B. DES PROBLÈMES PERSISTANTS
En dépit d'une identification précise des conditions d'un développement satisfaisant de l'expertise indépendante, le pôle indépendant rencontre des problèmes qui persistent.
1. Les conditions d'une expertise indépendante...
Le rapport Lenoir Prot s'était attaché à définir les conditions d'un développement satisfaisant de l'expertise indépendante.
Les conditions nécessaires au bon
fonctionnement d'un organisme indépendant d'analyse et de
prévision économique
Les conclusions du rapport
Lenoir-Prot
A partir des constats précédents, le rapport concluait à l'impérieuse nécessité de renforcer le pluralisme des prévisions économiques.
Le rapport observait d'abord qu'un organisme devait respecter un certain nombre de conditions pour contribuer effectivement à des débats publics de qualité :
- la taille : « une vingtaine de personnes sont nécessaires pour la seule prévision macro-économique, une cinquantaine si l'on ajoute des études ;
- la durée : « la montée en puissance d'un tel organisme exige au moins trois ans. Une certaine pérennité doit être assurée aux chercheurs » ;
- la qualité : « elle doit être équivalente à celle des spécialistes de l'INSEE. C'est une question de niveau de rémunération, niveau qui conditionne aussi des échanges ultérieurs avec l'administration » ;
- la cohérence : « une équipe composée de chercheurs de formation variée doit se former autour d'un directeur dont la compétence doit être reconnue et l'indépendance assurée » ;
- l'accès aux sources : « des instituts indépendants de l'administration doivent avoir accès comme elle aux statistiques de l'INSEE, aux informations sur le crédit, la monnaie, la balance des paiements, le déficit budgétaire et son mode de financement » ;
-
l'indépendance
: «
elle est
une condition de l'autorité morale des futurs instituts comme de leur
valeur aux yeux des partenaires sociaux. Leur statut peut y pourvoir
».
2. ... ne sont pas encore réunies
Les organismes qui composent le pôle indépendant ne bénéficient pas toujours des conditions identifiées dès la fin des années 70.
Tous rencontrent des problèmes de moyens , plus ou moins aigus. Les subventions versées aux organismes nouvellement créés ont été trop peu revalorisées. La voie d'une diversification des ressources, qui paraît une solution de bon sens, n'est pas toujours ouverte à ces organismes, soit qu'aucune demande solvable n'ait été réellement structurée, soit que leur mission s'accommode mal d'une « course aux contrats » qui divertirait leurs moyens des missions initiales ou risquerait d'atténuer leur indépendance. A cet égard, il faut distinguer entre les centres à missions spécifiques (tel que le CREDOC) et les instituts ayant vocation à produire des réflexions sur des questions d'intérêt public nécessairement controversées. Cette faiblesse des moyens atteint son paroxysme pour des associations, tel que REXECODE, qui ne bénéficient d'aucun soutien public direct.
Sous l'angle de l'indépendance, la situation peut être jugée plus favorablement . La plupart des organismes bénéficient d'une organisation les protégeant contre des empiètements indésirables. La formule associative avec conseil d'administration diversifié et conseil scientifique réputé est souvent empruntée. En outre, l'existence d'un conventionnement permet de sécuriser le versement des subventions publiques, dans la mesure toutefois de la capacité, et de la volonté, de l'Etat à respecter ses engagements. L'insertion de l'OFCE dans la Fondation nationale des sciences politiques mérite d'être relevée comme utilement protectrice. Vos rapporteurs estiment que ces formules devraient être plus systématiquement appliquées.
En particulier, le statut du CEPII devrait être consolidé.
Le Centre d'études prospectives et d'informations internationales (CEPII), créé en 1978 à l'initiative de M. Raymond Barre, est un organisme d'étude et de recherche en économie internationale . Il a été placé auprès du Commissariat général du Plan . Il réunit une équipe d'une cinquantaine de personnes dont une trentaine d'économistes.
L'indépendance du jugement du CEPII est assise sur l'existence d'un Conseil qui se prononce sur les orientations des travaux, fixe le programme de travail et en vérifie l'exécution. Présidé par Michel Camdessus, ancien Gouverneur de la Banque de France et directeur général du Fonds Monétaire International, le Conseil est composé de responsables des administrations et de personnalités issues des entreprises, des organisations syndicales et de l'Université. Parallèlement, le Comité Scientifique , présidé par le Professeur Olivier Blanchard (MIT), valide les travaux en s'intéressant aux méthodes, aux supports de publication des résultats et aux collaborations avec d'autres instituts.
Le CEPII publie chaque année son programme de travail pour l'année suivante, et son rapport d'activité . Les conclusions du Comité scientifique sont diffusées au Conseil .
Les publications du Centre permettent d'ouvrir un large accès à ses travaux .
