III. PROGRAMME DE L'APRÈS-MIDI

DANS LE CONTEXTE DE LA MONDIALISATION, QUELLE POLITIQUE DE L'ALIMENTATION DEMAIN ?

Exposé introductif :

MONDIALISATION, QUALITÉ ET SÛRETÉ DES ALIMENTS

Michel GRIFFON , CIRAD

Première table ronde :

LES ENJEUX ÉCONOMIQUES :
DANS QUELLE MESURE L'AGROALIMENTAIRE FRANÇAIS PEUT-IL INTÉGRER LE PROGRÈS SCIENTIFIQUE POUR FAIRE FACE À LA PRESSION DU MARCHÉ MONDIAL ?

Exposés : Eugène SCHAEFFER , Vice-Président, FNSEA
François DUFOUR , Secrétaire général, CONFÉDÉRATION PAYSANNE

Modérateur : Bernard GUÉRIN , Président, ACTIA

Intervenants :

Yves BAYON de NOYER , Président-Directeur général, AGIS

Hervé GOMICHON , Directeur qualité alimentaire, Carrefour

Michel GRIFFON , Conseiller au développement durable, CIRAD

Philippe MAUGUIN , Directeur général, INAO

Denis MANA'CH , Président, COPAGRI Bretagne

Jean SIRAMI , Directeur, Association de développement industriel

Deuxième table ronde :

LES ENJEUX DE SOCIÉTÉ : ATTENTES, ESPOIRS, RÉALITÉS NUTRITIONNELLES ET SANITAIRES


Modérateur : Ambroise MARTIN , Directeur de l'évaluation des risques nutritionnels et sanitaires, AFSSA

Intervenants

Bernard GUY-GRAND , Professeur de nutrition, Hôtel-Dieu

Gérard CORTHIER , Directeur, INRA Jouy-en-Josas

Claudine JUNIEN , Directeur de recherche, INSERM

Béatrice DARCY-VRILLON , Directrice du laboratoire de nutrition

et sécurité des aliments, INRA Jouy-en-Josas

Christian LATGÉ , Responsable du développement et de la nutrition, Andros

Vincent DUVILLIER , Directeur général, Béghin-Meiji.

Troisième table ronde :

POUR UNE POLITIQUE DE L'ALIMENTATION MOBILISANT TOUS LES ACTEURS


Modérateur : Alain COSTES , Professeur, LAAS Toulouse

Intervenants

Sylvie PRADELLE , Vice-présidente, UFC-Que choisir

Jérôme BÉDIER , Président, FCD

Gérard PASCAL , Directeur de recherche honoraire, INRA

Olivier MIGNOT , Chef du département qualité et sécurité,

Centre de recherche Nestlé , Suisse

Dominique LANGIN , Directeur d'unité de recherche, INSERM

Thierry KLINGER , Directeur général de l'alimentation, ministère de l'agriculture, de l'alimentation, de la pêche et des affaires rurales

François COINDREAU , Président de la Commission qualité, ANIA


IV. EXPOSÉS-DÉBATS

La séance est reprise sous la présidence de M. Claude Saunier, sénateur.

M. Claude Saunier - Nous reprenons nos travaux.

Notre après-midi va nous conduire à élargir le champ de notre réflexion comme vous l'avez vu, puisque nous allons consacrer deux tables rondes aux effets directs ou indirects de la mondialisation.

Pour introduire cette réflexion, j'ai demandé à M. Griffon, du CIRAD, de nous faire le point sur la mondialisation dans le champ du commerce alimentaire.

Après, nous embrayerons - dans la vivacité je n'en doute pas - avec le témoignage de deux représentants du monde agricole.

Monsieur Griffon....

M. Michel Griffon - Je vous remercie beaucoup. Je vais essayer de faire le plus rapidement possible, simplement en vous livrant quelques idées.

Première idée : dans ce domaine de la mondialisation de l'alimentation, le marché mondial des produits agroalimentaires se déplace de plus en plus rapidement depuis un marché qui intéressait les produits que l'on appelait les « commodités » (mot qui nous vient du vieux français), produits commodes à transporter, vers des produits prêts à consommer. On passe toujours par une phase de produits transformés.

Par exemple, on est passé du blé à la farine de blé, et on va de plus en plus vers du blé sous forme d'aliments directement servis dans les supermarchés d'un très grand nombre de pays.

Cette évolution est liée, vous le savez bien, au fait que partout dans le monde, se développent des supermarchés et la grande distribution.

Deuxième idée : le commerce agroalimentaire est un élément très fort de la mondialisation de l'économie parce qu'il y a plusieurs grandes forces qui sont là. La première des forces, c'est la concurrence entre les grands bassins de production agricole, en vertu des avantages compétitifs.

La deuxième force, c'est celle des grandes firmes de la transformation qui constituent à l'échelle mondiale un oligopole de plus en plus restreint et qui contrôlent une partie de la nature de l'offre.

Le troisième facteur, je viens de le dire sous une autre forme, c'est l'évolution de la stratégie des grandes firmes de la distribution qui sont en train de s'étendre de plus en plus à l'échelle mondiale, parallèlement au développement de l'urbanisation.

Et enfin, et je vais insister un petit peu là-dessus, la quatrième force, c'est l'évolution des goûts et des exigences des consommateurs.

Tout cela détermine une évolution de la géographie des échanges et de la production. Je voudrais simplement livrer là une idée capitale qui est que le marché mondial de l'alimentaire est en train de se déplacer massivement vers la demande asiatique.

Depuis vingt ans, l'Asie connaît une forte croissance, elle connaît un développement de ses classes moyennes, des supermarchés, de la diversification de son alimentation. C'est un phénomène massif, à telle enseigne que cela entraîne maintenant une grande partie des importations mondiales de blé, d'aliments pour les animaux (de soja, de maïs, de tourteaux) et même d'animaux eux-mêmes, en particulier de volailles.

Mais cette nouvelle géographie est quand même, on le sent bien, déterminée par le fait que notre civilisation mondiale évolue vers un monde de plus en plus urbain dans lequel l'emploi se développe, dans lequel on a de moins en moins de temps dans la journée pour préparer les aliments, où l'on recherche les aliments préconditionnés, prêts à l'emploi et où la part des femmes qui travaillent est de plus en plus importante.

Tout cela modifie donc les modes de consommation, y compris jusque dans un grand nombre de pays en développement.

Autrement dit, il faut s'intéresser, dans le mécanisme de la mondialisation, aux demandes spécifiques des consommateurs. De ce point de vue, je voudrais en mentionner neuf qui sont bien connues, pour simplement vous les rappeler à titre d'introduction.

Premièrement - vous l'avez dit ce matin - la très forte sensibilité à la sécurité sanitaire. Je ne reviens pas dessus.

Ensuite, la sensibilité à la commodité d'usage qui est liée au développement de l'urbanisation, au temps réduit de préparation des repas et au développement considérable de la restauration collective dans le monde.

Le troisième point, c'est bien sûr la sensibilité à la connaissance de l'origine des produits comme gage de confiance, la technique étant celle de la traçabilité.

Le quatrième, c'est la sensibilité à la qualité nutritionnelle.

J'ai classé ces demandes en ordre d'importance décroissant. Cette sensibilité à la qualité nutritionnelle est liée, pour les pays riches, au développement de maladies cardiovasculaires. A l'opposé, dans les pays pauvres, je vous le rappelle, 800 millions de personnes au moins souffrent de carences quantitatives, et un nombre dépassant plus d'un milliard pour un certain nombre de carences nutritionnelles qualitatives.

La cinquième demande, ou besoin, c'est la sensibilité aux qualités sensorielles et en particulier aux qualités gustatives. Ne croyons pas qu'il s'agisse là simplement d'un phénomène qui intéresse les capacités gustatives des Français et des Européens. Cela existe dans tous les pays du monde.

La sixième sensibilité concerne le contenu culturel et l'enracinement au terroir des produits que l'on retrouve aussi bien en Europe que par exemple en Afrique ou en Asie. Depuis que nous analysons le phénomène, nous le rencontrons.

La septième sensibilité, c'est celle à la nature des techniques de production qui est le résultat d'une suspicion par rapport aux techniques de production industrielle ou de l'agriculture intensive. Il y a là aussi bien sûr les préoccupations liées au bien-être animal dans les sociétés des pays du Nord.

La huitième, c'est la sensibilité à des questions d'équité. La sensibilité au dumping social, au travail des enfants et au caractère, équitable ou non équitable, d'un certain nombre de produits.

Enfin, la sensibilité à ce que l'on peut appeler le dumping environnemental ; le fait qu'un certain nombre de produits arrivent dans nos assiettes à des prix relativement bas, mais que ces prix bas contiennent des coûts considérables du point de vue environnemental dans les zones de production.

Toutes ces demandes conduisent - à des degrés certes extrêmement différents - à l'émergence de signes de qualité des aliments sur nos propres marchés. Ces signes de qualité sont nombreux.

Je les cite dans un certain désordre : bien sûr les Indications Géographiques Protégées (IGP), le label officiel des Appellations d'Origine Contrôlée (AOC, je n'insiste pas), il y a bien sûr les marques de distribution des firmes en général, et en particulier celles qui font référence au terroir, il y a les labels officiels, en particulier le label officiel de certification de conformité des produits, le Label Rouge par exemple, le label officiel Agriculture Biologique, les labels plus « éthiques » comme Max Havelaar ou les labels FLO (Fairtrade Labelling Organization) qui, bien sûr, sont là pour nous rappeler que l'on paye un prix acceptable aux producteurs primaires. Il y a des initiatives privées comme le produit de l'année, la saveur de l'année.

