EXAMEN EN COMMISSION

Réunie le mercredi 30 mars 2005 sous la présidence de M. Jean Arthuis, président, la commission a entendu une communication de M. Philippe Marini, rapporteur général , sur le pacte de stabilité et de croissance.

Après avoir indiqué qu'il s'était entretenu à Bruxelles les 24 et 25 janvier 2005 de la réforme du pacte de stabilité avec plusieurs personnalités, dont M. Joaquín Almunia, commissaire européen chargé des affaires économiques et monétaires, M. Philippe Marini, rapporteur général, a rappelé que le pacte de stabilité, prévu par le Traité de Maastricht et mis en oeuvre par le Conseil européen d'Amsterdam le 17 juin 1997, comportait un volet « préventif » et un volet « répressif ».

Il a considéré que le pacte de stabilité était difficilement applicable, la moitié des Etats membres ayant fait l'objet, d'ores et déjà, de la procédure relative aux déficits excessifs, ce qui montrait l'absence d'effet dissuasif du dispositif. Il a rappelé que, parmi les 12 Etats membres appartenant à la zone euro, 5 avaient fait l'objet d'une telle procédure (Allemagne, France, Grèce, Pays-Bas, Portugal), dont 2 avaient été suspendues d'une manière non prévue par les textes (France, Allemagne) et 2 étaient encore en cours (Grèce, Pays-Bas). Il a souligné que, parmi les 13 Etats membres n'appartenant pas à la zone euro, 7 faisaient l'objet d'une procédure pour déficit excessif (Chypre, Hongrie, Malte, Pologne, République tchèque, Royaume-Uni, Slovaquie). Il a ajouté qu'en 2004, selon les données encore provisoires transmises à la Commission européenne, 9 Etats auraient été en situation de déficit public excessif, dont 3 appartenant à la zone euro (Allemagne, France, Grèce), et 6 n'appartenant pas à la zone euro (Royaume-Uni, Malte, Pologne, Hongrie, Chypre, Slovaquie).

M. Philippe Marini, rapporteur général, a jugé que cette situation s'expliquait, en particulier, par le fait qu'il était quasiment impossible de sanctionner un Etat membre. Il a souligné que le Conseil n'avait jamais décidé de sanction, et qu'il avait décidé une mise en demeure, dans un seul cas, celui de la Grèce, le 17 février 2005. Il a rappelé que, quand la Commission européenne avait recommandé au Conseil de décider d'une mise en demeure à l'encontre de la France et de l'Allemagne, celui-ci avait décidé, le 25 novembre 2003, d'adopter des « conclusions » non prévues par les textes.

Il a considéré que la violation du pacte de stabilité par de nombreux Etats membres venait essentiellement du fait que celui-ci ne les incitait pas véritablement à mener une politique budgétaire appropriée lorsque la croissance économique était forte et « masquait » une situation budgétaire dégradée. Il a indiqué que les textes prévoyaient seulement une procédure d'« alerte précoce », selon laquelle, quand la situation budgétaire d'un Etat s'écartait de ce que prévoyait son programme de stabilité, la Commission européenne pouvait recommander au Conseil de lui adresser un tel avertissement. Il a précisé, qu'en pratique, le Conseil n'avait appliqué cette procédure qu'à une seule occasion, au sujet de la France, le 21 janvier 2003. Il a estimé que l'absence d'incitation véritable des Etats membres à mener une politique budgétaire adaptée en période de croissance forte était d'autant plus préoccupante qu'il s'agissait d'une politique budgétaire inappropriée avant le ralentissement de la croissance en 2002, qui expliquait le déficit excessif observé en France et en Allemagne.

