MME LE DOCTEUR ANNE MOSNIER, GROUPES RÉGIONAUX D'OBSERVATION DE LA GRIPPE (GROG)
Je tiens tout d'abord à remercier les organisateurs de m'avoir donné l'opportunité d'intervenir parmi des orateurs prestigieux. Je suis médecin généraliste de formation et également épidémiologiste. Je coordonne les GROG depuis plus de quinze ans aux côtés du Docteur COHEN qui vous demande de bien vouloir l'excuser aujourd'hui. C'est probablement ma connaissance de cette surveillance épidémiologique sur le terrain des soins primaires qui peut justifier ma contribution aujourd'hui.
J'essaierai rapidement de vous convaincre - Monsieur le Professeur BRÜCKER et Monsieur RODIER l'ont déjà un peu fait - qu'il ne faut pas oublier les médecins généralistes et les acteurs de terrain dans cette surveillance. Cela a peu été évoqué au cours de la première partie de la matinée. J'utiliserai l'exemple des GROG qui existent depuis plus de vingt ans et sont un bon exemple de la participation des acteurs de première ligne de soins pour un réseau spécifique d'une surveillance qui a depuis montré sa capacité à fonctionner. En 1984, la grippe devait être surveillée à la demande de l'OMS et les GROG ont alors été créés pour constituer un réseau d'alerte et de surveillance des épidémies de grippe. La grippe est une maladie épidémique connue mais également très imprévisible et c'est une maladie virale communautaire. Paradoxalement, la seule surveillance qui existait alors en France se trouvait à l'hôpital et portait donc sur un petit nombre de cas hospitalisés, ce qui donnait une très mauvaise image de ce qui pouvait se passer dans la population globale.
La mise en place des GROG a donc reposé sur le constat que les médecins de première ligne et les autres soignants de ville étaient les premiers recours face à ce type d'épidémie puisqu'ils sont les plus proches de la population. Dans ce sens, l'organisation des GROG a donc été assez originale et visionnaire par rapport à tout ce qui a été dit en première partie de matinée. Elle s'est appuyée sur un réseau pluridisciplinaire qui regroupe aujourd'hui plus de 500 médecins généralistes, des pédiatres, des médecins militaires (dans un lien très fort avec le système militaire d'observation de la grippe), des médecins de services d'urgence, des pharmaciens d'officines. Ces véritables vigies sont réparties dans toutes les régions françaises et guettent l'arrivée des virus grippaux sur le territoire. La mise en place immédiate d'une collaboration très originale avec les centres nationaux de référence et la possibilité pour les médecins généralistes de faire des prélèvements analysés dans des laboratoires très spécialisés ont permis de faire du GROG un réseau d'alerte spécifique pour la grippe qui permet de caractériser très tôt l'arrivée du virus sur le territoire, de valider l'adéquation avec le vaccin et de participer au choix de l'élaboration des vaccins qui est effectuée à l'OMS chaque année. De même que les petites rivières font les grands fleuves, le recueil coordonné et l'analyse d'informations très ciblées émanant de ces observateurs - qui paraissent peut-être un peu isolés (le médecin généraliste dans son cabinet, le pharmacien dans son officine) mais qui ont aussi l'avantage d'être disséminés sur le territoire et d'être au contact de la population - permet d'avoir une vision très claire de ce qui se passe. Ainsi, depuis vingt ans, le travail des vigies GROG, qui est coordonné à l'échelon régional et à l'échelon national, a permis d'annoncer de façon fiable l'arrivée des épidémies de grippe et a donc participé activement au choix de l'OMS pour l'élaboration du vaccin en passant par l'intermédiaire des centres de référence « grippe ». Pour la grippe, ce modèle de surveillance spécifique, clinique et virologique, a été retenu à l'échelon européen et les GROG représentent la France dans le réseau European Influenza Surveillance Scheme (EISS).
Nous ne pouvons pas nous arrêter à la grippe, même si nous en avons beaucoup parlé ce matin, parce que d'autres choses peuvent arriver. Il faut voir dans ce réseau un incomparable outil d'alerte face à des menaces épidémiques attendues ou à l'émergence de pathologies à potentiel épidémique. Ainsi que je l'ai dit précédemment, les soignants de ville sont au plus près de la population et donc bien placés pour savoir ce qui s'y passe. En choisissant de participer à des réseaux de surveillance, ils acquièrent une sensibilité particulière aux problématiques communautaires et de santé publique. Les vigies des GROG sont formées et équipées de matériels de prélèvements qui ont montré leur intérêt à plusieurs reprises. Cela leur permet de faire des prélèvements à la recherche d'agents infectieux respiratoires dans des cas un peu particuliers. Le retour d'informations qui est transmis à ces vigies de façon hebdomadaire par l'intermédiaire d'un bulletin peut également être un outil précieux de diffusion de signaux d'alerte et de messages auprès des soignants.
