VIII. L'ORGANISATION DES RESPONSABILITÉS ET LES OBJECTIFS ASSIGNÉS AUX INTERVENTIONS DE L'ETAT

Les analyses précédentes montrent que la direction de l'eau a progressivement imputé sur le FNSE toutes les dépenses relatives à la politique de l'eau sauf celles concernant la police de l'eau et la protection directe des biens et des personnes contre les inondations et sauf celles relatives à l'application du plan POLMAR 90 ( * ) . Cela ressort tant de l'évolution des crédits et dépenses imputées sur le budget général - qui n'ont pas été contrôlés - que de la pluralité des opérations financées sur le FNSE. En outre, quelques cas de mauvaise imputation montrent que les crédits d'intervention du FNSE, abondants, ont même été utilisés par certains services déconcentrés en lieu et place des crédits du budget général, moins abondants.

Les observations suivantes portent sur :

- l'organisation de la mise en oeuvre de cette partie de la politique de l'eau, c'est-à-dire le partage des interventions entre, d'une part, l'Etat et les agences de l'eau (A infra ), et, d'autre part, au sein de l'Etat, entre les différents ministères, principalement entre celui chargé de l'environnement et celui chargé de l'agriculture (B infra ) ;

- les objectifs de cette politique ou plutôt leur absence fréquente (C infra ).

La Cour est fondée à apprécier cette organisation puisqu'elle peut avoir des conséquences sur le « bon emploi » des deniers publics et qu'elle peut faciliter ou non l'application prochaine de la LOLF.

A. LES INTERVENTIONS RESPECTIVES DU MINISTÈRE CHARGE DE L'ENVIRONNEMENT ET DES AGENCES DE L'EAU

L'Etat et les agences de l'eau interviennent en commun dans deux champs :

- le recueil et le traitement des données quantitatives et qualitatives sur l'eau,

- l'action indirecte sur les milieux aquatiques, en subventionnant des maîtres d'ouvrage, publics et parfois privés, pour restaurer ou préserver ces milieux.

Les actions respectives de l'Etat et des agences de l'eau pour la connaissance de l'eau et des milieux aquatiques et la clarification engagée à ce sujet, qui reste à parfaire, ont été traitées précédemment.

Pour les actions de l'Etat visant la préservation ou la restauration des milieux aquatiques, une clarification serait également utile ; elle semble avoir été d'autant moins engagée que le surplus de moyens de la direction de l'eau apporté par le FNSE lui a permis d'intervenir davantage ; le plafonnement à 60 M€ des ressources affectées au FNSE en 2003 est une incitation à cette clarification.

Certaines interventions financées par le FNSE sont semblables à celles financées par les agences de l'eau ; les mêmes opérations peuvent alors bénéficier de financements complémentaires de l'Etat et d'un de ses établissements publics. D'autres interventions sont spécifiques à l'Etat ; il s'agit des interventions de préservation ou de restauration des rivières dans le but de prévenir les risques d'inondation ou bien d'interventions vis-à-vis des zones humides à visée écologique générale.

1. Le champ d'interventions des agences

Depuis leur création, les agences ont développé au fil du temps une conception extensive de leurs missions, avec l'aval ou à la demande des comités de bassin , qui approuvent leurs programmes pluri-annuels d'intervention, et avec l'approbation au moins tacite de leurs ministères de tutelle. Elles ont considéré que la loi précitée du 16 décembre 1964 et le décret n° 66-700 du 14 septembre 1966 pris pour son application leur permettaient, par exemple, de participer aux dépenses de fonctionnement ou d'investissement nécessaires à la collecte des déchets solides potentiellement polluants.

Les dispositions de la loi du 16 décembre 1964 s'organisent autour du principe « pollueur - payeur - bénéficiaire ». Dans un avis rendu le 13 novembre 1984, le Conseil d'Etat a estimé que les agences étaient « tenues de respecter la corrélation [..] entre l'objet des actions et travaux qu'elles ont pour mission de faciliter et les diverses redevances susceptibles d'être créées à cet effet » et a ajouté que, par suite, elles « ne peuvent légalement participer au financement des ouvrages de lutte contre les inondations que dans la mesure où elles disposent de ressources procurées par des redevances ayant une assiette en relation avec cet objet ». Ainsi le Conseil d'Etat a interprété les dispositions légales dans le sens « pas redevable - pas bénéficiaire ».

