M. GUÉNAËL RODIER, DIRECTEUR DU DÉPARTEMENT SURVEILLANCE ET RÉPONSE AUX ÉPIDÉMIES DE L'ORGANISATION MONDIALE DE LA SANTÉ (OMS)
Il est toujours difficile d'intervenir après Monsieur le Professeur Gilles BRÜCKER qui a dit beaucoup de choses. Je vous remercie de m'avoir invité afin de donner une perspective internationale, qui a déjà été évoquée par plusieurs intervenants, parce que nous avons clairement affaire à un domaine qui ne connaît pas de frontières.
Il a fallu attendre 1995 pour que la communauté internationale demande à l'OMS de consacrer l'un de ses départements aux maladies et aux épidémies émergentes. C'était un changement de stratégie par rapport à la tradition de toujours, associer une maladie connue et un programme (tuberculose, paludisme, etc.). Pour la première fois, un département s'intéresse au dynamisme microbien en général et essaie de repérer ce qui peut survenir. Aux États-Unis, l'Institut de médecine avait souligné dès 1991 l'importance du dynamisme microbien. L'émergence du Sida et de la légionellose ont été évoquées précédemment. Il a fallu attendre presque quinze ans pour que l'on comprenne qu'il fallait bien sûr des programmes spécifiques mais que le monde microbien était dynamique et qu'il fallait regarder autour de soi en ayant des activités de surveillance au-delà des maladies très connues.
Le risque épidémique est universel. Tous les pays connaissent des épidémies. Même les pays développés ont leurs propres épidémies internes. Je précise cela parce qu'on a souvent le sentiment que ce sont les pays en développement qui exportent leurs épidémies. L'épidémie de « vache folle » n'est pas née ailleurs mais en Europe. C'est un peu comme les accidents de la route : ils existent partout même s'ils sont un peu différents selon les pays.
Le risque épidémique est croissant. Les risques naturels, voire le risque d'origine délibérée, ont été clairement mentionnés précédemment. Je voudrais insister sur un autre risque : le risque accidentel. Des laboratoires a priori performants sont de plus en plus confrontés à des accidents de bio sécurité. Les derniers cas de SRAS en sont un bon exemple.
Les activités de surveillance, voire de recherche, connaissent un accroissement considérable. Beaucoup de choses sont aujourd'hui possibles à petite échelle du fait de la miniaturisation des biotechnologies. Il y a également un accroissement de la circulation d'agents infectieux pour les besoins du diagnostic ou de la recherche. Au plan international, la mondialisation-globalisation entraîne une augmentation des échanges en tout genre.
J'insisterai aussi sur l'aspect transversal du risque. On a mentionné l'aspect de la santé et de l'agriculture mais je soulignerai également celui de l'économie. C'est un problème pour les économies, pour la sécurité. Un coût économique considérable est associé aux épidémies et je pense qu'il ne faut pas laisser le secteur de la santé faire face seul à ce risque.
Il y a également un accroissement de la vulnérabilité parce que la population de la planète est plus nombreuse et plus âgée donc plus fragile. Elle est également de plus en plus urbanisée, ce qui entraîne une plus grande promiscuité.
De nombreuses personnes font de la surveillance mais c'est un métier en soi, qui n'est peut-être pas très bien développé. Tous les pays ne disposent pas d'expertise en surveillance, notamment de manière générique. C'est également une activité qui ne se conçoit pas sans une capacité de réponse. Il est inutile de créer un « numéro vert » pour comprendre ce qui se passe s'il n'y a pas un camion de pompiers à proximité et prêt à partir. Un des problèmes fondamentaux de la surveillance est que celle-ci s'éteint toute seule si une réponse n'est pas apportée aux rapports qui sont proposés. En pratique, cela signifie qu'il faut des systèmes d'alerte et de réponse précoce qui ne soient pas ciblés sur une maladie particulière mais qui s'intéressent à tout. Ce sont des systèmes propres qui font partie des éventuelles activités de surveillance nationale spécifiques mais il y a une complémentarité entre le générique et le spécifique. Par exemple, au début de l'épidémie du SRAS, on s'est beaucoup appuyé sur des activités de surveillance spécifique et des réseaux préexistants qu'étaient les réseaux de la grippe au plan international afin de disposer de leurs savoir-faire.
