Rapport d'information sur colloque n° 468 (2004-2005) de M. Jacques VALADE , fait au nom de la commission des affaires culturelles, déposé le 11 juillet 2005
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INTRODUCTION
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TABLE RONDE N° 1 -
CONCENTRATION DES MÉDIAS : ÉTAT DES LIEUX
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M. Yves de la Villeguérin, directeur
général du Groupe Revue Fiduciaire
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M. Jean-François Kahn, directeur de
Marianne
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M. François d'Orcival, président
de la fédération nationale de la presse française
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Mme Sophie Scrive, directrice adjointe de
l'association européenne des éditeurs de journaux
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M. Xavier Dordor, directeur
général de l'association pour la promotion de la presse
magazine
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Mme Marie-Laure Sauty de Chalon, présidente
de Carat France
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DÉBAT AVEC LA SALLE
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M. Yves de la Villeguérin, directeur
général du Groupe Revue Fiduciaire
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TABLE RONDE N° 2 -
LA VOCATION DES MÉDIAS EST-ELLE CULTURELLE ?
COMMENT CONCILIER L'ÉCONOMIE ET L'INFORMATION ?
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M. Patrick Eveno, secrétaire
général de la société pour l'histoire des
médias
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M. Marc Tessier, président de France
Télévisions
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M. Jean-Pierre Paoli, directeur
délégué auprès de la présidence de
TF1
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M. Nicolas de Tavernost, président du
directoire de M6
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Mme Catherine Tasca, sénateur des
Yvelines
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M. Jean-Pierre Elkabbach, directeur
général d'Europe 1
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M. Serge July, directeur de
Libération
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DÉBAT AVEC LA SALLE
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M. Patrick Eveno, secrétaire
général de la société pour l'histoire des
médias
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TABLE RONDE N° 3 -
LES MÉDIAS RÉGIONAUX ONT-ILS ENCORE LEUR RAISON D'ÊTRE ? INTERNET ET LE PHÉNOMÈNE DU TOUT GRATUIT VONT-ILS RÉVOLUTIONNER LE MODE DE CONSOMMATION DE L'INFORMATION ?
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M. Louis de Broissia, sénateur de la
Côte d'Or, rapporteur du budget des médias au nom de la commission
des affaires culturelles du Sénat
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M. Rémy Pflimlin, directeur
général de France 3
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M. Pierre Jeantet, président directeur
général de Sud Ouest
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M. Pierre-Jean Bozo, président de 20
Minutres
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M. Philippe Gault, président du
SIRTI
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M. Jean-Eric de Cockborne, directeur de
l'Unité politique de l'audiovisuel et des médias de la Commission
européenne
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DÉBAT AVEC LA SALLE
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M. Louis de Broissia, sénateur de la
Côte d'Or, rapporteur du budget des médias au nom de la commission
des affaires culturelles du Sénat
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TABLE RONDE N° 4 -
LES MÉDIAS DU FUTUR :
QUELS SCENARII POUR DEMAIN ?
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M. Jacques Valade, sénateur de la
Gironde, président de la commission des affaires culturelles du
Sénat
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M. Francis Beck, président du groupe
de travail « nouveaux médias » au CSA
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M. Pierre Bellanger, président de
Skyrock
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M. Loïc Le Meur, directeur
général Europe Six Apart et bloger
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M. Pierre Louette, directeur
général de l'Agence France Presse
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M. Antoine Duarte, directeur
général de Yahoo France
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M. Pascal Ancian, directeur de la
stratégie et du plan d'Orange France
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M. Francis Jaluzot, président
directeur général de Sports Médias &
Stratégie
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M. Dominique Paillé,
député des Deux-Sèvres
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DÉBAT AVEC LA SALLE
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M. Jacques Valade, sénateur de la
Gironde, président de la commission des affaires culturelles du
Sénat
N° 468
SÉNAT
SESSION EXTRAORDINAIRE DE 2004-2005
Annexe au procès-verbal de la séance du 11 juillet 2005 |
RAPPORT D'INFORMATION
FAIT
au nom de la commission des Affaires culturelles (1) sur la concentration des médias en France,
Par M. Jacques VALADE,
Sénateur.
(1) Cette commission est composée de : M. Jacques Valade, président ; MM. Ambroise Dupont, Jacques Legendre, Serge Lagauche, Jean-Léonce Dupont, Ivan Renar, Michel Thiollière, vice-présidents ; MM. Alain Dufaut, Philippe Nachbar, Pierre Martin, David Assouline, Jean-Marc Todeschini, secrétaires ; M. Jean Besson, Mme Marie-Christine Blandin, MM. Jean-Marie Bockel, Yannick Bodin, Pierre Bordier, Louis de Broissia, Jean-Claude Carle, Gérard Collomb, Yves Dauge, Mme Annie David, MM. Christian Demuynck, Denis Detcheverry, Mme Muguette Dini, MM. Louis Duvernois, Jean-Paul Émin, Hubert Falco, Mme Françoise Férat, MM. Bernard Fournier, Hubert Haenel, Jean-François Humbert, Mme Christiane Hummel, MM. Soibahaddine Ibrahim, Alain Journet, André Labarrère, Philippe Labeyrie, Pierre Laffitte, Mme Lucienne Malovry, MM. Jean Louis Masson, Jean-Luc Mélenchon, Mme Colette Melot, M. Jean-Luc Miraux, Mme Catherine Morin-Desailly, M. Bernard Murat, Mme Monique Papon, MM. Jean-François Picheral, Jack Ralite, Philippe Richert, René-Pierre Signé, André Vallet, Marcel Vidal, Jean-François Voguet.
Presse, édition et imprimerie. |
INTRODUCTION
Allocution d'ouverture par
M. Jacques Valade, sénateur de la Gironde,
président de
la commission des affaires culturelles du Sénat
Je vous prie de bien vouloir excuser l'absence de M. Christian Poncelet qui m'a demandé de vous lire le message suivant :
« Mes chers collègues, Monsieur le président du CSA, Mesdames, Messieurs,
Je suis heureux d'adresser ce message aux participants de ce nouveau colloque de la commission des affaires culturelles, à l'initiative de son président, qui permet de réunir sur un sujet les principaux intervenants et de nourrir la réflexion parlementaire tout en poursuivant une tradition propre au Sénat de dialogue ouvert avec les professionnels.
Par ce colloque, la commission montre une fois de plus que c'est au Sénat que sont le mieux suivies les questions liées à la presse et à l'audiovisuel. C'est au Sénat qu'existe la plus grande concentration de spécialistes des médias.
A la veille d'un nouvel examen de la directive « Télévision sans Frontière » et de ses dispositions relatives à la concentration, au moment où le secteur de la presse est le théâtre d'opérations d'achats, de ventes et de regroupements, à l'instant où le paysage audiovisuel commence une nouvelle mutation avec l'avènement de la Télévision Numérique Terrestre, il est plus que justifié de réfléchir à la bonne combinaison entre concentration et pluralisme.
Au lendemain d'un référendum qui illustre la crise d'identité profonde du pays, il est heureux d'aborder la question sous l'angle de l'exception culturelle. Cette exception garante de la diversité, nous y croyons ! Nous ne devons pas craindre d'adopter dans le domaine des médias des règles de concurrence et de concentration différentes de celles en vigueur dans d'autres secteurs car il existe des valeurs françaises et européennes à préserver.
C'est aussi la condition pour que nos concitoyens n'aient pas la fausse impression que les règles bruxelloises font bon marché des valeurs auxquelles ils sont attachés. Pour autant, l'exception ne doit pas être un prétexte pour ignorer le mouvement du monde et occulter la nécessité d'avoir de groupes puissants capables non seulement d'animer la scène intellectuelle et artistique françaises et le monde de l'information nationale, mais aussi de prendre position à l'étranger.
C'est de cet équilibre que vous débattrez pour le plus grand profit de notre assemblée qui saura tirer le meilleur parti de votre contribution. »
Je suis heureux, Mesdames et Messieurs, de vous accueillir. Je voudrais tout d'abord saluer mes collègues, sénateurs et députés. Je suis très heureux en ma qualité de président de la commission des affaires culturelles du Sénat de vous accueillir pour ce rendez-vous désormais annuel avec les représentants du secteur des médias.
Nous avons inauguré ces relations, il y a trois années. La nouvelle télévision, le contenu des programmes, les relations entre le sport, l'argent et les médias ont déjà fait l'objet de réflexion au cours des années précédentes. Le Bureau de notre commission avait décidé dès le mois d'octobre 2004 de retenir le sujet de la concentration des médias pour cette journée thématique annuelle.
En effet, l'accélération des changements intervenus au cours des derniers mois dans les groupes de presse parmi les plus emblématiques du paysage français nous a paru significative d'une ère marquée par des bouleversements majeurs. Les principaux quotidiens nationaux connaissent des difficultés sans précédent depuis la Libération suscitant des prises de participation de grands groupes économiques.
De même, la majorité des médias est devenue en France la propriété de puissants groupes industriels qui se diversifient dans le secteur stratégique de la communication. Les récents investissements dans la TNT confirment bien ces évolutions. Enfin, les mutations technologiques qui permettent le développement de la radio numérique ou la diffusion de la télévision sur les téléphones mobiles changent la donne. Le problème du maintien de la diversité culturelle face à ces mouvements de concentration liés à des exigences économiques est donc clairement posé.
La presse s'est fait écho depuis plusieurs mois de cette éventuelle menace. Il nous faut donc mesurer les conséquences et les enjeux de ces concentrations et veiller à ce qu'au-delà de la rentabilité économique, l'information et les contenus soient préservés sur l'ensemble des supports de diffusion.
L'intérêt de ce sujet s'est trouvé confirmé puisque le Premier ministre a décidé au début de l'année 2005 de créer une commission chargée d'étudier les questions relatives à la concentration des médias. Au terme du décret du 8 mars 2005, cette commission doit établir un diagnostic de la concentration dans les médias et de son évolution en inscrivant son analyse dans une perspective européenne, d'évaluer la pertinence et l'efficacité de la législation qui régit l'activité des médias et, en particulier, du dispositif de concentration. Il s'agit du coeur de notre responsabilité. Cette commission est également en charge, le cas échéant, de proposer au Gouvernement les évolutions législatives qui lui paraîtraient souhaitables. Le décret précise que les propositions et les analyses de la commission devront faire l'objet d'une évaluation au regard des impératifs de viabilité économique des différents médias et des objectifs fondamentaux qui constituent la garantie du pluralisme, de l'impartialité de l'information, l'encouragement de la diversité culturelle et la sauvegarde de l'indépendance nationale.
Je ne vous cache pas que notre commission s'est alors interrogée sur la pertinence de maintenir un colloque sur ce thème. Nous avons cependant estimé que nos débats pourraient utilement nourrir les réflexions de la commission Lancelot et constituer une contribution supplémentaire à ses travaux qui devraient être rendus publics au mois de juillet prochain.
Nous sommes avant tout des législateurs et il nous est apparu indispensable de savoir si des évolutions juridiques étaient nécessaires dans ce domaine et, en particulier, si la loi de 1986 relative à la liberté de la communication mérite des adaptations. La question n'est pas aisée ; le débat est ouvert en France et au niveau européen.
Tout récemment, à l'occasion d'une audition sur le thème du pluralisme et de la concentration, la Commission européenne a été saisie de ce dossier par plusieurs députés européens. Elle a indiqué qu'elle n'envisageait pas de légiférer, rappelant que le Livre Vert, adopté au début des années 90, était resté lettre morte. Elle a estimé qu'elle ne disposait d'aucune base juridique pour intervenir sur ces problèmes qui relèvent, selon elle, de la responsabilité des différents Etats membres.
Nous allons donc écouter les responsables des différents secteurs de la presse et de l'audiovisuel nous donner leur point de vue sur la situation française. Je suis sûr que nos débats d'aujourd'hui éclaireront les décisions politiques de demain. En ce qui concerne la commission des affaires culturelles, nous ne voulons pas nous enfermer dans le seul acte de légiférer, mais nous souhaitons au préalable procéder à toutes les concertations possibles avec les différents acteurs du monde audiovisuel et de la presse.
Je remercie donc les intervenants d'avoir répondu à notre invitation. Avant de donner la parole à M. Philippe Ballard, journaliste à LCI, je voudrais vous signaler que M. Renaud Donnedieu de Vabres ne pourra prendre part à nos débats de ce jour. En effet, l'ordre du jour de la séance du Parlement a été modifié et il participe à la discussion qui aura lieu à l'Assemblée nationale au sujet de la proposition de loi pour la mise à disposition des locaux dits « du Congrès » du Château de Versailles. L'importance de ce texte justifiait la présence du ministre à l'Assemblée nationale pour la séance qui a commencé ce matin à 9 heures. M. le ministre m'a chargé de vous exprimer ses regrets et toute l'attention qu'il porte aux travaux de la commission des affaires culturelles.
Je vous remercie de votre attention.
TABLE
RONDE N° 1 -
CONCENTRATION DES MÉDIAS : ÉTAT DES
LIEUX
Participent à la table ronde :
M. Yves de la Villeguérin , directeur général du Groupe Revue Fiduciaire
M. Jean-François Kahn , directeur de Marianne
M. François d'Orcival , président de la fédération nationale de la presse française
M. Xavier Dordor , directeur général de l'association pour la promotion de la presse magazine
M. François Boissarie , premier secrétaire du syndicat national des journalistes
Mme Sophie Scrive , directrice adjointe de l'association européenne des éditeurs de journaux
Mme Marie-Laure Sauty de Chalon , présidente de Carat France
La table ronde est animée par M. Philippe Ballard , journaliste à LCI.
M. Philippe Ballard
Mesdames, Mesdemoiselles et Messieurs,
Je vous propose de débuter notre première table ronde par un état des lieux afin de déterminer si nous assistons effectivement en France et en Europe à un phénomène de concentration des médias. Nous nous intéresserons surtout à la presse écrite pour débuter.
Je sais d'ores et déjà que M. Jean-François Kahn, dont nous connaissons tous la verve, nous expliquera qu'il existe bel et bien un phénomène de concentration et que ce dernier présente un danger pour la démocratie.
Autour de notre table se trouve M. Yves de La Villeguérin, directeur général du Groupe Revue Fiduciaire. Ce groupe est totalement familial. Comment expliquer qu'il existe encore des groupes de presse écrite indépendants ?
M. Yves de la Villeguérin, directeur général du Groupe Revue Fiduciaire
Bonjour à tous.
Il existe en effet encore des groupes familiaux, mais il ne s'agit pas d'une tâche facile puisque ces groupes se heurtent à de grandes difficultés.
Ce groupe a été créé par mon grand-père en 1919. Lorsqu'en j'en ai repris la direction en 1998, j'ai été confronté à une double problématique. Je devais, d'une part, trouver les moyens de conserver un actionnariat familial. D'autre part, il fallait lutter contre de grands groupes internationaux dans le contexte particulier de l'ascension d'Internet. Nous nous demandions si nous devions nous munir de très importants moyens internationaux pour assurer la mutation de la presse écrite à la presse électronique et quelle dimension cette évolution prendrait. Il s'agissait d'un véritable défi à relever.
M. Philippe Ballard
Qu'avez-vous donc fait face à ces défis pour préserver l'indépendance de votre groupe familial ?
M. Yves de la Villeguérin
Nous avons alors procédé à l'inverse des autres groupes. A l'époque, il convenait de se concentrer sur son métier, mais nous avons décidé d'intégrer toutes nos activités. A l'heure actuelle, notre groupe est totalement intégré, de la rédaction au routage. Cette décision nous a permis de maîtriser l'ensemble de notre chaîne d'activités.
M. Philippe Ballard
Que se serait-il passé si vous n'aviez pas pris cette décision ? Auriez-vous pu être racheté ?
M. Yves de la Villeguérin
Je ne pense pas que ce risque était le plus important. Néanmoins, notre choix stratégique nous a permis d'être très réactifs. Nous avons ainsi pu créer de nouveaux produits rapidement, en changeant nos process de fabrication. Plus récemment, nous nous sommes vite adaptés aux nouvelles directives postales en changeant entièrement notre processus de routage. Nous sommes l'un des rares routeurs en France à pouvoir prendre le relais de la Poste. Cette dernière s'est dégagée d'une partie de son activité et il nous incombe désormais de préparer les envois postaux, ce qui implique une gestion plus lourde.
Je pense qu'il existe une différence fondamentale entre les grands groupes internationaux et les groupes familiaux. Les grands groupes internationaux fixent des objectifs de rentabilité et de croissance du chiffre d'affaires. Les responsables sont nommés pour quelques années pendant lesquels ils doivent remplir ces objectifs. Or, dans nos groupes familiaux, la valeur rédactionnelle est essentielle. Elle ne se mesure pas à la progression du chiffre d'affaires, mais elle représente un coût important qui impacte fortement les résultats du groupe. Lorsque les actionnaires adoptent une optique plus financière qu'industrielle, ils ne mesurent pas la portée de ce phénomène. Je pense que la logique de rentabilité de certains groupes les a obligés à externaliser des fonctions, notamment liées à la rédaction. Ceci explique que nous avons assisté dans certaines sociétés à une baisse de la qualité rédactionnelle, qui ne pose pas de problème aux responsables nommés pour un terme préalablement défini.
M. Philippe Ballard
Vous pensez donc qu'à plus long terme, la qualité vous a permis de rester indépendants.
M. Yves de la Villeguérin
La qualité est essentielle à moyen et à long terme.
M. Philippe Ballard
Vous évoluez dans un secteur spécifique, celui de la presse professionnelle. N'est-ce pas également une raison de votre indépendance ?
M. Yves de la Villeguérin
Ce secteur est certes spécifique. Néanmoins, il a connu de nombreuses concentrations et les grands groupes familiaux anglais, néerlandais et américains ont adopté des stratégies de développement international après que leurs marchés locaux ont été saturés. Ils détiennent aujourd'hui au moins 50 % de l'ensemble de la presse technique européenne, voire dans le monde.
M. Philippe Ballard
Il existe donc également dans ce domaine un phénomène de concentration.
M. Yves de la Villeguérin
Est survenu un phénomène de concentration ; il reste actuellement peu d'acteurs indépendants. Nous nous sentons donc un peu seuls, mais nous sommes d'autant plus motivés que nous souhaitons rester indépendants. Nous disposons d'un actionnariat très soudé et qui n'a pas de fortes exigences de rentabilité à court terme. Nous pouvons donc ainsi réaliser des investissements sur le long terme d'autant plus que le secteur de la presse technique est très rentable, particulièrement celui de la presse juridique.
M. Philippe Ballard
Vous avez donc démontré qu'il était possible de demeurer indépendant en faisant le choix de la qualité rédactionnelle.
M. Yves de la Villeguérin
Nous avons également mis en exergue la réactivité, l'innovation et les investissements en capital technique. Nous avons également dû nous diversifier dans les secteurs de la banque et de l'assurance. Nous avons multiplié nos canaux de distribution. En outre, nous avons développé de nouveaux produits pour répondre au mieux aux évolutions des besoins de notre clientèle traditionnelle, notamment celle des experts-comptables.
M. Philippe Ballard
M. Jean-François Kahn, notre intervenant, soutient qu'il est possible de rester indépendant ; dans ces conditions pensez-vous que le danger de la concentration des médias dans notre pays soit bien réel ?
M. Jean-François Kahn, directeur de Marianne
Il ne faudrait pas croire que le phénomène de la concentration ne concerne que la France. Il s'agit d'un problème général qui n'existe pas seulement dans le secteur de la presse, mais qui le touche de plus en plus. A titre d'exemple, l'outil Internet est monopolisé par Windows de Microsoft et le marché des sodas par Coca-Cola.
Par ailleurs, ce phénomène ne relève pas d'un clivage entre la gauche et la droite ; il est totalement attentatoire à l'idéologie libérale. L'exemple italien le plus spectaculaire est la mainmise progressive d'un industriel sur les trois chaînes nationales et 95 % du marché de la presse, réussissant ainsi à prendre le pouvoir. Il s'agit d'un système quasiment soviétique !
M. Philippe Ballard
M. Berlusconi a tout de même perdu les élections.
M. Jean-François Kahn
Certes, les Soviétiques aussi ont fini par perdre le pouvoir ! Nous avons constaté lors du dernier référendum que le contrôle de la presse n'est pas toujours garant des résultats électoraux.
M. Philippe Ballard
Nous pouvons également contredire votre raisonnement grâce à cet exemple qui prouve que le public est capable d'émettre un jugement critique propre.
M. Jean-François Kahn
J'en conviens. Néanmoins, ce genre de situation est contraire aux principes libéraux. J'en veux également pour preuve le cas de M. Murdoch qui est à la tête de 60 % des médias australiens, et qui a aidé le Gouvernement à remporter les élections contre la promesse d'en acquérir 70 %. En outre, sans l'influence des médias détenus par M. Murdoch en Angleterre, aux Etats-Unis et en Australie, la guerre d'Irak n'aurait pas été possible parce que les opinions publiques nationales de ces pays auraient rejoint celles du reste du monde.
