II. BILAN : UN SYSTÈME DE MINIMA SOCIAUX OPAQUE POUR LES BÉNÉFICIAIRES ET PROBABLEMENT DÉSINCITATIF À L'EMPLOI

La complexité du système des minima sociaux en France et de leurs droits connexes, ainsi que les modalités de leur insertion dans l'ensemble de notre système de protection sociale entraîne d'inévitables effets pervers : des effets de seuil conduisant à des pertes brutales de revenu, des décalages dans le calendrier de versement des prestations qui fragilisent la gestion de budgets déjà très serrés...

Au total, le système des minima sociaux apparaît bien opaque pour les bénéficiaires qui, ne comprenant pas la mécanique des différentes prestations, ont parfois l'impression de décisions arbitraires et se sentent pris au piège de leur statut.

Dans ces conditions, se développent nécessairement des « trappes à inactivité », sans qu'il faille voir dans cette expression un jugement de valeur sur le comportement des intéressés : cette expression signifie simplement que le retour à l'emploi n'est pas rémunérateur, ce qui n'a rien à voir avoir la volonté des personnes considérées de retrouver ou non un emploi.

A. DE MULTIPLES EFFETS DE SEUIL

1. Une source d'effets de seuil en voie de résorption : les aides liées au statut

a) Des effets pervers particulièrement importants au niveau du RMI

La première source d'effets de seuil réside dans l'existence d'aides liées au statut : elles engendrent automatiquement des effets pervers car toute augmentation des revenus, de quelque origine qu'elle soit, entraîne non seulement la perte du bénéfice de l'allocation de base mais aussi de ces avantages liés au statut.

Or, elles sont particulièrement nombreuses pour les bénéficiaires du RMI et, dans une moindre mesure, de l'ASS, de l'AAH et de l'API.

Pour ne citer que le cas du RMI, la sortie du dispositif entraîne la perte immédiate du bénéfice de l'allocation logement à taux plein automatique, de l'exonération de taxe d'habitation et de redevance audiovisuelle, la fin du droit à la CMU et à la CMUC gratuites, la suppression de la prime de Noël et l'obligation de payer à nouveau un abonnement téléphonique à plein tarif. Par ailleurs, les dettes fiscales, qui étaient jusqu'alors suspendues, sont à nouveau exigibles.

Les aides liées au statut de bénéficiaire d'un minimum social

Minimum social

Droits connexes liés au statut

RMI

Allocation logement à taux plein automatique, suspension des dettes fiscales, exonération automatique de taxe d'habitation, exonération de redevance audiovisuelle, exonération de cotisation CMU, accès automatique et gratuit à la CMUC, tarification sociale téléphone, prime de Noël

AAH

Majoration pour vie autonome, exonération de redevance audiovisuelle, tarification sociale téléphone

ASS

Prime de Noël, tarification sociale téléphone

API

Allocation logement à taux plein automatique, suspension des dettes fiscales

Allocation d'insertion

Prime de Noël

Minimum vieillesse

Exonération de redevance audiovisuelle

Minimum invalidité

Exonération de redevance audiovisuelle

AER

Prime de Noël

Allocation veuvage

-

A la perte de ces aides nationales, il convient d'ajouter la suppression de nombreuses aides locales : compte tenu de la difficulté à vérifier les ressources des demandeurs, les collectivités locales ont en effet très souvent recours au critère du bénéfice de telle ou telle allocation - et notamment du RMI - pour attribuer leurs aides extralégales.

Dans la mesure où elles sont liées au statut de bénéficiaire d'une prestation donnée, la perte de revenu ou de droits se concentre au même moment, ce qui fragilise encore plus la situation de l'intéressé qui souvent n'a pas anticipé - ou de façon seulement partielle - les conséquences de son changement de statut.

b) Une prise de conscience récente des pouvoirs publics

Depuis le constat établi en 2000 par le commissariat général du plan 18 ( * ) , les pouvoirs publics ont pris conscience des effets pervers liés aux aides accordées en fonction du statut et ont tenté d'y remédier.

Ainsi, la réforme des allocations logement, entièrement applicable depuis 2001, a prévu de compléter le critère du statut pour l'attribution d'une aide à taux plein par un critère plus général, lié aux ressources cette fois. En conséquence, une personne qui ne perçoit plus le RMI peut continuer de bénéficier de l'allocation logement à taux plein, si ses ressources totales, provenant d'autres prestations ou d'une activité rémunérée, sont en réalité inchangées. De la même manière, le régime des exonérations de taxe d'habitation a été modifié par la loi de finances pour 2000, de façon à prévoir, en plus de l'exonération liée au bénéfice du RMI, une exonération accordée en fonction des ressources.

Par ailleurs, les pouvoirs publics évitent désormais de créer de nouveaux droits liés au statut, en leur préférant une simple condition de ressource, plus neutre : tel est par exemple le cas de la nouvelle tarification sociale de l'électricité.

Ce constat doit toutefois être nuancé : lors de la réforme de la redevance audiovisuelle mise en oeuvre par la loi de finances pour 2005, les aides liées au statut ont été reconduites. Cette erreur s'explique par le fait que l'objectif poursuivi par le Gouvernement était alors une simplification du système de la redevance, grâce à un adossement à la taxe d'habitation, et non le lissage des effets de seuil pour les bénéficiaires de minima sociaux. En réalité, cette question n'a pas été abordée. Dans cette perspective, il a simplement paru plus rapide de fusionner la liste des exonérations applicables à ces deux taxes, plutôt que d'entrer dans une réforme plus profonde du régime même des exonérations.

* 18 « Minima sociaux, revenus d'activité, précarité », Jean-Michel Belorgey, Commissariat général du plan, mai 2000.

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