QUELLES RÉFORMES PRIVILÉGIER ? MIEUX MAÎTRISER ET RÉPARTIR L'INVESTISSEMENT DANS LE SPORT
Sous la présidence de M. Joël Bourdin , sénateur de l'Eure
M. Joël Bourdin, sénateur de l'Eure, président de la Délégation du Sénat pour la planification
Notre sujet d'aujourd'hui montre combien le président Valade a fait évoluer la Commission des Affaires culturelles, ce dont je le remercie.
Le sport est aussi un objet économique, cela n'aura échappé à personne. Cela est si vrai que la délégation à la Planification, dont je suis président, dans le cadre de ses études prospectives sur l'économie, a confié à Yvon Collin un rapport sur les finances du football professionnel, qu'il nous présentera officiellement dans environ un mois.
Le sport est donc un vrai sujet économique, à la fois par l'ensemble des moyens financiers mis en oeuvre et pour le « climat » que cela crée. Souvenons-nous qu'en 1999, année de bonne croissance en France, une partie de cette dernière a été imputée à la Coupe du Monde de football.
C'est donc un plaisir de voir aujourd'hui aborder ce sujet du sport sous l'angle de l'économie.
M. Denis Astagneau , rédacteur en chef à France Inter
Les besoins financiers des compétitions sportives mais aussi ceux des athlètes et des clubs de haut niveau ont explosé ces dernières années, et conduit à des dérives qui mettent parfois en danger certains clubs, de football ou de basket par exemple.
Le marché financier a-t-il tué le champion romantique ?
Les acteurs audiovisuels, pour optimiser leur audience, privilégient certaines disciplines au détriment d'autres, qui n'ont plus accès aux médias, ni au financement des sponsors.
Comment donc répartir la manne financière ? Cela passe sans doute par des réformes législatives, juridiques ou fiscales.
Demandons tout d'abord à Jean-Pierre Denis pourquoi il s'est intéressé à la gestion des clubs de football français. Peut-on les considérer comme des PME ?
M. Jean-Pierre Denis, président de la Banque du développement des PME, auteur du rapport « Certains aspects du sport professionnel en France »
Effectivement, on peut les considérer ainsi.
La réalisation du rapport « Certains aspects du sport professionnel en France » m'a simplement été confiée par le ministre des Sports, ce qui ne fait pas pour autant de moi un spécialiste, mais cela m'a permis de retirer un certain nombre d'enseignements.
M. Denis Astagneau
En Italie, en Espagne et en Angleterre, l'appel public à l'épargne pour les clubs professionnels est monnaie courante, mais cette pratique est interdite en France. Qu'en pensez-vous ?
M. Jean-Pierre Denis
Cette interdiction est une donnée constante depuis le départ, ce qui fait de nous un cas particulier en Europe.
Plusieurs raisons fondent cette interdiction.
Tout d'abord, peut-être, la difficulté dans notre pays à marier l'éthique sportive et l'approche économique des marchés financiers.
On craint aussi de voir se développer des disparités entre les clubs professionnels.
Nous avons par ailleurs le souci de protéger le « petit épargnant », qui pourrait être tenté par des investissements aventureux, même si de tels investissements existent déjà dans d'autres secteurs d'activité.
Enfin, la situation objective de nos grands clubs n'offre pas nécessairement toutes les conditions pour pouvoir raisonnablement procéder à un appel public à l'épargne.
J'ai pourtant personnellement plaidé pour cette possibilité d'appel public à l'épargne, me basant pour cela sur quelques considérations assez simples.
Cela me paraît tout d'abord relever de l'autonomie des dirigeants de clubs. Ce sont des gens responsables, qui prennent souvent des risques personnels. Il me paraît donc curieux de les priver de cette possibilité d'accès au financement.
Par ailleurs, dans un souci de réalisme, il me semble nécessaire de leur offrir une certaine souplesse et une certaine liquidité en cas de cotation. L'appel public à l'épargne présente en ce sens cette grande vertu.
L'appel public à l'épargne entraîne de plus un certain nombre d'avantages, comme les obligations de transparence comptable et financière, sous le contrôle des autorités de marchés. Certains clubs pourraient ainsi changer de régime de management, sans remettre en cause la liberté de la plupart des clubs de ne pas recourir à l'épargne.
Le ministre n'est pas allé en ce sens, parce que selon lui il s'agissait d'un sujet « secondaire et second ». « Secondaire » parce que cela ne correspond pas à une priorité pour la plupart des clubs, « second » parce qu'il estime qu'un certain nombre de préalables ne sont pas aujourd'hui remplis.
M. Denis Astagneau
Les clubs français subissent de lourds prélèvements fiscaux, notamment la taxe sur les spectacles. Quelles propositions votre rapport fait-il en ce sens ?
M. Jean-Pierre Denis
En matière de fiscalité les clubs sont soumis au régime de droit commun sur à peu près tous les plans. Il y a donc peu de propositions à formuler pour accroître leur « compétitivité fiscale ».
Deux choses me paraissent cependant devoir être soulignées.
La taxe sur les spectacles, tout d'abord, est un impôt ancien, voire archaïque, dans la mesure où il ne répond pas à des règles très précises : certaines disciplines ou certains clubs sont exonérés, par décisions des collectivités locales. Cet impôt semble donc injuste, et il présente de plus des effets pervers, notamment en termes de droit à récupération de la TVA.
La suppression de cet impôt serait donc un progrès, en l'accompagnant d'un mécanisme de compensation des pertes conséquentes pour les collectivités locales
Une autre chose me semble curieuse : le « 1 % CDD ». Ceci est en effet caricatural dans la mesure où le CDD est la règle dans le sport professionnel. Je propose donc aussi la suppression de cette taxe particulière.