En France, la concentration a réduit considérablement le pluralisme des journaux, notamment par rapport à ses voisins européens. Seulement trois ou quatre journaux sont représentatifs de l'opinion sur le plan national. Par ailleurs, le phénomène de monopole, induit par le système économique, existe également dans toutes les régions françaises. Le groupe Hachette contrôle la quasi-intégralité de la presse de la région Provence-Alpes-Côte-d'Azur et le journal Ouest France rachète tous les journaux et les radios privées de l'Ouest ; en outre, un projet de création de chaîne privée locale affiliée à Ouest France est en cours. Je vous rappelle qu'aux Etats-Unis, un tel phénomène serait rendu impossible par la loi Antitrust. La plus grande offense à l'idéologie libérale reste néanmoins que les trois plus grands groupes de presse, Hachette, Dassault et Bouygues, dépendent directement de l'Etat ou des commandes publiques.
Le problème de la concentration de la presse en France a été révélé par le rachat de plusieurs journaux par M. Hersant. Certains l'ont dénoncé, mais une grande partie de la droite libérale a soutenu M. Hersant au nom de l'investissement nécessaire à l'efficacité capitaliste. En faisant le bilan, nous nous apercevons que la mainmise de M. Hersant sur la presse a été la plus grande catastrophe qu'a connue la droite libérale. Quand j'étais jeune, il existait un réel pluralisme des opinions dans la presse et la droite y était sur-représentée. A l'heure actuelle, L'Aurore et Le Quotidien de Paris ont disparu, France-Soir représentant la Droite modérée est passé d'un million d'exemplaires à 80 000, Le Figaro a perdu entre 100 000 et 150 000 lecteurs, Paris-Normandie est exsangue, Le Progrès de Lyon et Le Dauphiné Libéré sont dans une situation critique. La droite n'est plus majoritaire dans les médias à cause de M. Hersant alors même qu'elle l'avait soutenu !
M. Philippe Ballard
Ne regrettez-vous donc pas de vous être mobilisé contre ces rachats à l'époque ?
M. Jean-François Kahn
Je ne le regrette pas parce qu'il fallait défendre certains principes, et la droite libérale a eu tort de trahir ses propres principes. Néanmoins, je regrette que la chute de la presse de droite ait provoqué l'ascension d'une sorte de presse terroriste de gauche post-soixante-huitarde ! J'aurais préféré une situation plus équilibrée.
Le deuxième événement révélateur de la concentration des médias est le référendum européen. Nous ne pouvons pas agir comme si rien ne s'était passé. Pour ma part, j'ai voté en faveur du « oui », néanmoins il est préoccupant que presque tous les quotidiens nationaux et régionaux, tous les hebdomadaires et le reste des médias aient fait campagne en faveur du « oui ». Je pense que ce parti pris a favorisé la victoire du « non ». Quoi qu'il en soit, cette situation n'était pas acceptable même si elle a été contrebalancée par Internet, devenu pour l'occasion un contre-pouvoir médiatique. Il est réellement déroutant de constater que la presse s'engage dans une voie contraire à celle de la population. Il conviendrait d'analyser les motivations véritables du vote, cependant le problème reste entier et nous devons avoir le courage d'y faire face.
M. Philippe Ballard
Peut-être s'agit-il encore une fois du sens critique populaire que nous évoquions. Il convient néanmoins de nuancer les positions des hebdomadaires clairement engagées, de la presse quotidienne moins prononcées et des radios et télévisions, quant à elles plus réservées.
M. Jean-François Kahn
Je vous l'accorde. A ce titre, je pense qu'il a été fait un faux procès contre Messieurs Duhamel et Guetta. Ils ont été sincères et ont défendu leurs opinions avec courage. Je m'insurge donc contre la chasse aux sorcières dont ils sont actuellement victimes. Il n'en demeure pas moins que je me demande par quel incroyable hasard aucune personne dotée d'une sensibilité différente n'a pu accéder à un poste d'influence médiatique. Nous devons nous interroger sur ce point.
M. Philippe Ballard
Est-ce dû au monopole des grands groupes ?
M. Jean-François Kahn
Je ne le pense pas pour le cas des chaînes de radios et de télévision. Il s'agit plutôt de la conséquence de la restriction du pluralisme.
M. Philippe Ballard
Je vous remercie.
Monsieur François d'Orcival, vous représentez la fédération nationale de la presse française, regroupant la majeure partie de la presse Quotidienne régionale, de la presse nationale et de la presse spécialisée. Pensez-vous que le phénomène de la concentration soit réel ?
M. François d'Orcival, président de la fédération nationale de la presse française
M. Jean-François Kahn a le mérite d'ouvrir le débat franchement. Il a cité le nom de Rupert Murdoch qui se trouve à la tête du plus important groupe international de médias de toutes sortes. Ce dernier a prononcé, le 13 avril dernier à New York devant les membres de l'Association Américaine des Editeurs, un discours dans lequel il a cité M. Philip Meyer, le pape du journalisme américain également professeur, journaliste et romancier qui a publié un ouvrage intitulé The Vanishing Newspaper dans lequel il relate le déclin de la presse écrite. Il y conclut, que le dernier quotidien de presse écrite paraîtrait au mois d'avril 2040.
Nous devons néanmoins examiner le phénomène de la concentration, à l'aune de quelques données objectives. Premièrement, nous n'évoquons dans nos débats que la presse écrite d'information générale et politique, qui est la plus atteinte par la crise puisque la presse spécialisée reste encore rentable. La presse écrite française représente 2 700 entreprises, soit 75 000 salariés, dont 2 000 de moins de 10 salariés et seulement 200 entreprises de plus de 50 salariés. Le débat ne concerne donc que ces dernières et plus particulièrement celles d'entre elles qui sont spécialisées dans la presse d'information générale et politique.
Jean-François Kahn dénonçait l'absence de pluralisme des opinions des médias français, illustrée par les résultats du référendum, en comparaison de la diversité anglaise. La Grande-Bretagne est le pays européen où on lit le plus de journaux quotidiens et où l'expression publique y est la plus diverse. Et pourtant, 36 % des titres de la presse britannique, dont le Sun et le Times , sont contrôlés par le groupe Murdoch. Et quatre groupes seulement possèdent l'équivalent de 87 % des titres politiques. Vous constatez donc qu'une extrême concentration n'est pas forcément contradictoire avec l'expression du pluralisme des idées ! Le même phénomène se produit en Allemagne où 25 millions d'exemplaires de quotidiens régionaux et nationaux sont lus par jour, contre 8 millions dont 1,6 million de quotidiens parisiens, en France.
La presse française politique, affaiblie, doit affronter dans ce contexte européen une double crise sans précédent : sur leurs recettes de diffusion et de publicité. Depuis la fin de la Guerre, la baisse du lectorat était compensée par la vente d'espace publicitaire ou inversement. Or les deux marchés sont en crise depuis 1998.
Jusque là, la presse avait su intégrer toutes les évolutions économiques et technologiques et rester en concurrence avec les autres moyens de communication, radio et télévision, dont elle avait su se faire des alliés.
Depuis 1998, Internet a surgi, seul concurrent réunissant l'écrit, l'image et le son, média global par excellence. La presse écrite est réellement déstabilisée pour la première fois de son existence et ne sait comment surmonter ce défi.
Or cette presse écrite française doit affronter trois problèmes majeurs.
Le premier, le manque de fonds propres, est récurrent depuis la Libération. L'industrie de la presse écrite n'a pas été bâtie sur la base de capitaux propres mais sur une trésorerie excédentaire due à une abondance de recettes.
La deuxième difficulté est relative à la distribution. A l'heure actuelle, les journaux qui accèdent le plus facilement au lectorat sont les journaux gratuits. Cet état de fait est insensé ; il est dû à la désuétude du schéma de localisation des marchands de journaux. Nous devons en reconsidérer la cartographie en France. Chaque jour depuis cinq ans, un diffuseur de journaux ferme ses portes ; la grève des kiosquiers, survenue la semaine dernière à Paris traduisait les difficultés de ces personnes dont les horaires et les conditions de travail sont ardus pour un salaire faible.
Enfin, l'industrie de la presse écrite en France supporte encore des frais énormes de fabrication ou de transport hérités du passé.
L'ensemble de ces difficultés forme un contexte favorable aux concentrations. Ces dernières ne sont pas la conséquence d'une volonté de ses acteurs. Elles sont dues à l'asphyxie financière de titres modestes et importants qui les conduit à recourir au fond d'investissement de grands groupes étrangers, à faire appel à des établissements financiers ou à des groupes industriels afin d'assurer leur survie. En outre, il est dommageable que, dans notre pays, il soit plus facile de vendre une entreprise plutôt que de la transmettre à ses successeurs.
Les éditeurs et les législateurs doivent dorénavant répondre à ces défis. Les alternatives qui s'offrent à nous sont limitées. Nous avons le choix entre l'immobilisme ou le renforcement de la réglementation.
Nous pourrons plutôt favoriser l'émergence de grands groupes français si nous ne voulons pas que les groupes étrangers achètent les journaux français. A cette fin, nous devrions donner aux acteurs encore modestes les moyens de se développer.
M. Philippe Ballard
La concentration, conséquence de la situation particulière française, peut donc également être une chance.
M. Jean-François Kahn
Cet avis n'engage que M. d'Orcival !
Il a néanmoins eu raison de souligner le pluralisme et le succès des ventes de la presse anglaise.
Cette situation a également existé en France. Nous avions une presse écrite pluraliste, sujette à des débats et des polémiques et suscitant, parfois avec excès, l'engagement des lecteurs. Ils y projetaient leur propre combat et se passionnaient pour les différentes prises de position des titres.
Aujourd'hui, si un journal a le malheur de critiquer la position d'un autre, l'ensemble de la profession crie au scandale parce que cette attitude n'est pas jugée confraternelle. Le pluralisme de la presse incarnée par le débat vif s'est transformé en un consensus mou de la pensée unique. La caste journalistique qui a pris le pouvoir médiatique a les mêmes opinions et méprise ceux qui pourraient émettre des avis différents des leurs. Cet unanimisme a fini par provoquer un recul du lectorat. L'évolution des chiffres de la vente de la presse quotidienne française est catastrophique depuis quatre années, et davantage ces derniers mois !
M. Philippe Ballard
Cette situation n'est-elle pas plutôt le reflet de l'évolution de l'opinion publique ?
M. Jean-François Kahn
Vous pouvez le penser pour vous consoler ! Mais la situation est strictement inverse comme en témoigne le résultat du référendum. Il n'existe plus aucun lien entre le pouvoir médiatique et la réalité de l'opinion, d'autant plus que de nombreux journaux, et non des moindres, ont injurié leurs lecteurs qui n'avaient pas voté selon la consigne des éditorialistes. Nous devons enfin regarder la réalité en face, aussi terrible qu'elle soit !
La rupture est réelle entre le public français et un pouvoir médiatique homogène.
M. François d'Orcival
Ce phénomène n'explique pas le lien entre la concentration et le pluralisme des médias ; il n'est pas économique. Le déficit de pluralisme n'est pas dû au degré de concentration des médias. Jean-François Kahn est l'inventeur du concept de la pensée unique, qu'il dénonce depuis longtemps, et qui est, j'en conviens, largement répandue. Mais elle n'explique pas les difficultés économiques de la presse écrite française.
M. Jean-François Kahn
Vous avez en partie raison, mais la concentration est également la cause de la pensée unique qui provoque à son tour l'érosion du lectorat. Nous ne pouvons pas totalement isoler les deux phénomènes.
M. François d'Orcival
Ne pensez-vous pas également que le pouvoir grandissant de la publicité a nui au pluralisme ?
M. Jean-François Kahn
C'est en partie vrai. Je suis directeur d'un journal dont les ventes augmentent. Il existe donc une corrélation entre notre différence et notre succès.
M. Philippe Ballard
Madame Sophie Scrive, vous êtes directrice adjointe de l'association européenne des éditeurs de journaux. Vous représentez à ce titre les éditeurs de journaux de 22 pays de l'Union Européenne auprès des institutions européennes de Bruxelles. Etes-vous à ce titre surprise que nous concentrions nos débats sur la situation française ?
Mme Sophie Scrive, directrice adjointe de l'association européenne des éditeurs de journaux
Je n'en suis pas étonnée car un débat similaire a lieu au Parlement européen depuis plusieurs années. Il s'est récemment focalisé sur le cas italien de M. Berlusconi et de l'influence politique sur le média audiovisuel. Nous ne connaissons pas de situation similaire à celle de l'Italie. Les différents Etats membres connaissent l'arrivée de nouveaux médias, tels que la presse gratuite, Internet, les opérateurs télécoms et les logiciels. Les acteurs sont dorénavant plus nombreux sur le marché. Il en résulte une concurrence plus accrue et une fragmentation du marché publicitaire ainsi que du lectorat, notamment le public jeune attiré par Internet.
Les journaux européens ont dû s'adapter en se diversifiant dans ces différents médias et en adoptant d'autres supports, tels que les NTIC, pour diffuser l'information. La principale inquiétude du Parlement européen est de savoir si ces évolutions ont une influence dans le contenu éditorial. Nous avons constaté que ce n'était pas le cas et que ces opérations de diversifications permettaient de sauver des journaux dans plusieurs pays membres, et de préserver le pluralisme. Par ailleurs, les codes de conduite et l'autorégulation sont des principes très forts dans la presse écrite. Le pluralisme se développe parce que les journaux ont su préserver leur stabilité en se diversifiant.
M. Philippe Ballard
Vous avez un rôle de lobbying auprès des instances européennes. Que vous demandent concrètement les éditeurs de journaux que vous représentez ?
Mme Sophie Scrive
Les institutions européennes ne disposent pas de base juridique pour réguler la concentration des médias parce qu'elle relève de la compétence des Etats membres. Cependant, elles peuvent intervenir indirectement pour préserver une forme de pluralisme en instaurant par exemple dans la directive « Télévision sans Frontière », des limitations publicitaires ou mesures encourageant la diffusion de productions indépendantes par les chaînes télévisées.
L'ENPA croit qu'une intervention européenne dans la concentration des médias pourrait avoir un impact négatif sur le pluralisme en empêchant la diversification des éditeurs de journaux dans les autres médias et par conséquent une offre de services et de qualité plus intéressante au public .
Nous avons souligné auprès des institutions européennes qu'il était nécessaire de préserver la compétence des Etats membres en la matière et de n'intervenir qu'au cas par cas par le biais de l'application des règles européennes de la concurrence.
M. Philippe Ballard
Monsieur Xavier Dordor, vous êtes directeur général de l'association pour la promotion de la presse magazine qui regroupe 120 titres, soit 75 % des investissements publicitaires. Pensez-vous que le meilleur moyen d'attirer les annonceurs serait de concentrer les régies plutôt que les titres ?
M. Xavier Dordor, directeur général de l'association pour la promotion de la presse magazine
Le problème est avant tout économique. Les recettes publicitaires représentent 42 % du total des recettes pour les magazines, contre 47 % il y a dix ans. Dans le même temps, la diffusion a baissé de 13 %. La situation devient donc critique.
Parlons tout d'abord de la structure de marché de la presse. Prenons la juste mesure du phénomène de concentration des médias en Europe. Concernant la presse magazine thématique et d'information, les cinq premiers groupes de chaque pays ne réalisent que 44 % de la diffusion et 59 % des recettes publicitaires en France, contre respectivement 72 % et 76 % en Italie, 74 % et 58 % en Pologne, et 63 % et 61 % en Allemagne. La concentration du marché publicitaire et éditorial français est donc moindre que celle de nos voisins européens.
Par ailleurs, il convient de comparer la concentration de la presse écrite française à celle des autres médias hexagonaux. Au global, 3 000 magazines nationaux environ reçoivent des commandes des agences de médias. Parmi eux, 180 titres représentent 85 % des investissements : ils appartiennent à une vingtaine de groupes. En télévision, les chaînes seront demain au nombre d'une centaine, mais seules quatre d'entre elles reçoivent 85 % des investissements publicitaires. Or les investissements publicitaires télévisuels équivalent en valeur absolue à plus du double de ceux de la presse magazine. La concentration de la presse est donc économiquement insuffisante : le travail est considérablement inégal pour les agences médias qui doivent répartir ces investissements entre 180 titres d'une part, et seulement quatre chaînes, d'autre part.
De plus, pour réaliser 50 % des recettes publicitaires en télévision, seuls trois secteurs d'annonceurs suffisent : l'alimentaire, les produits domestiques et l'automobile. En presse, il en faut cinq. In fine, selon, une étude de l'UDECAM, la presse représente un tiers du chiffre d'affaires des agences médias pour deux tiers de leurs temps de travail. Au-delà des compétences propres du média presse, la fragmentation du marché est un des facteurs de ralentissement des investissements publicitaires en presse. Le marché a donc tout intérêt à ce que des regroupements s'opèrent par éditeur ou par régie.
En quinze ans, le chiffre d'affaires des titres regroupés en régie a doublé par rapport aux titres intégrés. Les évolutions des recettes publicitaires des titres non regroupés en package ou en couplage a évolué trois fois moins que leurs concurrents. Cette forme de concentration de ventes d'espaces en régie extérieure et/ou en couplage présente des contraintes pour les groupes mais offre des facteurs réels de développement.
M. Philippe Ballard
Comment expliquez-vous donc que des petits titres veuillent néanmoins rester indépendants ?
M. Xavier Dordor
Tout d'abord, ces titres pas forcément petits ne le souhaitent pas vraiment, mais n'arrivent pas à trouver de structures adéquates et performantes à intégrer. Nous manquons peut-être aujourd'hui de régies publicitaires compétentes pour offrir des alternatives à des régies existantes qui gèrent déjà leurs concurrents sur des familles compétitives (presse féminine, familiale, décoration ou automobile par exemple,...). Cela illustre que la nécessaire concentration pour la presse afin d'affronter avec succès le marché publicitaire n'est pas seulement capitalistique et concerne également la création d'opérateurs communs. Les petits titres, quant à eux, peuvent néanmoins continuer de se développer lorsqu'ils se positionnent dans une niche et qu'ils maîtrisent totalement leur marché, en presse grand public comme en presse professionnelle, mais déjà les leaders de ces niches sont ils déjà bien souvent regroupés, pour accélérer les développements.
M. Philippe Ballard
Qu'en est-il alors de l'indépendance rédactionnelle dans ce contexte de concentration publicitaire ?
M. Xavier Dordor
D'une certaine façon la régie publicitaire crée une certaine forme de cloisonnement et évite plus volontiers tout risque de compromission, si tenté que ce soit le cas. La concentration est donc paradoxalement un facteur d'indépendance, notamment en presse thématique ou professionnelle, parce qu'elle isole les commerciaux de leur environnement rédactionnel.
M. Jean-François Kahn
Nous faisions partie d'une régie, ce qui n'a pas nui à notre indépendance. Nous avons ensuite créé notre propre régie pour réaliser des économies. Par ailleurs, nous devions faire face à la différence d'opinion des annonceurs qui, malgré une bonne diffusion de notre journal, n'investissaient pas en publicité. Nous avons donc réorganisé complètement notre gestion en quittant les NMPP et en intégrant les MLP. Nous avons également abandonné le système pervers de l'OJD. En conséquence, nous sommes à l'heure actuelle l'un des rares magazines d'information politique rentable avec très peu d'annonceurs.
M. Philippe Ballard
Est-il donc possible de se passer de la publicité ?
M. Jean-François Kahn
Je ne pourrais pas le faire complètement.
M. François d'Orcival
Le Canard Enchaîné serait un cas d'école à étudier. Il bénéficie d'une diffusion nationale très importante d'environ 500 000 exemplaires, ne touche aucune recette publicitaire et n'a pas modifié son prix de vente depuis 1991. Il continue de profiter d'une très bonne trésorerie. Ce cas exceptionnel s'explique par le fait que le journal n'a jamais eu le moindre contact avec le monde de la publicité. Par conséquent, il n'a subi aucune influence extérieure sur la présentation physique de ses pages.
M. Xavier Dordor
La presse magazine ne peut se passer de la publicité. Ni économiquement ni même en terme de d'intensité de lecture : la publicité fait partie du plaisir de lire un magazine et de l'information de consommation. La publicité n'est cependant pas le seul moteur de l'indépendance financière d'un titre, elle l'est au même titre que les recettes de ventes au numéro ou d'abonnements. Une perversion du système publicitaire, qui n'affecte pas le contenu idéologique éditorial, s'est opérée dans les années 80 et 90. L'économie de la presse a ainsi parfois trop cherché à s'appuyer sur l'audience, dans le seul but de la vendre aux annonceurs et pas assez sur la diffusion en tant que source de rentabilité propre. Ce type de réflexe a déséquilibré certains titres de presse thématique.
Nous devons recommencer à innover en dehors de la presse thématique qui colle aux marchés publicitaires. Nous pouvons élargir nos perspectives thématiques en travaillant sur des titres générationnels, notamment sur les jeunes qui sont les premiers lecteurs de presse thématique ludique.
M. Philippe Ballard
Madame Marie-Laure Sauty de Chalon, en tant que présidente de Carat France, observez-vous plutôt une concentration des titres ou des recettes publicitaires ?
Mme Marie-Laure Sauty de Chalon, présidente de Carat France
Carat occupe une place de leader dans les cinq plus grands pays d'Europe. Nous constatons que la part de marché de la presse écrite dans le total des recettes publicitaires réalisées par les médias est très forte en France par rapport à l'Italie, l'Angleterre et l'Espagne où le poids de la télévision est davantage accru. Selon les données IREP, 47 % du total des investissements publicitaires sont réalisés en presse écrite, contre 32 % en télévision.