Ces capacités dans les pays seront une exigence du règlement sanitaire international. J'en profite pour mentionner que l'OMS dispose à Lyon d'un bureau dédié au renforcement de la capacité dans les pays. Si l'OMS effectue déjà cette surveillance sur les activités génériques, de plus en plus de pays le font également. La première de ces activités génériques est le renseignement épidémique. C'est un peu nouveau. Ainsi que cela a été dit précédemment, on ne peut pas tout surveiller alors il faut veiller à recueillir l'information qui existe déjà (celle apportée par les acteurs de la communauté tels que les journalistes) et la vérifier avec les pays concernés. Il existe aujourd'hui un réseau considérable de journalistes sur la planète dont le métier est de rapporter rapidement des événements. Je les en remercie parce que cela nous est utile. Ces événements ne sont pas toujours bien étiquetés mais, même dans le milieu du journalisme, il y a de plus en plus d'experts dans le domaine de la santé. Les médias représentent aujourd'hui 40 % des premières sources d'information dans le domaine du renseignement épidémique. Il ne faut pas non plus oublier le secteur privé qui est présent dans quasiment tous les pays, même les pays en développement, et qui représente environ 30 % des sources d'information. En Inde, plus de 50 % des soins de santé sont proposés par le secteur privé. Dans certaines régions telles que l'Afrique subsaharienne, les ONG sont très présentes. Par ailleurs, le secteur public représente environ un tiers des soins de santé. Le réseau propre de l'OMS est constitué de 6 bureaux régionaux et de 141 bureaux dans les pays. Tout cela nous permet de récolter une information que nous vérifions ensuite avec les états membres. Entre 2001 et 2004, nous avons reçu plusieurs milliers de rapports. 1 315 ont fait l'objet de vérifications auprès des états membres et 849 ont été totalement évalués. Une réponse a été fournie par l'OMS dans 150 cas et il a fallu mettre sur pied des équipes internationales 30 fois pour assister 26 pays.
A l'international, l'OMS joue son rôle normatif en indiquant sur son site Internet ce qu'il faut par exemple faire par rapport au SRAS, etc. L'OMS ne dispose pas de nombreux experts mais s'appuie sur un réseau international d'experts (en France, ils se trouvent à l'Institut Pasteur, à l'InVS, au Pharo, etc.). C'est en fait une petite entité qui fonctionne avec de nombreux réseaux. Par ailleurs, il nous est de plus en plus demandé d'être présent sur le terrain et de jouer un rôle de coordination. Lors de la plus grande épidémie d'Ebola au nord de l'Ouganda, je me souviens qu'un journaliste m'avait demandé quel serait le plus grand défi auquel nous aurions à faire face. Il pensait que j'allais lui parler du virus mais j'ai évoqué la coordination, parce que je pense que c'est là que réside le noeud du problème.
En ce qui concerne la réponse, qui est extrêmement importante, l'OMS a mis sur pied des infrastructures à Genève et c'est en cours dans les régions. Il s'agit essentiellement d'infrastructures de communication (vidéo, téléphone, etc.) de manière à pouvoir intervenir rapidement au plan international. Depuis bientôt cinq ans, il a également créé le réseau mondial d'alerte et de réponse aux épidémies qui s'appuie sur environ 120 institutions (dont l'Institut Pasteur, l'InVS, le Pharo en France). C'est un réseau de réseaux purement technique mais qui permet de récupérer très rapidement des experts après une demande d'assistance. Il s'agit non seulement d'experts dans leur domaine mais ceux-ci peuvent également parler la langue dont nous avons besoin ou connaître la zone où le problème se pose. Enfin, l'OMS a également mis sur pied des stocks internationaux en propre, relativement modestes, avec l'aide de l'industrie (notamment de Sanofi Pasteur) qui concernent par exemple la méningite, la fièvre jaune, la variole et la poliomyélite (pour la période de post-éradication). Le stock de l'OMS est petit (par exemple pour la variole) mais les pays s'engagent à mettre une partie de leur stock national à la disposition de l'organisation. Cela concerne aujourd'hui peu de pays.