Finalement, la ligne de force devrait être l'entrée dans le droit commun des clubs professionnels qui le souhaitent, en matière fiscale comme en matière juridique.
M. Denis Astagneau
Nous avons aussi parlé du droit à l'image des joueurs. Concernant leur statut juridique, que pourrait-on apporter au développement du sport professionnel via une gestion différente de ce droit à l'image ?
M. Jean-Pierre Denis
L'image constitue une composante essentielle du sport professionnel, et dans les disciplines les plus avancées nous voyons d'ailleurs se multiplier les contrats d'image.
Le droit à l'image me paraît être pris en compte de manière assez imparfaite en France. Cela est souvent conçu comme une façon de se soustraire aux prélèvements de droit commun. Il y a donc un risque de dérive.
Je crois que l'on pourrait reconnaître aux sportifs professionnels un véritable droit à l'image, qui permettrait de distinguer dans les rémunérations ce qui a trait à leurs prestations et ce qui a trait à leur personne, ou à l'exploitation de leurs performances. Ce dispositif présenterait l'avantage de soustraire une partie de la masse salariale aux charges sociales. On donnerait ainsi plus de compétitivité à nos clubs, et plus d'attractivité à notre territoire vis-à-vis des talents susceptibles d'y venir exercer leurs activités.
M. Denis Astagneau
Yvon Collin, vous êtes auteur d'un rapport sur la gestion des clubs de football professionnels.
Quel est votre sentiment sur la situation française relativement à celle de nos voisins européens ?
M. Yvon Collin, sénateur du Tarn et Garonne, auteur d'un rapport sur la gestion des clubs de football professionnel
Rappelons quelques éléments du décor.
Le football professionnel est devenu une activité économique et commerciale presque comme les autres. Le football a créé un marché lui-même en interaction avec d'autres marchés, notamment celui de l'audiovisuel, comme nous l'avons vu précédemment -- une demande européenne d'images est d'ores et déjà adressée au football --, et celui du travail, même si la population active concernée est relativement peu nombreuse.
Il faut par ailleurs se persuader qu'il est normal que le football réunisse des acteurs animés de réflexes économiques. Il devrait donc être admis, ce que nous avons du mal à faire, que leurs objectifs sont de maximiser leurs profits.
Le « presque » que j'utilisais précédemment est souvent la faille où se loge le diable.
Le football professionnel n'est pas qu' une activité économique : c'est aussi une activité sportive, ce qui induit l'aléa. L'échec est un risque permanent qui peut entraîner la péremption d'investissements réalisés par les clubs.
Cette activité économique, par ailleurs, est encore jeune. Le football a connu un « boom » ces dernières années, mais dans un tel domaine l'avenir est assez difficile à décrypter. Les investisseurs ne disposent que de peu de repères.
Il est notoire aussi que l'évolution du marché du football a été plus rapide dans son développement que dans son organisation. On a ainsi pu remarquer un certain nombre de manques au niveau de la surveillance, ce qui ne laisse pas de poser des questions...
Le football manque indiscutablement de régulateurs, d'où le déploiement important de ce que les économistes appellent « l'aléa normal », en Espagne et en Italie notamment, où tout se passe comme si les déficits privés étaient sans importance, dans la mesure où ils peuvent être comblés par des deniers publics.
La nature des intervenants est très contrastée, oscillant entre mécènes et sociétés commerciales très structurées, ce qui fait du secteur une activité atypique en devenir. Le développement du football fait ainsi penser au développement initial du cinéma.
Mes travaux m'ont amené à me méfier des études réalisées sur le football, qui toutes ont tendance à globaliser : on aime y parler de la « grande famille » du football. Cet attachement est fort sympathique, mais masque certaines réalités comme les divergences d'intérêts entre les clubs et l'existence d'acteurs aux stratégies et statuts très différenciés.
Les conditions de l'intervention publique, enfin, posent aussi un problème, qu'il s'agisse des réglementations générales ou spécifiques, ou des pratiques très variables. On ne peut ici que dresser le tableau d'un manque global d'harmonisation européenne. Ceci va jusqu'à fausser le déroulement d'une concurrence que tout le monde souhaite loyale.
Dans ce panorama, certains disent qu'il reste un coin de ciel bleu, une exception footballistique française. Cette appréciation est relativement exacte, mais j'aimerais questionner le diagnostic qui la fonde, ainsi que quelques conclusions qu'elle suscite.
Il est exact que l'organisation française privilégie une certaine égalité et une certaine solidarité entre clubs professionnels et le monde sportif, ce qui est unique en Europe. Il est exact aussi que cette organisation s'accompagne plus qu'ailleurs d'un certain contrôle, même s'il semble nécessaire de mettre aujourd'hui à niveau nos outils de pilotage collectifs.
Enfin, malgré l'excellence de notre football, nous avons des difficultés à situer certains de nos clubs dans l'élite européenne. Cette dernière situation, qu'il est logique de déplorer sur le plan sportif, focalise les critiques à l'encontre du système en vigueur. Il est également logique de déplorer cela sur le plan financier, en raison de la manne que représentent les compétitions européennes.
Je me félicite en ce sens que l'UEFA ait enfin mis un terme à la Ligue des Champions, qui renforçait considérablement les inégalités entre les clubs tout en déstabilisant l'économie du football. Par ailleurs, l'accès à la manne européenne n'est pas une garantie de bonne gestion des clubs bénéficiaires, loin de là.
Revenons à l'Hexagone.
Chacun désire voir nos clubs bien participer aux compétitions européennes. Que faut-il donc faire pour cela ? Les réponses divergent.