Je pense que la particularité française réside davantage dans la concentration des investissements publicitaires audiovisuels, puisque deux chaînes concentrent près de 80 % des recettes. Ce phénomène n'existe dans aucun autre pays au monde et seule une chaîne brésilienne réalise plus de 50 % des recettes publicitaires nationales comme le fait TF1 en France.
Il est paradoxal de dire qu'en presse écrite, la concentration est due aux déficits des éditeurs pour des raisons, déjà évoquées, d'immobilisme, de distribution ou de prix ; tandis que la concentration en télévision relève du talent de M6 et TF1.
Mais la concentration n'est pas le sujet des annonceurs. Le souci d'un annonceur, particulièrement en ce contexte de crises pour les marques, n'est pas la concentration mais seulement l'efficacité. Or l'efficacité de la publicité dans les médias tend à baisser dans tous les pays pour des raisons diverses.
Les consommateurs ont développé une forme de résistance aux messages publicitaires.
Le hard discount se développe et réalise 20 % des ventes actuelles.
Les arbitrages de consommation orientent une part toujours croissante du budget des ménages vers les produits technologiques et multimédias en défaveur des produits de consommation courante du secteur alimentaire et de l'hygiène-beauté.
Il y a dix ans, les annonceurs faisaient jouer la concurrence en répartissant leur budget publicitaire entre de nombreux acteurs. Aujourd'hui, les directions des achats ont pris une importance considérable au sein des entreprises et elles tendent à concentrer leurs investissements sur moins d'acteurs pour réaliser des économies. Il serait logique de penser que Carat en a fait de même, mais au contraire nous avons diversifié nos achats, notamment dans les nouveaux supports médias. Nous réalisons de nombreux efforts pour poursuivre cette diversification afin que tous les types de médias soient représentés et ainsi élargir notre offre.
M. Philippe Ballard
Le déclin des investissements en presse écrite vous apparaît-il inexorable ?
Mme Marie-Laure Sauty de Chalon
Les investissements publicitaires en presse quotidienne nationale ont baissé de 44 % ces cinq dernières années. Ce problème est lié au fait que les cibles de nos annonceurs regardent en moyenne la télévision trois heures par jour et que les jeunes de 15 à 24 ans en font de même pour Internet.
Ce mouvement semble en effet inexorable, mais des médias transversaux apparaissent et des régies proposent des packages d'espaces publicitaires pluri-médias.
M. Xavier Dordor
Nous devons plus que jamais nous battre contre idée de déclin de la presse écrite en tant que média des marques.
Selon une étude réalisée par Millwards Brown sur les investissements publicitaires médias des annonceurs, dans certains pays d'Europe et des Etats-Unis, on observe une saturation des cibles confrontées aux écrans publicitaires radios ou TV : le caractère intrusif de la publicité audiovisuelle finit par provoquer une réaction négative chez le prospect. Le temps d'exposition théorique à la publicité n'est plus une mesure réaliste de l'efficacité publicitaire d'un média, c'est la qualité du contact voulu par la cible qui en est la meilleure approche. La presse écrite qui se lit dans le temps du lecteur et non du média pourrait tirer avantage de ce phénomène puisque son espace publicitaire n'est pas intrusif. Le quantitatif ne résume pas tout, en presse.
M. Jean-François Kahn
Le doute qui plane sur les diffusions parfois outrageusement exagérées est en train de faire des ravages. Les annonceurs préfèrent se tourner vers d'autres médias et nous devons revenir à une politique de transparence en matière de diffusion.
Par ailleurs, comme l'a relevé M. François d'Orcival, les annonceurs veulent tellement modifier la présentation des journaux que nous en arrivons à une situation paradoxale : soit nous opérons ces modifications pour augmenter les recettes publicitaires, mais nous perdons une partie de notre lectorat ; soit nous refusons de le faire et nous ne correspondons plus au schéma culturel publicitaire, par conséquent nous n'obtenons pas de recettes publicitaires.
Mme Marie-Laure Sauty de Chalon
Vous avez en partie raison. Cependant, les annonceurs investissent dans les titres people qu'ils détestaient et estimaient vulgaires. Ils ont donc moins de réticences face à des succès d'audiences.
M. Philippe Ballard
M. François Boissarie, vous représentez le SNJ. Quelle est votre réaction aux arguments qui ont été avancés ?
M. François Boissarie
La concentration n'est pas une fatalité pour la presse écrite et audiovisuelle et ce phénomène n'a pas que des causes économiques.
Ses conséquences restent d'actualité. En effet, Le Progrès de Lyon parmi deux ou trois hypothèses de reprise , pourrait être vendu à la découpe au profit d'autres journaux régionaux sis à sa périphérie. La saignée s'y accompagne d'une accélération de la précarité de l'emploi.
Par ailleurs, la presse qu'elle soit quotidienne ou périodique doit se remettre en question à la suite des résultats du référendum européen. Ce scrutin s'est avéré révélateur de la distance qui se creuse entre les éditorialistes et le lectorat. L'érosion lente des ventes n'y trouve t-elle pas un aliment ? Cette situation est encore plus paradoxale pour la PQR qui entend investir à fond dans la proximité.
Ce colloque révèle deux risques et trois atouts. Les risques :
- l'immobilisme, le repliement qui guettent toute industrie en danger ;
- la présence de grands groupes de presse Hachette, Lagardère, Bouygues et Dassault au coeur du monde politique y compris dans cette haute assemblée.
Cependant trois opportunités sont bien réelles :
- la volonté politique précisément comme en témoigne notre débat ;
- un arsenal de textes constitués des ordonnances de 1944, du rapport Vedel, des lois Fillioud et Léotard dont la lecture s'avère riche d'enseignements et dont plusieurs points peuvent être repris.
La commission Lancelot est actuellement au travail sur les concentrations. Ses conclusions constitueront un outil que nous pouvons, que nous devons utiliser.
M. Yves de la Villeguérin
Dans notre pays, nous avons le défaut majeur de toujours recourir à la loi. En conséquence, nous devrons le faire dans les domaines de la fiscalité et de la distribution également.
DÉBAT AVEC LA SALLE
M. Hervé Louboutin , président du Nouvel Ouest et de la fédération de la presse magazine régionale
Je regroupe environ vingt éditeurs régionaux d'une presse magazine dont l'évolution est positive. Tous les titres sont à l'équilibre et indépendants.
Je voudrais soulever trois points.
Il existe dans le domaine de la presse écrite le tabou du syndicat du livre qui exerce une pression à la hausse sur les prix des journaux en France. Le groupe Hersant a certes condamné ses journaux, mais la CGT a également une grande part de responsabilité en refusant toute forme de modernisation.
Il convient d'aider réellement à la création des entreprises de presse si nous ne voulons pas laisser les grands groupes racheter tous les titres indépendants.
Au niveau des fonds propres, je pense que le législateur a eu tort de permettre des initiatives de création d'entreprises de presse écrite sur la base des SARL à 5 000 francs qui se sont révélées être une véritable catastrophe.
Je souhaiterais également que la commission Lancelot rende son rapport avant que la Commission de la concurrence ne donne son avis sur le rachat inadmissible de trois quotidiens par le groupe Ouest France.
M. Yves de la Villeguérin
La fiscalité est un point essentiel. Je vous rappelle que sur les 340 sociétés vendues au cours des dernières années et totalisant plus de 7 millions d'euros de chiffres d'affaires, seules quinze sont demeurées françaises. Alors que les prélèvements sont de 40 % pour une transmission d'entreprise, il est difficile de rester français. En Italie, ce prélèvement n'est que de 4 %, de 11 % en Allemagne, nul en Angleterre et en Espagne environ 1,3 %.
A ce problème, vient s'ajouter l'ISF. Dans le cadre de la reprise d'une entreprise familiale, les actionnaires y sont soumis. L'outil de travail est protégé, mais la trésorerie de l'entreprise est taxée considérablement alors qu'il n'est pas possible de se passer de fonds propres.
M. Schlack , Radio Orient
La concentration frappe également les radios FM de plein fouet, mais nous n'en parlons pas.
M. Philippe Ballard
Ce thème sera abordé au cours de la troisième table ronde.
M. François Boissarie
Le syndicat du livre n'est pas la cause du rachat des journaux par M. Hersant ou d'autres grands groupes. Ces derniers avaient la volonté de prendre le contrôle d'une partie de la presse.
TABLE RONDE N° 2 -
LA
VOCATION DES MÉDIAS EST-ELLE CULTURELLE ?
COMMENT CONCILIER
L'ÉCONOMIE ET L'INFORMATION ?
Participent à la table ronde :
M. Patrick Eveno , secrétaire général de la société pour l'histoire des médias
M. Marc Tessier , président de France Télévisions
M. Jean-Pierre Paoli , directeur délégué auprès de la présidence de TF1
M. Nicolas de Tavernost , président du directoire de M6
M. Jean-Pierre Elkabbach , directeur général d'Europe 1
M. Serge July , directeur de Libération
Mme Catherine Tasca , sénateur des Yvelines.
La table ronde est animée par M. Philippe Ballard , journaliste à LCI.
M. Philippe Ballard
M. Patrick Eveno n'est pas un acteur mais un observateur de la vie des médias. Existe-t-il réellement en France une concentration des médias ?
M. Patrick Eveno, secrétaire général de la société pour l'histoire des médias
Je tiens à dire avant tout qu'en tant qu'universitaire, je ne représente aucun lobby et que je suis totalement indépendant .
La question de la concentration des médias n'est pas récente. A l'époque de la Révolution, Charles-Joseph Panckoucke, éditeur de l'Encyclopédie, possédait La Gazette, Le Moniteur et Le Mercure de France . La France, comme tous les pays développés, a connu depuis cette époque des « barons » des médias, des « tycoons » et des « citizen kane ». Dans les années 30, Hachette était désignée par le terme de « pieuvre verte », l'opinion des années 60 parlait du « Trust Prouvost » et de « l'Empire Hersant » dans les années 80.
Alexandre Ledru-Rollin, député à l'Assemblée Nationale, s'écrie le 7 août 1848 : « Voulez-vous créer au profit de quelques habiletés industrielles d'irrésistibles instruments de domination qui livreront à quatre ou cinq directeurs de journaux les idées, l'honneur, la moralité de la France ? » Anatole France, écrit en 1908 dans L'île aux Pingouins , que « la France est soumise à des compagnies financières qui disposent des richesses du pays et, par les moyens d'une presse achetée, dirige l'opinion. ». En 1881, Charles Floquet, lors du débat sur la liberté de la presse, dit : « Si vous examinez la presse actuelle que voyez-vous ? Vous voyez des grandes organisations financières installées pour accaparer la pensée humaine, la pensée politique ! ».
La question ancienne de la concentration des médias renvoie au débat sur l'existence de la pensée unique, du monopole de l'information et du contrôle de l'opinion par l'intermédiaire des médias. Nous savons pourtant que ce n'est pas le cas même si de nombreux journalistes et hommes politiques pensent que les médias façonnent l'opinion. Les résultats du référendum sur la Constitution européenne l'ont démontré à nouveau, mais nous en avions déjà eu la preuve. En 1981, François Mitterrand est élu Président de la République alors que les médias audiovisuels dépendaient entièrement de l'Etat et que la majeure partie de presse était de droite. En 1936, le Front populaire de Léon Blum a également été élu en dépit d'une presse majoritairement ancrée à droite. Les médias ne font donc pas l'opinion.
Par ailleurs, il n'existe pas de concentration des médias en France. La tendance depuis vingt ans est au contraire à la déconcentration. Jusqu'en 1981, les médias appartenaient presque entièrement à l'Etat. Depuis les lois de 1982 et de 1986, un nombre considérable de nouveaux entrants ont contribué à l'émiettement du paysage audiovisuel et radiophonique.
Les « barons » médiatiques actuels, Bouygues, Dassault, Bernard Arnault et François Pinault, ne sont que des nouveaux arrivants. D'autre part, les importants regroupements qui ont été réalisés, notamment le groupe Hersant, sont en train d'éclater comme en témoignent les exemples de France Antilles, de la SOCPRESSE et de la CEP Communication.
Des nouveaux acteurs entrent sur le marché et y occupent désormais une place prépondérante tel le premier groupe mondial de médias Bertelsmann, ex æquo avec le groupe Murdoch, qui réalise 20 milliards d'euros de chiffre d'affaires tandis que le premier groupe français, Lagardère, n'en totalise que 9 milliards. Les groupes de médias français sont très faiblement concentrés étant données les réformes de la Libération. A cette époque, un débat politique sur la presse est survenu et le célèbre Cahier Bleu était alors destiné à lutter contre l'influence des puissances financières sur les médias et l'opinion publique.
M. Philippe Ballard
Selon vous l'émiettement actuel du marché français est-il une conséquence positive ou négative de la réglementation française ?
M. Patrick Eveno
La réglementation est à double tranchant. D'une part, la réglementation audiovisuelle est bien plus contraignante que dans la plupart des pays européens afin d'éviter les dérives, notamment en matière de publicité et dans le financement des oeuvres de fiction. Or les systèmes corporatifs pour la presse écrite et réglementaire pour l'audiovisuel sont figés depuis la Libération pour la presse et la radio et les années 1980 pour la télévision. Néanmoins, les barrières législatives aux concentrations sont contournées par les groupes européens à cause du marché unique, ce qui explique que Bertelsmann n'a pas eu de difficulté à s'approprier le groupe RTL et donc M6.
Le problème est que la réglementation résulte d'un ensemble de lobbyings corporatistes typiquement français pour maintenir le pouvoir en place contre la menace de la concurrence.
M. Philippe Ballard
Monsieur Marc Tessier, partagez-vous cet avis selon lequel nous connaissons plutôt un phénomène d'émiettement du marché des médias ?
M. Marc Tessier, président de France Télévisions
Une réglementation spécifique est nécessaire pour préserver le pluralisme, mais la rapidité des évolutions techniques et commerciales nous donne le sentiment que la législation accusera toujours un retard dans le domaine des médias. Il serait difficile de bâtir un dispositif législatif de régulation permanente des concentrations.
Ces dernières années, de nombreuses lois sont entrées en vigueur. Elles ont généralement suivi une innovation technologique. Par ailleurs, nous ne disposons pas d'organismes régulateurs stables et nous sommes encore en attente des décrets qui renforceront les pouvoirs du Conseil supérieur de l'audiovisuel.
Nous ne sommes plus depuis quelques mois dans une phase de surconcentration. Le lancement de la TNT, l'arrivée de nouveaux opérateurs notamment de télécoms, l'ADSL permettent désormais l'entrée de nouveaux acteurs sur le marché contrairement à la technologie analogique et les initiatives prises sur le satellite.
Je crois qu'un système de régulation efficace des phénomènes de concentration est désormais nécessaire pour éviter de voter des nouveaux textes à chaque évolution technologique. Je suis donc en attente des textes qui donneront ce rôle au CSA. Nous devrons également veiller cette fois à éviter la concentration verticale dont nous avons tant souffert pour les chaînes de satellite ne se reproduise pas pour les opérateurs télécoms. Enfin, je suis partisan du maintien d'un système de régulation de la concentration entre producteurs et diffuseurs, mais j'estime qu'il devrait être simplifié.
Je ne connais pas les perspectives économiques des nouveaux entrants du secteur de l'audiovisuel, mais je pense que nous devrions d'ores et déjà arrêter des principes pour réguler la place de ces nouveaux entrants sur le marché, notamment dans le domaine de la TNT et de tous les services qui se développeront sur la base de la technologie ADSL. Nous devons éviter que les acteurs qui sont déjà en position dominante en prennent le monopole.
M. Philippe Ballard
Ne souhaitez-vous pas plus de souplesse de la part de la législation ?
M. Marc Tessier
Par définition, un système de régulation est souple puisqu'il n'a pas besoin de recourir à l'appareil législatif pour s'adapter.
M. Philippe Ballard
Monsieur Jean-Pierre Paoli, dans ce contexte de concentration, votre groupe très puissant est parfois dénoncé. Que répondriez-vous à vos détracteurs ?
M. Jean-Pierre Paoli, directeur délégué auprès de la présidence de TF1
Nous nous situons plutôt dans un processus d'élargissement de l'offre, du moins dans le secteur de l'audiovisuel, plutôt que de concentration. La mise en place de la TNT permet la diffusion non cryptée de 17 chaînes. De plus, des chaînes payantes supplémentaires seront accessibles bientôt. Objectivement, l'arrivée de nouveaux groupes et acteurs et l'accroissement de l'offre audiovisuelle ne permettent pas de parler de concentration.
Par ailleurs, la TNT n'est que l'achèvement de ce processus d'élargissement de l'offre audiovisuelle. Il a été amorcé avec le câble et le satellite, soit un ensemble de 150 chaînes en concurrence exacerbée.
A mon avis, le système audiovisuel français souffre plutôt d'un sous-financement structurel dans les secteurs public et privé et d'une réglementation excessive. La conjonction de ces deux facteurs provoque une insuffisance de la production, ainsi que le dénoncent à juste titre les représentants des producteurs, et un sous-emploi dans ce secteur.
Le système français date principalement de la loi Léotard de 1986. Celui-ci est adapté à la situation de l'époque où n'existaient que quatre ou cinq chaînes hertziennes. Il ne correspond pas à la situation actuelle de prolifération de l'offre et de la technologie numérique. En outre, il est fragmentaire car il ne concerne que les chaînes hertziennes analogiques et ignore les puissants groupes de télécommunications tels que Belgacom ou Télécom Italia qui interviennent dans la sphère audiovisuelle. Il n'inclut pas non plus la presse magazine dans les seuils de concentration et ne concerne que la presse quotidienne. En outre, le système s'applique aux diffuseurs qui interviendraient dans la production, mais la réciproque n'est pas valable ; ainsi il ne concerne pas les groupes de production qui interviennent dans la diffusion. Enfin, il exempte complètement le secteur public de toute contrainte en matière de concentration. En revanche, ce dispositif s'est essentiellement concentré sur les diffuseurs hertziens privés qui cumulent presque toutes les contraintes et les quotas.
De plus, se superposent à la loi de 1986 d'autres législations telles que la jurisprudence du Conseil constitutionnel sur le pluralisme, transposée de la presse écrite à la télévision par une décision de 1994. Nous pouvons y ajouter les règles spécifiques de séparation qui interdisent aux diffuseurs de se développer dans le secteur de la production et la doctrine du Conseil de la concurrence, relayée par les instances européennes de Bruxelles, qui définit la position dominante de certains opérateurs et la sanction éventuelle de ses abus.
Toutes ces contraintes ne visent à leur tour que les acteurs de la télévision hertzienne classique et leur interdisent tout développement vertical, horizontal ou par diversification. Ces principes sont anachroniques et obsolètes. Nous devons les remanier et arrêter de légiférer selon des fantasmes hérités du passé. Il est temps de savoir ce que nous souhaitons réellement. Il me semble que la France souhaite défendre son exception culturelle, elle a besoin de groupes de communication puissants pour le faire et elle n'en dispose pas. Je ne pense pas que des groupes tels que celui de M. Murdoch qui contrôle 40 % de la presse quotidienne et qui est le premier groupe de télévision en Angleterre empêche l'Angleterre de disposer d'une presse pluraliste et prospère. Finalement, les principaux opérateurs français, le groupe Hersant, la Compagnie générale des eaux et Vivendi ne font pas partie des géants de la communication.
Il est donc grand temps que nous nous interrogions sur la conduite à tenir si notre pays veut réellement défendre son exception culturelle, sachant que ce ne sont pas les groupes étrangers qui le feront.
M. Philippe Ballard
Monsieur Nicolas de Tavernost, pensez-vous que le dispositif existant contre la concentration est adapté ?
M. Nicolas de Tavernost, président du directoire de M6
Je voudrais faire quelques remarques préalables.
Le marché de la télévision non payante a la particularité de ne présenter qu'une très faible élasticité à l'offre. Les spectateurs regardent la télévision selon leur rythme de vie et non le nombre de chaînes. Par conséquent, la répartition des parts de marché dépend est largement influencée par le nombre des acteurs.
Par ailleurs, les autres pays d'Europe de l'Ouest détiennent habituellement deux ou trois opérateurs privés et un opérateur public. En France, la situation est particulière et elle n'est pas due au manque de législation anticoncurrentielle. Pour ma part, j'ai recherché sans succès pendant 18 mois et malgré les vifs encouragements du CSA un actionnaire français pour reprendre 49 % du capital de M6. Nous avons une incapacité économique à développer des grands groupes. Je pense à ce titre que l'incident de Vivendi Universal ne relevait pas d'une lacune de la loi mais d'une erreur de management et de gestion. Je souhaite donc que des lois économiques soient mises en place pour permettre le développement de grands groupes français.
En outre, nous souffrons d'un excès de concentration dans le domaine public. Je pense que le service public dispose d'un nombre de chaînes trop important et qu'il devrait se recentrer sur France 2 et France 3. Or l'ensemble de ces chaînes, comme le prouve le cas de la TNT, nécessitera un financement de plus en plus élevé. Je redoute qu'à terme une importante chaîne publique ne soit privatisée et déstabilise l'ensemble du système audiovisuel.