Dans mon département, nous abordons le problème de la surveillance sur ce partenariat international. Je tiens à mentionner une fois encore le rôle du secteur privé et de l'industrie. Sans vaccins et sans médicaments, la santé publique se trouverait un peu démunie. Les ONG, les autres agences des Nations unies (notamment la FAO) et les autres organisations internationales (telles que l'OIE) sont également importantes. Toutes ces structures ont besoin de fonctionner ensemble grâce à un partenariat.
Il y a trois directions stratégiques et techniques pour prendre en charge ces problèmes :
Faire face aux risques connus
Les grands risques connus dont mon département s'occupe directement sont la grippe, le bioterrorisme, la méningite, la fièvre jaune, les fièvres hémorragiques africaines, etc. La grippe est un élément important puisque les vaccins sont modifiés chaque année. Un réseau international de laboratoires et de centres nationaux de référence collecte les souches qui circulent et permet ainsi d'obtenir un vaccin différent chaque année aussi bien dans l'hémisphère Nord que dans l'hémisphère Sud. Chaque maladie dispose souvent de son propre réseau, plus ou moins solide, au plan international.
Etre capable de faire face à l'imprévu
Nous avons beau établir une liste de tout ce que nous connaissons, l'expérience nous a montré au fil des 20 dernières années que nous ne savons toujours pas ce qui va arriver. Il faut donc être prêt, d'où l'importance de l'activité de renseignement épidémique et des capacités de réponses génériques qui sont en place.
Renforcer les capacités nationales
C'est l'un des efforts importants de l'OMS. Il a été indiqué précédemment que la planète est constituée de nombreux autres pays qui ont des besoins très importants en termes de système d'alerte et de réponse et qui sont souvent les plus exposés aux risques infectieux.
Le règlement sanitaire international qui existe aujourd'hui est complètement obsolète pour diverses raisons. Il s'occupe du choléra, de la peste et de la fièvre jaune. Tous les agents infectieux majeurs auxquels vous pouvez penser ne sont souvent tout simplement pas pris en compte. D'autre part, c'est un document qui se suffit aujourd'hui à lui-même et qui n'a pas cet aspect opérationnel. Il est proposé d'en réviser les points-clés. Pour information, la deuxième réunion d'un groupe de travail intergouvernemental qui regroupe 150 pays (dont la France) débutera demain à Genève pour discuter de ce règlement sanitaire international.
Le premier point-clé est que le champ d'application sera a priori beaucoup plus large que les trois maladies que j'ai citées (ce seront les états membres qui le définiront). Il s'intéressera aux urgences de santé publique à portée internationale. Cela peut regrouper beaucoup de choses. Il faut savoir que lorsqu'il y a une urgence de santé publique parce qu'un symptôme se déclenche quelque part, on ne sait pas forcément d'emblée s'il s'agit d'un agent infectieux ou non, d'un agent chimique ou d'autre chose.
Le deuxième point-clé est que le règlement sera opérationnel, c'est-à-dire qu'il s'appuiera sur des opérations à l'OMS et dans les pays. Chaque pays devra avoir un point focal d'interface opérationnelle avec l'OMS pour faire face à des urgences. Cela a été un peu testé au moment du SRAS puisque nous avions déjà quelques points focaux.
Enfin, il s'agira de placer les événements dans leur contexte et d'apporter des réponses sur mesure en s'appuyant sur une expertise internationale. Un cas de choléra en Afrique subsaharienne n'est pas la même chose qu'un cas de choléra à Genève. On peut retrouver des cas de paludisme à Paris. Aujourd'hui, tout se mélange mais il n'y a pas toujours un potentiel de catastrophe.