Les travaux menés au CEPII sont disponibles sous forme de documents de travail . Ils sont régulièrement discutés à l'occasion de réunions et de colloques internationaux. Ses expertises sont largement diffusées dans la presse et donnent lieu à des réunions ciblées sur des thèmes d'actualité. Ses publications, telles la Lettre du CEPII (mensuelle) et l' Economie mondiale (annuelle) autorisent un large accès à ses travaux. Sa revue, Economie internationale (trimestrielle) est publiée par la Documentation française : elle est ouverte aux chercheurs extérieurs, et rassemble les travaux les plus récents dans ce domaine. The CEPII Newsletter est adressée par voie électronique aux correspondants étrangers du Centre pour les tenir informés des travaux et activités du CEPII. Enfin, le site Internet du Centre est actualisé quotidiennement et propose en ligne l'essentiel des publications du CEPII, des bases de données, les programmes et textes des conférences organisées par le CEPII. Le CEPII diffuse enfin à une vaste liste d'envoi l'actualité de ses publications avec les liens sur les documents correspondants.
Mais, le CEPII n'a pas d'existence administrative propre . Il est administrativement assimilable à un service du Plan, dans la mesure où le décret fondateur l'a rattaché au Plan. Son budget (3 millions d'euros), qui relève du budget civil de recherche développement (BCRD), est géré par le Plan. Le CEPII ne bénéficie pas de locaux administratifs (loyer et charges : un sixième du budget global) et rémunère tous ses agents (deux tiers du budget global) : il n'y a pas de personnel mis à disposition du CEPII.
Cette situation de dépendance administrative, qui, dans les faits, s'est accompagnée d'une réelle indépendance, n'a pas de justification . Il serait utile d'appliquer au CEPII les formules décrites ci-dessus, d'autant que cet organisme pourrait constituer un vecteur privilégié d'études de comparaisons internationales.
En l'état, les travaux du CEPII sont essentiellement consacrés aux questions de macroéconomie internationale, de commerce international et d'investissement direct ou encore à l'analyse des économies émergentes et en transition. L'accent est mis sur les interdépendances mondiales et leurs conséquences pour la France et pour l'Europe. Les conséquences de la libéralisation commerciale, des mouvements de capitaux, pour les nations, les groupes sociaux, les entreprises, sont étudiées.
Le CEPII souhaite apporter son expertise aux décideurs publics ou privés et aux partenaires sociaux . Il entretient des relations de travail régulières avec les principales administrations économiques françaises, notamment le Ministère de l'Economie, des Finances et de l'Industrie, ou européennes, ainsi qu'avec d'autres institutions publiques (assemblées parlementaires, Banque de France) et avec les entreprises.
Des collaborations avec des instituts de recherche français et étrangers, et avec les grands organismes internationaux, notamment dans le cadre de programmes communautaires, assurent l'insertion internationale du Centre et contribuent à la présence des recherches françaises dans les débats internationaux de politique économique. Le CEPII est membre de trois réseaux d'instituts européens : EFN (European Forecasting Network), ENEPRI (European Network of Economic Policy Research Institutes) et EUKLEMS (réseau s'intéressant à la mesure de la croissance et dont l'acronyme reprend les facteurs). Le CEPII coordonne le consortium européen ECTA qu'il a créé (European Consortium for Trade policy Analysis), est membre fondateur du GIS Politiques Commerciales (CEPII, INRA, MINEFI) et membre du consortium international GTAP (Global Trade Analysis Project). Le CEPII entretient des relations de collaboration suivies avec la Banque Interaméricaine du Développement.
Cette insertion internationale est évidemment stratégique pour la France. Notre pays doit disposer d'un organisme susceptible de contribuer à la formation des opinions sur les questions internationales. De ce point de vue, l'indépendance du CEPII doit être consacrée. Mais, la familiarité du CEPII avec l'international doit être optimisée dans le sens de la production d'études basées sur des approches comparatives, qu'il faut développer.
3. Le champ de l'expertise indépendante devrait être élargi
L'expertise indépendante s'est développée dans le domaine de l'analyse économique. Ce processus devrait être élargi à d'autres domaines d'expertise. Les questions sociales, les problèmes culturels et environnementaux, les sujets liés à la sécurité extérieure ou intérieure ont pris une ampleur qu'ils n'avaient pas autant dans les années 70. Une diversification des pôles d'expertise s'impose aujourd'hui.
4. Favoriser l'accès aux informations publiques
L'efficacité des centres indépendants d'évaluation est tributaire de l'accès aux informations publiques.
Les administrations publiques exercent dans le domaine de l'information publique un monopole, que certains qualifient de naturel, à partir d'une approche économique, qui semble fondée, mais qui offre souvent, en pratique, l'exemple de rétentions d'informations.
La mise en place d'un nouveau régime de l'information publique que vos rapporteurs appellent de leurs voeux devrait favoriser l'accès des centres indépendants aux informations et méthodes détenues par le monopole public.