Je ne pense donc pas qu'il existe de concentration dans le secteur privé. A l'inverse, elle est très forte dans le domaine public et nous ne voulons pas payer pour ce que certains considèrent encore comme le « péché originel » de la privatisation de TF1. Je trouve que la règle allemande qui limite les acquisitions de chaînes, quel que soit leur nombre, à 25 % de l'audience cumulée est très pertinente. Je suis en faveur d'une réglementation différenciée.
Les groupes français souffrent d'un manque d'intégration. Je suis surpris de constater que nous commettons de graves erreurs dans le domaine de l'intégration entre la production et la diffusion. Il est communément admis que les nombreux diffuseurs ne doivent pas dicter leur loi économique à la création. Néanmoins, l'importance des commandes est la seule loi économique importante ; et tous les pays ayant développé une importante industrie audiovisuelle admettent les facteurs d'intégration. Les grands réseaux américains sont puissants également parce que leur production plaît au public international ; parmi eux, les studios les plus performants sont justement ceux qui réunissent producteurs et diffuseurs tels que Fox, Universal et Paramount-CBS. Le seul studio qui connaît des difficultés est Sony-Columbia parce qu'il a investi dans le matériel plutôt que la production et qu'il ne crée pas assez de synergies.
Il est donc urgent d'assouplir les règles et nous déplorons de ne pouvoir investir dans les maisons de production qui nous le demandent parce qu'elles ne disposent pas de fonds propres, ni par conséquent de commandes durables. Nous devons donc travailler en commun et avec bon sens pour améliorer la flexibilité de la loi.
Enfin, nous ne devons pas nous tromper de combat. La réelle concentration viendra du secteur des télécommunications. L'un des signaux précurseurs de ce phénomène émane de Belgacom, le groupe belge de télécommunications, qui a racheté les droits de retransmission des matchs de football. Etant données les inégalités de cash flow entre ces groupes et les chaînes privées, il sera difficile de faire face à la concurrence. Nous ne pensons pas qu'il soit juste que les abonnés du fixe en paient le prix et si cette situation venait à se produire en France, nous déposerions immédiatement un recours.
Au sujet des nouveaux entrants, dont la plupart ont d'ailleurs revendu leur licence, je préfère que la chaîne M6 soit considérée comme européenne plutôt qu'allemande. En effet, le groupe Bertelsmann ne dispose que de 34 % du droit de vote et la Radio RTL a toujours été pluraliste et objective bien qu'intégralement propriété du groupe allemand. Il ne faut pas confondre les propriétaires et les dirigeants de notre chaîne. A ce titre, je préserve la spécificité française de la chaîne au sein du Conseil de Surveillance Directoire bien qu'elle soit détenue à 49 % par un groupe allemand.
M. Philippe Ballard
Madame Catherine Tasca, nous avons désormais l'impression que les chaînes privées ont évolué du statut de prédateur, dans les années 1980, à celui de proie éventuelle actuellement. Qu'en pensez-vous ?
Mme Catherine Tasca, sénateur des Yvelines
La logique d'entreprise et l'intérêt général ne doivent pas s'affronter, mais ils doivent cohabiter. C'est le but de notre démarche, malgré ses maladresses et ses résultats parfois inégaux, depuis plusieurs années et depuis que la communication est devenue un champ d'activité économique considérable.
Nous avons entendu des discours paradoxaux au sujet de la concentration. Il a été souligné que ce phénomène existait, du moins dans le secteur de la presse écrite, mais qu'il était sans conséquences sur l'indépendance de celle-ci. Pour ma part, je pense que ce constat mérite un examen plus approfondi et que nous devrions également nous interroger en ces termes pour les secteurs audiovisuel et radiophonique. Notre pays ne dispose pas des moyens adéquats pour établir un état des lieux efficace de la concentration dans le domaine des médias. Je ne crois pas que le nombre d'acteurs présents suffise à garantir le pluralisme d'un média, nous devons également veiller aux liens éventuels que ces acteurs établiraient dans d'autres domaines d'activités et à leur politique éditoriale. Nous ne sommes donc non plus en mesure d'établir un constat objectif des effets de la concentration sur le contenu médiatique.
Les entrepreneurs de l'industrie médiatique française maîtrisent sans nul doute la logique d'entreprise. A ce propos, leurs résultats financiers, notamment ceux de TF1 et de M6, prouvent qu'ils ne sont pas écrasés par la législation existante, et je m'en réjouis. Néanmoins, au-delà de la logique d'entreprise, l'intérêt général devrait être prédominant ; une réflexion sur l'impact de l'activité de nos médias sur les contenus éditoriaux et la culture de notre pays devrait nous unir.
Les médias ont indéniablement une influence sur la culture de notre pays, dans le sens large du terme. Je conviens qu'il ne s'agit pas forcément de manipulation de l'opinion ni de production de comportement politique. Néanmoins, je suis convaincue que l'ensemble des médias agit fondamentalement sur les comportements culturels et que nous devons envisager la réglementation à partir de ce constat.
Les réglementations sont, effectivement, largement inspirées par le paysage hertzien du milieu des années 80. A ce titre, elles ne correspondent qu'à une part restreinte de l'offre audiovisuelle actuelle et à venir. Nous devons donc réfléchir à l'évolution de l'ensemble du cadre législatif et réglementaire. Néanmoins, je persiste à croire que si nous considérons également le poids culturel des groupes de médias en sus de leur viabilité économique, nous ne pouvons que convenir qu'une législation et une régulation sont nécessaires dans l'intérêt général. Je me réjouirais qu'une régulation autonome puisse aboutir à une coresponsabilité des acteurs et du législateur. Or nous en sommes loin.
Par ailleurs, si nous admettons un véritable impact culturel des médias sur le comportement de nos concitoyens, je ne conçois pas qu'il soit possible de se plaindre du développement du service public audiovisuel, quand il n'étouffe pas le secteur privé.
M. Philippe Ballard
Considérez-vous donc que le service public audiovisuel octroie plus de place à la culture et au pluralisme ?
Mme Catherine Tasca
Indépendamment de toute comparaison avec le secteur privé, je pense que la culture doit être partie intégrante d'une offre diversifiée et pluraliste. Cela relève de la responsabilité des pouvoirs publics dans une démocratie. Je ne souhaite pas établir de hiérarchie qualitative entre les contenus des médias publics et privés, mais il est important de souligner la réussite du service public radiophonique dans ce domaine. Quoi qu'il en soit, les pouvoirs publics dans un état démocratique se doivent d'assumer cette responsabilité, d'autant plus que le volume médiatique absorbé quotidiennement par nos concitoyens est considérable.
M. Marc Tessier
Dans cinq années, le paysage analogique sera totalement désuet. Le législateur a autorisé les opérateurs privés à contrôler sept canaux numériques, après validation du Conseil. Le choix des chaînes payantes relevait de la responsabilité de ces groupes audiovisuels privés ; ils rencontrent dorénavant des difficultés à trouver des canaux de diffusions non cryptés. La place de la télévision publique dans ce nouveau paysage sera restreinte contrairement à ce qui a été affirmé. Il convient d'adapter l'offre aux nouveaux modes de consommation audiovisuelle et non de créer des chaînes sans réflexion stratégique préalable.
Par ailleurs, le législateur ne saurait raisonner de la même manière à l'égard d'un groupe détenant 56 % du marché publicitaire audiovisuel qu'envers celui qui n'en détient que 20 %, tout comme il raisonnerait différemment dans un contexte où quatre groupes détiennent chacun 25 %. Il est normal que toute instance de régulation intervienne dans un pays développé.
Concernant la menace des groupes étrangers, je regrette, en tant qu'ancien dirigeant de Canal Plus International, que des groupes qui ont détenu des positions très fortes sur le marché publicitaire audiovisuel n'en aient pas profité pour devenir des groupes européens. S'il n'était pas possible de se développer sur le marché français de 62 millions d'habitants, peut-être l'était-il sur un marché européen de 450 millions d'habitants. Le législateur a raison de préciser qu'un groupe atteignant 56 % des recettes est arrivé à saturation du marché publicitaire et de l'inciter à conquérir d'autres marchés.
M. Jean-Pierre Elkabbach, directeur général d'Europe 1
Nous avons entendu des prises de positions combatives qui traduisent des intérêts et des idéologies contradictoires ainsi que des inquiétudes. Mais les intervenants se rejoignent pour décrire un système audiovisuel obsolescent, trop contraint par la réglementation, en manque de financement et qui est en train de paupériser la création et les acteurs de la culture. Il appartient donc aux pouvoirs exécutif et législatif de trouver des solutions pour rattraper le retard du marché français.
La concentration n'est-elle pas un débat typiquement français ? Il n'existe pas de grands groupes de médias français sur des continents étrangers parce qu'ils ne sont pas assez forts pour relever les défis de la mondialisation et conquérir des marchés internationaux. La dénonciation d'une concentration excessive relève à mon sens, d'une attitude défensive et d'une vision étriquée très hexagonale du marché audiovisuel. Il me semble que la France souffre d'un manque de taille, de moyens, de stratégies et de convictions. Dès que des groupes affirment une certaine ambition, ils provoquent les soupçons et sont dès lors entravés dans leur évolution. A l'heure où les frontières tombent sous le coup de l'OMC et le monde devient un vaste marché, la France ne doit pas céder à la tentation du repli. Même si nous nous plaignons de la concentration, force est de reconnaître qu'il n'existe aucun groupe français de réelle envergure internationale.
Les rares cas de groupes dynamiques sont cantonnés à des niches, telles que celles de la musique ou du sport, et aux frontières de l'Europe. Hormis de rares exceptions, les groupes français ne s'exportent pas ; peut-être est-ce parce qu'ils ne sont pas assez concentrés pour affronter les défis de la mondialisation. Nous pouvons certes dénoncer les excès de la concentration, mais il semble que nous n'en sommes pas à ce stade et que l'éclatement du marché est plutôt la tendance dominante. La concentration maîtrisée et régulée qui n'asphyxie pas les acteurs du marché doit être notre but.
La presse écrite et audiovisuelle doit éviter la délocalisation de ses lecteurs. Ces derniers ne lisent plus autant et s'orientent désormais vers des journaux gratuits ou étrangers et des newsletters ou des blogs . Nous devons donc opérer une véritable reconquête du lectorat.
Concernant l'indépendance des médias, nous avons définitivement proscrit l'époque, réelle ou imaginaire, de la mainmise des pouvoirs publics sur les médias.
Le morcellement est la tendance dominante du marché radiophonique. Nous détenons depuis les années 1980 le record de 1 200 stations de radios sur nos bandes. Parallèlement à l'offre très diversifiée du service public, il existe des groupes de radios dont la santé est excellente tels que NRJ, RMC, RTL et Europe 1. Nous sommes donc loin de la concentration dans le domaine radiophonique. Le dispositif réglementaire, qui plafonne l'audience des radios à 150 millions d'auditeurs potentiels par groupe, est contraignant et dissuasif. Il conviendrait de le faire évoluer en collaboration avec les acteurs du marché, notamment en ce contexte de numérisation de la radio.
Concernant les contenus éditoriaux, Mme Tasca est un membre actif du Conseil d'Administration de Public Sénat. Cette chaîne est encore modeste, mais elle est extrêmement ambitieuse dans un domaine souvent décrié, la politique. La progression lente mais sûre de la chaîne parlementaire rassure sur le bien-fondé de la volonté politique qui a été à son origine. Elle rassemble actuellement environ 700 000 spectateurs par semaine, soit la moitié de l'audience d'I-Télévision ou le tiers de celle de LCI. Des perspectives de contenus résolument alternatifs et diversifiés existent donc bel et bien.
M. Philippe Ballard
Comment expliquez-vous le fait que les groupes de médias français n'aient pas de développement international ? Est-ce un manque de volonté ou de moyens ?
M. Jean-Pierre Elkabbach
A ce propos, je me réjouis que le groupe Lagardère soit le premier groupe mondial de presse magazine avec Hachette. Il est également présent dans le domaine radiophonique et dans différents pays d'Europe. Le CSA lui a attribué trois nouvelles chaînes, dont une qui sera consacrée à la jeunesse. Par ailleurs, je tiens à saluer la diversification réussie de TF1, et du groupe Bouygues, avec Eurosport qui connaît un franc succès en Europe. Néanmoins, il est vrai que de tels exemples restent rares.
M. Patrick Eveno
La décision de créer ou d'attribuer une chaîne a toujours été plus ou moins politique en France. Or il est communément admis dans notre pays que les médias contrôlent l'opinion. Par conséquent, les groupes français sont façonnés dans la limite d'une perspective hexagonale. La seule tentative, celle de Canal Plus, s'est soldée par une catastrophe.
M. Jean-Pierre Elkabbach
Il s'agit plutôt d'une erreur de management dans le cas de Canal Plus, un autre modèle de développement aurait dû s'imposer. L'idée à l'origine de la création de la chaîne, telle que M. André Rousselet l'a conçue, était magnifique. La mauvaise tournure des événements n'est pas du fait des pouvoirs politiques mais du management !
M. Patrick Eveno
J'en conviens tout à fait.
Exception faite du développement international d'Hachette, les groupes de médias français n'ont pas su sortir des limites de leurs secteurs et de la France. Ce problème est typiquement français et il est dû à une vision particulière des médias par le monde politique.
M. Jean-Pierre Paoli
Pour répondre à M. Marc Tessier concernant la position dominante de TF1 sur le marché publicitaire audiovisuel, je dirais que ce marché est très sous-développé en France. Seul 0,6 % du PNB est investi en publicité, ce chiffre est deux fois supérieur en Angleterre et il est sans commune mesure en Allemagne. TF1 a certes une position forte mais sur un marché étroit. Lorsque nous comparons son chiffre d'affaires à celui des principaux acteurs européens, nous nous apercevons que TF1 est loin d'être un opérateur dominant. Nous ne nous développons pas à l'étranger pour la simple raison que nous ne disposons pas du cash flow nécessaire pour le faire contrairement à Bertelsmann ou au Groupe Murdoch.
Par ailleurs, en hertzien, nous ne disposons que d'un nombre limité d'autorisations de chaînes contrairement à France Télévisions qui ne se voit pas imposer le seuil maximum de 7 chaînes. Par ailleurs, lorsque nos chaînes numériques hertziennes atteindront le seuil de 2,5 % de part d'audience, nous ne pourrons plus détenir au-delà de 49 % du capital de ces chaînes. Cette restriction est la preuve flagrante de l'inadaptation de la législation, que nous devons absolument changer. Je précise à ce propos que nous ne détenons pas sept autorisations mais seulement six et que nous partageons des chaînes avec d'autres opérateurs. En réalité, nous ne contrôlons intégralement que trois chaînes : TF1, LCI et Eurosport.
Finalement, nous subissons les limitations législatives auxquelles s'ajoutent les restrictions du Conseil constitutionnel sur le pluralisme, du Conseil de la concurrence et du CSA. Néanmoins, nous n'en sommes pas moins présents à l'étranger puisque nous détenons avec Eurosport la seule chaîne réellement européenne. Elle est diffusée en 18 langues différentes, dans 55 pays, soit plus de 100 millions de foyers. Il s'agit d'une vraie réussite française à l'international.
M. Nicolas de Tavernost
J'aimerais comprendre pourquoi les groupes français ne sont pas davantage présents à l'international. J'ai la chance d'appartenir au seul groupe privé européen de télévision, RTL Group, présent en Angleterre, Belgique, en Hollande, en Allemagne, en France, en Espagne, en Croatie, en Hongrie. Je représente le groupe en Espagne. Son développement international s'est construit au cours des quinze dernières années. Les raisons de ce développement ne tiennent pas au cash flow puisque le groupe a même dû vendre la chaîne RTL 9 à M. Berda, un autre acteur français.
Plusieurs raisons expliquent qu'un développement similaire n'a pas eu lieu parmi les groupes français. D'une part, des erreurs de gestion ont été commises, notamment lors des choix d'investissements. Les entreprises privées ne sont pas infaillibles. D'autre part, certains Etats européens n'hésitent pas à accompagner le développement de leurs groupes politiques et aider leur implantation internationale, contrairement à la France.
En outre, il existe une frontière claire entre les secteurs public et privé dans les pays voisins. Or parfois, en France, le secteur public n'est pas à sa place dans l'économie mixte. Je déplore que les deux secteurs soient mêlés dans des missions d'intérêt général. Les deux exemples actuels les plus éloquents sont la CII, à laquelle nous avons refusé de participer, et Gulliver. Le secteur public prend parfois la place de celui du privé ; cette substitution est inutile même lorsque le domaine public remplit correctement les attributions du privé. En radio par exemple, la station Mouv' ne répond pas à un déficit de l'offre pour un public jeune. Or elle est financée par la redevance publique et elle bénéficie d'un meilleur réseau et de meilleures infrastructures.
L'exemple de TPS est également assez révélateur. Le service public s'y est introduit alors qu'il ne relevait pas de ses prérogatives. Les actionnaires privés ont pris le risque d'une faillite en investissant dans la plateforme numérique satellitaire TPS. Or la loi impose d'accepter, sans contrepartie financière, les chaînes publiques au nom de l'intérêt général, alors que ce sont les groupes privés qui ont investi pour le développement TPS et qu'il ne s'agit pas du domaine hertzien.
Je ne comprends pas pourquoi nous sommes en outre tenus d'accepter également l'arrivée des groupes privés n'ayant pas fait le choix d'investir dans des plateformes numériques. En conclusion, nous sommes tenus d'accorder les meilleures places aux chaînes publiques et d'accepter la concurrence d'autres chaînes privées.
Si nous voulons réussir à investir en Europe, il serait temps de soutenir efficacement les groupes privés.
Mme Catherine Tasca
Il est faux d'affirmer que les groupes français n'exportent pas parce qu'ils sont de taille trop modeste. Au contraire, ils restent modestes justement parce qu'ils n'exportent pas.
M. Marc Tessier
M. Nicolas de Tavernost voudrait que le service public reste figé tandis que notre environnement, le secteur privé et les modes de consommation télévisuelle sont en constante évolution. Or les services publics des autres pays européens évoluent également. La télévision publique française est probablement celle qui détient le moins de chaînes tandis que la BBC a développé un nombre considérable de chaînes thématiques.
M. Nicolas de Tavernost
La BBC licencie considérablement à l'heure actuelle !
M. Marc Tessier
Des sociétés privées l'ont aussi fait. Le service public n'est pas à l'abri des erreurs de gestion et je vous rappelle que le groupe Bertelsmann en a fait aussi !
En outre, le service public allemand a également développé plus de chaînes thématiques que la France.
Par ailleurs, je vous rappelle que TF1 et M6 étaient satisfaits de leur partenariat avec France Télévisions pour l'opération strictement commerciale de lancement d'une plateforme numérique. Vous devez rester cohérent maintenant que nous appliquons la même stratégie avec d'autres groupes privés que les vôtres ! Si vous étiez si opposé à un partenariat entre le public et le privé, pourquoi l'avez-vous donc accepté ?
M. Nicolas de Tavernost
Nous l'avons accepté parce que vous nous donniez l'exclusivité de vos chaînes, ce qui nous permettait de développer les nôtres. Il n'en demeure pas moins que je suis contre le principe du mélange entre les secteurs privé et public pour des missions d'intérêt général !
Mme Catherine Tasca
Je pense que ce débat entre public et privé est très hexagonal et que nous le vivons de façon caricaturale. La vraie question est de savoir comment développer globalement notre système de communication. Je suis convaincue que le domaine public a un rôle à jouer dans ce développement, ce qui ne signifie pas qu'il doive nuire au domaine privé ou inversement.
En ce sens, il n'est pas cohérent de limiter les interventions du secteur public alors que le monde entier est en recherche de nouvelles pistes de développement de la communication.
Pour reprendre l'exemple de M. Jean-Pierre Elkabbach, nous aurions pu penser qu'il n'était pas nécessaire de créer la chaîne parlementaire, étant donnée l'importance des chaînes publiques. Pourtant, cet ajout était indispensable et nous aurions pu attendre longtemps que les autres chaînes se chargent du thème de la vie politique et démocratique. Je considère que le développement de cette chaîne, véritable fenêtre sur la vie politique et citoyenne, est une bouffée d'oxygène pour le secteur public qui ne gêne pas le secteur privé. Nous pouvons espérer que l'émulation jouera son rôle et que de telles innovations en inspireront d'autres dans les grilles de programme des autres chaînes qu'elles soient publiques ou privées.
M. Nicolas de Tavernost
Il est de l'intérêt des chaînes privées actuelles qu'il existe un secteur public. Pour autant, nous pensons que les règles entre les secteurs public et privé sont actuellement inéquitables et qu'il existe des poches de monopole local. J'ai demandé l'extension de décrochages locaux dans certaines régions sans succès tandis que France 3 se trouve dans de nombreuses régions en situation quasiment monopolistique. Je suis prêt à investir dans des télévisions locales pour les renforcer, mais je n'en ai pas le droit.
A force de créer des nouvelles chaînes publiques pour des missions incertaines, nous craignons que les chaînes du secteur public déjà existantes n'en souffrent. Nous ne demandons pas l'immobilisme au secteur public, mais une allocation plus efficace de ses investissements. Nous détenons en France le record du nombre de créations de chaînes publiques. Cette politique finira par fragiliser le système audiovisuel public et provoquera la privatisation d'une grande chaîne généraliste. Nous en serions d'autant plus fragilisés en tant que chaînes privées.