La question centrale est de savoir d'où provient le handicap financier de nos clubs. Avant les modalités de répartition des droits télévisuels, avant la comparaison des charges sociales et fiscales supportées par les clubs, avant la qualité des gestions et les handicaps que représente l'interdiction de faire appel public à l'épargne, il faut faire état d'une distinction majeure : celle des gisements nationaux des chiffres d'affaires. Sur ce point l'écart est considérable entre la France et le Royaume-Uni ou l'Italie, et je ne pense pas que M. Le Lay veuille le combler. Il faut cependant admettre que dans certains systèmes étrangers la répartition des droits est inégalitaire, ce qui explique d'ailleurs la présence de certains clubs dans les compétitions européennes. Devrons-nous aller vers un tel modèle ? Il s'agit d'un choix de principe entre égalité et équité, avec des conséquences économiques différentes. Le système français de répartition des droits, relativement égalitaire, n'est pas équitable au sens économique.
Nos réglementations et nos pratiques présentent quelques retards, comme les éléments de fiscalités qui ont été évoqués par Monsieur Denis. Les choix sur ces sujets devront être clairs et éviter de contourner les problèmes au moyen de certains artifices. Je m'interroge ainsi en particulier sur les pistes comme le développement du recours aux droits à l'image : cela ne me paraît pas transparent, ni dénué d'inconvénients, si l'on songe à l'intérêt des joueurs.
Je ne m'interroge en revanche pas du tout sur la nécessité de peser sur l'environnement international, notamment par le biais de nos gouvernements, sur l'organisation de notre football qui présente des dimensions européennes mais manque d'une identité européenne que l'Etat doit contribuer à définir sur des composantes satisfaisantes du modèle français.
Je crois qu'il faut appliquer un certain ordre public et économique dans le football, à la fois pour normaliser les transactions et pour améliorer les conditions de la concurrence. Je ne pense pas qu'il faille en ce sens attendre grand-chose des fédérations ou de la Commission européenne, dont la vigilance en matière de concurrence n'a pas toujours été au bon niveau, et dont l'orientation générale ne paraît pas plus favorable au football qu'à d'autres activités culturelles.
Je considère enfin qu'il faut trouver un certain équilibre entre la spécificité du football et sa banalisation, qui est allée trop loin.
Je conclus sur le fait qu'il nous faut comprendre la nécessité d'une doctrine claire sur l'avenir de notre football professionnel. La coexistence entre le modèle français et les autres modèles européens est fragile. Nous ne devons pas renoncer aux grandes lignes de notre modèle, mais nous pouvons l'améliorer, et faire plus et mieux pour assurer sa promotion au niveau européen.
M. Denis Astagneau
Jean-Michel Aulas, vous n'êtes pas d'accord avec la situation française des clubs de l'élite, vous demandez qu'ils puissent entrer en Bourse, ou faire appel à l'épargne boursière.
M. Jean-Michel Aulas, président de l'Olympique lyonnais
Les choix en France sont essentiellement liés à une politique de solidarité par rapport à une politique élitiste. On ne peut pas d'un côté vouloir que les clubs soient au plus haut niveau en Coupe d'Europe, que leur situation économique soit valorisante, et que des joueurs disposent d'un certain statut.
Nous devons constater qu'il n'y a pas de statuts différenciés, mais seulement une politique de mise en équilibre des différents clubs, équilibre qui ne peut que pénaliser un certain nombre de clubs ou de personnes qui ont l'ambition de l'élitisme.
Nous avons ce que l'on souhaite, qui a été décidé par ceux qui nous dirigent.
Si l'on est favorable au financement du sport professionnel, on pensera que l'accès au marché financier permet de trouver les liquidités pour les investisseurs. Par conséquent, soit on recherche un financement du sport professionnel, en donnant ce qui est donné à l'ensemble des investisseurs dans l'Europe entière, soit on ne veut pas donner cette possibilité, et l'on avance que les petits épargnants risquent d'être spoliés... comme ils l'ont sans doute été en achetant des actions d'Eurotunnel ou de certaines sociétés de téléphonie.
L'accès au marché financier doit être vu comme une chance formidable de re-financement du sport professionnel, et pas uniquement du football. Ce re-financement ne peut être réalisé que dans le cadre de règles équitables.
On entend dire que l'Europe serait en ce sens la panacée. Rappelons que la Commission européenne, en matière sociale, a imposé l'arrêt Bosmann, et bizarrement, en matière financière, l'Europe et sa Commission n'auraient pas les mêmes vertus. On prend donc d'un côté ce qui nous intéresse, de l'autre, sur la normalisation européenne, on feint d'avoir en France des idées qui seraient bien meilleures que celles des autres, ce qui est totalement faux. Regardons en effet ceux qui jouent en général les quarts de finales du Championnat européen : ce sont les clubs qui ont eu accès au marché financier, qui ont mis en place le droit d'image pour les joueurs, etc., toutes choses fondamentales, qui doivent être identiques partout en Europe. Ces clubs sont ceux qui ont su trouver dans la transparence financière la garantie que tout ce qui serait investi serait contrôlé et pris en charge par les dirigeants.
La garantie d'Etat a été évoquée tout à l'heure. Bien sûr que cette garantie est fondamentale. Prenons le cas particulier de Monaco. On ne peut pas imaginer une concurrence loyale, ne serait-ce que sur le plan national, lorsqu'on laisse en place un certain nombre de dispositions fiscales relevant de l'Etat alors que nous évoluons au sein de certaines règles propres à la France.
M. Denis Astagneau
Vous demandez aussi pour les clubs le droit de négocier eux-mêmes leurs droits de retransmission auprès des télévisions.
