2. Une mauvaise réputation pas toujours méritée
Cette procédure déjà ancienne est très décriée et pâtit d'une réputation déplorable.
a) Une procédure qui inciterait à bâcler les enquêtes
Il est reproché à la procédure de comparution immédiate d'inciter les services d'enquêtes, parfois pressés d'obtenir une sanction rapide, à boucler les dossiers sans remonter les filières . On constaterait une baisse des investigations de la part de la police et du parquet, notamment en raison de leur coût et de leur longueur et du développement du traitement en temps réel.
Cette accusation vise essentiellement les affaires de trafics de stupéfiants. Ainsi, les passeurs interpellés à l'aéroport de Roissy, qui faisaient auparavant systématiquement l'objet d'une information avec commission rogatoire internationale, seraient dorénavant jugés en comparution immédiate avec des peines beaucoup moins importantes. Le procureur du TGI de Cambrai a confirmé et justifié cette orientation s'agissant d'étrangers ne faisant que transiter par la France pour revendre dans d'autres pays, estimant plus pertinent d'envoyer des copies des documents aux Etats destinataires. Lorsque le trafic vise la France, il a préconisé que le parquet se dessaisisse pendant le délai de 96 heures de garde à vue au profit du parquet de l'endroit de la revente projetée, plus compétent pour mener de réelles investigations.
b) Une procédure accusée de désorganiser les juridictions
Des audiences bouleversées ?
Cette affirmation doit être appréciée au regard de la taille de la juridiction.
Dans les plus petites juridictions, les affaires de comparution immédiate sont ajoutées au rôle des audiences classiques , provoquant des retards et amenant parfois les audiences à se terminer après 22 heures, ce qui génère des contraintes et des tensions pour tous les acteurs de la chaîne pénale et les justiciables.
Dans les juridictions plus importantes 13 ( * ) , ont le plus souvent été mises en place des audiences spécialisées quotidiennes pour les comparutions immédiates. Néanmoins, le TGI de Lyon s'est longtemps singularisé, la tenue d'audiences spécifiques n'ayant été décidée qu'il y a trois ans, après de très longs débats entre le parquet, le siège et le barreau, aboutissant à un protocole limitant à sept le nombre de dossiers par audience.
Les juridictions de taille moyenne tiennent en règle générale une audience spéciale de comparution immédiate par semaine, le plus souvent le lundi, le reste des comparutions immédiates se greffant sur les audiences normales.
Ces audiences spécifiques sont parfois qualifiées de « chambres de la misère », en raison du nombre de personnes bénéficiant de l'aide juridictionnelle, et renforcent encore l'idée d'une justice d'abattage. Elles permettent cependant une meilleure prévisibilité des obligations de service des magistrats comme des fonctionnaires, même si elles nécessitent l'affectation de moyens supplémentaires de magistrats et de greffiers importants pour des petites ou moyennes juridictions.
Juge des libertés et de la détention
(JLD),
Le troisième alinéa de l'article 137-1 du code de procédure pénale prévoit que le JLD ne peut, à peine de nullité, participer au jugement des affaires pénales qu'il a connues. Ce texte étant placé dans une partie du code de procédure pénale relative à la juridiction d'instruction, les professionnels se sont interrogés sur son applicabilité à la procédure de comparution immédiate. La question est importante pour les juridictions de petite ou moyenne taille dans lesquelles le nombre réduit de magistrats du siège et plus encore de vice-présidents incite à faire siéger dans la juridiction de jugement le JLD intervenu auparavant en procédure de comparution immédiate. Dans une circulaire du 3 mai 2002, la chancellerie s'est prononcée en faveur de l'intervention du JLD en procédure de comparution immédiate, en se fondant sur une décision de la Cour de cassation de 1986 et un arrêt de la Cour européenne des droits de l'Homme (CEDH) du 24 mai 1989, Hauschildt c/ Danemark , qui indique que la présence d'un même juge à plusieurs étapes du processus judiciaire ne suffit pas à elle seule et par principe pour conclure à une violation de l'article 6 de la CEDH relatif au procès équitable. Néanmoins, cette décision précise que le magistrat qui prend parti sur la culpabilité de la personne poursuivie avant la phase de jugement ne peut plus participer à la juridiction pénale qui statuera sur cette même culpabilité. Dans son arrêt Sainte-Marie c/France du 16 décembre 1992, la CEDH précise qu'en maintenant en détention une personne poursuivie à cause de sa dangerosité alors que celle-ci avait revendiqué elle-même les graves infractions commises, les juges n'avaient pas pris parti sur sa culpabilité. La double participation du JLD pourrait donc être admise s'il se contentait de relever un risque de fuite ou la nécessité de protéger les tiers de pressions, indépendamment de l'existence d'une infraction. Mais il est rare que la mise en détention se fasse sur ces seuls critères. L'incompatibilité parait donc assez fréquente en pratique. |
Le blocage de l'audiencement des affaires venant de l'instruction ?
