LA POLITIQUE DE PRÉVENTION DU RISQUE ÉPIDÉMIQUE - M. YVES COQUIN, DIRECTION GÉNÉRALE DE LA SANTÉ
Je vous prie tout d'abord d'excuser le Professeur DAB, dont je suis l'adjoint, qui n'a pu se libérer et qui m'a demandé d'intervenir à sa place sur ce thème.
Je ferai observer en préambule que le risque épidémique n'est pas l'apanage des agents microbiens transmissibles mais qu'il existe aussi une menace épidémique face à de nombreux facteurs de risque environnementaux, industriels et même comportementaux. Face à certaines situations, il n'est donc pas du tout évident de discerner immédiatement l'origine infectieuse d'un événement potentiellement épidémique. La taille de l'épidémie, le fait même que l'homme puisse se révéler un vecteur d'un phénomène épidémique, ne constitue pas l'apanage des agents infectieux. En revanche, il est vraisemblable que la dynamique que peut revêtir le phénomène, et l'existence d'un certain nombre de moyens privilégiés, dont l'action est tout à fait spécifique dans ce domaine, constitue la spécificité du risque épidémique infectieux.
La politique de prévention du risque infectieux repose sur six éléments qui s'articulent entre eux afin de constituer un dispositif synergique qui, s'il est respecté, peut être extrêmement efficace. Ces six éléments sont : la surveillance, la vaccination, le dépistage, les règles d'hygiène, les antibiotiques et la préparation des acteurs.
La surveillance
Je l'évoquerai rapidement puisque Monsieur le Professeur Gilles BRÜCKER et Guénaël RODIER ont donné l'essentiel des informations. La surveillance repose en premier lieu sur la responsabilité des professionnels de santé qui doivent signaler à l'autorité sanitaire (les directions départementales des affaires sanitaires et sociales au niveau local et la Direction générale de la santé au niveau central) certains événements qu'ils observent. Pour certaines maladies qui impliquent une intervention d'urgence (en raison de leur gravité, de leur absence dans notre pays et/ou de leur fort potentiel épidémique), le signalement est obligatoire et généralisé. C'est ce que l'on a appelé le système de déclaration obligatoire des maladies infectieuses. Pour d'autres maladies dont le signalement ne nécessite pas l'exhaustivité, des réseaux de médecins sentinelles ou de laboratoires ont été mis en place. Ces réseaux permettent tout autant de mettre en évidence très rapidement un phénomène épidémique soudain (comme la grippe) que de surveiller l'évolution de l'incidence de certaines maladies (comme la rougeole). Je soulignerai en particulier le rôle tout à fait privilégié des GROG dans la gestion de l'épidémie de SRAS et les remercie à nouveau de leur participation au Plan SRAS.
La surveillance repose d'autre part sur des centres nationaux de référence qui sont de laboratoires spécialisés capables d'apporter une expertise scientifique approfondie sur un certain nombre d'isolements microbiens. Cette expertise a pour but de permettre de trouver et de suivre le fil d'Ariane qui permet de remonter à l'origine d'un phénomène épidémique ou potentiellement épidémique. Monsieur le Professeur Gilles BRÜCKER a cité l'exemple des épidémies de listériose. Je donnerai un exemple un peu plus récent qui est celui des quelques cas d'infections de nourrissons à Enterobacter sakazakii. Dans un contexte différent de celui du dispositif actuel, ces cas seraient soit passés complètement inaperçus si la source de la contamination avait disparu, soit auraient été reconnus face à une situation beaucoup plus problématique. Il existe actuellement 47 centres nationaux de référence (avec un certain nombre de laboratoires associés) et ce dispositif auquel nous attachons une importance considérable correspond à un investissement de 8,2 millions d'euros de la part de l'État. Cet investissement, même s'il a considérablement augmenté ces dernières années (au début des années 90, il n'était que de 15 millions de francs) et compte tenu de la nécessité de multiplier ces centres dédiés à des bactéries ou à des agents viraux particuliers, est notoirement insuffisant par rapport au travail nécessaire, en particulier pour créer la plate-forme de recherche génomique que nous envisageons de mettre en place avec l'Institut Pasteur.