M. Jean-Michel Aulas
Cette question des droits est vaste. Elle rejoint mes propos précédents sur la politique, élitiste ou de solidarité et de répartition. Mais la solution n'est pas d'un côté ou de l'autre, elle réside en une analyse rationnelle et dans une approche permettant d'avoir une juste répartition et une juste propriété.
Le problème de la propriété a été tranché : nous serons le seul pays d'Europe à avoir une multipropriété, dont on ne sait d'ailleurs pas comment le Conseil national de la comptabilité (CNC) va trouver la justification sur le plan comptable.
Concernant la distribution, l'ensemble des clubs est d'accord pour que celle-ci soit collective. N'opposons donc pas sur ce terrain ce qui a été réalisé à l'extérieur et ce qui a été fait en France. La distribution collective est naturelle, mais elle doit être sélective. Je ne suis pas d'accord avec cette propriété des droits, qui serait collective, pour la télévision, et qui serait aussi collective pour l'UMTS et l'Internet. Je pense qu'un certain nombre de droits, en direct, peuvent être collectifs, et d'autres en différé peuvent être la propriété des clubs, comme pour l'Internet ou l'UMTS.
Nous légiférons actuellement en France sur la partie Internet et UMTS, et parallèlement la Commission européenne vient de publier une disposition différente. Il y aurait peut-être intérêt à ne pas vouloir toujours être différents des autres. Les gens de la Commission européenne travaillent beaucoup, et apportent en général un certain nombre de solutions qui fonctionnent plutôt bien ailleurs... .
M. Denis Astagneau
Votre club fait partie du G14, regroupant les 14 meilleurs clubs européens, qui voudraient créer leur propre ligue des champions, sur un modèle un peu « américain ». Ce serait la mort de la compétition traditionnelle telle que nous la connaissons en Europe.
M. Jean-Michel Aulas
Encore des images d'Epinal !
Le G14 a simplement fait en sorte, au moment des appels d'offres, de trouver le dispositif le plus valorisant pour les clubs en matière de droits et de façon générale de valorisation de la télévision. Il n'y a aucun projet de championnat « privé », de type NBA ou autre, mais simplement la volonté de défendre certains principes de propriété, d'accès à la négociation, comme l'a compris la Commission européenne, puisque dans les appels d'offres de Champions' League, tout le monde participe aux diverses répartitions.
Les clubs du G14 n'ont pas une vision différente de celle d'hommes rationnels et logiques. Le football a des vertus hexagonales et européennes, qu'il faut conjuguer en harmonie.
Les clubs s'appuyaient auparavant sur les collectivités locales. Aujourd'hui, un club comme l'Olympique lyonnais, avec 90 millions d'euros de budget, n'en dispose que de 15 issus des collectivités locales, et ceci uniquement pour la formation. Ceci est d'ailleurs vrai pour tous les clubs d'élite, qui réclament plus de ressources et un financement « adulte ».
M. Denis Astagneau
Frédéric Thiriez, président de la Ligue de football professionnel, que devient la Ligue professionnelle dans les projets de Jean-Michel Aulas ?
M. Frédéric Thiriez, président de la Ligue de football professionnel
La Ligue se porte bien ; elle se nomme d'ailleurs maintenant « Ligue de football professionnel », et non plus « Ligue nationale de football ».
Je vois les choses différemment de Jean-Michel Aulas, mais sur le fond nous allons dans la même direction.
Sans vouloir inquiéter sur la situation du football français, je ne voudrais pas non plus que tout le monde croit que tout va bien. Nos comptes ont été publiés il y a quelques semaines : ils ne sont pas bons. On se demande légitimement si les actionnaires de nos clubs peuvent continuer indéfiniment, chaque année, à mettre ainsi « la main au portefeuille ».
Globalement, c'est comme si l'on demandait à la France de courir les 24 heures du Mans avec une 2 CV ! Nous nous battons contre les handicaps structurels que nous subissons, qui sont de trois ordres : liés aux statuts des clubs, à la question des charges fiscales et sociales, et au problème de contrôle de gestion.
Concernant les statuts, sachez que nos clubs ne sont propriétaires de rien. Ni de leurs stades, ni de leurs droits télévisés, ni de leurs marques, ni de leurs numéros d'affiliation. Rien à l'actif de leurs bilans.
Les charges sociales et fiscales sont une spécificité française. Si un joueur coûte 100 € à un club anglais, italien ou espagnol, il coûtera 172 € à un club français : on ne peut pas lutter... ni s'étonner que nos meilleurs joueurs partent en Italie, en Angleterre ou en Espagne.
Quant au contrôle de gestion, la France est le bon élève en Europe. Nos clubs font aussi des efforts considérables en ce sens -- notons d'ailleurs que la masse salariale est en baisse cette année. Chez nos voisins, en Italie ou en Espagne, on fait n'importe quoi. Le déficit de la série A italienne est de 1 milliard d'euros ! Les salaires ajoutés aux achats des joueurs y représentent 150 % du chiffre d'affaires. Tout cela tient grâce aux faveurs du prince, ce que nous dénonçons en demandant une direction nationale de contrôle et de gestion (DNCG) européenne. Après un pas en avant en ce sens, l'UEFA fait aujourd'hui deux pas en arrière, en reportant sine die la véritable mise en place du contrôle financier lié à la licence, prévu pour 2006-2007, ceci sous la pression de l'Italie ou l'Espagne.
Le législateur français travaille, mais ce n'est pas terminé : nous attendons les décrets d'application de la première loi de Jean-François Lamour, et nous travaillons sur la mise en oeuvre du rapport Denis.
Si nous n'y arrivons pas, le football français ira à la catastrophe.