M. Philippe Marini, rapporteur général, a également considéré que le pacte de stabilité était, sous sa forme actuelle, économiquement susceptible de contestations. Il a estimé que le respect d'une cible de solde public n'était pas une fin en soi, mais avait pour objet de maîtriser le taux d'endettement. Il a rappelé que la limite de 3 % du PIB pour le déficit public autorisé avait été calculée pour permettre, selon les hypothèses d'une croissance annuelle en valeur de 5 % et d'un endettement initial de 60 % du PIB, la stabilisation du taux d'endettement. Il a évoqué la proposition, faite en mai 2002 par M. Jean Pisani-Ferry, de donner aux Etats membres la possibilité d'opter pour un « Pacte de soutenabilité de la dette », les Etats respectant leurs engagements en matière de dette publique étant automatiquement considérés comme ne se trouvant pas en situation de déficit excessif. Il a souligné que, selon les estimations du gouvernement, le solde public permettant d'avoir dans 20 ans une dette publique de 40 % du PIB sans prise en compte de la dette implicite, ou de 60 % du PIB avec prise en compte de la dette implicite, était compris entre environ 3 % pour l'Irlande et l'équilibre pour la Belgique. Il a considéré, en conséquence, que la limite actuelle de 3 % du PIB, applicable à tous les Etats, ne semblait guère justifiée. Il a précisé que la situation de la France ne serait cependant guère modifiée par une telle réforme, dont résulterait, dans son cas, une cible de déficit structurel de l'ordre de 1 % du PIB, soit un niveau identique à celui lui permettant, en principe, de ne pas avoir de déficit effectif supérieur à 3 % du PIB.

M. Philippe Marini, rapporteur général, a considéré que, dans ces conditions, la réforme décidée par le Conseil européen des 22 et 23 mars 2005 pouvait sembler encore inaboutie.

Il a jugé que l'interdiction d'avoir un déficit public supérieur à 3 % du PIB n'était assouplie qu'à la marge, et restait le critère essentiel en fonction duquel était appréciée la situation budgétaire des Etats. Il a souligné l'écart entre la complexité des réformes décidées et l'impact a priori limité que, selon lui, elles auraient en pratique. Il a rappelé que le Conseil européen avait décidé de rendre moins restrictive la définition des « circonstances exceptionnelles », qui permettait à un Etat d'avoir un déficit supérieur à 3 % du PIB, et qu'en particulier, seraient pris en compte une multitude de facteurs, parmi lesquels les politiques visant à encourager la R&D et l'innovation, la viabilité de la dette, et « tout autre facteur qui, de l'avis de l'Etat membre concerné, est pertinent pour pouvoir évaluer globalement, en termes qualitatifs, le dépassement de la valeur de référence ». Il a précisé que seraient également prises en considération les réformes des systèmes de retraite se traduisant par l'introduction de la capitalisation, qui avait un coût budgétaire à court terme. Il a cependant souligné que le dépassement de la valeur de référence devrait être temporaire et de faible ampleur, et qu'en conséquence, un déficit public de 4 % du PIB serait, vraisemblablement, toujours considéré comme trop élevé, de sorte que la règle des 3 % n'était guère modifiée en pratique.

M. Philippe Marini, rapporteur général, a considéré, pourtant, qu'il aurait peut-être été possible de faire de la dette publique un critère essentiel de la mise en oeuvre de la procédure relative aux déficits excessifs, sans modifier ni le traité CE, ni le protocole sur la procédure relative aux déficits excessifs, en contournant partiellement l'interdiction d'avoir un déficit public supérieur à 3 % du PIB, par une modulation du rythme de l'ajustement favorable aux Etats peu endettés. Il a jugé que les propositions faites par la Commission européenne en septembre 2004 ne semblaient pas écarter une réforme de cette nature.

Il a estimé que les Etats membres ne seraient pas plus incités qu'aujourd'hui à mener une politique budgétaire appropriée en période de croissance économique forte. Il a indiqué que le projet de « traité établissant une Constitution pour l'Europe » prévoyait que la Commission européenne pourrait adresser une recommandation directement à l'Etat membre concerné, et que la réforme du pacte de stabilité décidée par le Conseil européen prévoyait seulement d'anticiper la mise en oeuvre de cette mesure, avec la diffusion, par la Commission, de « conseils stratégiques visant à encourager les Etats membres à ne pas s'écarter de leur trajectoire d'ajustement ». Il a considéré que, du fait, notamment, de l'absence de possibilité de sanction, cette procédure semblait devoir rester peu efficace.

M. Philippe Marini, rapporteur général, s'est alors interrogé sur la manière de rendre plus effectives les règles du pacte de stabilité.