La structure régionalisée (dont Monsieur le Professeur Gilles BRÜCKER a parlé précédemment) permet d'entretenir partout en France un véritable réseau de proximité qui peut être sollicité et adapté en cas de besoin. En cas de crise, les relais régionaux (dans chaque région) servent d'intermédiaires actifs entre le demandeur quel qu'il soit et le soignant. Cette validation de la demande limite la multiplication des sollicitations parce que cela peut également entraîner un danger. Si on commence à demander aux médecins généralistes de signaler tout ce qu'ils voient d'un peu étonnant, je pense que de nombreux signaux d'alerte arriveront dans tous les sens et que les médecins seront un peu débordés. Le passage obligatoire de toute demande extérieure par ces relais assure aux acteurs du réseau une véritable maîtrise d'oeuvre de leur système de surveillance et entraîne un accueil sans suspicion des demandes qui émanent de leur coordination.
De fait, les GROG ne se limitent pas à la grippe. Au fil des années, la surveillance s'étend peu à peu à d'autres agents respiratoires (le système européen a fait la même chose). Cette évolution permet en particulier de diffuser une information plus complète aux soignants et, dans un deuxième temps, à la population. Cela favorise notamment le bon usage des antibiotiques dans les infections respiratoires dont on sait qu'elles sont l'objet d'un gâchis d'antibiotiques très important en France. Les GROG ont également prouvé leur potentiel de réactivité en cas de crise inattendue. Le travail réalisé depuis de nombreuses années a montré tout son intérêt au moment du SRAS puisque nous avons été convoqués en même temps que d'autres systèmes à la DGS devant la crainte d'une pandémie grippale débutante au début du SRAS. Les GROG ont été les seuls acteurs capables de trouver immédiatement aux quatre coins du territoire français des médecins généralistes qui étaient équipés et formés pour pouvoir réaliser, dans un premier temps, des prélèvements respiratoires sur les soignants qui revenaient de l'hôpital d'Hanoi et qui avaient été en contact avec des patients malades et, dans un deuxième temps, pour assurer le suivi médical des personnes mises en quarantaine. Tout cela s'est déroulé dans le respect des consignes et en relation étroite avec leur coordination mais aussi avec les autorités de santé.
Cet outil est évolutif. À l'heure où l'on parle beaucoup de médecin traitant, de dossier médical partagé et du formidable outil de communication que représente Internet, il paraît évident que le médecin traitant qui sera le plus souvent un médecin généraliste doit être la porte d'entrée incontournable de l'observation de ces maladies, de ces phénomènes et de ces syndromes dont nous avons parlé à plusieurs reprises. Aujourd'hui, la notion de risque épidémique est profondément ancrée dans la population qui ne sait pas toujours ce dont il s'agit mais qui attend des réponses claires et coordonnées à chaque alerte.
Il ne faut pas indéfiniment créer des réseaux de surveillance pathologie par pathologie, risque par risque, sous peine de se retrouver rapidement dans une situation de type « désert des Tartares » qui va émousser l'attention des observateurs et les démobiliser. En incitant et en favorisant la participation active des médecins généralistes et des soignants de ville à des réseaux existants, évolutifs et réactifs (du type GROG), les autorités de santé s'adjoignent des partenaires clés dans la surveillance du risque épidémique. Dans ce sens, on ne peut que se réjouir de la signature récente de la convention de partenariat entre les GROG et l'Institut de veille sanitaire.
Je tiens toutefois à signaler que cet outil est fragile. Les médecins généralistes ont bien sûr un rôle majeur à jouer dans l'alerte épidémique et le fonctionnement des réseaux de type GROG doit être protégé. Pourtant, depuis vingt ans, nous peinons beaucoup pour trouver les financements qui nous permettent de vivre de façon pérenne sans être contraint d'utiliser constamment des « bouts de ficelles » pour parvenir à faire fonctionner ce réseau. Pour un médecin généraliste dans son cabinet, la participation à un réseau de surveillance doit s'intégrer dans son activité, être reconnue et recevoir une juste rémunération. Si pour le médecin généraliste, c'est un moyen de rester informé, de se former et de mieux prendre conscience des problématiques épidémiques et de santé publique, c'est aussi une charge de travail supplémentaire qui doit être reconnue. L'évolution de la démographie médicale et la conjoncture actuelle de la médecine générale tendent à rendre rares et précieux les soignants qui sont volontaires pour jouer ce rôle de vigie.
Mme Marie-Christine BLANDIN
Merci pour votre concision. Nous ne manquerons pas de faire remonter cette alerte. Vous faites partie des initiatives de terrain que tout le monde approuve et cite, mais dont on ne se rend pas toujours compte à quel point elles sont parfois fragilisées par un manque de soutien en espèces sonnantes et trébuchantes.
Après avoir entendu les partenaires de la surveillance du risque épidémique, nous passons aux politiques de prévention de ce risque épidémique en commençant par la Direction générale de la santé et le Docteur Yves COQUIN.