QUATRIÈME PARTIE :
UNE LOI AU SERVICE DE L'ATTRACTIVITÉ
DU MARCHÉ FINANCIER
ET DU DROIT FRANÇAIS
Au fil des débats parlementaires, la loi de sécurité financière a renforcé une dimension qui n'était que relativement marginale dans le projet de loi , par l'introduction dans le titre II de diverses mesures tendant à renforcer la compétitivité de la place financière française. Ces dispositions ont permis de moderniser le cadre réglementaire des produits financiers, en particulier de certaines catégories d'OPCVM, et d'offrir aux entreprises de nouveaux instruments de financement. L'aménagement du cadre de la gestion collective était déjà prévu dans le projet de loi déposé par le gouvernement (mesures relatives aux fonds à compartiments, aux actifs éligibles et aux fonds fermés par exemple), mais procédait davantage d'une « remise à niveau » par rapport à la concurrence étrangère, en particulier luxembourgeoise, et de la conformité à deux récentes directives communautaires 118 ( * ) , que de l'insertion de nouveaux avantages comparatifs.
La compétitivité s'évalue également au regard des dispositions qui permettent d'assouplir le fonctionnement des entreprises et de moderniser notre droit des sociétés . Cette « attractivité juridique » procède non de la variété des instruments financiers disponibles sur la place française, mais de l'atténuation de certaines contraintes pesant sur les organes sociaux et sur les modalités de recours au marché financier par les sociétés.
Souplesse et attractivité ne participent pas directement de la sécurité financière, mais n'en sont pas moins complémentaires et peuvent y contribuer indirectement . Il s'agit en effet de pérenniser la place de leader européen de la gestion collective française, de plus en plus menacée, de permettre aux entreprises de diversifier leurs sources de financement, et de poursuivre le mouvement de différenciation juridique entre sociétés faisant appel public à l'épargne - dont l'exigence de réactivité trouve sa contrepartie dans une plus grande transparence - et sociétés « fermées » ne recourant pas au marché.
I. UNE MEILLEURE COMPÉTITIVITÉ DU MARCHÉ FINANCIER FRANÇAIS
A. LA MODERNISATION DES SOCIÉTÉS DE GESTION ET DES OPCVM
1. Les modifications du cadre général
a) L'élargissement de la liste des actifs éligibles des OPCVM
La LSF a introduit plusieurs dispositions qui modifient le cadre réglementaire des sociétés de gestion et des OPCVM. Elles étaient nécessaires et n'ont guère fait l'objet de controverses.
En procédant à la transposition d'une disposition de la directive 2001/108/CE, précitée, l'article 58 étend la liste des actifs éligibles des OPCVM aux dépôts bancaires 119 ( * ) . Elle confirme en outre la faculté, ouverte par l'article 2 du décret n° 2002-1439 du 10 décembre 2002, pour les OPCVM de recourir aux dérivés de crédit. Ces dispositions permettent à la gestion collective française de mieux faire face à la concurrence européenne et de diversifier les actifs des OPCVM.
Le recours des OPCVM aux dérivés de crédit, instrument en expansion très rapide dont les risques potentiels et les avantages sont mis en exergue par un grand nombre d'études 120 ( * ) , demeure strictement encadré par l'AMF, qui a de surcroît précisé ses attentes le 12 novembre 2003 121 ( * ) . Cette dernière sollicite le dépôt d'un programme d'activité spécifique portant sur des conditions précises de moyens, de valorisation et d'indépendance du contrôle des instruments, et impose le respect de certaines caractéristiques portant sur les contrats y afférents et la nature des entités sur lesquelles porte le risque de crédit. Ce cadre réglementaire apporte certaines garanties de fiabilité et limitations sur l'utilisation des dérivés de crédit par les OPCVM, mais ne permet pas de se prémunir d'éventuels risques systémiques , dont l'occurrence dépend notamment de l'évolution des asymétries d'information et de la sélection adverse du risque de crédit, de la propension des banques à ne pas « recycler » leurs mauvais risques et de la capacité des nouveaux détenteurs du risque de crédit à bien le mesurer et le gérer 122 ( * ) . La prévention de ce risque d'instabilité doit être traitée au niveau international, en particulier par le Forum de stabilité financière et l'Organisation internationale des commissions de valeurs, qui ont d'ores et déjà réalisé des travaux sur ce thème.