Il a jugé nécessaire de réaliser une véritable réforme d'Eurostat, et en particulier d'en renforcer la légitimité, estimant que celle des statistiques communautaires en matière de finances publiques était importante, non seulement pour le bon fonctionnement du pacte de stabilité, mais aussi pour celui des marchés financiers, qui devaient pouvoir convenablement évaluer la solvabilité des différents Etats membres, afin de signaler les erreurs de stratégie. Il a rappelé que la réforme d'Eurostat était à l'ordre du jour, depuis le Conseil du 2 juin 2004, qui avait invité la Commission européenne à faire des propositions de réforme à cet égard, et la notification de la situation budgétaire grecque, datant de septembre 2004, et qui avait fait apparaître d'importantes révisions des chiffres du déficit et de la dette pour les années 2000 à 2003. Il a indiqué que la Commission européenne avait, au sujet de la réforme d'Eurostat, présenté le 22 décembre 2004 une communication, et adopté le 2 mars 2005 un projet de règlement, prévoyant, notamment, de donner à Eurostat un pouvoir de contrôle sur pièces et sur place. Il a précisé que les capacités opérationnelles d'Eurostat devaient être augmentées, que la Commission européenne devait faire, avant la fin du premier semestre 2005, des propositions afin d'améliorer les normes européennes minimales concernant les instituts nationaux de statistique et Eurostat, et que les conclusions du Conseil européen des 22 et 23 mars 2005 prévoyaient que « l'imposition de sanctions à l'encontre d'un Etat membre devrait être envisagée lorsqu'il y a violation de l'obligation de transmettre dûment les données gouvernementales ». Il a jugé que si ces réformes allaient dans le bon sens, elles ne renforçaient pas suffisamment la légitimité d'Eurostat, indispensable à un bon fonctionnement du pacte de stabilité. Il a considéré que, s'il n'était pas souhaitable de rendre Eurostat, qui était un « office » soumis à la direction générale des affaires économiques et financières de la Commission européenne, indépendant de cette dernière, il serait, en revanche, utile de renforcer la légitimité d'Eurostat par la mise en place d'un « comité des sages », moins suspect de dépendance vis-à-vis des intérêts nationaux, que l'actuel « comité des statistiques monétaires, financières et de la balance des paiements ». Il a précisé que cette instance de régulation devrait être constituée de personnalités incontestables au vu de leur expérience professionnelle et de leur réputation dans des milieux académiques, qui seraient désignées par le président du Conseil, celui de la Cour de Justice et celui de la Commission européenne.

M. Philippe Marini, rapporteur général, a jugé essentiel que chaque Etat membre réalise des réformes internes afin de se conformer au pacte de stabilité, et en particulier de mener une politique budgétaire adaptée en période de croissance économique forte. Il a rappelé que le Conseil européen, conscient des limites de la réforme qu'il avait décidée, invitait, à cet égard, les Etats membres à instaurer des règles nationales destinées à permettre une meilleure application du pacte, à faire du premier programme de stabilité de chaque nouvelle législature un véritable engagement pluriannuel, et à mieux associer les Parlements nationaux. Sur ce dernier point, il a jugé souhaitable de profiter du débat d'orientation budgétaire (DOB) pour procéder, chaque année, à un examen approfondi de la mise en oeuvre des engagements européens de la France. Il a rappelé que l'article 48 de la LOLF disposait que le rapport présenté « au cours du dernier trimestre de la session ordinaire » par le gouvernement dans la perspective du DOB devait comporter « une description des grandes orientations de [la] politique économique et budgétaire au regard des engagements européens de la France ». Il a considéré que le rôle du DOB serait renforcé si, comme la Commission européenne l'avait proposé dans un rapport de juin 2004, les programmes de stabilité lui étaient présentés fin mai, et non début décembre comme tel était le cas aujourd'hui. Il a également jugé indispensable d'organiser des débats sur les projets ou propositions d'actes communautaires adoptés par les institutions, concernant la mise en oeuvre par la France du pacte de stabilité, dans le cadre de l'article 88-4 de la Constitution. Après avoir rappelé que l'article 73 bis du règlement du Sénat prévoyait déjà que les résolutions adoptées dans le cadre de l'article 88-4 de la Constitution pouvaient l'être avec ou sans débat en séance publique, il a jugé cette dernière solution préférable. Il a indiqué à cet égard que le Conseil européen suggérait que les Parlements nationaux tiennent « un débat sur le suivi à donner aux recommandations formulées dans le cadre de la procédure d'alerte rapide et de la procédure concernant les déficits excessifs ».