Il est également reproché à la procédure de comparution immédiate de bloquer l'audiencement des affaires venant de l'instruction, qui n'interviendrait qu'à la limite de la prescription, soit souvent après deux ans. Ainsi, le TGI de Toulon a dû recevoir l'aide temporaire de magistrats extérieurs afin de traiter ce stock. Néanmoins, cette accusation doit là encore être relativisée. Dans les juridictions à chambre unique, on compte en moyenne 40 comparutions immédiates par an, soit une par semaine, et dans des juridictions à trois-quatre chambres, 150 à 250 affaires par an, soit trois par semaine. Dans les juridictions plus importantes, le taux de comparutions immédiates s'établit à 8 % depuis des années et est donc stable et prévisible. Cependant, il est vrai que certaines juridictions ont vu exploser le recours à la comparution immédiate (+ 90 % à Reims de 2001 à 2003).
Des audiences plus tendues ?
Par ailleurs, l'idée selon laquelle les comparutions immédiates seraient plus que les autres audiences correctionnelles émaillées d'incidents ne correspond pas à la réalité. Ce sont en effet les seules audiences pour lesquelles la présence d'escortes est systématique. En revanche, la tension est souvent diffuse dans la salle, notamment en présence de la victime, des amis et de la famille du prévenu, par définition très peu de temps après la commission de l'infraction.
Des contraintes pour les forces de l'ordre
Cette procédure pose plusieurs problèmes pour les services de police et de gendarmerie. Il est difficile de respecter les délais de présentation du suspect au parquet à cause des problèmes d'engorgement des parquets et des difficultés de transport . Des prolongations de garde à vue trouvent parfois leur seule justification dans l'impossibilité matérielle de déférer le prévenu au parquet entre 14 heures et 18 heures à Paris. En outre, si les transferts des commissariats de police parisiens vers le dépôt sont assurés par un service dédié, ce n'est pas le cas en province. Le syndicat national des officiers de police a ainsi souhaité, lors de son audition par la mission, que les transferts soient assurés par l'administration pénitentiaire ou que soit créée une brigade spécialisée relevant du ministère de la justice. Les problèmes de transfèrement sont particulièrement aigus en Corse où les délais d'acheminement du prévenu au tribunal peuvent même parfois conduire à privilégier le choix d'une COPJ plutôt que d'une comparution immédiate.
Le problème de l'immobilisation des escortes est également source de tensions dans certaines juridictions. Ainsi, à Bobigny, les délibérés sont rendus par certains magistrats après chaque affaire, les escortes refusant que des prévenus se croisent ou se trouvent dans la même pièce. Des travaux doivent même être réalisés au TGI de Toulon afin d'aménager un « sas » entre la salle d'audience et les « geôles » pour les prévenus en attente de jugement.
d) Une défense bâclée et malmenée ?
La comparution immédiate continue à susciter des réactions très négatives chez les avocats rencontrés par les membres de la mission, qui la jugent beaucoup plus dangereuse que la CRPC.
Elle est ainsi brocardée comme une justice d'abattage servant à « faire du chiffre » et amenant une défense standardisée sans personnalisation de la peine, exercée par des avocats jeunes, inexpérimentés et commis d'office .
Effectivement, les avocats disposent de peu de temps pour prendre connaissance du dossier (entre 15 et 45 minutes le plus souvent).
Les avocats entendus par la mission ont évoqué une « défense héroïque », le juge se basant selon eux essentiellement sur les procès-verbaux de police rédigés exclusivement à charge, et estimé que dans bien des cas, « la conviction policière s'apparentait à la vérité judiciaire ».
Cependant, les membres de la mission d'information ayant assisté à des audiences de comparution immédiate au TGI de Paris ainsi qu'au TGI de Bobigny ont pu constater que le tribunal prenait le temps de procéder à des débats. Au TGI de Paris, il faut compter entre 15 et 20 minutes par personne, voire 35 à 40 minutes pour des affaires contestées et complexes ou des affaires de violences conjugales ou d'agressions sexuelles.