b) La possibilité de procéder à la fermeture d'un fonds
L'article 59 supprime l'obligation d'émettre des parts d'OPCVM à tout moment , qui constituait une spécificité de la réglementation française, plus stricte que les dispositions de la première directive de 1985 relative aux OPCVM, laquelle fixait dans son article 1-2 le seul principe de rachat des parts à tout moment. Les conditions dans lesquelles la fermeture peut intervenir ont été précisées par le règlement COB n° 89-02, modifié par le règlement n° 2003-08 du 22 novembre 2003, relatif aux OPCVM, et sont entrées en vigueur le 1 er avril 2004.
Cette possibilité nouvelle de fermeture d'un fonds apporte une plus grande souplesse aux gestionnaires d'OPCVM « à formule », de fonds dédiés et de fonds positionnés sur des marchés spécifiques et étroits, qui peuvent être conduits à interrompre temporairement ou définitivement l'accès de nouveaux souscripteurs pour pouvoir continuer de gérer l'actif dans des conditions satisfaisantes.
c) L'étanchéité des compartiments
L'article 60 introduit une étanchéité financière entre les compartiments d'un OPCVM à compartiment (catégorie créée par la loi n° 98-546 du 2 juillet 1998 portant diverses dispositions d'ordre économique et financier). Cette disposition a été contestée par les défenseurs du principe d'unicité du patrimoine, posé par l'article 2093 du code civil. Outre le fait que ce principe est tendanciellement soumis à davantage de dérogations 123 ( * ) , votre rapporteur général juge que cette disposition est sécurisante pour le porteur de parts, dans la mesure où le compartiment sur lequel il est investi n'est plus solidairement redevable des dettes des autres compartiments, et place les fonds de droit français sur un pied d'égalité avec leurs concurrents luxembourgeois.
d) La fin annoncée des sociétés de gestion à objet exclusif
L'article 68 intègre les conséquences de la directive 2001/107/CE du 21 janvier 2002 124 ( * ) , précitée, en unifiant le statut des sociétés de gestion. La catégorie des sociétés de gestion à objet exclusif ou « collectives », désormais inutile, est supprimée . Ne subsistent donc depuis le 13 février 2004 (date limite de transposition de la directive) que les sociétés de gestion de portefeuille, qui peuvent désormais gérer des OPCVM coordonnés et exercer l'activité de gestion sous mandat, c'est-à-dire gérer des portefeuilles sur une base collective ou individuelle. Les sociétés concernées ont disposé d'un délai de mise en conformité de leurs statuts et de leur organisation, avant le 13 février 2004, et devaient déposer une demande d'agrément auprès de l'AMF avant le 31 décembre 2003.
e) L'émission de différentes catégories de parts
L'article 62, introduit par votre commission des finances en première lecture, permet enfin à un OPCVM d'émettre différentes catégories de parts , ce qui tend à favoriser l'effort de transparence, de rationalisation et de productivité de la gestion collective française, notamment par une augmentation de la taille moyenne des fonds, aujourd'hui nettement inférieure à ceux de droit anglais ou luxembourgeois. Les conditions d'émission de ces parts ont été précisées par la COB dans le règlement n° 2003-08 du 22 novembre 2003, précité.
* 118 Directive 2001/107/CE du Parlement européen et du Conseil du 21 janvier 2002 modifiant la directive 85/611/CEE du Conseil portant coordination des dispositions législatives, réglementaires et administratives concernant certains organismes de placement collectif en valeurs mobilières (OPCVM) en vue d'introduire une réglementation relative aux sociétés de gestion et aux prospectus simplifiés ; et directive 2001/108/CE du Parlement européen et du Conseil du 21 janvier 2002 modifiant la directive 85/611/CEE du Conseil portant coordination des dispositions législatives, réglementaires et administratives concernant certains organismes de placement collectif en valeurs mobilières (OPCVM), en ce qui concerne les placements des OPCVM.