Un large débat s'est ouvert.

M. Jean Arthuis, président, a considéré que les recommandations faites par le rapporteur général étaient équilibrées. Il a estimé que le pacte de stabilité ne devait pas devenir un « pacte de tolérance », chaque Etat étant libre, en pratique, de mener la politique budgétaire qu'il souhaitait.

M. Maurice Blin s'est interrogé, au vu de la situation économique actuelle, sur les raisons de l'appréciation de l'euro. En réponse, M. Philippe Marini, rapporteur général, a souligné la convergence d'intérêt des Etats-Unis et de la Chine en faveur d'une valeur élevée de l'euro, ainsi que les insuffisances institutionnelles de l'Union européenne en matière de politique de change. M. Jean Arthuis, président, a considéré que l'appréciation de l'euro s'expliquait en partie par la politique de la Banque centrale européenne en matière de taux d'intérêt.

M. Yves Fréville a considéré qu'il était indispensable, pour que les Etats membres mènent une politique adaptée en période de croissance forte, que le déficit structurel soit défini de manière incontestable. Il a estimé, en outre, que la commission des finances devait donner son avis sur la prise en compte par le gouvernement de certaines mesures budgétaires, telles que les « soultes ». Il a souligné la nécessité qu'Eurostat se voie reconnaître la possibilité d'un contrôle sur pièces et sur place, et s'est interrogé sur la possibilité concrète de prendre des sanctions à l'égard d'un Etat.

En réponse, M. Philippe Marini, rapporteur général, a indiqué que l'estimation du déficit structurel de la France pour l'année 2004 était de 2,4 % selon le gouvernement, et de 3,5 % selon la Commission européenne. Il a souligné la nécessité d'une harmonisation des concepts utilisés au sein de l'Union européenne en matière de finances publiques, et que la réforme du pacte de stabilité décidée par le Conseil européen ne prévoyait pas de faciliter l'imposition de sanctions aux Etats en situation de déficit excessif.

MM. Jean Arthuis, président, Yves Fréville et Maurice Blin, ont considéré qu'un Etat ne pouvait, en pratique, se voir imposer de sanction. M. Jean Arthuis, président, a rappelé que, quand il était ministre de l'économie, des finances et de l'industrie, et, à ce titre, chargé de la négociation du traité sur l'Union européenne, il avait oeuvré pour obtenir que celui-ci ne prévoie pas d'automaticité de sanctions en cas de déficit excessif. Il a considéré, de même que M. Philippe Marini, que, seuls, les marchés financiers étaient susceptibles de sanctionner un Etat menant une politique budgétaire non soutenable. M. Yves Fréville a déclaré ne pas partager cette analyse, alors que les emprunts de chaque Etat membre de la zone euro étaient libellés dans la même monnaie, et considéré que la seule sanction possible était celle de la publication du solde structurel des Etats membres.

MM. Jean Arthuis, président, et Maurice Blin, ont considéré que la monnaie unique incitait à l'indiscipline budgétaire.

M. Jean Arthuis, président, a déploré le manque de sincérité du mode de comptabilisation de certaines opérations budgétaires. Il a considéré que la proposition faite par le rapporteur général d'organiser des débats en séance publique, sur la mise en oeuvre du pacte de stabilité, était pertinente. Il a jugé que la commission des finances devait renforcer encore sa capacité d'expertise des projets et propositions d'actes communautaires transmis en application de l'article 88-4 de la Constitution et qui relevaient de son domaine de compétence.

M. Yann Gaillard s'est interrogé sur les interférences éventuelles pouvant exister entre les réformes actuellement en cours du pacte de stabilité et l'actualité européenne, marquée par le prochain référendum sur le « traité établissant une Constitution pour l'Europe ».

Un débat s'est alors ouvert au sujet de la proposition de directive tendant à libéraliser les services, auquel ont participé MM. Jean Arthuis, président, Philippe Marini, rapporteur général, Maurice Blin, et Yves Fréville.

Puis la commission des finances a donné acte au rapporteur général de sa communication et en a autorisé la publication sous la forme d'un rapport d'information.

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