Et n'oublions pas, dans les signes qui sont donnés au consommateur - quelquefois on l'oublie - ce que font un certain nombre d'organisations pour appeler les consommateurs à modifier leurs préférences - je dis cela de façon euphémique - ou appeler au boycott purement et simplement contre tel ou tel produit, pour telle ou telle raison.

A tout cela s'ajoutent des signes qui sont dans le paysage et qu'on ne voit plus. Il y a bien sûr l'ensemble des normes, par exemple celles qui viennent des accords sanitaires et phytosanitaires, les normes sanitaires européennes, les certifications ISO.

Et puis il y a des démarches qui ont été initialisées par les professions, par exemple des démarches de qualité environnementale comme Agri Confiance, ou la qualification Agriculture Raisonnée, etc..., et il y en a bien d'autres.

Avec cette énumération, on peut bien sûr conclure que tous ces signes de qualité montrent qu'il y a émergence d'un pouvoir des consommateurs. C'est certainement une des grandes leçons historiques de la période passée. Nous sommes encore dans cette évolution.

Tout cela va certainement entraîner de la part des entreprises et de la recherche publique des travaux de recherche nouveaux pour comprendre le phénomène et des travaux dans le domaine de la technologie pour répondre de plus en plus à ces questions, ainsi, d'ailleurs, que des modifications des évolutions des politiques publiques et des stratégies des firmes.

Cependant, si on sent à travers ce mouvement, que ces exigences s'additionnent, elles ne s'additionnent pas sur les mêmes personnes. Il y a des segments de marché et des segments de comportements qui sont assez différents.

On peut s'interroger sur le fait que cette longue liste de signes puisse entraîner une certaine confusion dans l'apprentissage du consommateur de son futur rôle dans la société économique, qui est celui de faire des choix de plus en plus raisonnés, de plus en plus informés.

C'est sans doute une des raisons pour lesquelles le Conseil national de l'alimentation a appelé récemment les pouvoirs publics à établir un peu plus de cohérence et éventuellement d'ordre dans ces signes de qualité.

Comme il s'agit d'un phénomène important, massif à l'échelle de nos sociétés, on comprend que le consommateur devienne un enjeu de plus en plus important dans les filières et qu'il soit important de faire en sorte que tout cela se passe dans nos sociétés avec un minimum de cohérence.

Merci pour votre attention.

( Applaudissements ).

M. Claude Saunier - Merci, Monsieur Griffon.

Première table ronde :

LES ENJEUX ÉCONOMIQUES :
DANS QUELLE MESURE L'AGROALIMENTAIRE FRANÇAIS
PEUT-IL INTÉGRER LE PROGRÈS SCIENTIFIQUE
POUR FAIRE FACE À LA PRESSION DU MARCHÉ MONDIAL ?

M. Claude Saunier - Je vais m'adresser maintenant au représentant de la FNSEA - c'est M. Schaeffer - et à François Dufour, en leur rappelant à l'un et à l'autre que nous avons quelques contraintes horaires. On sait qu'ils ont beaucoup de choses à dire, mais s'ils pouvaient aller à l'essentiel chacun en 5/6 minutes, ce serait très bien pour le reste de notre réunion de travail. Merci.

M. Eugène Schaeffer - Monsieur le Président, merci de nous donner l'occasion de nous exprimer à cette tribune devant vous. C'est un honneur.

Simplement - rapidement - comme vous dites, Monsieur le Président - sur le sujet que vous traitez, la France a un bel héritage qu'il faut savoir valoriser et il faut faire une politique en conséquence. Ne l'oublions pas.

La France, avec ses terroirs, ses productions, ses filières - il ne faut pas les oublier - a entamé une bonne politique qui va dans le sens de la question que vous posez. Les organisations professionnelles dans leur ensemble ainsi que les producteurs, depuis de très longues années, sont allés dans ce sens-là.

Lorsque l'on a mis en place tous les produits sous signes de qualité, lorsque l'on a mis en place des organisations comme l'INAO, ou d'autres organismes, c'était effectivement dans ce but.

Déjà à l'époque, nous avons essayé de concilier progrès scientifique et démarche de qualité des produits, démarche de qualité/progrès scientifique, cela signifie aussi bien démarche sanitaire que qualité gustative. C'est cela qui fait l'originalité, encore une fois, de nos produits français.

Il faut dire que dans ce domaine-là, l'héritage est bon. Je le dis maintenant, il faut le valoriser. Comment faire évoluer dans le contexte d'une mondialisation nos atouts et en même temps comment, dans le cadre de l'Union européenne et de l'élargissement de l'Union européenne, ne l'oublions pas, faire valoriser nos atouts ?

Tout d'abord, nous ne pouvons pas faire fi de l'Europe. D'ailleurs dans ce domaine-là également, l'héritage français est bon. Dans tous les débats que nous avons eus en ce qui concerne les démarches qualité, les démarches sanitaires, l'Europe a en grande partie repris des positions françaises.

Ce n'était pas facile parce que l'Europe se divise effectivement en deux camps : vous avez le camp de ceux qui sont du Nord, qui ont des approches beaucoup plus industrielles et de qualité de transformation industrielle des produits, et ensuite l'Europe du Sud, la France notamment, qui s'appuient beaucoup plus sur des produits du territoire et sur la territorialisation des produits.

Je crois qu'il faut jouer les deux. Nous sommes en train de le faire. Il faut dans ces démarches allier territoire, filières et produits. C'est l'enjeu que nous nous sommes donné.

Tout d'abord l'Europe. Nous pensons que la défense d'une agriculture multifonctionnelle au niveau de l'Organisation mondiale du commerce s'impose, et que nous pouvons arriver à ces objectifs. Ce n'est pas facile parce que dans ce débat-là, il faut d'abord l'accord de l'ensemble des pays européens - ce qui n'est pas évident - mais là encore le rôle de la France est primordial.

Ensuite, il y a les démarches que nous nous sommes imposées, nous les Français, nous sommes très tôt entrés dans la démarche que l'on connaît à l'INAO ou qu'on connaît dans la labellisation, à savoir les démarches de filières.

La qualité d'un produit se retrouve déjà au moment de la recherche. Recherche, production, transformation, commercialisation. Des référentiels clairs et précis sont élaborés à tous les stades de ce travail. Ces référentiels étant très clairs, cela suppose également un contrôle. C'est ce que nous avons fait.

Là, chaque fois, pour la grande partie de nos démarches, nous nous sommes appuyés sur les scientifiques, parce que lorsqu'on dit démarche qualité, encore faut-il avoir un certain nombre de preuves scientifiques pour les valoriser.

Aujourd'hui, toutes ces démarches de filières, tous ces cahiers des charges, tous ces référentiels que nous avons mis en place dans le cadre des politiques de filières, c'est pour nous un atout. Avec la démonstration scientifique que nous faisons, au niveau de l'Europe, au niveau du monde, nous avons des éléments scientifiques pour démontrer que nos démarches sont bonnes et que derrière, la qualité n'est pas un vain mot. Je crois que c'est important.

Deuxième point qu'il faut développer aujourd'hui dans les débats, c'est que nous faisons des démarches de qualité, des référentiels. Les choses sont contrôlées, mais - et c'est très important pour l'avenir de l'OMC en Europe - nous faisons toutes ces démarches de qualité dans une démarche de respect de l'environnement. Deuxième atout important, le respect de l'environnement.

Là, nous prenons en charge également toutes les données scientifiques que nous avons, les données scientifiques que nous retrouvons dans nos référentiels (la fertilisation des plantes, l'alimentation animale, le traitement des grandes maladies végétales ou animales). Tout cela est référencé et scientifiquement prouvé. Il est prouvé que nous le faisons dans un cadre de respect de l'environnement et, pour les productions animales, de respect du bien-être animal. Nous avons donc des choses qui sont en place.

Maintenant, il faut les valoriser, je le disais tout à l'heure. Les valoriser tout d'abord en les faisant connaître. Je pense que dans le monde, et même au niveau de l'Union européenne, il y a un déficit de communication de la France, de nous-mêmes, de ce que nous faisons. Ce n'est pas assez connu.

La première interrogation est la suivante : que pouvons-nous faire tous ensemble (la production, la transformation, les industries agroalimentaires) pour mieux faire connaître ce que nous faisons ?

Deuxième question : les moyens. Est-ce que nous mettons assez de moyens dans tout ce travail ? Je dis que non. Au point de vue recherche scientifique, on pourrait faire mieux, que ce soit dans les organismes publics - je suis Président de l'ACTIA. L'ACTIA a son plan dans l'ensemble des instituts de recherche agricole et alimentaire. Ce n'est pas évident parce que notre budget, comme le budget de tout le monde, a diminué de 23 % ces dernières années dans les instituts. Le problème est donc posé. Avec moins de moyens, comment faire mieux pour faire tous ces travaux par rapport à l'Europe, par rapport au monde ?

Enfin, dernier point : il faudrait qu'on ait une très bonne symbiose, un très bon travail d'harmonisation avec nos entreprises agroalimentaires. Je pense qu'aujourd'hui les entreprises ne mettent pas assez de moyens dans tout ce travail de recherche scientifique et d'innovation de produits nouveaux. Il en manque. Il y a une synergie entre le public et les entreprises mais il y a un manque.

Là, effectivement, surgit un autre débat : comment faire dans le cadre de politiques de filières, telles que celles mentionnées tout à l'heure (Label ou AOC) ou dans d'autres, pour que la recherche scientifique dans les entreprises soit plus poussée, pour démontrer au monde que la France est très bonne dans ses exportations, sinon au top, en ce qui concerne ces produits ?

Voilà, Monsieur le Président, je crois que j'ai essayé de développer les grandes questions, essayé d'apporter un certain nombre de réponses, mais les solutions sont dans le cadre des filières (producteurs, transformateurs) et également dans les secteurs qui valorisent le produit.