M. Philippe Ballard
Monsieur Serge July, en tant que Directeur de Libération , que pensez-vous de ce débat ?
M. Serge July, directeur de Libération
J'ajouterai pour ma part qu'une privatisation serait appuyée par la nécessité de créer un grand acteur international.
J'ai également quelques remarques d'ordre général à ajouter. Nous sommes un pays sous-développé en termes de régulation. La régulation a été initiée aux Etats-Unis dès les années 20 alors que nous n'avons commencé que dans les années 80. A cette époque, les pouvoirs politiques français avaient une vision des médias limitée à la presse quotidienne, et plus particulièrement concentrée sur le groupe Hersant et la « pieuvre verte ». Cette vision politique ne prenait pas en compte les évolutions technologiques, ce qui explique le retard systématique accusé par l'appareil juridique français en ce domaine. Le cas des Etats-Unis témoigne pourtant qu'il est possible d'entretenir une conception libérale du marché de la presse tout en le régulant fortement.
En outre, plutôt que la concentration, le problème fondamental de la presse française n'est-il pas plutôt celui de la sous capitalisation ? L'introduction de l'informatique à la rédaction du Washington Post a eu lieu en 1976. Notre journal a initié, relativement en avance en France, cette modernisation au milieu des années 80. Mais, nous n'avons toujours pas terminé par manque de capitaux.
Le capitalisme d'Etat et les marchés publics ont permis de développer les groupes de médias en France. Ces derniers ont ainsi pu acheter les chaînes de télévision et les radios nécessaires à leur croissance. Compte tenu de la rareté des capitaux, cette caractéristique est typique du marché français des médias et ne remet pas en cause l'indépendance de la presse.
Par ailleurs, je souligne que nous ne disposons que de groupes relativement modestes à l'échelle internationale.
Quant au service public, il est possible de remettre en cause ses choix stratégiques, il n'en demeure pas moins qu'il souffre d'un manque de financement chronique.
Le cash flow de TF1 lui permettrait de racheter une partie de la presse française, il est le plus important des médias en France. Néanmoins, les opérateurs de télécommunications le surpassent largement. Les exemples américains et belges nous donnent un aperçu du développement du marché des médias en France puisque nous sommes entrés dans l'ère de la convergence médiatique entre les différents supports médiatiques.
Concernant la question de la presse quotidienne nationale, je voudrais reprendre l'exemple du syndicat de la presse parisienne lors de la crise du cinéma dans les années 70. Un nouveau système a été mis en place au cours des années 80 ; le parc de salles a été considérablement rénové et un nouveau système de financement de la production a également été mis en place avec le CNC. En vingt ans, le cinéma français a vu son audience passer de 100 millions de spectateurs à 190 millions. Nous devrions réfléchir à un système similaire pour la presse Quotidienne française, celui des fondations.
M. Patrick Eveno
Il me semble que la réglementation française vise avant tout les contenus culturels et politiques, avec une grande méfiance des mécanismes du marché et de la concurrence.
Je voudrais citer Georges Clemenceau, lors du débat sur la liberté de la presse en 1881, qui disait : « La monarchie est morte de contraintes, la République vit de liberté. Messieurs, faites confiance à la liberté ! »
Mme Catherine Tasca
M. Serge July a affirmé que la législation était toujours en retard par rapport aux évolutions technologiques du marché, ce qui est généralement vrai. Il existe néanmoins une exception que je voudrais rappeler, celle de la TNT. Pour la première fois, un cadre législatif a été créé, par le Gouvernement de l'époque de M. Lionel Jospin, pour l'émergence de cette technologie dans le paysage audiovisuel.
DÉBAT AVEC LA SALLE
M. Philippe Bailly , Société NPA Conseil
Les règlements anti-concentration ont pour objectif d'éviter qu'un seul acteur ne puisse influencer excessivement la formation de l'opinion française et de préserver le pluralisme. Ne devons-nous pas nous attendre à une différence de traitement entre les chaînes de pur divertissement et celles d'information ?
Par ailleurs, ces règlements limitent les abus de position dominante. Ce risque ne pourrait-il pas plutôt être limité par davantage de régulation de la part des instances du CSA ou du Conseil de la Concurrence ?
Enfin, nous nous attendons à des effets pervers provoqués par les réglementations européennes. A ce titre la directive « Télévision sans Frontière », qui permettra à une chaîne conventionnée émettant de n'importe quel pays d'Europe de diffuser en France sur simple déclaration, ne provoquera-t-elle pas un biais dans la concurrence ? De nombreuses filiales de groupes américains bénéficieront de règles plus favorables que les chaînes françaises. Le législateur ne devrait-il pas en tenir compte dans le processus de révision de la directive qui surviendra à l'automne 2005 ?
M. Nicolas de Tavernost
Une chaîne émettant sur le territoire communautaire est systématiquement conventionnée sur le réseau du câble et du satellite français. Il s'agit d'une distorsion de la concurrence par rapport aux chaînes locales. Tout le système des directives européennes favorise les importations et les exportations d'Europe. La France n'ayant que très peu exporté, elle se trouve logiquement lésée par ce système.
Par ailleurs, nous devons faire attention à ne pas imposer de contraintes réglementaires trop fortes aux chaînes françaises soumises à ce statut. Pour cette raison, je suis en faveur de l'alignement de notre réglementation sur les directives européennes à quelques exceptions près en matière de production.
M. Jean-Pierre Paoli
Je rejoins l'avis de M. Bailly. Il existe deux problématiques, celle du pluralisme d'une part, et celle du marché, d'autre part. Il est tout à fait justifié qu'il existe des règles en matière de pluralisme pour les médias d'information, ce que nous ne contestons pas. Toutefois, le droit commun de la concurrence devrait s'appliquer pour le marché. Nous ne pouvons pas être soumis à toutes les règles à la fois et ces dernières doivent être simplifiées en fonction des objectifs poursuivis.
Par ailleurs, je rappelle que quatre chaînes traitant de l'information opèrent sur la TNT. Il ne me semble donc pas que le pluralisme soit réellement menacé.
Mme Ghyslaine Pierrat , conseillère en communication
Si la vocation des médias est incontestablement culturelle, il me semble qu'ils produisent également du lien social. A ce titre, je suis très surprise que vous ne nous interrogiez pas également sur le sens. Les médias doivent faire face à une crise de croissance mais également à une crise identitaire et de sens. Je regrette que vous ne nous fassiez pas part des opinions de vos journalistes à ce sujet. En effet, nous sommes à l'ère du consumérisme culturel et les journalistes doivent constamment travailler dans ce contexte d'urgence.
Par ailleurs, les médias ne produisent pas l'opinion parce que nous avons atteint une maturité informationnelle sans précédent. Il n'en demeure pas moins que les médias sont devenus des acteurs sociaux à part entière. Ils doivent donc également prendre position sur le sens culturel et ne pas systématiquement raisonner en termes d'audience !
M. Jean-Pierre Elkabbach
Vous avez également raison. Ne pensez pas que les journalistes souffrent tant de l'urgence. Les équipes de Public Sénat et d'Europe 1, que j'ai l'occasion d'observer, sont mobilisées pour communiquer l'information la plus rigoureuse et la plus pertinente qui soit. Ils ne vivent pas sous la pression commerciale pour autant. Je n'ai jamais constaté que les grands groupes propriétaires actionnaires principaux de nos chaînes interfèrent avec notre travail éditorial. Nous n'avons jamais ressenti de pression à ce niveau. Je suis convaincu que, dans les domaines public et privé, ces pressions ne peuvent survenir que si les rédactions sont faibles ou irresponsables. Or tous nos médias affirment une réelle volonté d'impartialité.
L'indépendance des médias est garantie par deux forces. La première est la déontologie des journalistes et des professionnels des médias qui tiennent à préserver leur crédibilité. En effet, le public est plus aguerri de nos jours et il ne fait nul doute que l'audience punirait tout manquement déontologique. La réalité s'impose à ceux qui ne respectent pas ces règles internes.
Plutôt que de nous complaire dans nos faiblesses, je propose d'adopter une attitude offensive en constituant des groupes forts pour s'affirmer en France et à l'étranger. Personne n'aurait pensé que les secteurs privé et public français auraient été capables de s'allier pour créer un deuxième bouquet numérique avec TPS en 1995. Nous pourrions unir nos forces avec d'autres groupes étrangers pour conquérir de nouveaux marchés, d'autant plus que des modes de diffusion nouveaux se développent.
M. Marc Tessier
Notre débat portait sur la manière dont les médias pourraient échapper à la seule logique de l'urgence. Je vous rappelle néanmoins que notre métier est également celui de la course à l'information. Les télévisions, publiques et privées, n'en occultent pas pour autant les analyses qualitatives de l'information comme en témoignent les 1 200 heures de débats et de magazines d'information récemment diffusées au sujet de la Constitution européenne.
TABLE RONDE N° 3
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LES MÉDIAS RÉGIONAUX ONT-ILS ENCORE LEUR RAISON
D'ÊTRE ? INTERNET ET LE PHÉNOMÈNE DU TOUT GRATUIT
VONT-ILS RÉVOLUTIONNER LE MODE DE CONSOMMATION DE
L'INFORMATION ?
Participent à la table ronde :
M. Rémy Pflimlin , directeur général de France 3
M. Pierre Jeantet, président directeur général de Sud Ouest
M. Pierre-Jean Bozo , président de 20 minutes
M. Philippe Gault et M. Mathieu Quetel , président et vice-président du syndicat interprofessionnel des radios et télévisions indépendantes
M. Jean-Eric de Cockborne , chef de l'unité politique de l'audiovisuel à la Commission européenne
La table ronde est présidée par M. Louis de Broissia , sénateur de la Côte d'Or et rapporteur du budget des médias au nom de la commission des affaires culturelles du Sénat, et animée par M. Philippe Ballard , journaliste à LCI.
M. Louis de Broissia, sénateur de la Côte d'Or, rapporteur du budget des médias au nom de la commission des affaires culturelles du Sénat
Mes chers collègues parlementaires, je suis très heureux de présider cette table ronde consacrée à deux aspects essentiels du phénomène de concentration, l'impact local de ce dernier et les conséquences induites par l'arrivée des supports gratuits.
Nos intervenants sont particulièrement bien placés pour nous faire partager leur vision de l'indépendance dans un secteur dominé par des groupes de plus en plus intégrés. Ils sauront nous convaincre de la raison d'être des médias régionaux, véritables garants du lien social, au sein d'une société qui en manque cruellement comme en témoigne le vote référendaire du 29 mai 2005. M. Rémy Pfimlin nous éclairera ainsi sur les conséquences d'une éventuelle multiplication des canaux locaux.
M. Pierre-Jean Bozo interviendra en tant que spécialiste des supports gratuits. Nous éprouvons en effet des difficultés à mesurer de manière quantitative l'impact de l'arrivée des journaux gratuits sur les quotidiens payants.
Du point de vue du Sénat, l'industrie du contenu éditorial, quel que soit son support médiatique, véhicule indéniablement une identité culturelle reposant sur une expression multiforme. Nous ne saurions donc faire l'économie de ce débat.
M. Philippe Ballard
M. Rémy Pflimlin, pensez-vous que dans le contexte actuel, les médias locaux ont encore une raison d'être ?
M. Rémy Pflimlin, directeur général de France 3
M. Louis de Broissia a eu raison de rappeler le besoin de lien social de nos concitoyens. Nous devons développer les médias locaux et régionaux, d'autant plus que nous nous situons dans un environnement qui évolue très rapidement. A ce titre, notre lectorat a besoin de repères pour s'inscrire en tant que citoyen acteur dans une société et une culture locales de référence, dans ce contexte de mondialisation. Il me semble qu'aujourd'hui plus que jamais le besoin du média de proximité se fait sentir, d'autant plus que ce média dispose actuellement d'opportunités sans précédent.
Premièrement, la technologie offre de nouveaux supports et moyens de communication afin d'installer un débat et une communication nouvelle. En tant que directeur de France 3, je suis favorable à l'émergence de ces nouveaux médias et d'autres acteurs qui contribueront à dynamiser le marché, et à le développer. Je suis très optimiste quant aux perspectives d'avenir de la presse régionale.
Nous devons néanmoins nous adapter à la demande et France 3 a un rôle particulier à jouer. La chaîne doit prendre en compte le fait régional comme élément de la proximité. En effet, la plupart des médias qui apparaissent ne considèrent que le fait local parce qu'il s'agit de lieus peuplés tels que les bassins urbains et que les médias ont la volonté de toucher plus particulièrement les cibles commerciales pour être rentable. France 3 en tant qu'entreprise du service public a la volonté d'être accessible à tous et de diffuser sur tout le territoire, quelle que soit la densité démographique des lieux de diffusion.
Nous désirons également prendre en compte le phénomène régional comme élément structurant de la culture, dans la définition de notre politique de contenu.
M. Philippe Ballard
A quel niveau situez-vous le média de proximité, à l'échelle de la région ou du département ?
M. Rémy Pflimlin
La notion de proximité se décline à plusieurs échelles. Le média local relève de la vie quotidienne dans un environnement familier et proche. Le niveau régional est un déterminant culturel. Les deux niveaux doivent cohabiter.
M. Philippe Ballard
La compétition locale est de plus en plus vive. Comment peut évoluer France 3 dans cette situation ?
M. Rémy Pflimlin
Je pense que notre vocation est d'abord de développer le contenu régional. Selon le plan que nous avons construit pour l'horizon 2008, nous doublerons les heures d'antenne locale et régionale diffusées. En outre, nous voulons inscrire cette offre de proximité dans le contexte d'ouverture sur le monde. Nous voulons mettre en exergue la double position du citoyen inscrit dans les réalités régionales et au fait des évènements mondiaux en lui proposant une offre d'information et de magazine de dimension locale et internationale. Ce positionnement spécifique sera celui du service public en ce contexte de concurrence forte que je trouve très stimulant.
M. Philippe Ballard
La forte mobilité de la population française ne remet-elle pas en cause l'appartenance locale ?
M. Rémy Pflimlin
Vous posez la question de la capacité de l'individu à s'inscrire dans un groupe humain ou à s'en isoler. Elle est posée également aux médias. Nous partons du postulat que les personnes s'installant dans une nouvelle région prennent également part à la vie locale, à moins qu'elles vivent en marge, et qu'il est également de notre mission de leur donner les clefs pour comprendre la culture de leur région d'accueil. Il en va de l'enjeu de la vie en communauté et du tissu social.
M. Philippe Ballard
M. Pierre Jeantet, en tant que président directeur général de Sud Ouest , le besoin de proximité s'inscrit-il également au coeur des préoccupations d'un grand quotidien comme le vôtre ?
M. Pierre Jeantet, président directeur général de Sud Ouest
Je le pense. Pour comprendre la problématique de la proximité, il convient de comprendre la nature d'une entreprise de presse régionale. Nous sommes une entreprise indépendante car notre capital est détenu par une famille fondatrice et deux sociétés de personnels. Notre contenu s'exprime sur des supports diversifiés, grâce à un réseau de collecte d'information unique aux niveaux local, départemental et régional.
Ce réseau de proximité exprime une attente d'information objective et quotidienne permettant le débat démocratique et un dialogue entre les lecteurs, les élus et les associations. Cette vertu est indispensable. Le réseau que nous faisons vivre n'aurait pas été mis en place par un autre acteur. Notre journal publie 22 éditions et emploie 250 journalistes ainsi que des milliers de correspondants. Pour être pérennes, nous devons être capables de nous adapter aux attentes de notre lectorat et de nos annonceurs. Nous nous sommes donc ouverts à Internet et à la télévision en créant une chaîne à Bordeaux.
M. Philippe Ballard
Dans combien de départements êtes-vous présents ?
M. Pierre Jeantet
Nous couvrons huit départements.
M. Philippe Ballard
A quel niveau de proximité se font ressentir ces besoins d'information ?
M. Pierre Jeantet
Les besoins d'information sont partagés par chacun. Nos éditions fournissent l'information locale, départementale, régionale, nationale, européenne et mondiale. Notre public veut être informé des événements locaux tout en étant capable de les mettre en relation avec d'autres niveaux d'information, tout comme ils attendent que des informations à une échelle plus lointaine soient analysées par des commentateurs locaux pour qu'ils en saisissent les implications dans leur vie quotidienne.
A ce titre, un journal du groupe appelé La Dordogne Libre est exclusivement constitué de nouvelles locales de Périgueux. Il a obtenu l'Etoile d'Or de l'OJD le prix de la meilleure progression de diffusion deux années de suite. Ses ventes connaissent une croissance de 2,5 % à 3 % par an, dans un contexte de crise médiatique. Son succès est dû à son prix assez bas et à l'offre d'une information locale complète pour une ville moyenne.
M. Philippe Ballard
Avez-vous également lancé une chaîne de télévision pour répondre à un besoin de proximité ou à la concurrence ?
M. Pierre Jeantet
Nous avons répondu à l'appel d'offres du CSA parce que nous sommes en mesure de traiter l'information de proximité. La télévision représente évidemment un support et un métier différents, mais les liens sont nombreux avec nos activités de presse quotidienne écrite. Par ailleurs, notre chaîne de télévision répond à un réel besoin en apportant une offre d'information de proximité complémentaire à la ville de Bordeaux, complémentaire à l'offre régionale de France 3.
M. Philippe Ballard
Disposez-vous d'une rédaction indépendante ?
M. Pierre Jeantet
La rédaction de la chaîne lui est exclusivement dédiée et elle est autonome. Sa diffusion couvre la zone « Grand Bordeaux » et le bassin d'Arcachon. Nous réunissons aujourd'hui environ 400 000 spectateurs de la population de la communauté urbaine qui comprend 700 000 habitants.
M. Philippe Ballard
Pensez-vous que les gratuits ont révolutionné la consommation d'information locale ?
M. Pierre Jeantet
Je fais partie de ceux qui s'étaient opposés à leur arrivée parce que j'estimais qu'ils n'avaient pas les mêmes contraintes. Je dois reconnaître deux années plus tard que ce support est complémentaire et qu'il répond à une attente particulière, nous nous sommes donc également engagés dans cette voie. Sur Bordeaux, il se distribue aujourd'hui autant de gratuits que nous vendons de journaux payants ce qui prouve que l'impact des gratuits sur les ventes est marginal. En effet, ils ne s'adressent pas au même public et je doute qu'un réel transfert d'audience se soit opéré des journaux payants aux gratuits. Objectivement, ces journaux n'ont pas le même format et ne traitent pas le même contenu et le même volume d'information.
M. Philippe Ballard
Pensez-vous qu'Internet puisse être un vecteur de développement pour Sud Ouest ?
M. Pierre Jeantet
Nous possédons également des journaux gratuits d'annonces qui sont rentables et que nous avons déclinés sur Internet. Nous disposons de sites-vitrines d'information et de communication avec nos lecteurs. Nous y vendons aussi de l'information sous forme d'archives. 2005 représente une année charnière puisque nous constatons pour la première fois que des sites de presse deviennent économiquement rentables.
M. Philippe Ballard
M. Jean-Pierre Bozo, les gratuits répondent-ils à un véritable phénomène socioculturel ?
M. Pierre-Jean Bozo, président de 20 Minutres
La gratuité est un faux phénomène socioculturel qui masque une réelle révolution dans la consommation de l'information de la part de nos concitoyens, surtout chez les moins de 40 ans. La gratuité n'existe pas en termes d'analyse économique puisqu'un acteur de la chaîne de création de valeur prend toujours à sa charge les coûts de production.
Par ailleurs, la gratuité dans les médias n'est pas un phénomène nouveau. A la fin des années 20, la TSF était gratuite. La télévision est un média gratuit depuis les années 60. Depuis 1995 avec le développement d'Internet, la gratuité de l'information est devenue une règle pour les jeunes générations. Cette tendance à la gratuité a été initiée depuis au moins quinze ans dans le milieu des logiciels informatiques et a atteint la musique. Elle renvoie à l'apparition de certains mouvements humanitaires dans un esprit de modernité et de démocratisation de l'accès à l'information.
Je voudrais revenir sur le discours du 13 avril dernier de M. Rupert Murdoch. J'en ai retenu pour ma part le passage suivant :
« Nous devons comprendre que les générations futures accédant aux actualités et à l'information a des attentes différentes sur la nature de l'information et sur la manière d'y accéder, les sources dont elles proviennent et ceux qui les produisent. Ce qui est en train de se produire sous nos yeux est une révolution dans la manière dont les jeunes consomment l'information. Ils ne veulent plus se fier à une figure semi-divine placée au-dessus d'eux et leur racontant ce qui est important. Ils ne veulent certainement plus d'une actualité présentée sous la forme d'une parole d'évangile. Au contraire, ils veulent une information à la demande quand cela leur convient. Ils veulent avoir le contrôle de leurs médias et non le contraire. Ils veulent pouvoir les remettre en cause, investiguer et obtenir différents points de vue. »
Nous avons élaboré le concept de 20 minutes à partir de ce genre d'analyse contrairement à certains préconçus. Nous ne sommes pas un journal au rabais, ni une pile de dépêches AFP. Nous employons des journalistes dont le nombre est aussi important que ceux des rédactions d'Europe 1 ou de RTL.
