B. LES ACTIONS MISES EN oeUVRE PAR LE MINISTÈRE DE LA RECHERCHE

Les faiblesses de l'organisation en matière d'emploi scientifique contribuent probablement à expliquer la modestie des initiatives prises et notamment le retard avec lequel le ministère de la recherche s'est saisi de la question cruciale du renouvellement du potentiel scientifique.

1. L'âge moyen des chercheurs

L'âge moyen des chercheurs des EPST s'établit à 47 ans en 2000. Cette situation considérée comme particulièrement insatisfaisante a fait l'objet à diverses reprises de déclarations et de mesures visant à rajeunir la recherche publique. C'était notamment l'un des objectifs affichés dans les conclusions de la réunion du CIRST du 15 juillet 1998, qui précisait d'ailleurs que les mécanismes destinés à favoriser le rajeunissement des personnels de recherche devaient figurer dans les contrats pluriannuels passés avec les établissements de recherche. Plus récemment dans le cadre du plan décennal 2001-2010 pour l'emploi scientifique, le ministère de la recherche s'assignait l'objectif de recruter les chercheurs à un âge plus précoce et de les intégrer plus rapidement à l'appareil de recherche publique.

Ces orientations ont été démenties, jusqu'à présent, par l'évolution des statistiques relatives à l'âge moyen des chercheurs des EPST qui passe de 45,8 ans en 1996 à 47 ans en 2000 (source OST) 11 ( * ) . On peut également constater que l'âge moyen de recrutement reste stable pour les directeurs de recherche (46 ans au CNRS) et augmente pour les chargés de recherche de deuxième classe (29,9 ans en 1996 au CNRS et 30,4 ans en 2000).

La mise en place, en 2003, d'un dispositif permettant le recrutement sur contrats à durée déterminée de jeunes chercheurs post-doctorants par les établissements publics de recherche est présentée par le ministère de la recherche comme susceptible de contribuer à la réduction de l'âge moyen des chercheurs. Le nombre de créations intervenues en 2003 (361 pour les EPST, soit 2 % de l'effectif des chercheurs de ces établissements) limitait l'impact de ce type de mesure. Les perspectives annoncées dans le cadre de la loi de finances pour 2004  (750 contrats nouveaux destinés à de jeunes chercheurs), si elles sont confirmées pour le futur, sont de nature à réduire de manière plus significative cette moyenne d'âge.

2. La gestion prévisionnelle et le problème du renouvellement des personnels des EPST dans les années 2000-2010

Le souci de l'amélioration de l'efficacité de l'administration, associé à l'évolution démographique, a amené l'Etat à se préoccuper de gestion prévisionnelle des effectifs, des emplois et des compétences. Le comité interministériel pour la réforme de l'Etat (CIRE) du 12 octobre 2000 avait souligné l'importance « d'une adaptation programmée de l'administration à l'évolution de ses missions », dans un contexte ou la moitié des agents publics actuellement en poste partiront à la retraite dans les quinze années à venir. Le CIRE a décidé que chaque ministère devra être doté d'un plan de gestion prévisionnelle.

En ce qui concerne la recherche publique, cette décision avait été anticipée par le comité interministériel de la recherche et technique (CIRST), en juillet 1998, qui avait décidé que « la situation actuelle de vieillissement des population de chercheurs et d'enseignants chercheurs et les renouvellements importants qui vont s'opérer à partir des années 2000 imposent l'élaboration d'une stratégie pluriannuelle de recrutement... ».

L'action du ministère de la recherche s'est inscrite dans le prolongement de ces orientations. Les études et réflexions menées avec l'aide de l'OST ont abouti, en octobre 2001, à l'adoption d'un plan décennal de l'emploi scientifique qui a connu un début d'application en 2001 et 2002, mais a été abandonné dès 2003 au profit de nouvelles orientations.

a) Le problème du renouvellement des personnels des EPST
(a) L'augmentation progressive des départs à la retraite dans les années à venir

Comme l'ensemble de la fonction publique française, la recherche scientifique va connaître une progression sensible des départs à la retraite correspondant aux forts contingents recrutés dans les années 60. Cet effet a commencé à se faire sentir en 2000 et s'amplifie depuis 2001.

Ainsi, le taux annuel de départ en retraite qui était de 2,1 % en 2000 pour l'emploi scientifique (EPST et enseignement supérieur), doit augmenter progressivement pour atteindre 3 % en 2005 et 3,5 % en 2009. Les seuls départs à la retraite vont conduire à un renouvellement du potentiel humain de la recherche scientifique de 13,1 % pour 2001-2005 et de 29,6 % pour la période 2001-2010 (données OST).