M. Denis Astagneau
La solidarité financière est donc une obligation pour que le football survive.
M. Frédéric Thiriez
Ce n'est pas une obligation, c'est un choix. Nous sommes le seul pays d'Europe à donner une aide financière importante, 100 millions de francs par an, au football amateur. Ajoutons à cela la taxe de 5 % sur les droits télévisuels, qui représentent vingt millions d'euros, pour l'ensemble des disciplines sportives. Le football professionnel donne donc au football amateur et à l'ensemble des disciplines sportives, par le biais du Fonds national pour le développement su sport (FNDS) ; ce qui reste et partagé de manière solidaire, selon des clés de répartition publiques et transparentes.
Nous sommes là encore les bons élèves de l'Europe, mais parfois les bons élèves en ont assez de voir les cancres aux meilleures places de la compétition.
M. Denis Astagneau
Le vivier du football amateur nourrit tout de même le football professionnel...
M. Frédéric Thiriez
C'est bien pour cela que les amateurs et les professionnels sont solidaires.
M. Denis Astagneau
On ne demande pas fréquemment aux joueurs leur avis sur ces questions. Les projets énoncés par Jean-Michel Aulas vous inquiètent-ils, Jean-Jacques Amorfini ?
M. Jean-Jacques Amorfini, vice-président de l'Union nationale des footballeurs professionnels
Non.
Je voudrais rappeler que si nous sommes ici, c'est parce que des sportifs proposent un spectacle, qui intéresse les investisseurs et les télévisions. Dans le football, nous avons la chance d'être présents depuis 1970, par le biais d'une convention collective. Nous nous connaissons et participons aux diverses réunions où nous pouvons donner un avis.
Rappelons aussi qu'avec l'arrivée de Canal+ en 1984, à l'initiative de Claude Besse, alors président des Girondins de Bordeaux, est apparue l'idée de la redistribution collective des droits de télévision, système qui existe toujours aujourd'hui. Sachez que sur ces droits, 1 % revient aux organisations de joueurs et est utilisé essentiellement dans le domaine social, en formation ou en reconversion. Nos structures suivent ainsi en permanence l'évolution des joueurs.
Mille joueurs professionnels évoluent aujourd'hui en France ; les mesures demandées par les clubs concernent en général les deux cents joueurs les meilleurs et les plus payés : notre rôle est de défendre la masse des joueurs.
Des clubs comme Amiens, Ajaccio ou Guingamp ne vivent aujourd'hui que grâce aux droits télévisuels. Ce système de droits télévisuels est donc essentiel pour ces clubs et leurs joueurs, qui ne sont pas des stars, qui gagnent vingt-cinq ou trente mille francs par mois, et dont la carrière dure environ quatre ans.
Concernant le droit à l'image, nous sommes extrêmement vigilants, et pour toutes les disciplines. Tous les joueurs sont salariés. Il ne faudrait pas qu'en cumulant le droit à l'image à ces salaires, les « petits » clubs en profitent pour moins payer leurs joueurs afin d'échapper aux charges patronales, ce qui aurait des incidences importantes sur leurs droits ultérieurs.
Nous serons par ailleurs attentifs au lien qui existera contractuellement entre les joueurs eux-mêmes et ces droits à l'image, qui a priori concernent le club.
Nous tentons actuellement d'entraîner dans notre sillage le basket, le rugby, etc., pour préserver les droits des sportifs.
M. Denis Astagneau
Quelles mesures pourrait-on envisager pour plus de solidarité au sein du football mais aussi pour plus d'équité entre les disciplines ?
M. Jean-Jacques Amorfini
Comme l'a dit Monsieur Thiriez, des reversements sont déjà effectifs. Le système est équilibré, mais il n'y a pas que l'aspect financier qui permette d'être Champion d'Europe, par exemple. C'est le charme du sport et du football : nous avons la chance en France d'avoir un Championnat qui garde son intérêt.
M. Denis Astagneau
Nous allons sortir du domaine du football, et demander à Maurice Beyina si celui-ci ne fait pas un peu trop d'ombre aux autres disciplines, dont la sienne : le basket-ball.
M. Maurice Beyina, basketteur professionnel, président du Syndicat national des basketteurs
Le football fait beaucoup d'ombre, effectivement, mais nous sommes tous conscients qu'il s'agit du « sport-roi », même si avec Henri Pescarolo nous nous demandions si nous ne nous étions pas trompés de salle.
Le sport et les médias ne peuvent être dissociés, certes, mais avec 400 000 licenciés, le basket, deuxième sport le plus populaire, et pratiqué mondialement, n'est pas très présent à la télévision. Il semble donc qu'il n'y a pas que la popularité qui guide les investisseurs, mais aussi la présence à la télévision.
M. Denis Astagneau
Les grandes heures de Limoges ou de Pau étaient tout de même retransmises...
M. Maurice Beyina
Je note que vous utilisez de vous-même le passé.
L'équipe de France de basket a été vice-championne olympique, mais cela n'a pas eu beaucoup d'écho sur les chaînes de télévision, notamment publiques. Le téléspectateur moyen voit ainsi son regard sur le sport sélectionné par les chaînes.
Le monopole du football est à mon avis néfaste pour les autres sports, mais aussi pour le football lui-même.
M. Denis Astagneau
Qui, selon vous, devrait intervenir pour tenter de résoudre cette question de régulation de diffusion des disciplines ?
M. Maurice Beyina
Je pense que le ministère a son mot à dire, afin d'installer des sortes de garde-fou, afin qu'aucun sport ne soit écarté ni des moyens, ni de la couverture médiatiques.
