ALLOCUTION DE CLÔTURE
M. Jean-Guy BRANGER remercie tous les participants et dit sa gratitude au Conseil de l'Europe d'avoir organisé cette journée, qui fut riche d'enseignements.
La question de l'immigration concerne tous les États du continent. Le Conseil de l'Europe doit adopter une approche humaniste, car derrière les chiffres et les règlements, il y a des êtres humains, des hommes et des femmes qui fuient la misère, la corruption, l'oppression et la guerre. C'est bien au Sud que se trouve la réponse et non aux frontières vainement relevées de l'Europe. Le débat ne saurait se réduire à l'opposition caricaturale entre abolition des contrôles et vision sécuritaire. L'exil est toujours un arrachement, un malheur qu'il faut gérer, non pas nier ou masquer aux candidats à l'émigration; l'arrivée dans le pays d'accueil est souvent pleine de risques.
Mais si la dignité des migrants, même illégaux, doit évidemment être défendue, la paix civile doit, elle, être préservée. Il est ainsi impossible de concilier, à moyen ou long terme, le développement de l'Europe centrale et orientale, les délocalisations hors d'Europe imposées par l'OMC et l'accueil, année après année, de centaines de milliers d'immigrés non européens. L'Europe n'est pas une forteresse, qui a accueilli 2,2 millions de personnes en 2000, soit cinq fois la population du Luxembourg ou l'équivalent de celle de Berlin. La France a accueilli de son côté 200 000 immigrants légaux en 2002 ; et 150 000 personnes, la même année, ont été naturalisées. Ces chiffres parlent d'eux-mêmes.
Pourquoi ces hommes, ces femmes, ces enfants prennent-ils autant de risques pour venir en Europe ? Les contrôles aux frontières ne seront que vexations inutiles si on ne lutte pas aussi pour la paix, contre la corruption et l'oppression, contre l'accaparement des richesses par quelques tyrans et chefs de guerre. Misère, guerres et pillages font fuir les investissements, poussent les élites à l'émigration. Sous des prétextes religieux, les droits des femmes sont niés, claustration, polygamie, mariages précoces et forcés... Les trois cartes de l'oppression des femmes, de la misère et des terres d'émigration coïncident. Au Maroc, dont le Roi a pris récemment d'heureuses initiatives, plus de la moitié des adolescentes sont encore analphabètes; et le différentiel de scolarisation entre garçons et filles peut être de un à quatre dans certains pays d'Afrique. Promouvoir la scolarisation des filles est assurément le meilleur investissement que peuvent faire les organisations internationales agissant pour le développement. Quel peut être en effet la vie d'une fillette mariée à treize ans et mère à quinze ? Et celle des sept ou huit enfants qu'elle aura ?
La réalité est cruelle: sur l'autre rive de la Méditerranée, jusqu'à 80% des jeunes rêvent d'émigrer vers l'Europe. La misère et le sida déstructurent les familles, la prostitution enfantine, les trafics d'organes se développent. Garantir aux jeunes africaines la maîtrise de leur destin, leur dignité et leur santé : voilà qui est conforme aux exigences de respect des droits humains universels, voilà qui permettrait d'amorcer les mécanismes vertueux du développement, qui ferait renaître l'espoir, pour les jeunes Africains, de vivre au pays.
Il convient en outre de s'interroger sur l'évolution des flux migratoires. On sait que trafiquants d'êtres humains et mafias sont à l'oeuvre, que le risque terroriste, aussi, se diffuse. L'angélisme n'est plus de mise. Que l'on songe à ces 56 clandestins chinois morts étouffés dans le camion d'un passeur, ou à ces jeunes femmes réduites à l'esclavage de la prostitution. Ces agissements ne peuvent être tolérés et justifient contrôles et sanctions les plus sévères.
Les mêmes contrôles sont nécessaires pour enrayer la diffusion du terrorisme, dont l'origine, on le sait, se trouve dans les conflits du Moyen Orient, du Caucase ou d'Asie centrale et dans les souffrances qui en résultent. Les pays démocratiques doivent tout faire pour mettre les terroristes hors d'état de nuire. Ils doivent aussi lutter contre l'instrumentalisation des croyances religieuses ou du sentiment d'appartenance communautaire. De mauvais bergers, prêcheurs de haine, exploitent les difficultés des jeunes de l'immigration et les poussent à subvertir l'ordre public démocratique - alors que les parents de ces jeunes sont précisément venus en Europe chercher la paix, la tolérance et le respect des droits d'autrui. Ces valeurs doivent être défendues : c'est l'objet du projet de loi à venir en France sur l'interdiction des signes religieux ostensibles à l'école.
Seule une politique responsable peut priver les mouvements xénophobes de leurs arguments, préserver l'équilibre socio-économique des sociétés européennes, conforter l'adhésion des citoyens à une Europe espace de sécurité et de prospérité, dans la fidélité à la Convention européenne des droits de l'Homme.
Il est de la responsabilité des élus européens de savoir concilier respect absolu des personnes et lutte contre les trafics et le terrorisme ; de s'engager résolument en faveur du développement dans les pays d'émigration, c'est-à-dire, aussi, pour les libertés fondamentales, l'égalité entre les hommes et les femmes, la démocratie : valeurs qui sont universelles.
La séance est levée à 17 h 50.