Il convient par ailleurs de rappeler que depuis la loi du 9 mars 2004, le prévenu ou son avocat peut demander au tribunal d'ordonner tout acte d'information qu'il estime nécessaire à la manifestation de la vérité relatif aux faits reprochés ou à la personnalité de l'intéressé. Le tribunal qui refuse de faire droit à cette demande doit rendre un jugement motivé. Il semble que les avocats n'aient pas encore pleinement utilisé cette possibilité.
Par ailleurs, les personnes mises en cause ont la possibilité de demander un renvoi de l'affaire afin de préparer leur défense, l'audience devant avoir lieu dans un délai de deux à six semaines 14 ( * ) .
Ces demandes sont en pratique rares, les faits étant le plus souvent simples et élucidés et les personnes mises en cause préférant connaître le plus rapidement possible leur peine. De plus, elles risquent de passer cette période en détention, sans pouvoir forcément étoffer leur défense (notamment en cas de flagrant délit), sous réserve des éléments de personnalité susceptibles d'être plus approfondis. Ainsi, le taux de placement en détention provisoire en cas de renvoi est de l'ordre de 80 % à Nîmes et de 83 % à Nantes.
Une personnalisation de la peine inexistante ?
Les avocats reprochent aux magistrats de ne pas tenir compte de la personnalité des prévenus, faute de temps, et de se baser exclusivement sur leurs antécédents judiciaires.
- Des enquêtes de personnalité encore trop lacunaires
Des progrès ont cependant été accomplis puisque les enquêtes de personnalité, qui visent à apprécier la situation matérielle, familiale et sociale de la personne mise en cause, ainsi que les mesures propres à favoriser sa réinsertion sociale 15 ( * ) , sont obligatoires depuis la loi du 9 mars 2004 entrée en vigueur au 1 er octobre 2004. Certaines juridictions comme le TGI de Nantes procédaient déjà à des enquêtes sociales systématiques, mais il faut rappeler que le recours aux comparutions immédiates dans cette juridiction demeurait marginal.
La qualité de ces enquêtes est diversement appréciée par les magistrats, même si elle est, dans l'ensemble, jugée satisfaisante compte tenu des conditions d'urgence dans lesquelles elles sont réalisées. Le plus souvent succinctes, elles interviennent en effet principalement lors de la garde à vue, les agents ou responsables associatifs se déplaçant dans les commissariats et les brigades de gendarmerie. Reposant essentiellement sur les déclarations des mis en cause, elles sont souvent peu vérifiées, notamment le week-end.
Néanmoins, cette difficulté doit être relativisée car les personnes mises en cause dans cette procédure sont principalement des réitérants et donc souvent connues des services chargés de réaliser ces enquêtes, notamment lorsqu'elles font l'objet d'un sursis avec mise à l'épreuve ou d'un travail d'intérêt général.
Cependant, la mission a pu observer à Bobigny que si cette formalité était obligatoire, elle n'était en pratique pas toujours réalisée, même lorsque l'affaire avait fait l'objet d'un renvoi.
- Une connaissance des antécédents judiciaires perfectible
Les magistrats entendus estiment avoir une bonne connaissance des antécédents judiciaires des personnes, nonobstant les cas d'alias multiples.
En Ile-de-France, le parquet a la possibilité de compléter le dossier grâce au recueil des antécédents conservé dans le cadre de la « chaîne pénale » mise en place dans ce ressort pour retrouver les condamnations récentes non encore inscrites au casier. En effet, les délais d'inscription des condamnations au casier judiciaire national connaissent une dérive inquiétante, principalement en raison de la surcharge des services des greffes. Sont dactylographiés en priorité les jugements frappés d'appel, ainsi que les peines d'emprisonnement ferme, les travaux d'intérêt général (TIG), les sursis avec mise à l'épreuve (SME) et les condamnations concernant des infractions à caractère sexuel, ce qui retarde l'exécution et l'inscription au casier judiciaire des autres.
La mise en place effective d'un bureau d'ordre national , prévue par la loi du 9 mars 2004, devrait cependant améliorer cette situation.
En raison de ces difficultés réelles, il est reproché à la procédure de comparution immédiate d'aboutir à des sanctions peu personnalisées et peu susceptibles d'aménagement .
Une « machine à emprisonner » sans aménagement ?