Je ne voulais pas parler de la grande surface. Lorsque l'on parle cahiers des charges, référentiels, ce sont bien des cahiers des charges, des référentiels qui sont discutés entre les producteurs et les employés, dans le cadre d'une politique de filière et non pas imposés par les grandes surfaces. C'est bien cela, Monsieur le Président. Merci.

( Applaudissements ).

M. Claude Saunier - Merci, Monsieur Schaeffer, d'avoir tenté de respecter l'horaire.

François Dufour, pour la Confédération paysanne....

M. François Dufour - Merci de donner la parole à la Confédération paysanne dans le cadre de ce colloque.

J'ai entendu un certain nombre d'intervenants ce matin parler du rapport à la science et à l'alimentation, et nous tracer les perspectives de l'alimentation que nous aurons demain dans nos assiettes.

Je suis paysan, et j'ai envie de vous exposer quelques interrogations. Je pense qu'un producteur agricole se doit de s'interroger un petit peu sur l'évolution de l'agriculture puisque nous sommes le premier maillon de la chaîne.

A moins que la mondialisation des échanges considère que, finalement, on arriverait dans un certain nombre de laboratoires à prouver que l'on peut faire une alimentation qui nourrisse le monde et qui soit capable de donner un équilibre aux territoires ruraux - ce qui, je pense, est quand même encore assez éloigné de nous, je l'espère, et heureusement.

J'ai envie de parler un petit peu des problèmes et du décalage entre ce qu'attendent les consommateurs et l'évolution, ce que nous vivons aujourd'hui. Depuis une dizaine d'années, il y a eu une crainte extrêmement importante. Les associations de consommateurs, les consommateurs en général, se sont inquiétés de ce qu'ils consommaient parce qu'il y a eu des crises sanitaires et des crises alimentaires.

J'espère que celles-ci sont derrière nous. Je n'en suis pas toujours sûr et permettez-moi quand même de vous dire que lorsque je vois - j'espère ne pas être trop décalé dans le débat - l'évolution des accords agricoles au niveau de l'Europe récemment, j'ai un peu peur que nous plongions à nouveau dans des crises sanitaires.

Je m'explique. Les différents accords politiques qui visent à mondialiser l'économie agricole et effectivement à étendre les marchés nous amènent - là je parle en tant que paysan - à poursuivre une intensification des systèmes agricoles, à concentrer de plus en plus les productions dans quelques régions et à développer la spécialisation et la monoculture.

Je pose la question : est-ce que l'agroalimentaire, est-ce que le consommateur pourront demain avoir un produit sécurisant ?

Bien sûr, sur les volumes, il n'y a pas de problème, on sait faire, on est capable d'exporter nos systèmes agricoles les plus productivistes et de produire des masses importantes de productions tout en continuant à diviser le nombre de paysans par 2, par 4 ou par 10.

Mais est-ce que le consommateur sera toujours satisfait avec un produit qui est de plus en plus fragilisé ? Je pose vraiment la question.

Là, je voudrais vous ramener un petit peu à la mission qui est celle du paysan : je pense que les fonctions d'agronome s'éloignent tous les jours du métier de paysan.

Est-ce que vouloir faire produire systématiquement des quantités importantes de céréales sur n'importe quelle terre au nom d'une technologie ou d'un technicisme appuyé a la capacité de donner un produit de qualité ? Je m'interroge. Je ne suis pas scientifique, je suis paysan.

La deuxième question, c'est la vocation européenne mais aussi la question de savoir - et là je m'étendrai quelques instants sur les aspects géopolitiques de cette mondialisation - quel rôle joue actuellement l'agriculture dans le monde.

Il est certain, je n'invente rien et vous l'avez entendu, que quelques départements en France peuvent avoir la capacité, dans des systèmes très sophistiqués, de nourrir l'Europe, voire de nourrir le monde.

Les droits fondamentaux des peuples, tels qu'ils étaient inscrits dans le Traité de Rome en 1958, sont-ils encore de mise dans le débat ou est-ce que l'on passe outre cela ?

Est-ce que la production agricole est uniquement vouée à une production de masse très importante avec des prix très bas, faisant fi du reste, et considérant qu'à partir de laboratoires on a la capacité d'orienter tel ou tel produit avec des goûts et une activité nourricière, ou est-ce qu'au contraire on ne doit pas définir un certain nombre de principes ?

Est-ce que cette souveraineté alimentaire et le rôle que joue l'agriculture sur l'ensemble des continents ne devraient pas être aujourd'hui au centre des débats ?

Comme le temps est très court, j'ai envie de vous dire que dans le débat actuel, nous poussons, à la Confédération paysanne, à ce que la Constitution européenne réinscrive des droits fondamentaux pour les peuples et que l'on redéfinisse réellement ensemble les besoins alimentaires des peuples à partir de la fonction et de la mission même de l'agriculture. C'est sans doute permettre d'avoir vraiment un débat sur ce qu'on attend de nos régions, de nos territoires, de nos diversités.

Alors on est très éloigné des OGM et de la privatisation du vivant, qui voudraient nous être imposés par l'OMC.

Je pense que nous devons inscrire dans cette Constitution des droits fondamentaux pour l'Europe, si on veut vraiment construire une Europe qui s'élargit avec des bases saines (principe de souveraineté alimentaire, principe de sécurité alimentaire) et des normes qui ne soient plus des normes artificielles ou virtuelles, mais qui soient des normes sur lesquelles on fonde le principe du rôle de l'agronomie, la définition de la qualité des produits, la manière de produire, la manière d'exiger un certain nombre de prises de conscience, et de fonctions mêmes du paysan.

Je pense que cela a une importance extrêmement forte pour nous tant l'agriculture joue un rôle important dans le développement des territoires, dans la fonction de diversité agricole et alimentaire de l'ensemble des régions de l'Europe, mais aussi dans la dimension sociale (nombre d'emplois) et dans sa dimension environnementale (modes de faire-valoir, modes de production, et transmission aux générations futures).

En même temps, je voudrais dire aussi la chose suivante. J'entendais quelqu'un dire ce matin qu'on meurt aujourd'hui à cause de problèmes d'obésité et que finalement être moins nourri serait peut-être un moindre risque.

Je pense que la question qui nous est posée, c'est beaucoup plus la question de la répartition des moyens de production et je pense que l'Europe - permettez-moi aussi de le dire dans ce lieu, au Sénat - ne peut pas continuer à subventionner des produits au nom de la vocation exportatrice en exportant nos excédents.

Cela nous amène peut-être aussi à repenser à l'encadrement des productions, notamment à la renaissance d'organisations communes de marché pour maîtriser les filières de production.

Si on maîtrise les filières de production, on sera amené, dans le cadre d'un contrat social entre les paysans et la société, à définir des droits et des devoirs. Dans les devoirs du paysan, on trouve cette méthode de production, d'agriculture paysanne qui correspond à tout ce que nous avons en mains aujourd'hui avec les signes de qualité et les productions de qualité que nous connaissons, tous les signes de qualité dont la France et l'Europe se sont dotées, qualité qui risque d'être mise à mal demain dans le cadre de cette mondialisation et de cette ouverture au marché.

Je conclurai en disant qu'il faut se départager entre des choix de politiques alimentaires qui satisfont les besoins des citoyens et des consommateurs et des hommes, et les intérêts financiers. N'y voyez pas simplement des attaques en règle, mais je suis très inquiet quand je lis les accords de Marrakech ou quand je lis la description de l'Europe qui suit cette voie des accords de Marrakech. Selon cette voie, on pense que finalement l'ouverture des marchés va tout régler et que la recherche et les nouvelles technologies régleront tout - je pense notamment aux OGM.

A mon avis, on est loin de ce qu'attend la société de l'avenir de la construction européenne et en termes de capacité à se nourrir correctement. Je vous remercie de m'avoir donné quelques instants la parole.

( Applaudissements ).

M. Claude Saunier - Je vous remercie l'un et l'autre d'avoir respecté à peu près le temps que je vous avais accordé.

J'explique qu'il m'avait semblé qu'il était impossible de tenir un colloque sur la qualité, la sécurité alimentaire et la problématique scientifique sans donner la parole aux représentants du monde agricole.

Le monde agricole, même si on n'en a pas beaucoup parlé, même si aujourd'hui on a surtout parlé de l'agroalimentaire, de la technologie appliquée à l'agroalimentaire, le monde agricole depuis plusieurs décennies, et en permanence, connaît aussi les chocs de rupture technologique, et a fait la preuve de sa capacité à s'adapter.

Je pense qu'un certain nombre de problèmes qui ont été soulevés par l'un et par l'autre sur le respect de l'environnement, sur le bien-être animal, qui sont des revendications, des attentes très fortes de la part de la société, auront une part - je dis bien une part - de réponse au travers de la recherche scientifique appliquée à l'agriculture. En tout cas, merci à l'un et à l'autre pour votre témoignage.

Maintenant, je vais demander à M. Guérin de bien vouloir me rejoindre. M. Guérin remplace au pied levé M. Didier Majou, empêché. M. Guérin va être le modérateur de la nouvelle table ronde.

J'appelle donc M. Bayon de Noyer, M. Gomichon, M. Griffon à nouveau, qui va venir nous rejoindre, Philippe Mauguin, directeur de l'INAO, M. Mana'ch, qui est président de COPAGRI Bretagne, et M. Sirami, directeur de l'ADI. Vous prenez place.

Je vous rappelle, Monsieur le modérateur, que nous sommes dans un cadre un peu contraignant : une heure.

M. Bernard Guérin - Merci de m'avoir fait confiance pour modérer le débat de cette table ronde de l'après-midi.

Comme vous l'avez rappelé, Didier Majou est souffrant aujourd'hui et ne pourra pas être parmi nous. J'ai été prévenu hier soir tardivement, et je vais essayer de faire le mieux possible pour modérer cette table mais surtout donner la parole à tous les intervenants que vous aviez retenus pour cet après-midi et permettre un débat, je l'espère, intéressant et constructif.