Pour les EPST seuls les taux sont un peu moins élevés :

- le taux de départ en retraite doit passer de 1,8 % en 2000, à 2,7 % en 2005 et à 3,2 % en 2009,

- sur l'ensemble de la période 2001-2005, le taux de départ en retraite des chercheurs des EPST sera de 12,1 % et de 26,9 % sur la période 2001-2010.

(b) Les spécificités par établissement

En raison des différences de rythmes et de conditions de recrutement constatées dans le passé, les taux comme les rythmes de départ varient sensiblement en fonction des organismes, comme d'ailleurs entre les disciplines. Ils sont plus importants au CNRS qu'à l'INRA et à l'INSERM. Certains comme l'INSERM et l'INRA connaissent un maximum de départs vers 2010, d'autres connaissent deux pics de départ sur la période 2001-2010 comme le CNRS (3,2 % en 2004 et 3,6 % en 2009) et l'IRD (3,2 % en 2004 et 3,4 % en 2008). Enfin l'INRIA, organisme plus jeune, conserve des taux de départ faibles jusqu'en 2010.

Tableau n° 2 :   Prévisions de départ à la retraite dans les EPST

 

2001-2005

2001-2010

CNRS

13,3%

28,7%

INRA

10,6%

23,5%

INSERM

8,9%

23,2%

IRD

13,2%

27,4%

Autres EPST

7,8%

18%

Tous EPST

12,2%

26,9%

En ajoutant aux départs en retraite prévus, les départs provoqués par d'autres causes (démissions, décès...) on arrive à un taux de départ total de près de 40 % des effectifs actuels pour la période 2001-2010 et de l'ordre de 50 % pour la période 2001-2012.

Tableau n° 3 :   Prévisions des départs totaux dans les EPST

 

2001-2005

2001-2010

CNRS

20,3%

42,5%

INRA

15,5%

33,2%

INSERM

11,8%

28,8%

IRD

22,2%

45,9%

Autres EPST

18,1%

37,5%

Tous EPST

18,7%

39,7%

(c) La diminution du nombre de docteurs

Cette progression des départs en retraite se produit au moment où plusieurs facteurs se conjuguent pour réduire le vivier susceptible de permettre le renouvellement des chercheurs. La stagnation du nombre d'étudiants pour des raisons démographiques, au cours des prochaines années, est accentuée par la désaffection à l'égard des disciplines scientifiques et par le mouvement de réduction du nombre des thésards au profit d'études plus courtes ouvrant sur des débouchés professionnels plus directs.

(d) La nécessité de renforcer certains champs disciplinaires

Certains champs disciplinaires considérés comme prioritaires à la suite du CIRST du 1 er juin 1999 doivent obtenir des moyens accrus à la fois par affectation de postes nouvellement créés et par redéploiement d'emplois en provenance d'autres disciplines. Il s'agit notamment :

- des sciences et technologies de l'information et de la communication,

- et des sciences de la vie,

auxquelles le ministre de la recherche a ajouté, en 2000, l'environnement, l'énergie et le développement durable.

La prise en compte de ces priorités dans la gestion prévisionnelle des emplois scientifiques paraît à ce jour mal assurée.

b) Le plan décennal de gestion prévisionnelle et pluriannuelle de l'emploi scientifique

Lors du Conseil des ministres du 24 octobre 2001, le ministre de la recherche a présenté un plan décennal de gestion prévisionnelle et pluriannuelle de l'emploi scientifique. Ce plan fondé sur les travaux de l'OST (observatoire des sciences et techniques) a été préparé dans une perpective globale prenant en compte l'évolution de l'ensemble de l'appareil de recherche public au-delà des seuls EPST. Les complémentarités entre ces derniers et les universités, compte tenu des contraintes de créations de postes résultant des prévisions spécifiques aux activités d'enseignement supérieur, ont en particulier été prises en considération.

Le plan prévoyait ainsi :

- 1 000 créations d'emplois (500 chercheurs et 500 ITA) dans les EPST de 2001 à 2004, à la fois pour anticiper les départs en retraite et renforcer durablement l'appareil de recherche publique ; deux cents postes devaient être rendus après 2005, pendant les années de fort taux de départ des chercheurs ; le nombre de créations nettes pour l'ensemble du plan était donc de 800 emplois ; cinq cents créations de postes ont été effectivement inscrites aux budgets de 2001 et de 2002, les cinq cents autres créations devaient intervenir en 2003 et 2004 ;

- des redéploiements d'emplois égaux à 20 % des départs en retraite, en fonction des priorités scientifiques, soit 200 postes de chercheurs de 2001 à 2004.