M. Denis Astagneau
Le basket français, comme l'a fait le basket américain, ne devrait-il pas faire certains efforts pour s'adapter à la télévision ? S'il n'y a pas de retransmission, c'est qu'il n'y a pas de demande du public.
M. Maurice Beyina
Nous savons bien que la demande du public peut être dirigée. Je vous garantis que certaines images de notre championnat pourraient se faire lever beaucoup de public !
Mais le basket fonctionne aujourd'hui sur les mêmes budgets qu'il y a dix ans, ce qui ne l'empêche pas d'être populaire.
Au basket américain, je reprocherai de prendre en otage le basket national. Nous sommes abreuvés d'images, alors que la NBA n'a sans doute pas besoin d'investisseurs français pour conforter son image.
Un grand rendez-vous du basket comme « la Semaine des As » à Mulhouse permettrait de travailler, mais l'événement n'a pas été couvert, alors que la Ligue 2 de football trouve à la télévision une couverture importante, où l'on nous montre des tribunes vides. Ceci me semble un exemple concret de discrimination.
M. Denis Astagneau
La Formule 1 accapare aussi la télévision. On ne présente plus Henri Pescarolo, très critique vis-à-vis de la Formule 1 dont il dit qu'elle tue les autres sports mécaniques.
M. Henri Pescarolo, président de l'écurie Pescarolo Sport
Je ne suis pas critique vis-à-vis de la Formule 1, mais de la Fédération qui gère notre sport. La FIA semble avoir oublié qu'il y avait autre chose que de la F1 dans son sport.
La F1 est devenue l'un des sports les plus médiatiques au monde, atteignant le niveau de la Coupe du Monde de Football. Pour arriver à cela, la FIA, avec son bras armé, Bernie Eccleston, a fait en sorte de détruire tout ce qui existait autour de la F1, qui du coup attire tout à elle : argent, médias, pilotes, etc.
Ni le Sénat ni l'Assemblée nationale ne pourront donc faire grand-chose pour l'organisation du sport automobile : une discipline-phare fonctionne parfaitement, et le reste est en jachère.
Il est nécessaire en ce cas de balayer d'abord devant notre porte, mais si l'on demande à Monsieur Bernie Eccleston de donner l'argent de la Formule 1 aux autres, il risque d'éclater de rire ! Et si l'on demande à Monsieur Le Lay de donner moins d'argent pour la F1 afin d'en donner aux autres, il va se retrouver dans une situation fort délicate.
La situation est donc grave.
A titre d'exemple, mon écurie aligne deux voitures aux prochaines 24 heures du Mans : à l'heure qu'il est, je n'ai toujours pas bouclé mon budget.
Le nouveau président des clubs de l'Ouest vient de signer un contrat de 3 ans avec France Télévisions. Il lance aussi un nouveau championnat d'endurance, avec des noms comme Spa ou Silverstone, qui faisaient partie du Championnat du Monde d'endurance, occulté par la F1, alors que les pilotes, à l'époque, étaient fréquemment les mêmes.
Notre sport est, il est vrai, assez spécifique, dans la mesure où une voiture de course coûte plus cher qu'une raquette de tennis ou un kimono. Une autre spécificité est qu'il n'y a aucun revenu : pas de prix d'arrivée, pas de pourcentage sur les recettes-spectateurs ; nous ne vivons que par le sponsoring, et comme on ne voit pas autre chose que de la F1 à la télévision ou dans les journaux ...
Le Championnat du Monde de rallyes est sans doute la discipline qui évolue de la manière la plus significative, parce que les grands constructeurs s'offrent ainsi leurs propres retombées.
Une anecdote cependant : lors du rallye de Suède, à la veille de l'arrivée, alors qu'un pilote français était en tête, avec un véhicule de fabrication française, le journal télévisé a omis de le dire ! Il y a peut-être certaines choses simples que l'on peut faire.
Dans le domaine législatif, par ailleurs, certaines choses concrètes pourraient également être mises en oeuvre. Ainsi, aucune loi n'indique le pourcentage de son chiffre d'affaires qu'une PME ou un groupe quelconque peut investir dans du sponsoring. Ceci conduit à des situations invraisemblables, comme celle d'un de mes partenaires actuels, qui a dû intervenir à un très haut niveau pour éviter un redressement fiscal parce que l'on avait estimé que sa marque n'avait rien à voir avec le sport automobile !
M. Denis Astagneau
Concernant le karting par exemple, des pilotes de renommée internationale pourraient peut-être intervenir, dans la mesure où ils ont commencé par cette discipline.
M. Henri Pescarolo
Au niveau national, des initiatives intéressantes ont vu le jour, comme la création de la première section sport-étude dans l'automobile, avec la Filière Elf. Nous avons ainsi amené au niveau de la F1 la plupart des jeunes pilotes français, tous issus du karting.
La Fédération française se bat tant qu'elle le peut, mais la situation franco-française fait que l'on est incapable de franchir le dernier échelon pour les jeunes pilotes, celui de la Formule 1.
La culture du capital-risque, sur un pilote en l'occurrence, n'est pas française, c'est le moins que l'on puisse dire.
M. Denis Astagneau
TF1 détient l'exclusivité des retransmissions de Grands Prix de Formule 1 pour les chaînes hertziennes françaises. Patrick Le Lay, êtes-vous conscient de ce monopole de la Formule 1 sur le plan médiatique, et donc du fait qu'elle écrase les autres sports mécaniques ?
M. Patrick Le Lay, président-directeur général de TF1
Je ne contredirai pas Henri Pescarolo : il est vrai que Bernie Eccleston a mis en place une organisation particulière qui privilégie le sport de pointe en effaçant tout le reste.