Si vous le voulez bien, Monsieur le Sénateur, je vous propose que ce débat de l'après-midi, nous l'orientions de la façon suivante : que nous écoutions l'attente des différents intervenants de la chaîne alimentaire.

Nous écouterons donc d'abord l'attente des distributeurs qui sont le plus près de la consommation, à qui je donnerai donc la parole en premier puisque nous n'avons pas de consommateurs au niveau de cette table. Nous sommes tous des consommateurs, nous allons donc tous pouvoir nous exprimer aussi en tant que consommateurs en dehors de nos fonctions professionnelles.

Ensuite, nous donnerons la parole au représentant des petites et moyennes entreprises en la personne de Yves Bayon de Noyer, président de la société AGIS, donc une PME. Il vous dira un mot de la société qu'il anime.

Je vous propose que nous entendions ensuite le représentant de la coopération agricole, en la personne de M. Mana'ch, qui est président de COPAGRI. Il est très important, suite aux exposés que nous venons d'entendre, en introduction, des représentants des deux centrales syndicales professionnelles de l'agriculture, que nous voyions comment la coopération, dans ce continuum entre la production et la transformation, intervient vis-à-vis des problèmes que nous nous posons.

Il faudrait qu'ensuite Philippe Mauguin, en tant que directeur général de l'INAO, nous explique mieux, nous précise mieux quelle est la stratégie des signes de qualité, des appellations d'origine contrôlée - on en a déjà beaucoup parlé - qu'il nous donne sa vision stratégique dans ce domaine et dans cette compétition internationale qui est la nôtre puisque c'est l'enjeu de notre réflexion de l'après-midi.

Ensuite, je propose que vous réécoutiez Michel Griffon, que vous venez déjà d'entendre en début d'après-midi, afin qu'il nous dise, du fait de sa position au CIRAD, le centre de recherche pour l'agronomie et le développement, quelle relation nous pouvons avoir avec les pays du Sud dans les deux sens (vers eux dans le transfert de technologie, dans le transfert de technicité mais aussi dans le retour de leurs produits répondant à nos exigences de qualité et de sûreté alimentaire).

Et je propose qu'enfin nous regardions, puisque nous en avons peu parlé ce matin, comment vis-à-vis de l'attente des PME qui sera exprimée par M. Bayon de Noyer, le transfert entre la recherche publique d'amont et la recherche appliquée doit et peut s'effectuer via les centres techniques.

Mon voisin de droite, Jean Sirami, directeur technique de l'ADI, l'Association de développement pour les industries de la viande à Clermont-Ferrand, nous dira comment il se positionne entre la recherche publique d'amont, entre l'INRA et les petites et moyennes entreprises, mais aussi les grands groupes.

Voilà le déroulé de la table ronde telle que je vous la propose, Monsieur le Sénateur. Je voudrais encore vous dire deux mots. Nous en avons déjà beaucoup parlé ce matin, l'agroalimentaire est le fait de plusieurs types de producteurs, de transformateurs de la matière première agricole.

On a entendu les multinationales avec la présence de représentants de Nestlé et d'Unilever.

En ce qui concerne les coopératives, on a entendu ce matin un représentant de SOCOPA, on va entendre cet après-midi COPAGRI.

Et puis les PME. Les PME, c'est un peu comme les consommateurs, c'est difficile à mobiliser, il est difficile d'entendre leurs représentants, leurs problématiques, mais nous ne devons pas les oublier. Les PME qui sont, je le rappelle, j'insiste d'ailleurs avec beaucoup de force, les forces vives de notre industrie alimentaire, pourront donc exprimer leurs attentes.

Il ne faut pas oublier que 90  % des entreprises sont des entreprises de moins de 250 personnes. Ce sont donc les forces vives de notre industrie alimentaire. Elles sont source d'innovation, elles sont force d'innovation.

Bien sûr, les grands groupes ont tous leurs politiques et stratégies d'innovation mais les PME sont présentes dans ce développement de nouveaux produits, dans cette compétition ardue vis-à-vis de l'exportation puisque nous sommes dans le cadre d'un débat sur les enjeux économiques, et sur les moyens de faire face à la pression du marché mondial.

Je voudrais dire, concernant ce modèle alimentaire français dont on a beaucoup parlé ce matin, ce modèle culturel, ce modèle nutritionnel, cette « alimentation bien-être » dont on a parlé, ces modèles alimentaires (on a évoqué ce matin le modèle alimentaire méditerranéen avec toute sa richesse), qu'il faut convaincre. Même s'il est clair dans nos esprits, il faut que scientifiquement il soit convainquant et qu'il soit reconnu par nos partenaires au niveau des marchés mondiaux.

Il faut que ce modèle alimentaire français, culturel, nutritionnel, conserve toute sa spécificité, sa typicité qui est sa richesse. Il faut que l'industrie, quelle que soit sa taille (PME, coopérative, grands groupes), trouve auprès de la recherche les moyens de rester toujours en position de premier secteur industriel exportateur au niveau français.

Je terminerai sur un point qui n'est pas sans nous intéresser, loin de là : le problème de l'emploi. C'est quand même un secteur qui représente, il faut le souligner, il faut le dire haut et fort, 420.000 salariés. Les chiffres 2003 ne sont pas encore connus. Pour les chiffres 2002 : + 0,5  % d'emplois. C'est donc un secteur qui est en croissance. Je crois que pour cadrer notre débat, il était important de le rappeler.

Si vous me permettez, Monsieur le Sénateur, Monsieur le Président, je vais donc demander tout de suite à Hervé Gomichon, qui est donc directeur qualité alimentaire du groupe Carrefour, grande enseigne de distribution connue de nous tous, d'intervenir le premier et de nous donner son point de vue et nous préciser son attente puisque lui-même est au contact direct des consommateurs. Il est donc chargé de représenter ce qu'attendent les consommateurs puisqu'il essaye d'y répondre au plus près. Nous allons remonter ensuite vers l'amont.

Monsieur Gomichon....

M. Hervé Gomichon - Merci, Monsieur le Sénateur. Mesdames, Messieurs, merci de votre invitation. Je vais donc vous parler des consommateurs, avec qui nous sommes évidemment en relation très fréquente et quotidienne. Je vais y rajouter aussi la vision PME, et je vais placer la distribution en position médiane.

En fait, la vision PME que je souhaite ajouter, c'est l'action que nous avons sur nos marques distributeurs. Sur ces marques distributeurs, nous mettons notre image, notre responsabilité. Nous avons donc beaucoup d'investissements affectifs et économiques sur ces marques. Ce sont ces marques distributeurs qui sont fabriquées principalement par des PME et principalement en France, puisque le groupe a une grande implantation française évidemment.

Ce qui nous intéresse beaucoup en position médiane, c'est de pouvoir enrichir les deux côtés et de vérifier quels sont les types d'échanges en vue d'une innovation et en vue de développer des produits qui correspondent à la demande des consommateurs.

Le problème qui est devant nous, c'est la mondialisation, on en a longuement parlé, la réglementation qui évolue très rapidement et le progrès scientifique qui concourt à une complexification de la question. Il y a plus d'attentes, il y a plus de produits, il y a plus de règles. Tous ces éléments rendent le sujet compliqué, on l'a longuement vu ce matin.

Ce qui est très important aussi, en préalable, c'est de reparler de l'intérêt de la montée en compétence du consommateur puisque aujourd'hui il a accès, par Internet, par les médias, par les packagings, par tous les domaines possibles, à des notions directement issues des laboratoires et qu'il n'est pas forcément capable de les utiliser. On généralise donc des données qui ne doivent pas l'être. Je pense que là, on a une source de problèmes.

Les flux informationnels qu'on constatait, traditionnellement, depuis la guerre, correspondaient à la logique de la productivité et de la qualité. Cela a été très bien rappelé tout à l'heure. On avait un flux qui était « de la fourche à la fourchette » comme on disait, mais avant la fourche, il y avait le laboratoire. On allait donc du laboratoire aux champs, puis des champs à l'assiette.

En fait, il y a un autre flux informationnel très fort qui monte aujourd'hui, en sens inverse : c'est le consommateur qui devient « consom-acteur » et évidemment les crises alimentaires, le principe de précaution généralisé et la quantité de choix alimentaires aujourd'hui lui font se poser de nouvelles questions.

Tous ces choix-là font que le consommateur est dans un environnement complexe et devient prescripteur. Il vote tous les jours en achetant, et il a pris conscience de ce rôle-là grâce aux appels au boycott, notamment, et à toutes les revues spécialisées dans le domaine.

La compétitivité, comment l'aborder ? La compétitivité, elle peut être abordée par la qualité totale, c'est-à-dire la qualité complète - c'est ce qu'on doit donner au consommateur de façon implicite et explicite, c'est la définition même de la qualité. Pour cela, il faut évidemment le connaître, l'écouter. Le principe de base, bien entendu, c'est la sécurité alimentaire, je ne veux pas perdre de temps dessus, on a beaucoup travaillé.

Il y a beaucoup de questions complémentaires qui doivent être posées à la recherche, qui doivent être posées aux PME qui doivent développer ces produits innovants.

Par exemple, les origines, l'aspect sensoriel, mais aussi les pesticides, l'environnement, les antibiorésistances, tout ce qui est nutrition-obésité, finalement faut-il ou non du cholestérol (il n'en fallait pas, il en faut, il n'en faut pas beaucoup, mais lequel ?). Le consommateur est perdu là-dedans, il ne sait pas comment choisir et l'étiquetage ne le renseignera que si lui est capable de comprendre et s'il y a un support pour le comprendre.

