004 a du reste consacré le rôle du garde des sceaux pour conduire la politique d'action publique et celui du procureur général afin de veiller à l'application de la loi pénale.
Le garde des sceaux s'est d'ores et déjà engagé dans cette voie. A titre d'exemple, la circulaire du 16 mars 2004 relative à la politique pénale en matière de réponses alternatives aux poursuites fixe des règles claires quant à l'articulation qui doit s'instaurer dans la hiérarchie des différentes réponses judiciaires. De même, il serait utile de préciser le champ respectif des différentes procédures rapides.
Faut-il aller plus loin et remettre « à plat » l'ensemble de ces dispositions ? Dans l'ensemble, ces dispositifs apparaissent plus complémentaires que concurrents . Il n'en reste pas moins que certains d'entre eux présentent de fortes similitudes quant au champ d'infractions visé et même à la logique procédurale qui les inspire.
Tel est le cas de la composition pénale et de la CRPC bien que l'une soit une alternative aux poursuites et la seconde un mode de poursuite. Sans doute, faudra-t-il le recul de quelques années pour prendre la mesure de la place prise par la CRPC dans notre procédure pénale mais l'absorption à terme de la composition pénale par ce nouveau dispositif ne saurait, à terme, être écartée.
* 143 Conseil constitutionnel, décision DC n° 2004-510 du 20 janvier 2005 (loi relative aux compétences du tribunal d'instance, de la juridiction de proximité et du tribunal de grande instance).