Le Conseil d'Etat a été aussi amené, au plan contentieux cette fois, à appliquer la loi en y trouvant le principe « pollueur - mais pas bénéficiaire - donc pas payeur » 91 ( * ) .

L'examen des interventions des agences montre que le principe énoncé en 1984 par le Conseil d'Etat a été perdu de vue puisque nombre de leurs interventions peuvent difficilement être corrélées avec des redevances : c'est le cas de presque toutes leurs interventions sur les milieux avec lesquelles aucune redevance n'est en rapport, c'est le cas aussi des interventions vis-à-vis des éleveurs puisque, de moratoire en écrêtement, ceux-ci ne payent pratiquement aucune redevance. Pour répondre de manière pragmatique aux besoins écologiques des bassins ou bien pour appliquer des décisions de l'Etat, dans le cas du PMPOA, les agences suivent donc un principe du type « pollueur - donc bénéficiaire - même si pas payeur ».

Cependant, alors que l'article 3 du décret de 1966 précité range la « protection contre les inondations » parmi les objectifs des interventions des agences, elles ne sont jamais intervenues, du moins ces dernières années, dans le domaine de la prévention des risques d'inondation : si elles ont participé au financement de barrages, c'était pour répondre à des besoins d'approvisionnement en eau, mais elles n'interviennent pas pour la prévention des inondations 92 ( * ) . Il semble y avoir deux motifs à cette abstention : d'une part, cette prévention est considérée comme une responsabilité de l'Etat, d'autre part, les agences ne disposent pas dans leur panoplie de redevances dont l'assiette serait en rapport avec des aides pour cette prévention. Selon le rapport daté de juillet 2000 du groupe de travail inter-comités de bassin présidé par M. Robert Galley, intitulé « Eléments d'orientations pour une implication des agences dans la prévention des inondations », ce second motif paraît le principal, d'ailleurs plus pour des raisons financières que juridiques.

Or toutes les tentatives menées jusqu'à présent pour concevoir une redevance en rapport avec les risques d'inondation ne pouvaient aboutir, depuis l'avis du Conseil constitutionnel du 23 juin 1982, qu'à condition qu'une loi définisse ce nouvel impôt. Le projet de loi sur l'eau, voté en première lecture à l'Assemblée nationale le 10 janvier 2002, instituait dans son article 41 une telle redevance sur la modification du régime des eaux 93 ( * ) .

L'un des paradoxes de la situation actuelle est le suivant : les agences ne peuvent aider des travaux visant à réduire les risques d'inondation, pour des raisons de droit, selon le Conseil d'Etat, pour des raisons financières, selon notamment le groupe de travail précité. En revanche, le prélèvement de solidarité pour l'eau transmute les redevances qui deviennent, une fois dans les caisses de l'Etat, adaptées pour aider la restauration ou l'entretien des rivières et des zones d'expansion naturelles des crues afin de réduire les risques d'inondation.

* 90 On pourrait s'interroger sur la place des crédits nécessaires à l'application du plan POLMAR au sein du budget de l'Etat, compte tenu des opérations que ces crédits financent.

* 91 Arrêt du 2 mars 1994 du Conseil d'Etat annulant les délibérations des conseils d'administration des agences de l'eau qui avaient institué une redevance sur les extractions de granulats.

* 92 Les SDAGE abordent en général le sujet des risques d'inondation, mais n'y consacrent pas de longs développements : ils sont plus centrés sur la ressource en eau, en quantité et en qualité, et sa gestion.

* 93 Plus précisément cet article insérait divers nouveaux articles concernant les redevances dans le code de l'environnement dont un article 213-21 relatif à la redevance pour modification du régime des eaux.

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