Avant le consommateur, il y a les PME qui, elles-mêmes, quand elles doivent développer des produits innovants, ne savent pas à quel saint se vouer. Elles ne savent pas dans quel sens aller parce qu'il y a autant de courants de recherche qu'il y a de laboratoires. Ce qu'il faut, et c'est là-dessus que je voulais terminer, c'est arriver à intégrer, à consolider des données scientifiques transversales qui intègrent les différents domaines de la recherche pour donner aux PME et aux consommateurs une vision consensuelle.

Il ne s'agit pas de tout niveler bien entendu, mais d'essayer de construire, plutôt que par données scientifiques, d'essayer de construire l'interface par métier : par exemple, apporter aux professionnels du fromage des données sur le calcium, l'obésité, les régimes, l'ostéoporose. Essayer de donner aux industriels de la pâtisserie des éléments sur le beurre, sur tous ces éléments, le sucre et les produits néoformés.

Cet interfaçage qu'on appelle de nos voeux existe déjà en partie dans les systèmes de transferts de technologie. Il faudrait probablement y rajouter deux données importantes, qui sont l'écoute et l'anticipation du marché, pour que la recherche qui a trouvé des éléments intéressants puisse, grâce à ces systèmes d'anticipation, transférer le plus vite possible aux PME ces éléments pour la compétitivité.

Deuxième élément : une coordination transversale entre les différents thèmes puisqu'il n'y a pas que le sujet biotechnologie, il y a le sujet humain, le sujet sciences sociales, le sujet communication et formation qui doivent être intégrés de la même façon.

Pour finir, je voulais simplement rappeler qu'évidemment le consommateur vote en achetant tous les jours et que ce qu'il faut qu'on lui donne, ce sont des produits qu'il attend. Une des façons d'obtenir la compétitivité, c'est d'anticiper ses demandes et de lui donner les produits qui sont en phase avec sa demande. Évidemment, sa demande est multifactorielle et très complexe.

M. Bernard Guérin - Merci beaucoup, Monsieur Gomichon, pour votre première intervention. Merci parce que vous avez souligné quelque chose qui, déjà ce matin, était apparu : l'aspect éducation-formation du consommateur. Là, je crois que nous avons un vaste débat - d'ailleurs peut-être un prochain colloque, Monsieur le Sénateur - parce que c'est un vrai sujet. On voit l'immensité de ce sujet et sa difficulté parce que les consommateurs, rien qu'en France, représentent 60 millions de personnes à toucher.

Vous avez tout à fait introduit l'intervention suivante puisque vous avez beaucoup abordé l'aspect PME. Je vais donner la parole à M. Yves Bayon de Noyer, Président d'une PME agroalimentaire, AGIS, et je lui demande, en tant que PME, quelle est son attente.

C'est un des maillons de la chaîne. On avait le consommateur, la distribution, mais maintenant on remonte et on arrive aux industries de transformation qu'on va aborder par deux interventions.

Quelle est son attente de recherche et quelle aide attend-il pour continuer à se développer sur les marchés mais aussi à l'exportation ?

M. Yves Bayon de Noyer - Tout d'abord, je voudrais rebondir sur ce qu'a dit M. Gomichon. Souvent, on dit que les discussions entre les industriels et la grande distribution sont âpres et quelquefois conflictuelles. Au contraire, je vais rebondir tout à fait positivement sur ce qui vient d'être dit et je vous en remercie.

Je représente une petite et moyenne entreprise qui fait 50 millions d'euros de chiffre d'affaires, versée dans les produits traiteurs - les plats cuisinés. La société AGIS travaille dans les plats cuisinés et dans les produits asiatiques. J'ai également des responsabilités au sein de l'ANIA, et je souhaiterais d'abord donner un aperçu économique, car je pense que notre réflexion ne peut pas être abstraite par rapport au contexte économique dans lequel nous nous trouvons.

En France, le professeur Bernard Guérin l'a dit, l'industrie alimentaire est la première industrie française, pesant 134 milliards d'euros. Il y a 4.000 entreprises qui ont plus de vingt salariés. C'est donc un tissu important. Sur ces 4.000 entreprises, il y en a une dizaine ou une quinzaine maximum qui sont de taille internationale, avec des capacités à pouvoir déclencher des programmes de recherche - puisque c'est quand même le coeur de notre débat - qui soient significatifs. Je pense qu'on ne peut pas s'abstraire de cette donnée.

La deuxième donnée, c'est que globalement, le tissu des petites et moyennes entreprises, dans l'industrie alimentaire, se situe dans des seuils de rentabilité bas.

Lorsqu'on dit cela, l'administration écarquille des yeux, mais ce qu'il faut savoir c'est que, mis à part quelques domaines - par exemple les spiritueux, où les marges sont tout à fait significatives avec des résultats qui peuvent être de 10  % de résultat net ou plus, et l'eau peut-être - dans beaucoup d'autres domaines, et je pense à tous les produits transformés, la viande, la lait, les marges sont entre 0,2/0,4 - et là je pense à la charcuterie - et 2/3  %. On est donc dans une problématique globalement assez difficile. Il est évident qu'identifier des budgets significatifs de recherche et développement dans un contexte pareil n'est pas chose facile.

Je rappelle également que l'industrie alimentaire, c'est 420.000 emplois et que c'est un maillage important. Je pense que c'est un facteur positif en matière d'aménagement du territoire. Il y a donc un véritable enjeu économique.

En face de cela, comment notre profession est-elle organisée en matière de recherche et développement ?

Nous sommes un colosse - je vous ai dit que c'était la première industrie - mais un colosse aux pieds d'argile en ce qui concerne la recherche et développement, car nos budgets en moyenne sont inférieurs à 0,6  % du chiffre d'affaires.

Je rappelle que l'État verse globalement environ 9 millions d'euros pour la recherche et développement de sa première industrie. Cela paraît vraiment extrêmement faible.

L'INRA, qui est quand même un organisme public important en matière de recherche agronomique, se retire aujourd'hui peu à peu de tout ce qui est la problématique de recherche sur les process pour se concentrer exclusivement sur des aspects je dirais « fruits et légumes » essentiellement. Or nous avons besoin de recherche en la matière. Je sais qu'en régions, nous avons beaucoup de difficultés à tisser avec l'INRA des programmes qui soient tournés vers des opérations de process.

L'ensemble de ces données fait qu'aujourd'hui, au sein de l'Association nationale des industries agroalimentaires, nous avons décidé d'inverser la donnée.

Au lieu que les problématiques viennent exclusivement du terrain, et soient donc organisées de façon extrêmement dispersée, nous pensons qu'il est temps de mettre en place un véritable programme ambitieux de politique en matière de recherche et développement au niveau de l'industrie alimentaire.

Nous souhaitons donc pouvoir proposer aux pouvoirs publics de se positionner dans un programme ambitieux, avec des budgets bien évidemment, avec une organisation des cellules de réflexion, avec des organisations qui soient en adéquation avec ces programmes.

Nous estimons globalement que notre filière aurait besoin d'environ 20 millions d'euros pendant 7 à 8 ans. Nous sommes en train de tisser ce programme. Très prochainement les pouvoirs publics recevront nos propositions.

Le premier objectif sera de promouvoir le modèle alimentaire français et auparavant, d'en définir les attributs, les contours, de le modéliser - car aujourd'hui, cela reste quelque chose de relativement vague. Il est donc important que nous consacrions des moyens à cela. Je pense qu'il faut que l'ensemble des centres de recherche, la grande distribution, les consommateurs, les industriels, les pouvoirs publics puissent être associés à cette démarche, cela nous paraît capital.

Le deuxième objectif, c'est anticiper les tendances à venir. Très souvent, nous sommes un peu en retrait et nous courons après les problématiques. L'étude des dangers émergents, par exemple, les changements comportementaux des citoyens en matière de consommation et les incidences de nos pratiques industrielles sur l'environnement et le développement durable (toute la problématique des emballages qui aujourd'hui ne sont pas assez traités).

Enfin, le troisième but qui nous paraît important, c'est d'améliorer significativement la compétitivité de nos PME. Si notre modèle alimentaire français est basé sur 90  % de PME, il est évident qu'il faut veiller à la santé économique de façon à avoir une pérennité de ce modèle. Nous estimons donc aujourd'hui que nous sommes un peu en danger de ce point de vue-là.

Voilà ce que je voulais vous dire de façon résumée.

M. Bernard Guérin - Merci, Monsieur Bayon de Noyer. Je crois que vous avez soulevé quelques problèmes qui vont donner lieu à débat.

Je voudrais simplement, pour l'auditoire, qu'on clarifie bien les différents volumes financiers qui ont été cités par M. Bayon de Noyer.

M. Bayon de Noyer a souligné la faiblesse de ce que nous connaissons bien dans les ministères, du budget civil de la recherche et des développements consacrés aux entreprises, aux centres techniques et autres. Mais bien évidemment, il convient d'ajouter à ceci les salaires des fonctionnaires de l'INRA, du CEMAGREF, de l'AFSSA et d'autres intervenants qui travaillent au service de notre secteur alimentaire.

Je tiens à souligner quand même que les chiffres que M. Bayon de Noyer a donnés montrent bien la faiblesse de la part recherche par rapport aux 135 milliards de chiffre d'affaires du secteur. Cette faiblesse est importante, comparée à l'automobile ou à l'industrie chimique - je ne prends même pas l'industrie de la pharmacie parce que, là, l'écart est d'un facteur 10 entre l'alimentaire et la pharmacie. Ce que M. Bayon de Noyer a souligné, c'est la faiblesse des moyens publics au service direct des entreprises et des centres techniques. On y reviendra tout à l'heure, dans une intervention qui va suivre.