Parmi les initiatives internationales mais régionales existantes, j'en mentionnerai une parce que la dernière réunion s'est tenue à Paris en décembre dernier : le Global Health Security Action Group qui est une initiative du G7 et du Mexique. À l'origine, il s'intéressait beaucoup au bioterrorisme sous l'angle de la variole. Aujourd'hui, il s'intéresse surtout à la grippe en termes de grande menace internationale. D'autres initiatives régionales existent telles que le CDC européen. Je pense que nous en sommes aux prémices d'efforts à long terme, aux balbutiements de la prise en compte du risque posé par les agents infectieux et par leur dynamisme.
Le niveau des investissements actuels dans les différents pays est certainement très insuffisant, en particulier s'il s'agit d'un problème qui a un fort impact sur l'économie et la sécurité. Le SRAS a coûté 50 milliards de dollars aux économies ; la fièvre aphteuse (qui est un cas un peu à part) 30 milliards de dollars ; la « vache folle » 12 à 13 milliards de dollars et la grippe aviaire coûte déjà 10 milliards de dollars. L'investissement de santé publique se situe très en dessous du seul milliard de dollars au niveau global. Je répète que si la santé publique doit faire face seule à un risque aussi important et à des investissements qui sont hors du contexte coût/efficacité mais qui sont des investissements de nature sécuritaire, il faudra se poser la question de ce qu'il faut faire au niveau politique. Il faut être conscient que lorsqu'il y a une épidémie, le ministre de la Santé se retrouve sur la ligne de front mais le Premier ministre également, voire le Président. J'ai constaté cela dans quasiment tous les pays.
D'autres choses sont insuffisantes. Nous avons certainement perdu la culture infectieuse, la culture de l'hygiène. Autrefois on apprenait à se laver les mains avant de passer à table et je pense que cela ne se pratique plus beaucoup. Il y a également un défaut d'expertise générique ; c'est un savoir-faire que tout le monde n'a pas. Le problème de l'industrie a par ailleurs été mentionné. Effectivement, certaines maladies existent toujours mais ne représentent plus des marchés très intéressants. Des transferts technologiques se font sur l'Inde ou le Brésil pour le développement de vaccins ou de produits tels que le chloramphénicol qui est toujours très utile dans la méningite. Certaines choses tendent ainsi à disparaître alors qu'on en a toujours besoin. Je soulignerai également l'importance de faire des exercices parce que c'est souvent le meilleur moyen de mettre en évidence les vrais problèmes et d'engager les politiques sur la mise en évidence de ces manques dans notre préparation.
Je pense que le risque n'a jamais été aussi important qu'aujourd'hui, notamment du fait du risque de recombinaison du fameux virus H5 N1 avec un virus humain. Il suffit qu'une cellule soit infectée par les deux virus à la fois pour que les choses se combinent. Tout ne donnera pas naissance à un virus dramatique mais ce dernier est une éventualité.
Pour terminer sur les difficultés, j'indiquerai que la surveillance se « vend » mal parce que ce n'est qu'un moyen et non pas une destination en soi. Il est difficile d'engager les politiques et le public sur l'importance de la surveillance. Celle-ci contribue toutefois à la sécurité sanitaire mondiale sur laquelle je pense que les politiques et le public sont engagés.
Je conclurai en insistant sur le grand défi qu'est la coordination, tant pour l'international que le transversal. Merci.
M. Jean-Pierre DOOR
Merci Monsieur RODIER. Monsieur le Professeur Gilles BRÜCKER a évoqué précédemment la nécessité de développer les systèmes d'information et de mettre en place des outils de surveillance sanitaire, en particulier au niveau régional. Je pense que le Groupement régional d'observation de la grippe (GROG) en est un exemple grandeur nature. Ce groupement existe depuis plus de quinze ans et est bien connu sur le plan local et régional puisqu'il intègre les médecins généralistes. Madame MOSNIER, je souhaite que vous puissiez nous expliquer un peu le fonctionnement de ces groupes régionaux.