Les créations d'emplois et les redéploiements auraient dû permettre le renforcement des champs scientifiques prioritaires : les sciences du vivant (400 postes), les sciences et technologies de l'information (275 postes) et les recherches sur l'environnement, l'énergie et le développement durable (100 postes).

c) Les insuffisances de la démarche prévisionnelle du ministère de la recherche

Le plan décennal 2001-2010 constitue certes une tentative de mise en oeuvre d'une démarche prévisionnelle en matière de ressources humaines et de réponse aux évolutions démographiques et scientifiques attendues au cours de la prochaine décennie. Toutefois, et bien qu'il s'agisse du premier document de ce type établi par un ministère, le caractère très tardif de l'exercice doit être souligné 12 ( * ) . Les problèmes de déséquilibre démographique de la recherche publique pouvaient être prévus de longue date et auraient dû être traités très antérieurement.

En second lieu, l'absence de réelle prise en compte des effets de la mise en oeuvre de l'ARTT, qui ne sont évoqués à aucun moment dans le texte final du plan 13 ( * ) , constitue une lacune importante dans l'appréciation de l'évolution du potentiel humain des EPST.

Enfin, le programme de créations d'emploi du plan décennal a été abandonné de fait en 2003.

d) L'abandon du plan décennal et les nouvelles orientations du ministère de la recherche

Les lois de finances votées pour 2003 et en projet pour 2004 confirment l'abandon du plan décennal. La loi de finances pour 2003, loin de procéder aux créations prévues dans ce dernier, a décidé la suppression de 51 emplois budgétaires dans les EPST, tandis que le projet de loi de finances pour 2004 est établi à partir d'une hypothèse de maintien global de l'emploi scientifique.

En revanche, de nouvelles orientations destinées à favoriser la flexibilité dans le recrutement, notamment le recrutement de jeunes chercheurs contractuels, sont annoncées. Il s'agit essentiellement de la mise en place de contrats (400 en 2003 et 200 en 2004) destinés à accueillir spécifiquement de jeunes chercheurs ayant terminé leur thèse (post-doctorants), de l'utilisation d'emplois budgétaires de chercheurs titulaires libérés pour gager le recrutement de jeunes chercheurs contractuels sur CDD de 3 à 5 ans (550 recrutements sont prévus à ce titre) et de la possibilité donnée aux EPST de recruter des chercheurs contractuels sur ressources propres.

Cette politique ne devrait pas, cependant, se limiter à des créations d'emploi de contractuels. Elle devrait être associée à une réflexion sur la gestion des contrats et de leurs bénéficiaires afin que les recrutements soient intégrés dans une politique d'ensemble de l'emploi scientifique permettant d'assurer l'évolution de la carrière des chercheurs et éventuellement leur départ pour ceux d'entre eux qui n'ont pas vocation à demeurer dans la recherche publique.

3. L'aménagement et la réduction du temps de travail (ARTT)

L'aménagement et la réduction du temps de travail (ARTT) ont été mis en oeuvre à partir du 1 er janvier 2002 14 ( * ) dans les EPST. Comme dans le reste de la fonction publique cette réforme se traduit par une diminution d'environ 10 % du temps de travail statutaire qui passe à 1 600 heures annuelles. Les textes réglementaires offrent diverses possibilités de répartition de cet horaire au cours de l'année en fonction des conditions de fonctionnement des établissements et unités de recherche.

Cette mise en oeuvre a été effectuée à nombre d'emplois constant, les arbitrages intervenus ayant conduit à considérer que le nouveau régime de travail n'avait aucune incidence réelle sur l'activité des chercheurs et qu'il devait être compensé par un accroissement de la productivité pour les ITA. Par ailleurs, le versement d'indemnités pour travail supplémentaire n'est pas prévu en ce qui concerne les chercheurs et n'est possible que dans des limites extrêmement modestes pour les ITA, compte tenu des pratiques suivies par les EPST 15 ( * ) .

En fait, aucune étude précise n'a été menée par le ministère de la recherche pour mesurer l'incidence réelle de l'ARTT. Au-delà des déclarations de principe, les responsables ne semblent pas en mesure d'expliquer en quoi consiste une augmentation de la productivité dans la recherche scientifique 16 ( * ) . La question de la mise en oeuvre de l'ARTT et de ses effets sur les ressources humaines et les capacités productives de la recherche publique (dans les EPST) a été négligée et certaines options retenues par le ministère de la recherche sont contestables.

Il n'est probablement pas irréaliste, en ce qui concerne les chercheurs, de considérer que l'incidence réelle de la mise en oeuvre de l'ARTT est, à court terme, faible. En effet, si les dispositions réglementaires s'appliquent indifféremment aux chercheurs et aux ITA, l'exercice du métier de chercheur ne répond pas forcément à une logique d'horaires réguliers et cadrés et l'on peut postuler un maintien spontané du temps consacré à leurs travaux pour une large partie d'entre eux. Cette attitude risque néanmoins de ne pas être générale et l'on peut s'interroger sur l'éventualité d'un alignement des pratiques d'une partie des chercheurs sur celles de leur environnement, en particulier lorsque la mise en oeuvre de l'ARTT se traduit par des jours de congés supplémentaires, éventuellement liés à une fermeture de l'établissement.