* 119 Pour être éligibles, ces dépôts doivent toutefois présenter certaines caractéristiques, définies par l'article 19-1-f de la directive précitée et précisées, en droit français, par l'article 2-1 du décret n° 89-623 du 6 septembre 1989, modifié par le décret n° 2003-1103 du 21 novembre 2003 . Ces règles sont destinées à préserver la sécurité des porteurs de parts . Les placements doivent ainsi être remboursables sur demande ou susceptibles d'être retirés à tout moment, et leur échéance est plafonnée à un an.
Certains gestionnaires estiment toutefois que ces contraintes sont trop lourdes, et que les exigences minimales de rentabilité des dépôts jointes aux variations des taux les obligent à des placements dans des dépôts à échéance de 24 heures.
* 120 Le débat porte également sur la nature juridique des dérivés de crédit qui, s'ils sont qualifiés d'opérations de banque plutôt que de contrat d'assurance ou d'instruments financiers à terme, contribuent à ce que les OPCVM dérogent au monopole bancaire par l'exercice d'une activité de « para-crédit ».
* 121 « Programme d'activité spécifique à l'utilisation des dérivés de crédit. Bilan et rappels ». Ce document indique notamment que « l'objectif premier de l'utilisation des dérivés de crédit doit être l'exposition ou la couverture d'un risque de signature », et fournit des précisions sur les obligations des sociétés de gestion s'agissant des critères de sélection des contreparties, de la prévention des éventuels conflits d'intérêt, des moyens techniques et humains mis en oeuvre, des exigences de valorisation des contrats ou de la nature des dérivés de crédit envisagés.
* 122 L'enquête réalisée au second semestre 2003 par les autorités de contrôle française - Commission de contrôle des assurances, Commission des opérations de bourse et Commission bancaire - dont les résultats sont restitués dans la Revue de stabilité financière de juin 2004, aboutit cependant à des conclusions rassurantes s'agissant des facteurs potentiels d'instabilité du marché français. L'étude relève en particulier que :
« Les transferts de risque s'effectuent très majoritairement entre grandes banques (...) et font intervenir principalement de grandes banques américaines. Cette concentration des acteurs n'est pas spécifique aux dérivés de crédit ; elle se retrouve sur l'ensemble des produits dérivés.
« La situation est, en revanche, plus diversifiée en matière de produits structurés, où la présence des entreprise d'assurance, de réassurance et d'OPCVM est plus significative, l'essentiel des transactions s'effectuant toutefois sur des instruments bien notés.
« Sur le plan des transactions elles-mêmes, les résultats de cette enquête soulignent l'importance de nouveaux types de risques associés à ces instruments : risque juridique et de documentation, mais aussi risques d'illiquidité pour les produits non standardisés. (...) Un effort accru de transparence financière est souhaitable dans ce domaine ».
On relèvera que cette étude ne manifeste pas de préoccupation particulière sur la concentration des acteurs sur le marché des dérivés en général, alors qu'il s'agit précisément d'un des facteurs de déclenchement des crises systémiques. Ce constat atténue également l'un des avantages traditionnellement attribués aux dérivés de crédit, qui résiderait dans leur impact positif sur la mutualisation des risques de crédit entre un plus grand nombre d'acteurs.
* 123 Le principe d'unicité du patrimoine a notamment été remis en cause à la faveur des divers projets de loi, jamais examinés par le Parlement, qui ont eu pour objet d'introduire le concept de fiducie dans notre droit. Votre rapporteur général déplore que ces projets n'aient jamais trouvé d'aboutissement, compte tenu des très nombreuses implications de la fiducie dans les domaines de la transmission, de la gestion et des sûretés, et de l'apport déterminant qu'elle représente pour la compétitivité de notre droit au regard du droit américain, anglais, suisse ou luxembourgeois.
* 124 Le 3 de l'article 5 modifié de la directive dispose ainsi que les Etats membres peuvent autoriser les sociétés de gestion à fournir, « outre la gestion de fonds communs de placement et de sociétés d'investissement, une activité de gestion de portefeuilles d'investissement, y compris ceux qui sont détenus par des fonds de retraite, sur une base discrétionnaire et individualisée, dans le cadre d'un mandat donné par les investisseurs ».