M. Claude Saunier - Monsieur le modérateur, vous me permettrez simplement un chiffre.

Je vous propose de mettre ces 9 millions d'euros en parallèle avec les 9 milliards que reçoit l'agriculture française au travers de la politique agricole commune. 9 milliards d'un côté qui nous viennent de l'Europe, 9 millions de l'autre engagés sur la recherche.

M. Bernard Guérin - Là aussi, c'est un écart supérieur à 10.

Nous avons donc vu la distribution, notamment son attente vis-à-vis des PME - et cela a été souligné par M. Bayon de Noyer.

Je voudrais maintenant donner la parole à la coopération, laquelle intervient après les deux exposés de tout à l'heure de la FNSEA et de la Confédération paysanne, qui nous ont bien montré l'enjeu économique du secteur productif agricole, lequel c'est certain, Monsieur le Sénateur, va devoir s'adapter à une réforme et à un élargissement de la communauté dans les tout prochains jours - puisque maintenant c'est une question de jours.

Je voudrais donner la parole à la coopération qui est bien en interface puisqu'elle va jusqu'à des produits transformés et distribués dans les chaînes de distribution de grandes surfaces. La coopération, qui voit les deux aspects de la filière (production et consommation), comment se situe-t-elle et quelle est son attente vis-à-vis des activités de recherche ?

M. Denis Mana'ch - Merci.

D'abord, deux mots sur l'entreprise. Il s'agit de COPAGRI Bretagne, dont je suis le président. C'est une entreprise bretonne dans laquelle il y a 15.000 adhérents. Évidemment, lorsqu'on sait qu'en Bretagne il y a 35.000 agriculteurs, cela voudrait dire qu'on a près de la moitié des agriculteurs, mais ils ne sont pas tous fidèles à 100 %.

Les chiffres d'affaires consolidés du groupe sont de 1.200.000.000 d'euros pour 4.500 personnes. On est pratiquement sur tous les types de production, que ce soit les productions laitières, la viande ou les productions végétales. Notre coopérative va bientôt avoir 100 ans, vous voyez qu'elle ne date pas d'aujourd'hui.

La particularité d'une coopérative, c'est que le capital social est entièrement détenu par des agriculteurs et que le pouvoir de décision leur appartient totalement. Les agriculteurs ne gèrent donc pas au quotidien les entreprises, parce qu'évidemment ils n'en auraient pas le temps, mais ils font tout au moins le choix des grandes orientations.

Il y a eu une évolution extraordinaire sur ces cent dernières années. Cette coopérative, au départ était là pour acheter tout simplement des intrants (engrais pour essayer d'améliorer la qualité du sol). Puis, petit à petit, une fois que la production était là, il a bien fallu la transformer, puis la commercialiser.

Le changement qu'il a pu y avoir, disons ces trente dernières années, c'est que jusque dans les années 1970, il suffisait de produire et on arrivait à commercialiser. Aujourd'hui, tout a changé. C'est la commercialisation qui guide la production. C'est complètement différent.

C'est une maison qui est évidemment remplie d'ingénieurs, de techniciens, de vétérinaires. Et il faut dire, puisqu'on parle de recherche, que des performances extraordinaires ont été acquises. Pour ne parler que de la culture céréalière, on gagne un quintal par an, si bien qu'on a gagné 50 quintaux de blé en 50 ans. Vous imaginez, il y a 50 ans, on faisait 30 quintaux et aujourd'hui on en fait 80. Vous voyez un petit peu les performances qui sont réalisées.

Je vais vous donner un deuxième chiffre pour les productions animales. On gagne environ 2 à 3 porcelets tous les dix ans en production porcine, tout ceci grâce à la génétique.

Il y a deux points nouveaux que nous intégrons depuis une quinzaine d'années, parce que le développement de l'agriculture est dû à la formation des gens. Les agriculteurs étaient des autodidactes. Puis des écoles d'agriculture ont été montées, particulièrement importantes en Bretagne puisqu'il y en a une qui date de 1923, je crois. C'est grâce à la formation des gens qu'il y a des chefs d'entreprise au niveau de l'exploitation agricole. Ceux-ci attendent évidemment des conseils, de la technique.

Deux notions nouvelles sont intégrées, qu'on n'apprenait pas lorsque j'étais en école d'agriculture dans les années 1960 ; c'est la notion d'environnement et c'est la notion du bien-être animal. On apprenait à optimiser la terre, le travail et le capital, mais on ne se préoccupait pas de cela. D'ailleurs, on n'en parlait jamais. Voilà deux points nouveaux que l'on prend aujourd'hui à bras le corps.

La particularité d'une coopérative, c'est qu'elle se trouve évidemment dans la traçabilité puisqu'elle va de la fourche à la fourchette. On maîtrise la production, on maîtrise la transformation (nous avons donc des usines aux normes ISO). Il reste le problème de la commercialisation dont les deux agriculteurs précédents ont parlé et qui est, sans doute aujourd'hui, une des préoccupations centrales puisque le problème est bien la rentabilité qu'il peut y avoir aussi bien au niveau de l'agriculture que de l'agroalimentaire, comme l'a souligné M. Bayon de Noyer. Nous sommes exactement dans les mêmes termes de résultats que vous avez donnés.

Nous avons aussi dû nous développer par des marques. Nous avons par exemple une marque qui s'appelle « Paysan Breton ». Alors que l'on dit que la production bretonne a une très mauvaise image, cette marque a une très bonne image. Vous voyez que quelquefois, l'image est une chose et la réalité et la qualité du produit en sont une autre.

Et puis il y a une démarche importante que l'on peut citer aujourd'hui au niveau de l'agriculture, au niveau de la coopération, qui est celle qui a été citée : la démarche Agriconfiance.

Voilà une démarche à laquelle bon nombre d'agriculteurs participent dans tous les domaines, porcin, laitier ou en matière de légumes.

En matière de produits que nous faisons aujourd'hui, il est évident que nous innovons en permanence. Les produits que nous consommons aujourd'hui, ce que le consommateur achète grosso modo , c'est de l'UVC, de l'unité de vente consommateur. La barquette est un produit qui est en train de changer complètement.

Si bien qu'en matière de transformation, en matière de production, et en matière d'innovation, on est basé sur ce type de produit : la barquette, l'UVC (Unité de Vente Consommateur).

Il faut en permanence répondre aux attentes du consommateur. Je crois que le souci que nous avons aujourd'hui, le souci qu'a le monde agricole, a été évoqué par les deux agriculteurs précédents : bien savoir demain si nous allons encore consommer des produits français, tellement il va rester peu d'agriculteurs, et tellement la production va baisser dans notre pays. Alors que nous avons été des exportateurs jusqu'ici, nous nous posons la question de savoir si demain nous serons encore là en tant qu'exportateurs ou si nous n'allons pas importer plus de produits que nous n'en exportons.

C'est une véritable préoccupation. Je vais vous citer un chiffre, celui de la Bretagne : il y a cinquante ans, il y avait 200.000 exploitations agricoles. Le chiffre est facile à retenir, il y en a aujourd'hui 35.000 et dans dix ans il y en aura 20.000. Autrement dit, en 60 ans, la population agricole aura été divisée par 10. Vous vous rendez compte de ce que cela représente en termes d'emplois au niveau de l'agroalimentaire.

Je pense que j'ai fait mon quota de temps. Voilà donc ce que je pouvais vous dire.

M. Bernard Guérin - Nous aurons l'occasion de revenir par les questions à l'exposé que vous venez de faire. Je vous remercie d'avoir, vous aussi, souligné l'aspect formation. Je crois que formation et éducation reviennent assez souvent dans nos débats depuis ce matin. Là encore, on voit leur importance. On le sait bien, le triptyque recherche/développement/formation est un des fondamentaux et je crois que quand on oublie cet aspect formation, on va au-devant de déboires.

Donc merci de l'avoir rappelé, ainsi que le passage du sac de grains ou de la motte de beurre à l'UVC. Je crois que c'est une révolution dans le monde coopératif, que vous avez d'ailleurs très bien su maîtriser.

Maintenant, après avoir entendu un représentant de la PME, un représentant de la grande distribution, un représentant du monde coopératif, je voudrais donner la parole à Philippe Mauguin, directeur général de l'INAO, que beaucoup d'entre vous connaissent déjà.

Je voulais lui demander au fond quelle est l'importance et quelle est la stratégie qu'un pays comme la France, pour continuer à être présent dans la compétition économique non seulement européenne, mais même mondiale - cela a été rappelé en introduction tout à l'heure par Michel Griffon - quelle est l'importance des signes de qualité, des AOC - qui sont au coeur du travail de l'INAO ?

Quels sont les enjeux, quelle recherche est nécessaire pour continuer à se battre avec une arme, un atout - je ne vais pas dire un joker ? Nous disposons d'un atout de grande qualité, mais cela ne suffit pas, il faut savoir le placer au bon moment.

Philippe, merci de nous dire quelle stratégie a l'INAO pour cette compétition de demain.

M. Philippe Mauguin - Merci beaucoup. Merci Bernard, et merci Monsieur le Sénateur, de m'avoir convié à ce débat.

Ce n'est pas chose évidente, tant on a souvent, dans l'imaginaire français, notamment dans le domaine scientifique, tendance à considérer que les appellations d'origine contrôlée, c'est certes un fleuron du patrimoine alimentaire français, mais c'est très éloigné des préoccupations du monde de la recherche.

C'est peut-être aussi l'image que j'avais de l'INAO avant de rejoindre cette maison il y a deux ans parce que, par assimilation, produits traditionnels égalent une certaine forme de conservatisme, très éloigné des préoccupations de la recherche-développement.

Avant de répondre à la question de Bernard Guérin sur les attentes en matière de recherche et la stratégie que ce secteur essaye de développer, je voudrais vous donner quelques chiffres clefs, puisque tout le monde n'est pas spécialiste des appellations d'origine.