L'accusation de « machine à emprisonner » pour la comparution immédiate n'a pu être vérifiée, en l'absence de statistiques nationales. Néanmoins, les données locales (64 % de mandats de dépôt à Nantes et près de 75 % à Nîmes) semblent la conforter. Les magistrats soulignent cependant que ce résultat est intrinsèque à l'orientation en comparution immédiate, qui s'adresse à des personnes jugées dangereuses devant être provisoirement mises hors d'état de nuire.
Le véritable paradoxe tient à ce qu'en dépit des dispositions de la loi du 9 mars 2004, qui prévoit que toutes les peines d'emprisonnement inférieures à un an doivent être aménagées ab initio , elles ne le sont jamais dans le cadre de la procédure de comparution immédiate, pourtant principale pourvoyeuse de prison, du fait de leur brièveté (un à trois mois), de l'existence du mandat de dépôt, et de la saturation des services pénitentiaires d'insertion et de probation (SPIP).
D'une manière générale, les juges de l'application des peines entendus par la mission ont confirmé la difficulté d'adapter la peine pour les personnes condamnées en comparution immédiate 16 ( * ) , du fait du manque de données personnelles les concernant, notamment lorsqu'elles ne sont pas connues des SPIP, l'enquête de personnalité étant bien souvent le dernier document à être mis au dossier. Les travaux d'intérêt général et les sursis avec mise à l'épreuve sont ainsi parfois inexécutables du fait du manque de renseignements fiables concernant les garanties de représentation et d'insertion de la personne mise en cause, ce qui dissuade de les prononcer.
De plus, depuis l'entrée en vigueur de la loi du 9 mars 2004, les sursis avec mise à l'épreuve sont notifiés en audience publique et non plus par le juge de l'application des peines, ce qui peut décourager certains juges de les prononcer en raison du temps d'audience nécessaire à l'explication de la procédure et de ses modalités et des difficultés d'impression du procès-verbal dans les salles d'audience non informatisées.
Les faits jugés en comparution immédiate sont ainsi plus souvent sanctionnés par des peines d'emprisonnement ferme que des faits parfois plus graves traités dans le cadre d'autres procédures.
Cette situation n'apparaît pas satisfaisante.
Plusieurs magistrats du siège (Bobigny, Nîmes), ont fait part de leur souhait de voir se développer un véritable contrôle judiciaire socio-éducatif -et non policier- afin de fournir une alternative à l'emprisonnement ferme. Il semblerait en effet plus pertinent, par exemple s'agissant de défauts de permis en récidive, de recourir à des ajournements de peines et de vérifier les justificatifs d'inscription en auto-école, puis au code. Pourraient également être ordonnés le versement d'un cautionnement (dans des affaires de travail clandestin) ou des mesures à caractère socio-éducatif (en cas de violences conjugales).
Des peines paradoxalement peu contestées
Paradoxalement, le taux d'appel n'est pas très important, alors même que sont souvent prononcées des peines d'emprisonnement ferme. On compte ainsi une dizaine d'appels par mois à Paris, qui se soldent par de nombreux désistements.
Il est vrai que faire appel peut présenter un intérêt limité pour le condamné, du fait de jurisprudences parfois très dissuasives des cours d'appel -aboutissant, comme à Lyon, à une aggravation très significative des peines prononcées en première instance-, de l'importance des mandats de dépôt -la personne faisant appel demeurant détenue- et des délais d'audiencement devant les cours d'appel (jusqu'à quatre mois), alors qu'en raison de leur brièveté, les peines sont bien souvent purgées avant d'être examinées par la cour d'appel.
De plus, la nature des contentieux soumis à la procédure de comparution immédiate -souvent des infractions commises en flagrant délit ou des infractions objectives comme le refus d'embarquement pour des personnes faisant l'objet d'une décision de reconduite à la frontière ou d'expulsion- ne permet pas de nourrir le dossier en appel, mis à part quelques éléments de personnalité.
* 13 Au TGI de Paris, deux chambres (l'une en début de semaine et l'autre en fin de semaine) traitent 18 dossiers de comparution immédiate et 25 prévenus par audience, avant de reverser selon la procédure dite de « délestage » sur deux autres chambres le surplus des dossiers (hormis le samedi). Il est cependant envisagé de supprimer ce « délestage », qui désorganise les autres chambres.
* 14 Dans un délai maximum de quatre semaines si la personne est détenue, et dans un délai de deux à quatre mois lorsque la peine encourue est supérieure à sept ans d'emprisonnement.
* 15 Art. 41 du code de procédure pénale.
* 16 Le juge d'application des peines peut convertir les peines d'emprisonnement d'une durée inférieure ou égale à six mois en TIG ou en jours-amende.