Par ailleurs, la menace bio terroriste a conduit à créer de nouveaux centres nationaux de référence et à inscrire dans la loi l'obligation pour tout professionnel de signaler sans délai tout phénomène qui lui paraît anormal, soit par son caractère sémiologiquement inhabituel, soit par une conjonction dans un temps bref également tout à fait inhabituelle. Ce système de signalement qui repose sur la responsabilité des professionnels de santé est susceptible de fonctionner remarquablement dans un certain nombre de situations. Nous en avons plusieurs exemples que je ne détaillerai pas.
La surveillance ne peut évidemment pas se limiter au territoire national en raison de la multiplicité et de la rapidité des échanges internationaux, qui sont une condition essentielle de la diffusion des épidémies. L'Europe a mis en place un système d'alerte rapide qui fonctionne ( Early warning system ) mais dont le fonctionnement actuel montre la nécessité et l'urgence de parvenir à harmoniser des procédures et des mesures de réponse au niveau des états membres.
A ce sujet, je reviendrai rapidement sur la révision du règlement sanitaire international dont le dernier date de 1969 même s'il n'a été introduit en France que par un décret de 1989. La philosophie générale du RSI est claire : assurer le maximum de sécurité contre la propagation des maladies infectieuses d'un pays à l'autre avec un minimum d'entraves au trafic mondial. Dans l'état actuel des choses et ainsi que l'a dit Guénaël RODIER, le système actuel est totalement obsolète. Cela montre l'enjeu que représente la volonté de certains pays, dont la France, de parvenir à s'extraire d'une liste limitée de maladies pour avoir une approche syndromique. Cette dernière consiste, avec un certain nombre d'algorithmes décisionnels, à déclarer à l'OMS un certain nombre d'événements qu'il est nécessaire, en fonction de leur gravité, de leur potentiel épidémique et des moyens d'y faire face, de signaler à la communauté internationale.
Le système de surveillance a été repris et considérablement développé par l'actuel Institut de veille sanitaire. Je voudrais dire à quel point la création au cours de l'été 1992 du Réseau national de santé publique puis sa transformation en Institut de veille sanitaire en juillet 1998 a constitué un pas de géant et un progrès considérable dans la politique de prévention du risque épidémique en France. Il ne faut pas en déduire que nous sommes parvenus à une vitesse de croisière et que l'institut est désormais dans une situation de « steady state ». Il n'est encore qu'au début de sa montée en charge.
La vaccination
C'est le moyen privilégié par excellence de prévention primaire même s'il n'est pas applicable à toutes les situations et si le développement de la vaccination, et des différents types de vaccins, peut susciter des réactions dans la société qui ne sont pas toujours positives. Il faut être conscient que la vaccination ne constitue pas seulement un acte de protection individuelle mais que c'est une manière de protéger efficacement une collectivité et une population en interrompant la circulation d'un agent microbien. À ce titre, le fait d'atteindre un taux de couverture suffisant (proche de 100 %) peut permettre d'éradiquer (c'est-à-dire de faire disparaître de la surface de la planète) un certain nombre de maladies infectieuses dont le réservoir est exclusivement humain. On cite souvent l'exemple de la variole parce que c'est le seul dont on dispose mais aussi « ancien » et ressassé qu'il soit, il constitue l'exemple d'une magnifique réussite. Il ne faut pas oublier que l'éradication de la poliomyélite et de la rougeole est totalement à portée de main. Il suffit de développer la couverture vaccinale et de dépasser largement le taux de couverture de 90 % qui stagne dans certaines zones géographiques de France. Il faut également être conscient que lorsque la vaccination se généralise mais n'atteint pas un taux de couverture suffisant, elle est susceptible de modifier l'épidémiologie d'un certain nombre de maladies et de favoriser l'émergence de formes graves, comme on peut par exemple le craindre vis-à-vis de la rougeole.