L'incidence sur les personnels ITA est en revanche immédiate et significative. Dans les EPST (CEMAGREF, INRETS, LCPC) où les trente neuf heures hebdomadaires étaient effectivement pratiquées avant le début de 2002, l'ARTT se traduit par une diminution de 10 % du nombre d'heures hebdomadaire. Sur une année, la réduction peut être un peu inférieure compte tenu d'éventuelles prises en compte de jours de congés du régime antérieur dans les jours dits RTT. Une étude menée au CEMAGREF conclut ainsi que la mise en place de l'ARTT se traduit par un passage d'un temps de travail annuel de 1 747 heures à 1 600 heures, soit une réduction de 8,4 %.

Dans d'autres établissements, en particulier le CNRS et l'INSERM, la pratique était plus complexe. Les trente neuf heures hebdomadaires étaient en règle générale respectées dans les services du siège, et certaines délégations ou administrations régionales. En revanche, la situation réelle variait en fonction des unités de recherche. Dans la plus grande partie d'entre elles, notamment celles installées dans des établissements universitaires (cas de plus de 80 % des unités du CNRS), ce sont les usages de ces dernières qui prévalaient. C'est à dire que dans nombre d'unités les horaires annuels étaient déjà de l'ordre de 1 600 heures annuelles (et parfois même inférieurs).

Dans ces conditions, la mise en oeuvre de l'ARTT aurait pu conduire à la régularisation d'une situation de fait et ne pas entraîner une réduction du volume de travail. Mais les conditions de mise en oeuvre de la nouvelle réglementation, au début de l'année 2002 dans les universités, conduisent à des conclusions différentes.

Le régime de travail relatif aux établissements relevant du ministère de l'éducation nationale a fait l'objet d'un arrêté du 15 janvier 2002 et d'une circulaire ministérielle du 21 janvier 2002. Or, certaines dispositions de la circulaire (notamment la comptabilisation de jours fériés comme jours de travail effectifs) permettent de faire descendre les horaires annuels nettement au-dessous des 1 600 heures réglementaires annuelles (environ 1 480 heures en cumulant les options les plus généreuses).

La pratique autorisée par le ministre de l'éducation nationale risque de se généraliser rapidement dans certaines unités de recherche des EPST installées dans les universités, entraînant une réduction significative du temps de travail réel des ingénieurs et techniciens.

Dans ces conditions on peut craindre que la mise en oeuvre de l'ARTT aboutisse à une diminution significative du potentiel humain des EPST au moins en ce qui concerne les ITA. Si cette réduction est certainement inférieure à la réduction théorique de l'ordre de 10 % de la durée du travail (soit l'équivalent de 2 700 emplois pour les personnels ITA), elle est cependant susceptible d'avoir une ampleur supérieure aux créations d'emplois intervenues depuis une dizaine d'années et à celles qui étaient prévues dans le cadre du plan décennal 2001-2010 de l'emploi scientifique (400 créations d'emplois nettes, qui ne correspondent qu'à 1,5 % des effectifs actuels d'ITA dans les EPST).

* 11 Cf. rapport de l'OST sur la recherche scientifique française, d'avril 2002, par Rémi Barré, Michèle Crance et Anne Sigogneau.

* 12 La première étude de l'OST sur le personnel de la recherche publique a été publiée en avril 1979.

* 13 Alors que les services du ministère de la recherche avaient intégré cette dimension dans leurs études.

* 14 Le régime de l'aménagement et de la réduction du temps de travail dans la fonction publique a été fixé par le décret n° 2000-815 du 25 août 2000. Il a été complété par un arrêté du 31 août 2001 en ce qui concerne les établissements publics à caractère scientifique et technologique.

* 15 Un décret n° 2002-69 du 15 janvier 2002 réforme le régime de la prime de participation à la recherche scientifique dans les EPST, mais cette prime qui n'est pas destinée à proprement parler à rémunérer des travaux supplémentaires ne peut être normalement majorée (dans la limite de 25 %) que pour la compensation des sujétions, astreintes et interventions au cours des astreintes et contraintes particulières de travail visées aux articles 1 er , 5 et 9 du décret du 25 août 2002.

* 16 Un établissement comme le CEMAGREF a mené une étude sur les effets de l'ARTT. Un document interne indique, que même si des efforts de simplification et de rationalisation du fonctionnement interne de l'établissement seront tentés en parallèle avec la mise en oeuvre de l'ARTT, les gains potentiels seront infimes.

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