En ce qui nous concerne, notre palette de sports est assez large pour que l'on puisse donner une opinion sur différents domaines. Nous sommes la chaîne leader en clair, financée par de la publicité, et nous travaillons avec l'équipe de France de football, la Champions' League et la Formule 1.
Avec TPS, nous sommes dans une économie comme celle de Canal+, c'est-à-dire avec des abonnés qui payent pour un plaisir ponctuel. Nous avons ensuite Eurosport, la grande chaîne pan-européenne actuelle, qui touche 100 millions de foyers, diffusée dans 52 pays en 19 langues. Nous venons par ailleurs d'ouvrir une chaîne de sport nationale en Italie.
Sur Eurosport, pour faire le lien avec l'automobile, nous diffusons les Super Racing Week-end. Avec différents types de courses automobiles, nous tentons d'organiser des week-ends.
Ceci est très difficile à faire percer, et à financer, puisqu'à chaque fois Bernie Eccleston trouve un moyen pour pirater le système. Mais il faut savoir que les autres non plus n'aiment pas qu'on leur prenne de l'argent ! Ceci étant, le contrat de Formule 1 cette année, que nous avons repris, a été divisé par deux. On a commencé par me mettre à la porte, mais on a fini par accepter, ne pouvant faire autrement.
M. Denis Astagneau
L'audience de la Formule 1 aurait-elle baissé en France ?
M. Patrick Le Lay
Votre remarque nous amène au coeur du problème.
Je n'apporte ici que l'opinion de la télévision, et du groupe TF1, par rapport au sport. Chacun a sa logique économique.
Nous aurions pu intituler ce colloque « Football et autres sports ». L'argent investi par les télévisions au niveau européen pour le football n'a aucune commune mesure avec le reste de l'argent réuni sur tous les autres sports !
M. Denis Astagneau
En quoi une chaîne comme TF1 peut-elle aider les « petits » sports ?
M. Patrick Le Lay
Ce n'est pas notre objectif. Suivez mon raisonnement. Nous couvrons peu d'événements : l'Equipe de France de football, la Formule 1 et la Champion's League -- je reviendrai sur cette dernière.
Fin 2003, la question s'est posée : la Champions' League et la Formule 1 étaient des contrats à renouveler. J'étais partisan de ne renouveler aucun des deux, tout simplement parce que les prix demandés ne permettaient pas d'équilibrer les dépenses et les recettes. La Formule 1 a baissé son prix et la Champions'League a changé de formule, demandant moins de soirées de championnat.
Mais à côté de la Champions'League, il y a la Coupe de l'UEFA, dans laquelle un certain nombre de clubs français sont engagés. Le contrat était partagé entre deux sociétés, dont la nôtre. Canal+ n'ayant pas renouvelé son contrat cette année, la moitié de la Coupe n'avait plus de preneur, la recette des clubs a été divisée par deux, et seule la moitié des matchs a été diffusée. Nous supportons donc encore un an la Coupe de l'UEFA. Au stade actuel, aucun match n'a été diffusé sur TF1, mais tous l'ont été sur Eurosport. En effet, vous imaginez certainement que ce n'est pas avec l'économie de Eurosport France que l'on peut financer ce que coûte la Coupe de l'UEFA.
Un groupement d'organisations aussi complexe qu'on le trouve dans le football doit réfléchir au fait que l'argent n'est pas extensible. Trop de football tue le football ! Et cela se reporte sur les autres sports. Tous les deux ans, nous devons nous payer soit le Championnat d'Europe des Nations, soit la Coupe d'Europe : ces budgets ne peuvent plus être consacrés à d'autres sports.
La Coupe de l'UEFA risque donc cette année de ne pas trouver preneur, ou en tout cas pas à ce prix.
M. Denis Astagneau
Peut-on parler d'une baisse des prix des retransmissions des manifestations sportives ?
M. Patrick Le Lay
Oui, et dans leur totalité.
Dans chaque pays le sport est financé par les deux grandes chaînes hertziennes, en général la télévision publique et une grande chaîne, comme TF1 en France. Concernant les chaînes payantes, nous ne sommes que trois en Europe : Murdoch, Canal+ et TPS.
Sur le clair, personne ne s'y retrouve dans l'économie du sport, et en particulier du football ; le coût est trop élevé, mais lorsque l'on est une chaîne leader , on ne peut pas se passer de certaines manifestations, comme la Coupe du Monde de football.
M. Denis Astagneau
TF1 n'a jamais investi dans un club de football, ni dans une société d'achats de droits sportifs. Est-ce une décision stratégique ou une question d'opportunité ?
M. Patrick Le Lay
Investir dans un club de football n'entre pas dans une logique de synergie, notamment puisque les clubs ne sont pas propriétaires de leurs droits. Quand Canal+ possédait le PSG, ce club évoluait en Champions' League, et les matches étaient diffusés sur TF1 ! Cela fait un peu « désordre ». On peut investir pour des raisons économiques ou d'image, mais un club de football, c'est un stress permanent ! De plus, statistiquement, vous passez un mauvais dimanche sur deux ! Et puis, gérer une télévision signifie gérer déjà un nombre suffisant de vedettes : journalistes, chanteurs, artistes de tout poil. Inutile d'en ajouter, surtout pour un résultat financier aléatoire.
Pour l'achat de droits sportifs, il en va autrement. L'activité est complexe, et il est difficile de réaliser, après achat, si l'on va s'en sortir, comme nous l'ont montré quelques faillites retentissantes. Nous n'achetons donc des droits à des fédérations que de manière incidente, en particulier sur Eurosport.
M. Denis Astagneau
Les négociations sont-elles plus serrées dans le football ou dans le bâtiment ?