Chacun connaît, en tant que consommateur, les appellations d'origine contrôlée, notamment dans le secteur des vins et eaux-de-vie, certainement aussi dans le secteur des fromages et des produits laitiers, moins souvent dans le secteur des autres produits agroalimentaires. Il faut savoir que l'on a depuis un certain nombre d'années, notamment avec les huiles d'olive ou certaines viandes comme le poulet de Bresse, développé les AOC aussi dans le secteur carné, plus récemment dans le secteur des fruits et légumes.

Là, très peu de monde, à part certains professionnels dans la salle, connaît les indications géographiques protégées, qui sont le signe communautaire créé en 1992 dans le Règlement communautaire - et traduit en France par la loi de 1994.

Au jour d'aujourd'hui les filières agroalimentaires, qui sont sous un signe officiel de protection de l'origine (AOC ou IGP), représentent à peu près 600 filières, environ 19 milliards d'euros de chiffre d'affaires, c'est-à-dire 15 % du chiffre d'affaires de l'industrie agroalimentaire, 30 % des exportations du secteur agroalimentaire (avec évidemment un effet vins et spiritueux important). On peut donc dire que c'est un secteur qui « sur performe » à l'export, on espère que cela durera, la compétition est dure aussi au niveau mondial, vous le savez.

La croissance du chiffre d'affaires y est sensiblement plus importante que la moyenne du secteur agroalimentaire. Sur des statistiques qui datent un peu, car ce sont les seules dont on dispose, - 1997-2002 : + 6,8 % par an de chiffre d'affaires, pour une moyenne de + 3,7 % par an d'évolution du chiffre d'affaires de l'agroalimentaire. Donc, finalement, on n'est pas si marginal.

Au-delà des aspects culturel, patrimonial, politique importants, je crois que le premier enseignement, c'est que les AOC et les IGP ne sont pas qu'un petit morceau du sujet dans la réflexion que nous devons mener ensemble sur l'évolution de la politique agricole et de la politique alimentaire. C'est certes 15 % aujourd'hui, mais probablement plus demain.

Si on regarde maintenant en termes d'activité agricole, on recense à peu près 138.000 agriculteurs impliqués dans des démarches AOC ou IGP, c'est-à-dire 21 % des agriculteurs, mais là aussi, cela augmente plus vite et heureusement - ou malheureusement - pour le secteur agricole qui, on le sait, perd des actifs : sur la période 1997-2001 : - 4 % d'agriculteurs en moyenne nationale, + 14 % dans le secteur des AOC et des IGP.

Aujourd'hui, 70 % des communes qui sont en zone rurale isolée ont sur leur territoire communal une indication géographique. On sait tous combien ces AOC, notamment dans les zones de montagne, que ce soit dans les Alpes du Nord, dans le Massif Central, dans les Pyrénées ou dans d'autres zones rurales qui ont spontanément plutôt des handicaps naturels, ont contribué à maintenir des emplois, voire à développer des emplois.

Un autre point qui est important, évidemment, et qui est un peu sous-jacent à nos débats d'aujourd'hui, c'est que pour construire durablement de telles filières, il faut passer par un vrai partenariat, comme cela a été dit tout à l'heure entre les différents acteurs de la filière, et aussi une juste répartition de la valeur ajoutée.

Si on regarde des exemples concrets, ce qu'on a fait, on voit que quand il y a une croissance du chiffre d'affaires ou de la marge sur un produit AOC, la répartition de la marge et de la croissance retourne en partie aux producteurs, quand, bien souvent, elle ne retourne pas du tout aux producteurs pour des raisons logiques de rapport de force entre l'offre et la demande. C'est aussi un élément important.

Après avoir cité ces quelques chiffres clefs, quelle stratégie ? Premier objectif : poursuivre le développement maîtrisé de ces filières. J'insiste, et vous allez comprendre pourquoi, sur le terme « maîtrisé ».

Le développement, d'abord, parce qu'on a aujourd'hui, à l'INAO, à peu près 110 filières qui sont en cours d'accession soit à l'AOC, soit à l'IGP. Encore un petit peu dans le vin, même si cela reste maintenant plutôt marginal, mais sensiblement dans le secteur laitier (en gros, dans le secteur viticole, il y a 55 % du secteur sous AOC, ce qui est probablement beaucoup). Peut-être est-on allé un petit peu loin en termes de segmentation sur ce marché-là. Donc on ne bougera plus qu'à la marge.

Sur le secteur laitier, c'est en général aux alentours de 20 % de parts de marché qui sont occupées par des produits sous signe officiel, ce qui à mon avis est beaucoup plus raisonnable - on voit qu'on est un petit peu au-dessus de notre moyenne nationale.

Il y a une autre exception forte dans le secteur des IGP et des labels, c'est la volaille, où là, un peu comme le vin, on est peut-être allé un petit peu loin dans le développement des AOC. Mais cela a été fait à une époque où il y avait des marchés, de la demande et un gros effort qualitatif de toutes ces filières. On est, là aussi, pas loin de 60 % de parts de marché de produits sous signe officiel.

Dans les filières agroalimentaires, il est beaucoup plus difficile d'avoir des statistiques. C'est très variable d'une filière à une autre. Cela va en général de l'ordre du pourcent. Ce sont donc plutôt encore des produits de niche.

Poursuivre le développement maîtrisé de ces filières avec de nouveaux entrants en AOC, en IGP. Peut-être à terme 15 % d'accroissement par rapport aux 600 filières que j'évoquais tout à l'heure. Il faut le faire de façon maîtrisée, à notre sens.

Parfois, on n'est pas toujours compris dans la discussion avec nos amis, notamment ceux de l'aval (industrie ou grande distribution). Je crois que ce ne serait pas un bon service à rendre à la France que d'ouvrir grand les vannes. On nous dit souvent que dans tel ou tel pays de l'Union européenne, on donne des labels en six mois, que cela va très vite ; on dépose le dossier, on l'obtient. Qu'est-ce qu'on aura derrière ? C'est en tous les cas un vrai débat national.

Je crois qu'il faut certainement se battre au niveau européen pour qu'on ait une harmonisation des cahiers des charges et des procédures d'instruction des AOC et des IGP. Sinon, on aura un marché unique éclaté et donc une concurrence déloyale pour nos opérateurs.

Mais, s'il vous plaît, harmonisons plutôt vers le haut que vers le bas. Je crois que la poule aux oeufs d'or serait vite cassée si demain il fallait délivrer en guichet à toutes les entreprises ou toutes les filières qui le demandent, une IGP, une AOC, avec un niveau qualitatif qui serait sacrifié. Le consommateur, vous l'avez dit dans vos différentes interventions, et Michel Griffon l'a rappelé, est de plus en plus attentif, pas uniquement au label et à l'étiquette, mais à ce qu'il y a derrière l'étiquette et ce qu'il y a derrière la promesse.

Donc maîtriser ce niveau qualitatif, cela veut dire continuer de travailler sur les cahiers des charges, essayer d'intégrer les nouvelles attentes des consommateurs avec notamment les aspects environnementaux et le bien-être animal, que l'on va essayer de faire rentrer progressivement dans les cahiers des charges.

Là aussi, le souci c'est de ne pas multiplier les informations consommateur ou les niveaux de labels. Est-ce qu'il faut que l'on soit AOC, plus agriculture raisonnée, plus bien-être animal, plus certification ? Je ne vois pas bien comment le consommateur pourra s'y retrouver.

Sans vouloir non plus être hégémonique - ce n'est pas l'AOC qui dit : « les autres signes n'ont pas le droit de cité ». Quand on est en démarche AOC ou en démarche IGP, à l'INAO, on préconise d'intégrer les exigences relatives aux conditions de production environnementales et au bien-être animal dans le cahier des charges. Il faut qu'on soit capable de dire au consommateur que c'est effectivement un signe assez proche d'une valeur de développement durable et qui a pris en compte ces nouvelles attentes. Évidemment, c'est plus facile à dire qu'à faire, mais le mouvement est enclenché.

Deuxième point : renforcer les contrôles et la transparence sur les contrôles puisqu'il y a de plus en plus - je crois que c'est une tendance forte dans tout le secteur de l'agroalimentaire - d'exigences des consommateurs et des partenaires pour savoir comment cela fonctionne.

Il y a, je crois, un a priori positif du consommateur sur les produits de terroir sous appellation. Mais en même temps, il y a aussi la crainte d'une déception. C'est une relation assez affective avec ce type de produit. Il ne faut pas décevoir le consommateur en se retrouvant demain exposé à telle ou telle déception qualitative ou à telle ou telle fraude. Donc renforcement et harmonisation des contrôles.

Troisième objectif stratégique : essayer de garantir un cadre réglementaire qui soit propice à une concurrence loyale comme je le disais tout à l'heure et à une bonne information du consommateur. Lutte contre les usurpations et les détournements d'appellation. On ne voit pas des acteurs investir durablement, faire des efforts dans ces filières si un concurrent peut utiliser ou détourner facilement une notoriété ou une dénomination géographique.

C'est un travail que l'INAO fait en France et dans le monde entier. On a en moyenne 600 actions judiciaires chaque année dans le monde avec des avocats dans plus de 50 pays différents.

Lutter contre les usurpations, essayer - mais là on a plus de mal parce qu'on n'a pas forcément d'outils juridiques - de mettre en garde l'ensemble de nos partenaires sur le risque lié à la multiplication des signes privés ou pseudo-publics qui parlent du territoire ou qui parlent de l'origine.

Là évidemment, on va penser à des marques privées d'entreprises, à des marques de distributeurs, à des marques régionales qui vont, pour la bonne cause essayer de répondre chacune à leur niveau à l'attente du consommateur, lui parler de nos régions, lui parler de nos terroirs. Elles ont été produites en Bretagne, en Auvergne, en Alsace ou ailleurs...