A partir d'une réflexion sur la révolution du mode de consommation médiatique, nous avons défini les quatre concepts suivants, qui sont appliqués au jour le jour dans nos formulations éditoriales.
L'information essentielle, qui correspond à notre devoir de fournir l'information minimum pour un débat citoyen et l'intégration dans la société.
L'information de service, qui répond à un besoin d'information utile ; nous fournissons des liens Internet, des numéros SMS et des coordonnées utiles clairement distincts de tout message publicitaire.
L'information locale, qui couvre environ 25 % du contenu éditorial, qu'il s'agisse d'informations générales, sportives, télévisuelles ou de loisirs.
L'information fun correspond aux pages people et séduit les 15-35 ans sans être vulgaire.
M. Philippe Ballard
Quelles sont vos innovations en termes de maîtrise du contenu ?
M. Pierre-Jean Bozo
Nous avons un style de traitement rédactionnel de l'information brute vérifiée au préalable afin de ne pas influencer le lecteur. Nous effectuons un contrôle systématique pour distinguer les faits d'opinion et l'information purement factuelle de la communication. Ainsi pour un même sujet, nous pouvons exposer les faits, rendre compte d'opinions différentes clairement, publier un verbatim , des chiffres et rappeler une perspective historique. Nous arrivons donc à obtenir cinq à six accès différents sur un même sujet, cinq articles éclairant sous des angles divers un même sujet.
M. Philippe Ballard
Cette méthodologie est déjà employée dans d'autres quotidiens.
M. Pierre-Jean Bozo
Nous le faisons de manière extrêmement concise puisque aucun de nos articles ne dépasse 800 à 1 500 signes. L'art du résumé est extrêmement difficile.
M. Philippe Ballard
En tendant vers le professionnalisme, ne risquez-vous pas de rejoindre vos concurrents payants ?
M. Pierre-Jean Bozo
Nous souffrions d'ostracisme et du mépris des journaux payants. Or notre audience de 2,3 millions lecteurs nous place après L'Equipe et nous permet d'affirmer notre place de média ciblé et leader chez le public jeune. Nos prochains défis seront de mûrir avec nos lecteurs actuels et de nous renouveler pour conquérir la prochaine génération.
M. Rémy Pflimlin
La relation entre un journal et ses lecteurs est fondée sur la confiance et la nature de l'information délivrée. M. Murdoch a une vision idéalisée de l'individu capable devant le flot de l'information de retenir celle qui lui semble la plus pertinente. Or il ne peut pas la trier et fait donc confiance à son journal pour le choix et la hiérarchisation de l'information. Préserver cette relation de confiance est un défi pour les sociétés de presse et un enjeu pour toute la société.
M. Pierre-Jean Bozo
Cet enjeu explique le travail de notre rédaction qui hiérarchise l'information de manière à créer un lien avec nos lecteurs. Selon nos études, 83 % de nos lecteurs nous ont choisi pour notre contenu éditorial et non pour notre gratuité. Par ailleurs, 70 % d'entre eux ne lisaient aucun titre avant le nôtre.
Par ailleurs, tous les grands médias français jusqu'à la Première Guerre mondiale sont nés dans la mouvance de partis politiques. Nous avons eu du mal à la Libération à enfin isoler le journalisme de la propagande politique. M. Murdoch voulait dire que les citoyens avaient besoin de prendre en main leur propre destinée.
M. Philippe Ballard
Il me semble que le SIRTI regroupe environ 120 radios.
M. Philippe Gault, président du SIRTI
Nous comprenons presque toutes les radios locales et régionales du secteur professionnel et à thématique indépendante.
M. Philippe Ballard
La proximité est donc votre raison d'être.
M. Philippe Gault
La radio est un puissant lien social. Environ 85 % des habitants âgés de plus de 13 ans ont écouté la radio au cours des dernières 24 heures, avec une audience moyenne de trois heures par jour. La radio souffre d'un manque de support visuel lorsqu'elle traite des questions politiques, télévisuelles ou de presse. Pour cette raison, nous n'intégrons pas totalement le paysage audiovisuel ou de presse et les radios sont souvent laissées pour compte dans la réflexion du législateur ainsi qu'en témoigne la directive TSF.
Le secteur des radios indépendantes est pourtant le résultat d'une aventure formidable initiée, il y a 25 ans. A cette époque, un secteur entier du paysage radiophonique, auparavant monopôle presque exclusif de l'état, a été ouvert. Cette ouverture a créé beaucoup de dynamisme. Parallèlement aux tendances à la concentration, le paysage radiophonique a toujours eu une capacité à l'expansion, ce qui explique l'intérêt du public. L'audience et la durée d'écoute du média radiophonique sont très élevées ; en outre, la pénétration des programmes locaux est très forte comme en témoigne l'exemple de Lyon où 35 % des habitants écoutent les radios de programme locaux chaque jour.
M. Philippe Ballard
Quel est le programme de ces radios locales ?
M. Philippe Gault
Nous sommes définis par le législateur comme des radios indépendantes locales, régionales et thématiques. Il isole ainsi les radios nationales d'un paysage des radios de la diversité qui regroupe des stations locales régionales, multirégionales ou thématiques émettant dans plusieurs agglomérations.
La dimension de proximité s'exprime dans l'ensemble du contenu éditorial d'une radio. La musique y occupe souvent une part importante d'antenne car sa diffusion est peu coûteuse ; néanmoins, les programmateurs musicaux connaissent les attentes spécifiques de leur public régional. Les autres contenus éditoriaux réunissent l'information présentée par des journalistes professionnels, au nombre de 250 parmi les 2 000 employés que compte notre secteur, le jeu, les magazines. Tous ces contenus affirment la proximité et créent un lien social spécifique. Dans plusieurs régions, les radios indépendantes arrivent en tête des choix des auditeurs, ce qui est révélateur de leur succès.
M. Philippe Ballard
Ce succès signifie également que les radios indépendantes s'appuient sur un modèle économique pérenne, quel est-il ?
M. Philippe Gault
Le plus difficile a été de le trouver et d'affronter la concurrence des autres grandes stations. Les effectifs de salariés varient de six personnes à plus d'une centaine. Nous avons dû construire un modèle adaptable à toutes les particularités.
Nous étions à l'origine tous des stations de radios associatives, ce qui signifie que nous n'avions aucune charge et que nous ne nous rémunérions pas. Puis, nous avons développé la publicité locale sur nos antennes. A ce moment, nous avons dû faire face à la concurrence des réseaux nationaux dont les programmes étaient déjà financés par le satellite. Il ne leur restait plus qu'à commercialiser la publicité locale sans prix minimum. Nous avons donc perdu une importante source de financement, mais nous avons néanmoins continué à diffuser de la publicité locale en cohérence avec nos programmes. Pour assurer notre survie, nous avons constitué, il y a douze ans, le Groupement d'Intérêt Economique des indépendants, qui regroupe aujourd'hui plus d'une centaine de stations, soit une grande partie de nos adhérents. Ce GIE a construit une offre publicitaire hétéroclite recouvrant tout le territoire national. Ces radios se sont peu à peu professionnalisées et ont développé leur audience. Leur offre concurrence aujourd'hui celle de stations comme NRJ ou RTL en termes d'audiences.
M. Philippe Ballard
M. Pierre Jeantet, n'avez-vous jamais pensé à créer une radio locale ?
M. Pierre Jeantet
Nous avions des radios locales qui ont été progressivement absorbées par notre partenaire.
M. Philippe Ballard
Vous rejoignez donc l'avis de M. Philippe Gault.
M. Pierre Jeantet
En effet, l'exploitation d'une radio locale est un exercice très difficile. Les marchés publicitaires locaux s'intéressent aux audiences les plus fortes, ce qui laisse peu de chances aux stations locales. Par ailleurs, le secteur des radios locales a été fortement bouleversé par la mise en réseau des grands groupes qui n'étaient pas au fait des schémas culturels spécifiques.
M. Philippe Gault
La presse régionale a été un acteur important du paysage radiophonique. Néanmoins, certains titres régionaux restent associés à des radios indépendantes, ce qui est le cas d' Ouest France. Ces radios restent ainsi indépendantes à l'égard des systèmes concentrés, tels que les groupes NRJ, Europe 1 et Radio France.
La concentration des médias peut être perçue comme un danger ; néanmoins, il est important que des entreprises soient performantes si nous voulons éviter que tous les médias relèvent du service public. La difficulté est de trouver un juste équilibre entre la concentration et la santé des entreprises de médias. En ce sens, nous ne nous positionnons pas de manière caricaturale en faveur d'une taille modeste de toutes les entreprises de médias afin de préserver la diversité. Nous convenons que les entreprises doivent être de tailles différentes. A notre échelle, nous nous posons également le problème de la taille la plus adaptée et de la diversification. En ce sens, nous ne souhaitons pas que des réglementations viennent préserver la taille atteinte par les grands groupes et empêchent les plus modestes de se développer davantage et de trouver ainsi les dimensions d'une viabilité durable.
M. Philippe Ballard
Monsieur Jean-Eric de Cockborne, vous dirigez l'unité « Politique de l'audiovisuel et des médias » à la Commission européenne. Comment cette dernière peut-elle développer le pluralisme dans un tel contexte de multiplication de canaux de diffusion ?
M. Jean-Eric de Cockborne, directeur de l'Unité politique de l'audiovisuel et des médias de la Commission européenne
Il faut tout d'abord rappeler que la concentration des médias n'est pas une exception française. Ce phénomène est débattu dans tous les Etats européens, même si les situations varient considérablement d'un pays à l'autre. Nous constatons partout une évolution très rapide du secteur des médias sous l'impulsion des nouvelles technologies qui entraînent des restructurations importantes. Il est intéressant de relever que les groupes de presse qui réussissent le plus sont ceux qui ont adopté une démarche multimédia, ainsi que Bertelsmann, Pearson ou IMAP.
Dans ce contexte, nous pouvons nous demander si les médias régionaux ont encore un rôle à jouer. Ils ont une relation de proximité avec leur public qui leur confère un avantage concurrentiel incomparable. Néanmoins, ils ne doivent pas se concentrer sur un seul support étant donné que leur véritable richesse réside dans leur contenu éditorial. A ce titre, ils doivent également s'orienter vers Internet en trouvant une manière de protéger leur contenu et d'y développer des business models efficaces. Je pense notamment au système du paiement kiosque, encore peu développé, mais qui offre des possibilités intéressantes aux journaux sur Internet. La presse écrite doit absolument protéger sa propriété intellectuelle sur Internet pour éviter par exemple les pratiques de deep linking et mettre en place des systèmes de digital right management efficaces. Ceux-ci permettent de valoriser la propriété intellectuelle et de garantir le succès de nouveaux business models afin de saisir les réelles opportunités de développement que présentent les NTIC.
Il est également important qu'il existe un cadre réglementaire spécifique pour permettre le développement de ces services. A ce propos, il n'existe pas pour le moment de règles spécifiques au pluralisme des médias au niveau européen. Néanmoins, ce sujet donne lieu à de vifs débats entre le Parlement et la Commission européenne. Le Parlement européen émet régulièrement des résolutions et des demandes à la Commission. Cette dernière a produit plusieurs Livres Verts relatifs aux questions du pluralisme des médias et des services d'intérêt économique généraux. Elle y a toujours conclu qu'il n'y avait pas lieu de construire une législation spécifique européenne, pour deux raisons principales.
D'une part, les situations préoccupantes observées jusqu'alors, par exemple en Suède, en Italie et au Royaume-Uni sont essentiellement un fait national. Nous commençons à observer dans certains Etats membres, tels que la Pologne et les Pays baltes, la prise de contrôle, par des sociétés souvent américaines, de nombreux organes de presse. Néanmoins, une législation nationale serait plus appropriée pour réguler ces phénomènes.
D'autre part, le traité de Nice concerne essentiellement le champ économique. Cette situation pourrait changer si la Constitution européenne était adoptée, puisque celle-ci fait une référence spécifique au pluralisme des médias. Paradoxalement, ce texte en faveur d'une Europe plus politique et plus démocratique a été rejeté.
Il existe en revanche d'autres instruments qui ont un effet sur le pluralisme des médias : c'est le cas d'abord du droit de la concurrence, notamment du contrôle des concentrations, qui assure qu'il n'y ait pas acquisition ou abus de position dominante d'un point de vue économique. Il faut aussi mentionner la directive « Télévision sans frontière » et le programme MEDIA qui, en facilitant la circulation transfrontière de programmes européens, contribuent à l'objectif de pluralisme et de diversité culturelle.
DÉBAT AVEC LA SALLE
Intervention de la salle
Concernant la révolution du mode de consommation de l'information, ne risquons-nous pas d'assister à la mort du journalisme qui sera remplacé par des nouvelles technologies telles que les blogs ? N'est-ce pas le sens du discours de M. Murdoch lorsqu'il prévoit la fin de la presse dans 40 ans étant donné que le public sera à même de produire sa propre information ?
M. Pierre-Jean Bozo
Il s'agit en effet d'un risque. Néanmoins, l'analyse que nous avons fait du besoin d'information du public jeune français conclut en une demande accrue de sûreté des sources d'information. Or ce travail de vérification et de sincérité est indéniablement celui du journaliste. Les blogs n'offrent pas d'information toujours fiable, tandis que les journalistes s'assurent de la véracité de l'information avant de la rendre disponible à une utilisation citoyenne et que chacun puisse se faire sa propre opinion et non adhérer aveuglément à celle d'une certaine élite intellectuelle parisienne.
Même intervenant de la salle
Dans ce cas, ne pourrions-nous pas imaginer une plateforme en charge de vérifier toutes les informations en provenance des blogers ?
M. Pierre-Jean Bozo
Nous travaillons sur un support d'information électronique pour l'horizon 2008 à 2010. Le travail de vérification de l'information, y compris celle émanant des blogs si nous décidons de l'intégrer, sera fait par des journalistes professionnels. En termes d'éthique journalistique, le Code du syndicat des journalistes de 1920 et la Charte des droits et devoirs des journalistes de l'Union européenne de 1971 font partie intégrante de nos contrats de travail signés par chacun de nos journalistes. Je tiens personnellement à préserver cette éthique. Nous sommes tous des groupes ou des entreprises de taille économique modeste, néanmoins la régulation ne saurait se passer de cette éthique et peut-être nous manque-t-il en France un code de déontologie qui nous permettrait d'anticiper les problèmes que poseront les blogs prochainement.
M. Paidolo , professeur à Dauphine
Je voudrais prendre la défense de M. Murdoch. Son discours provient d'un texte intitulé Epic et écrit par des étudiants d'une école de journalisme américaine. Il relate l'histoire en partie imaginée du New York Times de 1984 à 2014. M. Murdoch, quels que soient les reproches que nous puissions lui faire, n'en demeure pas moins un entrepreneur de talent. Il détient 153 journaux qu'il ne veut pas forcément vendre mais dont il veut tirer profit. Il vise notamment une dérégulation internationale des affaires.
M. Murdoch a raison de souligner l'aspect désuet d'une certaine presse écrite. Pour ma part, certains de mes étudiants de la Sorbonne ou de Sciences Po titulaires de bac+5 à bac+7 lisent 20 minutes et consultent les informations sur les sites Internet des quotidiens. La presse française se trouve dans une situation que Schumpeter aurait qualifiée de « destruction créatrice ». Elle doit faire son deuil d'anciennes pratiques et supports et s'orienter résolument vers les NTIC. Comment la presse assurera-t-elle son avenir dans un tel contexte où les nouvelles générations se détournent de plus en plus des médias classiques ?
M. Pierre Jeantet
Il est exact que nous vivons une réelle révolution des médias avec l'arrivée des supports de NTIC dans les médias et la gratuité. A ce propos, la gratuité est dorénavant perçue comme légitime. Néanmoins, je pense que les journaux traditionnels s'y adapteront. Cependant, les efforts que nous accomplissons sont contraints par les pesanteurs sociales et réglementaires. Je constate que dans les pays voisins une transformation des médias classiques est déjà en cours.
Je ne sais pas quel arbitrage entre les médias payants et gratuits s'opérera dans le futur. Mais je redoute que l'information de contenu local ne finisse par s'éteindre. Nous ne disposerons plus que d'une communication globalisée qui s'adressera exclusivement à une population urbaine CSP +, ce qui représente une réelle menace.
Intervention de la salle
Je ne lis pas la presse française qui ne m'intéresse plus depuis une vingtaine d'années. Je me suis tournée vers la presse étrangère : je constate, surtout aux Etats-Unis, que la presse locale connaît encore beaucoup de succès.
M. Pierre Jeantet
Connaissez-vous les tendances de vente de ces médias ? Elles ne sont pas bonnes.
Intervention de la salle
Je ne les lis que sur Internet.
M. Pierre Jeantet
Vous y accédez donc gratuitement.
Intervention de la salle
Bien entendu, parce qu'Internet m'offre des services multiples bien plus intéressants, tels que les archives, le son et les images.
M. Pierre Jeantet
J'en conviens, mais ce support nécessite de trouver un équilibre économique viable à terme. Je ne suis pas sûr que nous y parvenions.
Intervention de la salle
Il est de votre ressort d'y arriver.
M. Pierre Jeantet
Je vous l'accorde. Cependant, notre succès ne relève pas seulement de la capacité de travail des journalistes ou d'autres professionnels, mais également de celle de tout le milieu de la presse qui devra faire sa propre révolution et adopter les méthodes de travail des titres gratuits et de certains magazines.
Intervention de la salle
Le phénomène de la concentration en région n'est pas nouveau. Les grands quotidiens régionaux en adoptant de nouveaux médias se protègent. Estimez-vous qu'il existe encore de la place pour des nouveaux entrants régionaux sur le modèle payant ? Comment ces groupes qui s'orientent vers une forme pluri-média protégent-ils le pluralisme au sein des régions ?
M. Pierre Jeantet
Nous sommes dans un pays de libre entreprise et tout le monde a le droit d'entrer sur ce marché. Néanmoins, il faut détenir le projet éditorial, les investissements et l'organisation adéquats. Nous avons connu récemment la création de magazines locaux, notamment à Toulouse, avec plus ou moins de succès. Ce métier n'est pas facile parce que l'investissement est important et risqué, d'autant plus que le marché est stagnant voire en érosion.
Les groupes de presse ont en effet tendance à diversifier leurs supports pour amortir leurs dépenses. Au sein du groupe Sud Ouest, nous possédons cinq quotidiens, sept hebdomadaires et plusieurs magazines. Chaque titre a ses propres règles, ses équipes et son approche éditoriale afin de préserver son indépendance. Je pense que la meilleure défense de l'indépendance et du pluralisme est celle des journalistes. Nous nous plions à des règles éthiques strictes. Une société civile des journalistes détient 10 % de notre capital depuis la Libération et cette participation a créé des habitudes ainsi que des principes que nous respectons. Nous nous sommes organisés de manière à dégager le contenu éditorial de toute pression extérieure.
Ainsi, des journaux appartenant à notre groupe sont en concurrence entre eux. Nous ne partageons que la régie publicitaire et nous veillons à ce que les équipes dédiées restent indépendantes. Il est donc possible de préserver l'indépendance et le pluralisme à l'échelle régionale en respectant des règles éthiques professionnelles. Il appartient aux rédactions elles-mêmes de veiller à leur stricte application et une législation externe n'est pas nécessaire.
TABLE RONDE N° 4
-
LES MÉDIAS DU FUTUR :
QUELS SCENARII POUR
DEMAIN ?
Participent à la table ronde :
M. Francis Beck , président du groupe de travail « nouveaux médias » au CSA
M. Pierre Bellanger , président de Skyrock
M. Loïc le Meur , directeur général Europe Six Apart et bloger
M. Pierre Louette , directeur général de l'Agence France presse
M. Antoine Duarte , directeur général de Yahoo ! France
M. Pascal Ancian , directeur de la stratégie et du plan d'Orange France
M. Francis Jaluzot , président directeur général de Sports Médias & Stratégie
M. Dominique Paillé , député des Deux-Sèvres
La table ronde est présidée par M. Jacques Valade , sénateur de la Gironde et président de la commission des affaires culturelles du Sénat, et animée par M. Philippe Ballard , journaliste à LCI.
M. Jacques Valade, sénateur de la Gironde, président de la commission des affaires culturelles du Sénat
Je voudrais vous remercier et vous prier de m'excuser de ne pouvoir rester avec vous cet après-midi. En effet, en ce moment-même, M. Dominique de Villepin, Premier ministre, présente au Sénat la déclaration de politique général du Gouvernement, qui donnera lieu à un débat suivi d'un vote auquel je me dois de participer.
Je voudrais donc d'ores et déjà vous dire à quel point les membres du Sénat et de la commission des affaires culturelles apprécient le déroulement des débats de cette journée. Je remercie, à ce titre, M. Dominique Paillé, député, de participer à cette dernière table ronde.
Nous, parlementaires, souhaitons entretenir un contact permanent, proactif et convivial avec les acteurs de l'évolution des médias. Je crois que nous y sommes parvenus. Nous mettrons à profit la synthèse des débats de ce jour lors de réflexions pour lesquelles nous nous mobilisons.
