2. Des opportunités à ne pas négliger
Les inquiétudes quant aux effets de la publicité télévisée sur les positions du marché des différents intervenants conduisent souvent à sous-estimer les opportunités d'élargissement du marché.
En outre, pour certains secteurs, l'ouverture pourrait être mise à profit pour régler quelques problèmes pendants.
a) Des opportunités
Les perspectives d'élargissement des marchés peuvent provenir de deux processus différents :
- la publicité pour un produit donné est susceptible d'engendrer des « externalités positives » pour l'ensemble d'un secteur . En d'autres termes, la publicité pour un film donné peut rejaillir sur l'ensemble de la production cinématographique et les dépenses engagées par un annonceur profiter à ses concurrents.
Si l'intensité d'un tel effet serait vraisemblablement minime en ce qui concerne la distribution, il peut être plus important pour les secteurs culturels.
De ce point de vue, il parait justifié de porter une attention particulière à la situation du livre.
Les caractéristiques du média TV pourraient faire de ce moyen de promotion un levier potentiellement intéressant pour le livre et la lecture . Parmi les non lecteurs, on trouve, sans surprise, une forte présence des non-diplômés. Or ces derniers sont surreprésentés dans le public de la télévision.
La marge de progression pour la lecture et pour l'industrie éditoriale semble beaucoup plus importante sur la pénétration que sur l'intensification de la consommation puisque seulement un Français sur deux (54%) achète des livres . Le marché du livre reste très concentré autour d'un coeur de cible d'acheteurs-lecteurs passionnés : 18 % des acheteurs de livres concentrent en effet à eux seuls plus de la moitié des volumes achetés (56 %) et la moitié des sommes dépensées (51 %).
Pour illustrer cette marge de progression, deux comparaisons sont significatives. Tout d'abord, les enquêtes européennes harmonisées sur les pratiques culturelles d'Eurostat montrent que la France se situe en dessous de la moyenne européenne en termes de pénétration de la lecture . 40 % des Français déclaraient avoir lu des livres dans les 12 mois précédant l'enquête, contre 45 % en moyenne européenne (UE15), 43 % des Italiens ou 60 % des Britanniques ; les pays nordiques se situent encore bien au dessus de ce niveau.
Ensuite, une mise en perspective française sur longue période montre que le budget consacré par les ménages français à l'achat de livres a baissé depuis 1980 , passant de 0,5 % à 0,4 %, alors que le niveau d'éducation moyen était en constante augmentation et que le coefficient budgétaire de la fonction « loisirs culturels » était, lui aussi, en augmentation .
ÉROSION DU COEFFICIENT BUDGÉTAIRE CONSACRÉ AU LIVRE ET À LA PRESSE
Le public jeune représente un cas intéressant. Les analyses du BIPE reprennent le constat que les habitudes de lecture s'acquièrent, de manière définitive , avant l'âge de 20 ans et estiment essentiel d'amener les jeunes vers la lecture, le plus tôt possible. Les enfants et les adolescents sont une population particulièrement fidèle de la télévision. Ils regardent et aiment regarder la publicité. Avec la réglementation en place avant 2004, les jeunes se voyaient proposer via la publicité télévisée une grande diversité de produits et services culturels : DVD, disques, accès Internet, télévision par satellite... Seul l'univers de l'écrit était totalement absent de leur vitrine télévisuelle.
En second lieu, l' élargissement du marché pourrait provenir de l'utilisation , toujours pour les trois secteurs culturels, des capacités financières créées par une augmentation de la demande pour les « blockbusters » 35 ( * ) au service de produits moins « grand public ».
Dans un système économique où l'essentiel de la production culturelle est le fait d'entreprises privées (et où le financement public des biens culturels, quoique important, est minoritaire), il est nécessaire de tenir compte des contraintes financières des entreprises.
A supposer que l'accès à la publicité télévisée puisse détendre quelque peu ces contraintes financières, on peut espérer que la production de ces entreprises s'accroisse.
Or, si certaines d'entre elles adoptent des stratégies qui les conduisent à rechercher une optimisation commerciale de chacun de leurs produits, certaines chaînes de télévision notamment) cette option n'est pas vérifiée à l'échelle de l'ensemble du secteur.
Sauf en cas de restriction de la production (généralement involontaire comme dans les cas des chaînes de télévision), il peut être économiquement cohérent d'adopter un objectif de diversification de la production .
A titre d'exemple, on peut attendre que les revenus supplémentaires des groupes éditoriaux annonceurs permettent de mieux financer la « recherche et développement » (les nouveaux talents) ou la mise en valeur du fonds de catalogue.
Les éditeurs indépendants n'ont-ils pas favorisé l'émergence de « best sellers » à travers l'organisation de prix littéraires sans pour autant renoncer à maintenir une réelle diversité éditoriale ?
On peut concéder que ces enchaînements puissent intervenir au détriment de certains éditeurs 36 ( * ) .
Mais, l'effet sans doute modeste de la publicité sur la demande devrait prémunir contre des restructurations importantes des marchés concernés.
* 35 Les produits qui du fait de leur large diffusion justifient une communication publicitaire et engendre des marges particulièrement élevées.
* 36 Cela ne signifie pas nécessairement qu'il s'ensuive une réduction de la diversité culturelle. Les approches théoriques démentent sous certaines conditions l'intuition selon laquelle la pluralité des producteurs de biens culturels rimerait avec diversité.