M. Patrick Le Lay
Dans le bâtiment, bien sûr ! Les discussions dans le domaine sportif se ramènent à des questions d'argent uniquement. Dans le bâtiment, les choses sont plus complexes.
M. Denis Astagneau
Pour les droits de retransmission du Championnat de Ligue 1, un projet de décret en cours de rédaction permettrait à un acheteur potentiel d'acquérir la totalité de certains droits. Est-ce en accord avec le droit de la concurrence ?
M. Patrick Le Lay
C'est au Conseil de la concurrence de répondre à cela.
Le droit de la concurrence a pour objet de fluidifier le marché, non pas pour le confort des entrepreneurs, mais pour celui des clients. Ce droit doit amener à ce qu'il y ait le maximum d'opérateurs sur des marchés, et il établit des règles particulières pour celui qui se trouve en position dominante.
TF1 est ainsi en position dominante sur le marché de la publicité télévisuelle ; de fait, nous n'avons pas le droit de solliciter par exemple L'Oréal pour leur proposer des conditions favorables ; ce serait un abus de position dominante.
Les choses fonctionnent de la même manière pour le sport, et le football en particulier.
M. Denis Astagneau
Le fait d'être en position dominante inquiète-t-il Canal+ ?
M. Bertrand Méheut
Notre métier est de développer nos affaires et de satisfaire nos clients, et en ce sens le football est très important pour nous, tout simplement.
M. Jean-Michel Aulas
Une alternative à cette situation serait que certains clubs négocient eux-mêmes leurs droits.
ÉCHANGES AVEC LA SALLE
M. Jean-Pierre Karaquillo
Je voudrais m'exprimer en tant que président très temporaire du club de basket de Limoges.
Soyons attentifs : il y a le football, et le reste du monde... Le basket est à l'époque féodale !
J'ai été très surpris, lorsque j'ai fait la connaissance du club de Limoges, de constater que les budgets des grands clubs n'avaient strictement rien à voir avec ceux des clubs de football, ni d'ailleurs avec les budgets croissants des clubs de rugby. Il y a 4 ans, le budget du plus grand club de basket était de 40 millions de francs. Aujourd'hui, en rugby, le budget du Stade Toulousain est de 100 millions, et ne parlons pas des budgets des plus grands clubs de football.
Cela induit bien entendu des organisations très différentes. Aujourd'hui certains clubs importants sont toujours sous un régime associatif, puisqu'ils n'atteignent pas les seuils de rémunération exigés pour passer en société commerciale.
Le problème est qu'aujourd'hui la Ligue nationale de basket manque sérieusement de vivacité.
Mme Fabienne Schmidt, journaliste à la Correspondance de la Presse
TF1 serait-elle intéressée par les droits de retransmission du Tournoi de tennis de Roland Garros ?
M. Patrick Le Lay
France Télévisions détient ce contrat depuis 1987. Cela n'est donc pas très intéressant.
Nous n'avons jamais été très intéressés par l'acquisition de ces droits, tout simplement parce nous ne savons pas diffuser ce Tournoi. Il se déroule sur 15 jours, il y a beaucoup de matchs, le temps d'antenne nécessaire est donc considérable, trop important pour notre chaîne.
M. Christian Quidet, journaliste
Je pensais depuis longtemps que les droits de retransmission allaient baisser, et je pensais que cela se ferait lorsque les télévisions auraient trouvé des programmes de substitution. La télé-réalité n'a-t-elle pas joué ce rôle ?
M. Patrick Le Lay
Non, pas du tout.
Pour une chaîne comme la nôtre, on ne peut consacrer un budget important à un programme que s'il est en prime-time , ce qui n'est pas le cas des compétitions sportives, tout simplement, hormis parfois le football. Mais il y a peu de matchs dans les cent premières audiences d'une année. Il faut donc trouver d'autres programmes, dont des programmes de « variété ».
M. Thierry Lardinoit, professeur la Chaire européenne de marketing sportif à l'ESSEC
Qu'est-ce que les clubs de football professionnel pourraient apprendre du business model de la Star Academy ?
Dans un tel programme, nous avons de la dramatique, de la compétition, de la sélection, de l'émotion, de l'entraînement... tout comme dans le domaine sportif ! Ces programmes ne viendraient-ils pas chasser sur les territoires du sport, et du football en particulier ?
M. Frédéric Thiriez
La plus belle émission de télé-réalité, c'est un match de foot ! Et là, le scénario n'est pas écrit à l'avance !
M. Patrick Le Lay
Je ne sais pas s'il y a un business model dans la Star Academy, mais je ne conseillerais pas au football de suivre cet exemple, tout simplement parce que je sais que toute émission à succès a rapidement une fin.
Intervention de la salle
M. Le Lay disait que le football coûte cher, mais que TF1 était obligée d'acheter certains droits. Un match coûterait-il de l'argent à la chaîne ?
Concernant le basket, il y a quelque six ans le service public retransmettait pratiquement chaque dimanche un match de première division, mais l'audimat restait décevant. Comment expliquer cela ?
M. Patrick Le Lay
La télévision gratuite en clair est financée par les femmes, les fameuses « ménagères ».
Ainsi, à partir du moment où sur une grande chaîne en clair vous faites de la retransmission de spectacle sportif, vous restreignez de toute façon le champ de vos clients, donc vous perdez de l'argent.
M. Maurice Beyina
Il faut aussi se rappeler que lorsque le basket national était ainsi « vendu », le basket américain l'était aussi, en parallèle : nous avions la copie et l'orignal !
Le cinéma français est protégé pour sa diffusion vis-à-vis du cinéma américain ; tel n'est pas le cas pour le basket. Il y aurait peut-être là quelque chose à faire.