Je vous remercie de nouveau pour votre participation, vos compétences et votre souci de collaborer à l'élaboration d'un paysage médiatique que nous souhaitons faire correspondre avec la place de la France en Europe et dans le monde.
M. Philippe Ballard
Nous allons faire appel à votre sens pédagogique, M. Francis Beck. Qu'est-ce qu'un média du futur ?
M. Francis Beck, président du groupe de travail « nouveaux médias » au CSA
Il convient de définir au préalable les médias. Ils regroupent tous les moyens de communication au public quelle que soit la modalité de leur mise à disposition. Ils peuvent adopter une forme classique, telle que les journaux en papier, ou la forme électronique. La principale distinction doit être opérée selon le public récepteur du message. Nous ne régulons que les messages publics à l'inverse des correspondances privées. Nous établissons des catégories juridiques précises selon les moyens de communication au public.
Certains facteurs, qu'ils soient technologiques, sociologiques, réglementaires ou économiques, ont favorisé l'émergence de nouveaux médias. Il est néanmoins intéressant de relever la part croissante de l'Internet haut débit en tant que mode d'accès potentiel aux médias télévisuels et radiophoniques. Le nombre d'abonnés à l'Internet haut débit est par ailleurs plus important que celui des autres modes de connexion.
Il existe trois grands ensembles de médias qui correspondent à des catégories décroissantes de régulation. Le premier réunit les services de radio et de télévision par voie hertzienne terrestre. Ils sont très bien régulés.
Le deuxième ensemble regroupe les services de radio et de télévision par tous les réseaux, excepté la voie hertzienne. Il s'agit de tous les réseaux de communication électronique qui se sont progressivement développés au cours des dernières années, tels que la télévision et dans une moindre mesure la radio par le câble, par le satellite, par ADSL, sur mobile en 3G, par l'Internet classique, les web-radios et les web-tvs ainsi que les EPG et les PVR. Cette catégorie est également régulée par le CSA, à un niveau moindre.
La dernière catégorie rassemble les services de communication au public en ligne, sur Internet et sur les autres réseaux de communication, tels que les VOD en 3G, et toutes les formes d'accès à des contenus à la demande. Pour distinguer ces derniers des services de radios et de télévisions classiques, nous retenons le critère de l'accès individualisé. Nous intégrons également à cette catégorie les sites Internet, les blogs et les médias hybrides. La régulation a moins de prises sur ces médias fortement personnalisés et dont la ressource est abondante.
M. Philippe Ballard
Ne retenez-vous donc que le critère de l'abondance d'une ressource plutôt que celui du contenu pour déterminer de la régulation ? Comment répondrez-vous au défi du développement des nouveaux modes de communication dans ce cas ?
M. Francis Beck
Un des critères fondamentaux est la ressource. En outre, les lois de 2004 sur l'économie numérique et les communications électroniques, nous imposent de réguler les services de télévision et de radio sur tous les supports. Or nous nous heurtons à la limitation territoriale de la régulation. Nous pouvons contrôler les offres actuelles de TV sur l'ADSL parce que le réseau Internet est fermé et que les abonnés et les distributeurs sont identifiés. Mais, nous n'avons pas la possibilité de réguler une télévision diffusée par réseau haut débit banalisé qui provient de l'étranger hors Union européenne. Nous ne pouvons imposer des contraintes ni à son éditeur s'il est délocalisé, ni au fournisseur d'accès. La législation française ne peut pas s'appliquer de plein droit à l'étranger.
Quel que soit le mode d'accès des services de radio et de télévision, nous intervenons aux différents niveaux de la chaîne de valeur. Concernant la régulation de contenu, nous intervenons dans les rapports entre les producteurs de contenu, les détenteurs de droits et les éditeurs de service, notamment par le mécanisme des quotas. Nous faisons de même entre les éditeurs et opérateurs de plateforme de télévision, qui sont considérés comme des distributeurs de service. Par conséquent, si un opérateur de téléphonie mobile est également distributeur de contenu télévisuel, tel qu'Orange ou SFR qui développent une télévision en 3G, il relève de notre compétence. Nous disposerons donc d'outils juridiques spécifiques et ces acteurs seront soumis à un régime déclaratif.
De manière générale, les éditeurs des services de télévision seront soumis à un régime conventionnel ou déclaratif selon le support qu'ils utilisent. La diffusion sur un réseau de type DVB-H relèvera du régime conventionnel. A l'heure actuelle, l'UMTS et la 3G relèvent du régime déclaratif pour un chiffre d'affaires inférieur ou égal à 150 000 euros et d'un régime conventionnel au-delà.
M. Philippe Ballard
Qu'en est-il des blogs ?
M. Francis Beck
Il s'agit d'un « alter-média » et il n'est pas de notre compétence.
M. Philippe Ballard
M. Pierre Bellanger, comment avez-vous si rapidement saisi la portée des blogs ?
M. Pierre Bellanger, président de Skyrock
Au début des années 2000, les blogs étaient aux Etats-Unis un moyen sophistiqué d'échanger des idées et des opinions parmi un public très intellectuel, au sujet de thèmes précis. Lorsque j'ai découvert ce mode de communication, j'ai trouvé qu'il s'agissait d'un extraordinaire outil de publication individuel. Il est bien plus facile à concevoir qu'une page web traditionnelle. Il correspond surtout à la véritable vocation d'Internet ; il n'est pas un moyen supplémentaire de diffusion, mais il est également un vecteur de conversation. Le XX e siècle a été celui de la diffusion unilatérale ; nous entrons désormais dans le siècle de la conversation. L'intérêt du blog par rapport à la page web est justement de pouvoir engager une conversation tandis que la page personnelle ne reste qu'un moyen de diffusion.
J'ai alors pensé à l'exploiter pour un public qui avait l'envie d'écrire, de partager et de se faire connaître. J'ai donc essayé de l'adapter en un outil gratuit et accessible à tous.
M. Philippe Ballard
Avez-vous en quelque sorte introduit une dimension sociale avec le blog ?
M. Pierre Bellanger
Cette dimension sociale existait déjà chez Skyrock. Cette radio, première de France de l'audience du public de 13 à 24 ans, offre trois heures quotidiennes d'échanges en direct sur ses ondes. Elle est donc une radio de réseau social, mais elle reste un média de diffusion, même si l'émission de Difool réunit 1 million d'auditeurs chaque soir. L'audience électronique est tout autre et se compose de plus de 3 millions d'adresses électroniques et d'un public qui participe réellement à un réseau social électronique. Durant le mois de mai, plus de 1,6 milliard de pages ont été vues pour l'ensemble de nos services et nous avons comptabilisé 60 millions de visites et plus de 10 millions de visiteurs uniques.
Ces scores montrent que cette première génération du numérique s'est appropriée complètement les outils des NTIC et qu'elle ne reviendrait pas à un média classique où il n'est pas possible de réagir. Lorsque nous examinons les médias classiques du point de vue des nouvelles technologies, nous nous apercevons qu'ils sont d'une unilatéralité effarante.
L'ouverture d'un blog est aussi facile que la création d'un courrier électronique. Une fois mis en ligne, tout public, souvent des personnes également titulaires d'un blog , peut y laisser un commentaire. Il est ainsi possible d'accéder à une nouvelle dimension de la communauté sociale qui enrichira considérablement la vie sociale.
M. Philippe Ballard
Quel business model avez-vous adopté ?
M. Pierre Bellanger
Notre business model est fondé sur la publicité. Selon l'exemple de la radio, nous commercialisons aux annonceurs notre audience. Par conséquent, le business model est traditionnel en ce sens, néanmoins il prend en compte les caractéristiques de l'Internet. En effet, ce média permet d'acheter des résultats plutôt que des moyens comme c'est le cas pour les médias classiques. Nous y vendons donc du GRP garanti, ce qui permet d'y publier des publicités très ciblées à l'attention d'un public qui sera d'autant moins réticent qu'il est pertinemment ciblé.
M. Philippe Ballard
Le CSA ne contrôle pas ce média ; de nombreux problèmes éthiques se sont déjà posés. Etes-vous en faveur d'un contrôle par une instance indépendante ?
M. Pierre Bellanger
Lorsqu'une communauté électronique réunit 2,2 millions skyblogers , publiant 500 000 articles par jour accessibles par un milliard d'internautes, la modération s'impose.
Il est illusoire de considérer Internet comme une zone de non-droit. Le droit commun s'applique à tous et partout. En ce sens, la justice est la bienvenue. Nous effectuons un travail de modération en supprimant l'équivalent de 1 % des blogs d'office parce qu'ils ne respectent pas notre charte ou la loi en vigueur, notamment lorsqu'ils relèvent du racisme, de la pédo-pornographie, de la pornographie, ou de l'incitation à la haine raciale. Nous procédons à ces suppressions de manière complètement assumée parce que nous considérons qu'un internaute visitant l'un de nos sites n'a pas à être exposé à des contenus extrêmes.
Néanmoins, il existe également des initiatives pédagogiques que je salue. Elles émanent de professeurs qui ont créé un blog de classe suite à un incident pour apprendre à leurs élèves la responsabilité de la prise de parole publique et ses implications. J'ai été personnellement très impressionné du nombre de classes qui ont utilisé le skyblog en tant qu'outil pédagogique.
M. Philippe Ballard
Monsieur Loïc Le Meur, votre société conçoit justement des logiciels d'installation de blogs. Vous en avez conçu 8 millions dont 7 millions à l'attention d'un public jeune et un million pour des journalistes. Quelle est votre analyse de ce phénomène ?
M. Loïc Le Meur, directeur général Europe Six Apart et bloger
Les journalistes ont perdu l'exclusivité de l'information. 8 millions de personnes à travers le monde écrivent désormais des articles tous les jours sur nos seules technologies et 30 millions au total. Il y aura 50 millions de blogs fin 2005. Ils sont 1 million en Chine et plus de 100 000 en Iran. Dans ces pays, ils sont devenus des médias alternatifs. Beaucoup se demandent s'il s'agit réellement d'information. Pour ma part, je le crois même si ce contenu n'est pas toujours d'une qualité journalistique. La vérification de l'information est en fait très souvent faite par les lecteurs des blogs eux-mêmes, des milliers de personnes corrigent les blogers . Sur mon blog www.loiclemeur.com/France , j'ai écrit 3 000 notes et j'ai plus de 10 000 commentaires : mes lecteurs écrivent plus de trois fois plus que moi et corrigent tout ce que je dis, le plus souvent plus rapidement que lorsque, par mégarde, je cite par exemple un chiffre erroné dans la presse. La « voie retour » y est moins efficace, peu de personnes utilisent vraiment le courrier des lecteurs et il est rarement publié, alors qu'un commentaire peut arriver en quelques minutes sur un blog .
Ces blogs remportent un succès étonnant parce qu'ils sont absolument authentiques. Sur ce point, l'information est en train d'évoluer vers une exigence de proximité. En Corée, le site intitulé Oh My News ! est le premier média sur Internet national et il est écrit par plus de 30 000 citoyens. Il existe plus de 30 millions de blogers dans le monde et nous recensons nous-mêmes plus de 15 000 nouveaux arrivants par jour. Il s'agit donc d'une source d'information et d'une forme de culture inédites.
Je crois également que le concept d'audience n'existe pas. Nous ne sommes pas faits pour être passifs. Le blog a l'avantage d'offrir un véritable espace de discussion. Je vous invite à ce titre à consulter le blog de M. Dominique Strauss-Kahn et le nombre de commentaires qu'il suscite. (des milliers de commentaires pour quelques centaines de notes seulement, ses lecteurs écrivent dix fois plus que lui et les commentaires ne sont pas filtrés à priori). M. Alain Juppé s'est exprimé sur son blog dès le lendemain des résultats du référendum. Sur la majeure partie des blogs, la discussion est plus importante que la simple diffusion d'information. Or les sites traditionnels n'offrent pas cette possibilité si ce n'est avec les forums qui sont moins faciles d'accès au grand public. Comme l'a dit Murdoch, les médias doivent devenir des endroits de conversation, et non seulement se limiter à une diffusion verticale d'information.
Nous devons revoir notre manière de lire l'information. L'AFP diffuse depuis la semaine dernière le flux RSS. Le lecteur maîtrise totalement son abonnement et choisit de recevoir l'information s'il le souhaite. A ce propos, je voudrais préciser que les blogers qui reprennent une information déjà publiée citent leurs sources vers lesquelles ils créent généralement des liens. Le deep linking crée du trafic vers les sites sources de l'information citée, ce qui est également une opportunité d'accroître le trafic.
Les médias institutionnels et les blogs ne s'affrontent pas comme on le dit souvent, ils convergent au contraire. De plus en plus de journalistes et d'hommes politiques bloguent , et nous avons hébergé les blogs de Messieurs Bush et Kerry. Les sites des grands périodiques offrent leurs conviens à leurs lecteurs en leur laissant la parole, ils fédèrent ainsi une communauté de lecteurs autour de conversations. Il existe une grande interaction grâce au blog puisque d'une part de plus en plus de journalistes l'adoptent et d'autre part, certains blogers ont une audience si importante qu'ils deviennent des professionnels. A ce titre, PC Expert recrute actuellement des blogers et The Guardian à Londres achète tous les jours des contenus à des blogers. Enfin, les médias, à la manière de Skyrock, Le Monde ou Psychologies Magazine offrent la possibilité à leur public de publier leurs blogs . Ce public ne demeure plus passif et peut ainsi produire du contenu à son tour. Le Monde a ainsi environ 3 000 blogs (offerts uniquement à ses abonnés) et une audience en croissance constante sur ceux-ci, 1.5 million de pages vues par mois.
M. Philippe Ballard
Quelles sont les sanctions possibles à l'égard des blogers qui délivrent de fausses informations ?
M. Pierre Bellanger
Un bloger irakien a été incarcéré, il y a deux jours.
Il est souvent reproché au blog de ne pas être fiable parce que ses auteurs sont anonymes. Or lorsqu'un bloger s'exprime depuis longtemps et sous son nom, il gagne en crédibilité et suscite de nombreux commentaires. L'identification de l'auteur, l'ancienneté du blog et le nombre de commentaires sont des bonnes indications de fiabilité. Par ailleurs, certains blogs sont écrits à plusieurs mains et sont quasiment professionnalisés. La sanction vient parfois des pairs. La marque Mazda a payé un bloger pour qu'il fasse l'éloge de ses produits, les autres blogers n'ont pas tardé à découvrir la supercherie et ils n'ont pas hésité à décrier la marque. Par ailleurs, les erreurs des blogs sont signalées par des commentaires publiés instantanément et parfois virulents. Le bloger auteur de la méprise publie alors une mise à jour pour rectifier son erreur.
M. Philippe Ballard
Monsieur Pierre Louette, quelles sont vos réactions en tant que représentant de l'AFP ?
M. Pierre Louette, directeur général de l'Agence France Presse
A l'AFP, nous nous situons aux antipodes des blogs parce que notre monde est celui de l'anonymat. Nos journalistes se contentent de signer leurs articles de leurs initiales, aucun de leur écrit n'est publié sans être relu. Le monde du blog est celui du nombril planétaire, puisque la capacité de chacun à s'exprimer est infinie.
Par ailleurs, l'AFP est très ancienne et le blog est un support très récent. Tout phénomène technique inédit crée du social et fait parler de lui. Depuis 1835, nous sommes chargés de collecter, traiter et distribuer de l'information dans le monde entier, chacune de ces missions est remise en question par l'univers des nouvelles technologies.
En effet, nous ne sommes plus les seuls à collecter de l'information. A ce propos, il convient de distinguer l'information de la conversation et je pense que le législateur m'approuvera sur ce point. La marque AFP possède un fort attribut, celui de la crédibilité. Nous restons confiants face à l'arrivée des nouveaux supports de médias parce que nous jouissons de cette crédibilité sans précédent, qui nous confère un rôle de repère stable dans un monde où la masse d'information est en perpétuel mouvement. Néanmoins, nous ne sommes pas les seuls à détenir ce statut et l'AFP partage sa position avec l'Associated Press et l'agence Reuters.
Partout dans le monde entier et quoi qu'il en coûte à nos reporters, nous continuons à exercer la mission qui nous a été assignée. Depuis 1835, de nombreux médias sont apparus, les sources et les vecteurs de diffusion se sont considérablement accrus. Récemment, notre agence a même expérimenté ces nouveaux supports avec l'ouverture de flux RSS à l'attention d'un public privé. Nous nous situons donc au-delà de la diffusion des catégories de communication et nous ne nous attachons qu'à l'information.
Par ailleurs, nous assistons à un phénomène double de désagrégation et de réagrégation. D'une part, l'évolution des technologies confère aux individus la capacité de ne sélectionner que ce qui les intéresse, ce dont les éditeurs se chargeaient auparavant. Ils désagrègent donc un flot d'information quasiment à la source. D'autre part, une réagrégation échappe largement aux éditeurs traditionnels. Elle est le fait de grands acteurs tels que Yahoo ! ou Google par l'intermédiaire d'éditorialistes critiques ou de simples logiciels. Cette dernière démarche traite toute l'information qu'elle rend disponible au public par les moteurs de recherche sans le moindre recul critique et sur un strict pied d'égalité.
M. Philippe Ballard
Adoptez-vous une posture défensive face à ces nouveaux médias ?
M. Pierre Louette
La plupart des médias émergeants deviennent des nouveaux clients de notre agence. Nous n'adoptons donc pas de posture défensive.
Néanmoins, nous restons sur nos gardes quant à l'usage qui est fait, à nos dépens et à l'insu de nos clients, des dépêches et des photos qui leur ont été vendues. Outre le problème de la propriété intellectuelle, ce genre d'abus remet en cause la valeur même de l'information brute. Les commentaires quant à eux ont de la valeur, qu'elle soit intellectuelle ou affective, mais elle n'est pas monétisée.
M. Loïc Le Meur
Google réalise un milliard de dollars de chiffre d'affaires par trimestre par ce biais !
M. Pierre Louette
L'information commentée est monétisée par des acteurs qui ne la payent pas, ce qui pose un problème.
M. Philippe Ballard
Monsieur Antoine Duarte, comment l'internaute consomme-t-il l'information disponible sur Internet ?
M. Antoine Duarte, directeur général de Yahoo France
Internet a donné le jour à un nouveau mode de consommation de l'information. Néanmoins, je ne crois pas que les blogs remplaceront l'information journalistique.
Yahoo ! Actualités rassemble tous les mois 2,6 millions d'internautes français qui y consultent l'actualité des trois grandes agences de presse mondiales. Nous mettons toujours en avant les sources d'information que nous avons retenues. Nous y ajoutons également des blogs. A ce titre, nous avions réalisé un dossier pour le référendum du 29 mai dernier qui a passionné les internautes. Il comprenait toutes les dépêches relatives au référendum, les articles des éditorialistes dont certains écrivent spécifiquement pour Yahoo ! Actualités, et des liens vers des blogs qui nous semblaient pertinents. En effet, nous trouvons certaines opinions des blogers très intéressantes d'autant plus que certains d'entre eux sont des spécialistes et que notre média doit encourager l'interactivité et instaurer le débat.
Lors de la dernière élection présidentielle américaine qui opposait MM. Bush et Kerry, des blogers étaient invités au même titre que les journalistes à chaque conférence de presse par les candidats. Ces derniers ne doutaient pas que ces blogers représentent une audience pertinente et qu'ils influencent de leurs avis les électeurs internautes.
Nous sommes persuadés que l'information demeure essentielle à l'actualité, mais nous souhaitons renforcer son interactivité, permettre à nos internautes de choisir leur information et y accéder quand ils le souhaitent.
Nous avons mis en place l'observatoire de la I Generation , constitué dans cinq pays pour étudier les jeunes qui sont nés avec l'outil Internet. Nous y constatons que ces jeunes ne souhaitent pas d'information prétraitée qu'ils absorberaient de manière passive. Ils souhaitent se forger leur propre opinion en allant à la source de l'information, en la sélectionnant et en l'échangeant. Dans ce contexte, Internet et des acteurs comme Yahoo ! permettent de délivrer une information en laissant l'internaute critique et en lui offrant une sphère d'échange nécessaire à la communauté Internet et à son débat.
M. Philippe Ballard
Avez-vous des études précises concernant les internautes qui consultent vos pages ?
M. Antoine Duarte
Nous en disposons parce qu'Internet, comme l'ensemble des médias français, est mesuré par Médiamétrie. Notre Internaute type est âgé de 11 à 35 ans.
M. Philippe Ballard
Ce nouveau mode de consommation de l'information influence-t-il selon vous les médias classiques ?
M. Antoine Duarte
Je pense que le public n'est plus aussi passif. Il n'attend plus de journal télévisé de 20 heures pour recevoir de l'information.
En outre, nous proposons sur Yahoo ! Actualités à nos internautes de personnaliser leur page. Aux Etats-Unis, il est même possible de sélectionner ses sources d'information préférées. Le flux RSS est une initiative positive, il est possible d'en transposer le titre sur un blog qui renvoie directement au site source. Ce nouveau mode de consommation permet à chacun de trouver une offre parfaitement adaptée à ses besoins.
M. Philippe Ballard
Ne comporte-t-il pas le risque de ne plus être informé sur les sujets non retenus ?