Le dépistage
Nous disposons de peu d'exemples de dépistage et c'est un sujet philosophiquement assez délicat à aborder. Il faut néanmoins souligner que le fait d'avoir rendu obligatoire le dépistage du portage chronique du virus de l'hépatite B au cours du troisième trimestre de la grossesse est un moyen d'intervenir dès la naissance pour éviter des pathologies graves et éventuellement des morts de nourrissons. C'est également un moyen d'éviter à ces nourrissons de venir accroître ou entretenir un réservoir de porteurs du virus dont la récente étude de l'institut a montré qu'il était notablement plus important que ce que nous avions estimé en 1994.
D'autre part, le dépistage, ou plus exactement la connaissance de son statut sérologique, est un élément clé qui nous a conduits, depuis deux ans, à réorienter les campagnes de lutte contre le Sida sans attendre l'article de Sanders paru le 10 février dernier qui évalue des stratégies d'élargissement du dépistage. Je laisse à Monsieur le Professeur Michel KAZATCHINE le soin de le commenter éventuellement.
Les règles d'hygiène
Il faut constamment rappeler ces règles. En milieu hospitalier, elles visent à lutter contre les infections nosocomiales. À cet égard, il ne s'agit pas seulement de rappeler des règles d'hygiène primaires telles que le lavage des mains que l'on a trop tendance à oublier, y compris dans un milieu qui devrait être parfaitement conscient du risque de transmission manuportée du risque infectieux. Il s'agit également d'apprendre aux professionnels de santé à se servir de certains outils tels que, par exemple, les masques respiratoires lorsqu'ils ont à gérer certains patients. Dans certaines circonstances, ces masques peuvent revêtir une importance toute particulière pour protéger les personnels de santé mais également éviter la diffusion de certaines épidémies.
Ces règles d'hygiène s'appliquent également dans la vie quotidienne. Vous avez vraisemblablement noté que depuis l'année dernière, nous avons axé une campagne de prévention du risque épidémique lié au virus respiratoire syncytial sur les règles d'hygiène que les parents de petits enfants et les professionnels en charge de tout petits dans les lieux d'accueil spécialisés devaient respecter face à certaines autres infections respiratoires dont ils pouvaient être atteints afin d'éviter la transmissibilité inter-humaine de ce type de pathologie.
Il faut également savoir que ces règles d'hygiène se déclinent dans le milieu industriel, qu'il s'agisse de l'agroalimentaire ou d'installations à risque comme les tours aéroréfrigérantes ou les dispositifs de traitement et de conditionnement de l'air.
Les antibiotiques
Nous avons tous l'habitude de recourir à l'antibiothérapie, quasiment tous les jours, pour prévenir le risque épidémique au sein des sujets contacts, par exemple d'un cas de méningite. Il s'agit alors de prévention secondaire. Mais face à certaines menaces de grande ampleur comme la menace bio terroriste, nous avons été conduits à constituer des stocks d'antibiotiques qui permettraient de traiter plusieurs centaines de milliers de personnes exposées à une contamination microbiologique. Ces stocks doivent permettre de traiter dans des délais très courts car la prévention secondaire n'a d'intérêt que si elle est appliquée extrêmement précocement après la contamination. Cela pose le problème du stockage, de la gestion du stock et surtout de la distribution et de la mise à disposition de ces stocks dans des délais extrêmement rapides face à un phénomène épidémique susceptible de désorganiser complètement l'organisation sociale dans un lieu donné. Nous avons longuement réfléchi, nous continuons à réfléchir et nous avons quelques solutions mais il ne faut pas s'imaginer que la constitution de ces stocks offre une garantie d'efficacité absolue.