M. Antoine Duarte
Nous avons le devoir d'apprendre aux élèves et aux étudiants à utiliser Internet. Je suis très étonné de constater que les jeunes recourent autant aux moteurs de recherche dans le cadre de leurs études pour une exploitation optimale de ce média.
M. Philippe Ballard
Monsieur Pascal Ancian, comment qualifierez-vous l'arrivée de ce quatrième écran qu'est le mobile ? Pensez-vous qu'il s'agisse d'un complément ?
M. Pascal Ancian, directeur de la stratégie et du plan d'Orange France
Le mobile est en effet un véritable quatrième écran après le cinéma, la télévision et l'ordinateur. Le téléphone est en outre disponible partout et à tout moment. Il est complémentaire des autres médias et permet d'accéder à des contenus d'information, des chaînes et de télévision et à des radios en dehors du domicile. L'avantage est que l'audience du mobile ne vient pas éroder celle des autres médias.
En outre, le format des contenus proposés doit être adapté à l'outil, le mobile n'étant équipé que d'un écran modeste, et au mode de consommation des abonnés, qui ne consultent les contenus que pendant des temps morts. Nous ne proposons donc que des formats courts.
Néanmoins, ce média sera accessible à 85 % de la population, couverte par le haut débit mobile Orange avant la fin de l'année 2005. Près d'un million d'abonnés seront équipés des terminaux adéquats à la même échéance. Ils seront 30 millions dans cinq ans.
A l'examen de la consommation de la clientèle actuelle de la 3G chez Orange, nous nous apercevons que 40 % à 50 % de ces abonnés téléchargent régulièrement des vidéos, soit un million de vidéos téléchargées par mois. 40 % d'entre eux regardent la télévision ; nous disposons du plus important portail au monde comprenant 42 chaînes disponibles sur le mobile.
En termes d'adaptation au mode de consommation mobile, le format vidéo propose le résumé d'un format télévisuel, tel qu'un match de tennis, à tout moment après sa diffusion. Nous avons également lancé en partenariat avec LCI la chaîne LCI Mobile, spécialement conçue pour intégrer les formats de contenus courts du mobile. Nous proposerons, en outre, la radio avec l'accès en temps réel à la playlist et les informations correspondantes aux artistes et aux oeuvres. Il est également possible de télécharger les sonneries de portables correspondant aux morceaux sélectionnés.
M. Philippe Ballard
La tendance semble être à l'individualisation de l'écoute. Pensez-vous qu'elle soit généralement valable pour les médias du futur ?
M. Pascal Ancian
En effet, il existe une logique d'individualisation. Nous nous sommes aperçus qu'au-delà de la quantité de l'offre, sa personnalisation était essentielle. Nous avons donc intégré une offre de contenu de chaînes locales, adapté des formats courts et nous proposons le VOD comme alternative au temps réel.
Par ailleurs, nous avons privilégié l'interactivité, notamment avec la radio, et la « proactivité », puisque vous pouvez être alerté des évènements dans les domaines sélectionnés au préalable.
M. Philippe Ballard
En tant qu'opérateur mobile, Orange s'est également porté acquéreur de droits de retransmission audiovisuelle de certains évènements sportifs. Participez-vous également de l'émiettement du marché audiovisuel ?
M. Pascal Ancian
L'arrivée des opérateurs de mobile renforce, d'une part, les acteurs existants puisque les chaînes gagnent de l'audience par ce biais. Il s'agit d'une audience additionnelle par rapport à celle de la TV au foyer.
D'autre part, l'offre étant très importante en nombre de chaînes et destinée à un vaste marché, elle accroît le pluralisme des contenus. Si on prend, par exemple, le cas des chaînes locales, Il est ainsi possible pour un Lyonnais voir la chaîne TLM sur son mobile, même si elle se trouve à Bordeaux.
M. Philippe Ballard
Le CSA intervient-il ?
M. Francis Beck
Le CSA n'intervient pas parce que l'offre mobile actuelle relève de la diffusion de télévision sur des réseaux de télécommunication autres que hertziens, donc, déjà régulés lorsque le contenu est en broadcast, c'est-à-dire diffusée en direct. Les contenus VOD sont envoyés à des adresses individuelles, par conséquent nous ne les contrôlons pas non plus.
La question importante est celle des droits qui risque d'opposer les opérateurs de mobile, les distributeurs et les éditeurs de télévisions payantes. Les détenteurs des droits seront, quant à eux, les arbitres de ce combat.
M. Philippe Ballard
Monsieur Francis Jaluzot, vous dirigez un hebdomadaire gratuit de sports et de loisirs. Pensez-vous que nous vivons un bouleversement des modes de consommation de l'information ?
M. Francis Jaluzot, président directeur général de Sports Médias & Stratégie
Nous aurions toutes les chances de nous tromper en essayant d'imaginer les médias du futur. Comme ceux qui auraient essayé d'imaginer il y a 30 ans les médias d'aujourd'hui. Il y a 30 ans il n'y avait ni Internet, ni téléphone mobile, ni chaînes câblées.
Dans un monde où les enfants naissent avec une « zapette » à la main, développent une dextérité nouvelle du pouce à force de faire des « textos », conversent sur MSN, écoutent de la musique et téléphonent tout à la fois, il n'est pas possible d'imaginer que les médias vont rester inchangés, tels qu'ils sont aujourd'hui.
Il est cependant possible d'apercevoir les signes avant-coureurs de ces modifications de comportement et de consommation des médias. Je sui persuadé que ces signes peuvent nous aider à anticiper les changements à venir et donc à nous adapter.
Il y a à mon sens, et les interventions de ce colloque en sont la preuve, quatre phénomènes fondamentaux : l'apparition de nouveaux médias modifie la façon de consommer les précédents, les médias deviennent multiples, les médias sont de plus en plus interactifs enfin les médias modernes évoluent vers plus de proximité.
Sur le premier point en effet, en dépit de ce j'ai pu entendre au cours des différentes interventions, je ne crois pas que les médias fonctionnent par substitution, les médias ne se chassent pas les uns les autres.
Ainsi le paradoxe veut qu'à l'ère d'Internet et du langage SMS on n'a jamais vendu autant de livres dans le monde, qu'au moment où l'offre télévisuelle explose, le cinéma bat des records de fréquentation, que la presse magazine voit sa diffusion globale battre chaque année le niveau de l'année précédente.
La télévision n'a pas tué la radio, la radio n'a pas tué la presse quotidienne, l'Internet n'a pas éradiqué le livre.
Pourtant, l'apparition et l'installation de nouveaux médias modifient radicalement la façon de consommer ceux qui préexistaient. Les nouveaux médias interagissent avec les précédents, ils viennent déplacer la position qu'ils occupaient.
Les médias, en réalité, forment une chaîne dont chaque maillon se complète et interagit avec les autres. Il ne faut plus raisonner de façon cloisonnée mais au contraire s'interroger sur la place d'une offre média parmi les autres.
Sport , le nouveau magazine gratuit que nous avons lancé en 2004, a été conçu, dès son origine, dans un univers où l'information est dominée par la télévision et l'image animée.
Nous avons conçu Sport en intégrant cette nouvelle donne.
Le (grand) format du magazine, sa maquette et surtout la place de l'image tiennent comptent de cette révolution qui a modifié les attentes des lecteurs. Notre approche cinématique de la photo lui donne un rôle structurant de l'article au même titre que le texte, parfois même un rôle central. Bien que figée, l'iconographie met en scène le mouvement.
Sur le second point l'élément dominant me semble être que les médias modernes ou nouveaux ne sont plus uniques, mais multiples.
Nous pouvons d'ores et déjà constater, à travers de multiples exemples que les médias deviennent multiples. Yoda , le dernier lancement du groupe Psychologie sur les adolescents, est annoncé comme un bi-média, sur papier et sur Internet. Sport a, dès son origine, été conçu avec son site Internet qui donne aux lecteurs la possibilité de télécharger le PDF de la revue, se renseigner sur les points de distribution.
Les chaînes de télévision lancent des concepts multimédia : émissions télés couplées avec des magazines, des votes SMS ; services interactifs couplés avec Internet qui rapportent souvent plus que les émissions elles-mêmes. Ce matin les dirigeants des plus grandes chaînes de télévision s'inquiétaient de la puissance des opérateurs téléphoniques qui seront leurs concurrents de demain dans l'achat des droits de retransmission !
Il n'est plus possible de concevoir un média unique dont l'accès se restreint à un seul format. Les médias du futur auront des modes d'accès qui varieront dans l'espace et le temps. Ils seront sans doute encore plus protéiformes qu'aujourd'hui, d'un accès plus facile, plus mobile, et à travers des terminaux multiples, proches de l'univers décrit par Philip K. Dick !
Le troisième point est lié à l'interactivité.
M. Loïc Le Meur a employé une expression symptomatique : le mode dans lequel nous vivons est un monde « conversationnel ».
Je suis convaincu que les médias du futur seront interactifs ; nous sommes résolument dans l'ère de la conversation. Au moment du lancement de 20 Minutes, la critique la plus fréquente que j'ai entendue dans les études lecteurs, à propos notamment de la presse écrite touchait à leur attitude d'émetteur savant. Le sentiment largement répandu était que la presse écrite était perçue comme condescendante et donneuse de leçons. Les consommateurs (lecteurs, auditeurs, téléspectateurs) ne sont plus passifs, ne se contentent pas de recevoir (gober !) les informations. Ils sont, au contraire, de plus en plus agissants. Les médias ne doivent plus se contenter d'informer, de décrypter, de distraire, ils doivent également provoquer l'échange, favoriser l'écoute, multiplier les points de vue. Sites personnels ou communautaires, appels à témoignages, sondages en ligne, forums sont les premiers outils de cette nouvelle demande d'interactivité.
Le paroxysme actuel de cette information communautaire et interactive s'appelle le blog . Les blogs sont en train de devenir des médias à part entière. Il faut donc les intégrer dans la conception d'une offre média. Mais sans angélisme, je ne crois pas au miracle de l'autorégulation du monde merveilleux du blog . La manipulation est toujours plus proche qu'on ne croit !
Ainsi l'information peut échapper aux professionnels des médias dont le métier, le rôle et la déontologie sont supposés être les garants d'une certaine intégrité. Ce phénomène met en lumière la défiance des consommateurs à l'encontre des médias traditionnels.
Les professionnels de l'information, que nous sommes, doivent donc impérativement répondre à cette défiance pour jouer pleinement leur rôle et revendiquer leur place. A nous de défendre le statut de garant des médias et de rappeler qu'il est fondé sur le respect d'une charte déontologique qui prévoit intégrité, indépendance, vérification des informations, respect de la vie privée, recherche de la vérité. Dans le même temps, nous devons faire preuve de plus d'humilité, donner davantage la parole aux acteurs de la société civile et citoyenne. Les médias devront passer d'une position d'émetteur (Je vous dis ce que je sais, implicitement ce qui est vrai, et vous demande de me croire) à une position d'éclaireur (je vous dis ce que je crois, implicitement certains pensent autrement, et vous propose d'en débattre pour y voir plus clair).
Le dernier volet des signes avant-coureurs touche la proximité.
Les médias d'avenir seront des médias de proximité. L'information locale y aura tout à fait sa place, et elle sera disponible partout et au besoin. Les médias seront alors multidimensionnels ; ils permettront d'approfondir ou non l'information à l'envie.
Les modèles mixtes façonneront l'usage et le faciliteront. Hier le média était un objet qui organisait, hiérarchisait, synthétisait ; demain il occupera un rôle de système d'alerte pour donner à comprendre a minima et permettre d'approfondir si l'on en a envie.
Hier le média était unidimensionnel ; demain il sera multidimensionnel en favorisant tout autant une approche générale que le sur mesure. Ainsi il collera au plus près aux attentes de sa cible dont il sera toujours proche et provoquera une satisfaction qui fidélisera le consommateur.
La presse gratuite dont le succès n'est plus à démontrer transpose par exemple le modèle « push médias » apporté par la radio ou la télévision à la presse, traditionnellement un « pull média ». Les médias futurs seront mixtes, le téléphone et Internet sont à la fois des push et des pull medias . Ils nous laissent la possibilité de recevoir l'information, de l'interpréter, d'y réagir ou de l'approfondir, d'avoir accès à une information générale ou au contraire de rechercher le sur mesure.
Quelle place auront les professionnels de l'information dans cet univers de communautés et d'hyper spécialistes ?
Une certitude : en tant que professionnels, nous devons en permanence nous interroger sur l'adéquation de notre offre à la demande, et la faire évoluer.
Les expériences que j'ai vécues, à travers le lancement de 20 Minutes et celui de Sport en France, montrent qu'on peut anticiper ces évolutions sans pour autant renier ce qui fait la différence entre un média et un système de communication.
Les 30 ans à venir seront aussi passionnants que ceux qui viennent de s'écouler.
Les survivants appartiendront à toutes les catégories de médias existantes et à d'autres dont nous n'avons même pas idée.
M. Philippe Ballard
Monsieur Dominique Paillé, le législateur se retrouve-t-il dans les perspectives qui viennent d'être décrites ?
M. Dominique Paillé, député des Deux-Sèvres
Les législateurs que nous sommes, députés et sénateurs, devons veiller à la régulation de l'utilisation des ressources et des infrastructures de communication, au respect de l'ordre public et au pluralisme des opinions. Nous sommes tous très attachés à ces principes.
Il est néanmoins difficile de remplir ces missions dans l'effervescence de l'arrivée de ces nouveaux médias, d'autant plus que nous ne sommes pas des spécialistes et que nous avons tendance à ne faire qu'accompagner le mouvement, souvent avec un temps de retard.
Nous devons donc nous interroger sur plusieurs points avant toute modification législative ou réglementaire. La première question est de définir ce qu'est l'information pour vérifier qu'elle correspond toujours à la définition que nous en avons, ou s'il est nécessaire de la revisiter. Pour ma part, je ne suis pas sûr que les échanges sur les blogs participent de l'information. Ils sont plutôt l'expression de la liberté de communication entre les hommes que garantit une démocratie comme la nôtre. A ce propos, en tant que membre du monde politique, mon opinion personnelle est que le blog ne participe même pas du lien social, car le face à face visuel qui me semble en être l'essence même, n'est dans ce cadre pas assuré.
Par conséquent, pour ma part et sans engager l'ensemble des parlementaires, je n'ai pas à l'heure actuelle assez de visibilité quant à la nouvelle définition à donner à l'information puisque je ne distingue pas ces nouveaux phénomènes de la sphère privée. S'il m'est prouvé le contraire, je serais prêt à examiner à nouveau cette question et à envisager une régulation déontologique de ces médias.
Cette démarche supposerait que ces nouveaux médias puissent intégrer des catégories très précises ; or, leur évolution est encore très rapide et le marché n'est pas stabilisé.
Enfin, nous devons veiller à l'éducation de ceux qui utilisent ces médias nouveaux et les avertir des dangers éventuels qu'ils recèlent. Nous devrons éventuellement étendre à l'avenir les codes de déontologie auxquels nous avons fait référence aux créateurs ou hébergeurs de ces blogs.
Je n'en sais pas plus à l'heure actuelle. Néanmoins, j'invite les professionnels à continuer à nous éclairer dans ce domaine.
DÉBAT AVEC LA SALLE
M. Gilbert Reveillon , conseiller
Nous ne pouvons pas dissocier le tissu économique du lien social à partir duquel il peut perdurer. En dépit de la présence de deux spécialistes des blogs, nous n'avons pas abordé la question de l' opensource alors qu'il existe des plateformes de blogs qui y sont dédiées. Comment envisagez-vous l'arrivée des opensources dans les blogs et les flux RSS ? Ne pourraient-ils pas entraîner une nouvelle défiance du système économique que vous avez réussi à développer ?
M. Pierre Bellanger
Nous gérons une station de radio, nous n'avions donc pas vocation à développer nos propres logiciels. Mais, nous avons été amenés à le faire et nous sommes entièrement fondés sur l' opensource . Le logiciel messager que nous allons lancer est issu d'une collaboration mondiale. Je ne connaissais pas ce modèle et je concevais mal d'employer des salariés à développer un outil qui ne m'appartiendrait pas. Néanmoins, j'ai également profité de cette collaboration communautaire pour le développement d'une partie des logiciels et je publie en retour les fruits de notre travail pour la communauté. Ce modèle mutualiste que Bill Gates appelle le « communisme électronique » fonctionne. Il était le seul qui nous permette d'être autonome.
M. Loïc Le Meur
Etant au Sénat, je profite de votre question pour souligner la difficulté de lancer des entreprises leaders dans le monde à partir de France dans le domaine Internet. Les blogs sont un phénomène mondial par essence, la concurrence est à un clic. C'est la raison pour laquelle j'ai fait le choix il y a deux ans de fusionner avec une entreprise américaine, nous sommes aujourd'hui leader avec environ un quart des blogs dans le monde. Nous avons par exemple été financés à hauteur de dix millions de dollars, ce qui aurait été impossible en France à ce stade de développement. A ce propos, je souligne qu'il n'existe que très peu de start-up dans le secteur Internet encore européennes (Kelkoo a été racheté par Yahoo !, Lastminute.com par Saabre), à l'exception de Meetic qui entrera en bourse à la fin de cette année.
Nous avons été retenus par L'Oréal pour sa plateforme technologique ainsi que de nombreuses autres grandes entreprises . La concurrence opensource existe depuis toujours dans notre domaine d'activités, nous ne sommes pas gratuits mais il est possible d'accéder à notre code source sans toutefois pouvoir le modifier. J'aime le phénomène opensource mais pour l'instant je n'ai pas de solution pour rémunérer nos 105 salariés en l'adoptant.
Intervention de la salle
Concernant l'affaire Google, ne confondez-vous pas l'information en tant que telle et le lien vers l'information ? L'AFP reçoit 100 millions d'euros par an du ministère de la culture, ne pensez-vous pas que les contribuables aient à ce titre au moins le droit de voir vos titres référencés sur les pages de recherche de Google ?
M. Pierre Louette
L'AFP n'est pas un service public, mais elle remplit une mission proche d'un service public. Les dépêches AFP sont reprises dans tous les journaux, quelle que soit leur idéologie : rassurez-vous, vous en avez pour votre argent.
Je n'aborderai pas les aspects juridiques du litige avec Google aux Etats-Unis. Néanmoins, je ne pense pas qu'une entreprise puisse s'affranchir du droit. Notre nom est-il gratuitement utilisable ? Est-il possible de reprendre des débuts ou des titres de nos dépêches ou des photos non créditées librement ? La justice devra trancher. Néanmoins, nous avons des clients importants qui paient pour ses contenus. L'information a un prix pour tout le monde et il me paraît douteux de délivrer généreusement une information qu'on n'a pas soi-même payée !
M. Loïc Le Meur
J'ai l'impression que nous vivons l' opensource du contenu. Il s'agit de l'évolution d'une culture de la réception de l'information à celle du partage : tout le monde peut devenir une source. Avec trente millions de blogers dans le monde, nous avons accès à une information plus riche que jamais.
M. Antoine Duarte
Nous avons décidé de toujours publier les contenus repris avec l'autorisation des éditeurs. Nous retenons quatre éléments principaux à Yahoo ! : le contenu, la personnalisation, la communauté et la recherche. Si nous sommes capables de les rassembler, nous serons un acteur solide du marché. Néanmoins, le contenu reste l'élément essentiel, que nous choisissons de monétiser en concertation.
Intervention de la salle
Je me demande quelle est la réelle source de profit, le contenu informationnel ou le support médiatique qu'il adopte. En ce sens, est-ce qu'Orange recherche des contenus de qualité pour les vendre à ses abonnés ou pour commercialiser l'utilisation des supports mobiles ?
M. Pascal Ancian
Nos abonnés paient pour accéder à des contenus gratuits et achètent également des contenus payants, selon des business models différents. Nous avons besoin d'un contenu, que nous payons, mais dont une partie est gratuite pour attirer nos abonnés sur notre portail. Les contenus à plus forte valeur ajoutée seront payants en tant que tels. Néanmoins, l'effet d'appel des produits gratuits multiplie les occasions d'achats des produits payants.
Un autre univers complémentaire au portail opérateur est celui du kiosque multi-opérateurs, qui permet aux abonnés d'accéder à différents services quel que soit leur opérateur. Les revenus sont partagés à hauteur de 30 % pour l'opérateur et 70 % pour le fournisseur de contenu. Le système du kiosque unique permet de garder le même numéro d'appel au service quel que soit l'opérateur. Par ailleurs, si le fournisseur de contenus ne fait pas de promotion du service, il ne fait pas de gains.
Enfin, nous savons assurer le respect de droits de diffusion d'une chaîne de télévision en France, ce qui est moins facile avec les acteurs Internet accessibles depuis le monde entier.
M. Francis Beck
Lorsque les opérateurs de télécommunication demanderont des licences hertziennes aujourd'hui réservées aux chaînes de télévision gratuites, nous nous demanderons s'il ne faudra pas alors que nous imposions qu'une partie des services de télévision en broadcast sur les récepteurs mobiles soit gratuite également. Nous sommes en charge de la liberté de la communication et nous sommes attachés à la diversité du choix du consommateur dans le cadre de conditions économiques cohérentes par rapport aux modèles préexistants.
M. Philippe Ballard
Je vous remercie de cette journée de débats.