La préparation des acteurs
Je reprendrai, y compris en termes de phénomène épidémique et de réaction adaptée à un phénomène épidémique et à une menace, le mot fameux de Louis Pasteur selon lequel « le hasard ne favorise que les esprits préparés ». Si nous avons d'autres programmes ou plans d'action de santé publique, les trois plans que nous avons vis-à-vis de la variole, du SRAS et de la grippe sont particulièrement orientés vers la coordination des différents intervenants face à une menace épidémique du type de celles de la variole, du SRAS ou de la grippe aviaire humanisée. Ces plans ont pour objet de définir le rôle des acteurs, de définir des procédures et d'indiquer, selon des situations types, les modalités d'action et les lieux auxquels il faut se référer pour prendre en charge les patients ou pour recourir à des moyens matériels tels que des produits de santé ou des dispositifs médicaux particuliers.
Dans le domaine de la grippe, nous sommes en train de constituer un stock de d'oseltamivir. Nous travaillons également pour obtenir un vaccin contre la souche aviaire qui circule actuellement et faciliter les conditions qui permettraient d'obtenir plus rapidement un vaccin contre une souche de grippe recombinée à partir du virus aviaire actuel. Une première lettre d'intention a été publiée. À la fin du mois de mars, nous disposerons d'ailleurs de 8 millions de traitements par oseltamivir. Là encore, cela nécessite de réfléchir à la manière de les utiliser parce que 8 millions de traitements sont nettement insuffisants si l'on veut protéger l'ensemble de la population. C'est également nettement insuffisant compte tenu de la dynamique de l'épidémie pour parvenir à protéger une population suffisamment importante pendant toute la durée de l'épidémie.
Ces plans qui sont rendus publics ont l'avantage de permettre en particulier aux professionnels de santé et aux principaux acteurs impliqués dans la gestion de ces épisodes d'entrer dans une logique de fonctionnement différente de celle qui est la leur actuellement. Il s'agit de rapprocher autant que possible cette dernière d'une logique de fonctionnement en situation de crise qui nécessite des précautions particulières et probablement le recours à des matériels particuliers.
Tel est le tableau que je souhaitais brosser pour montrer la logique d'un dispositif de prévention du risque épidémique. J'ajouterai qu'au niveau de la Direction générale de la santé, la prévention du risque épidémique concerne une quarantaine de personnes à des titres divers. Par exemple, depuis l'alerte à la rage de l'été 2004, nous avons vécu 22 épisodes d'alertes correspondant à des risques épidémiques. Cela va d'une épidémie de gale dans une collectivité jusqu'aux conséquences des 8 e et 9 e cas du nouveau variant de la maladie de Creutzfeld-Jacob qui ont été donneurs de sang et dont il faut gérer les conséquences en termes d'exposition de la population à travers les produits sanguins mais également les médicaments dérivés du sang. Ceci représente une charge de travail considérable qui a été considérablement accrue par le développement du dispositif de surveillance.
Je répète que la création du Réseau national de santé publique a permis de pointer un certain nombre de phénomènes que nous n'aurions pas traités auparavant, soit parce que nous ne les aurions pas observés, soit parce que nous n'aurions pas jugé utile de les prendre en considération. Ce n'est pas un dispositif sur lequel on peut s'endormir, aussi logique, cohérent et fortement structuré soit-il. Il doit non seulement subir des ajustements mais également des renforcements. Ceci pour indiquer qu'en matière de sécurité sanitaire, le dispositif de prévention du risque épidémique sera certainement un gros consommateur de moyens humains et financiers dans les décennies qui viennent. Je vous remercie.
M. Jean-Pierre DOOR
Merci Monsieur le Directeur. Ce chapitre de la prévention va nous permettre d'aborder des milieux différents les uns des autres. Nous allons maintenant approcher celui de la jeunesse au sujet de la prévention en milieu scolaire grâce au Docteur RICHARD.