Toujours des bonnes intentions mais posons-nous la question : que comprend le consommateur quand il va voir sur un produit qu'il est parfois Appellation d'Origine Contrôlée « Camembert de Normandie » et que parfois il ne l'est pas, mais que c'est un autre fromage produit en Normandie ? Quelle information lui donne-t-on ? Là, il y a une vraie difficulté.

On n'a pas vraiment de réponse. On essaye de développer des coopérations avec les collectivités territoriales et on a signé des accords avec un certain nombre de régions (Midi-Pyrénées, Languedoc-Roussillon et prochainement avec la Normandie) pour cadrer les utilisations des noms géographiques dans la valorisation de nos produits.

Quatrième et dernier axe : le développement international. Je ne m'y attarderai pas trop, peut-être Michel Griffon y viendra ensuite.

Le principal encouragement de ces dernières années pour nous, à l'INAO, est que notre politique qui était essentiellement, entre 1935 et 1990, une politique franco-française, est devenue une politique européenne dans les années 1990 avec la création du Règlement européen sur les appellations d'origine et les IGP, et est en train de se mondialiser depuis quelques années.

On a développé des coopérations avec certains pays dans plusieurs zones du monde (Asie, même Amérique du Nord, aussi bizarre que cela puisse paraître, Amérique centrale, Amérique latine et Europe centrale et orientale bien sûr, plus récemment en Afrique avec des pays qui sont intéressés par ces concepts).

On se rend compte, dans beaucoup de pays du monde, qu'on a des produits traditionnels, de terroir, qui sont connus par un nom géographique et qui pourraient être mieux protégés, que ce soit dans les filières du café, du thé évidemment, du cacao, mais aussi dans d'autres productions, notamment des productions carnées.

On essaye d'aider ces pays à mettre en place des législations protégeant leurs appellations d'origine et leurs indications géographiques avec l'espoir qu'ils nous aideront à peser plus lourd à l'Organisation mondiale du commerce, que l'on ne se retrouve pas dans un simple face à face Europe/États-Unis ou Europe/Groupe de Cairns mais dans un groupe qui serait Europe plus peut-être demain le G 20 ou le G 22 face à des pays plutôt anglo-saxons qui considèrent que le droit des marques suffit à protéger tous ces éléments alimentaires.

Pour conclure sur ces enjeux stratégiques, comme j'avais eu l'occasion de le dire à M. le Sénateur, on pense qu'il y a, avec ces produits là, une voie pour faire de la mondialisation une mondialisation des différences culturelles et alimentaires plutôt qu'une standardisation de la production et de l'alimentation.

Sur la recherche, pour finir et pour faire simple, on n'est pas des gros consommateurs de recherche mais il y a quand même des coopérations scientifiques (INAO/INRA, INAO/Institut Technique, notamment l'ITV, l'Institut de l'élevage et plus récemment INAO/CIRAD) pour essayer de mieux comprendre toute la complexité de la relation entre un produit et son terroir.

Qu'est-ce qui fait une qualité, ou donne des caractéristiques spécifiques à un produit ? Qu'est-ce qui vient du cépage ou de l'animal ? Qu'est-ce qui vient de l'alimentation ? Qu'est-ce qui vient des pratiques culturales ? Des savoir-faire ? Du milieu naturel ? On a besoin de mieux le comprendre pour mieux le caractériser, pour permettre une meilleure reproductibilité de ces qualités et aussi pour mieux défendre le concept au niveau international.

Voilà quelques réponses à tes questions, Bernard.

M. Bernard Guérin - Merci beaucoup, Philippe, pour cette réflexion sur le rôle de ces signes de qualité AOC/IGP. Tu as très bien répondu à la question de ce positionnement, de cette action dans la compétition internationale et de cette nécessité d'une recherche pour étayer, pour confirmer, pour se défendre avec des bases scientifiques dans cette compétition internationale.

Tu as cité le CIRAD, je vais donc donner la parole à Michel Griffon. Michel Griffon est spécialiste de développement durable, vous connaissez tous son activité dans ce domaine scientifique.

Michel Griffon va nous dire comment cette relation avec les pays du Sud dans les deux sens, aussi bien dans l'importation de produits - cela a été évoqué ce matin, avec toutes les difficultés de respect, de normes et de cahiers des charges - que dans ce transfert de savoir-faire, de technologie pour aider des pays en cours de développement à mieux faire.

Quel peut être le rôle d'un organisme de recherche tel que le CIRAD et quelle est son action au niveau international ? Merci Michel.

M. Michel Griffon - Sur cette question de la pression qu'exerce le marché mondial sur les filières, je voudrais évoquer trois types de pression.

La première se joue à travers les produits agricoles alimentaires qui viennent aussi bien des pays du Nord que des pays du Sud. Par exemple, les agrumes produits dans le sud de l'Europe et dans le nord de la Méditerranée et dans les pays tropicaux, par exemple le coton produit en Espagne, en Grèce et en Afrique ou la banane produite dans les régions ultra périphériques de l'Europe et dans les pays tropicaux.

Il y a là une compétition très importante avec des productivités très différentes. Cela pose des problèmes pas seulement économiques, mais aussi éthiques. Le problème éthique étant que nous devons bien penser à laisser suffisamment de place aux pays en développement pour qu'ils exportent leurs produits quand la nature leur donne des avantages comparatifs évidents.

Dans le cas des agrumes, produits de part et d'autre de la Méditerranée, les problèmes ne peuvent se résoudre que par des négociations, des régulations, par exemple sur les calendriers - ce qui se fait actuellement.

Si les filières du Nord veulent absolument continuer à produire, dans ce cas-là la compétition ne peut se faire que sur la base d'une amélioration de la qualité. Mais à long terme, par exemple sur les agrumes, en 2010, l'intégration méditerranéenne du marché amènera à rebattre les cartes. Si bien que c'est une question de négociations essentiellement, et la survie des filières des pays du Nord qui veulent produire dans ce domaine ne peut se faire que dans le domaine de la qualité.

Maintenant, deuxième pression : c'est la pression qui s'exerce entre pays exportateurs sur les marchés internationaux, en particulier les marchés du Sud. Mais je ne parle pas de n'importe quel Sud, je parle des marchés solvables (Asie, Moyen-Orient entre autres). Il y a là une grande concurrence internationale pour prendre ces marchés. Cette concurrence oppose l'Europe, les États-Unis, les pays du Groupe de Cairns, mais aussi des pays comme le Brésil.

Dans ce cas-là, on sait que l'évolution inéluctable est aussi une évolution vers la qualité. Les produits européens n'ont aucune chance de compétitivité s'il s'agit de produits de matières premières. Mais plus on ira vers les aliments et les produits finis, plus on sera dans des domaines de compétence des filières françaises et européennes. Là aussi, outre l'amélioration de la productivité à partir de la recherche, c'est surtout dans le domaine de l'amélioration de la typicité et de la qualité que les filières européennes pourront continuer à se distinguer.

Je ne parle pas là, puisque c'est après tout un point de vue du côté du Nord, des compétitions pour les pays non solvables qui posent des problèmes tout à fait différents, qui sont essentiellement des problèmes d'éthique avant d'être des problèmes d'économie.

La troisième pression, et là j'en viens à quelque chose de très voisin de ce que Philippe Mauguin vient de dire, est relative aux produits qui sont exclusivement produits par des pays du Sud, des pays tropicaux, comme le café, le cacao, un certain nombre de fruits tropicaux, des légumes tropicaux, etc., qui arrivent sur nos marchés.

Il y a bien une pression. Cette pression, c'est celle que les producteurs exercent en demandant des prix meilleurs, car ces prix sont de moins en moins bons, et aussi un minimum de stabilité des prix. C'est une chose qu'il faut prendre en compte, cela fait partie de notre monde.

De ce point de vue, si l'on veut bien admettre que le consommateur français et européen est de plus en plus demandeur de qualité pour ces produits-là aussi (qualité du café, du cacao), et même pourrait-on dire que ce sont peut-être les premiers produits emblématiques sur l'amélioration de la qualité, et si on veut bien admettre aussi que la qualité n'est pas simplement le fait de l'industriel de la transformation, mais qu'elle se construit pas à pas à tous les maillons de la filière, alors bien évidemment on tombe sur la nécessité d'une rémunération équitable à tous les échelons de la filière.

Donc amélioration de la qualité et qualité le long de la filière entraînent obligation d'équité. C'est un point tout à fait important. Un bon nombre de firmes, notamment les grandes firmes de l'agroalimentaire, en sont maintenant convaincues.

Je donne un exemple rapide sur le cacao : la qualité d'un cacao peut être, si je pars tout à fait de l'amont, génétique pour l'amélioration de la productivité parce que les petits producteurs sont intéressés, par l'adaptation au terroir qui a quelque chose à dire et parce qu'il y a chez les cacaoyers des molécules initiatrices de qualité gustative particulières qu'il est intéressant de repérer dès le stade de l'analyse génétique pour pouvoir ensuite les valoriser le long de la filière.

Qualité aussi dans la production chez le producteur aux champs pour l'homogénéité de la récolte, pour le choix des bonnes dates de récolte, pour moins d'utilisation de produits chimiques, pour une meilleure valorisation des qualités et des caractéristiques du terroir, là aussi pour mettre en valeur la spécificité ou la typicité de tel ou tel produit.

Qualité aussi des premiers traitements qui sont faits à la ferme ou par la première transformation. Qualité du stockage et de la conservation pour éviter la prolifération d'un certain nombre de mycotoxines.

Qualité bien sûr de la transformation par la firme, là aussi en fonction des qualités moléculaires du produit, de façon à faire valoir ce qu'il a de spécifique.

Qualité de l'emballage, de la conservation.

Et aussi qualité du choix du consommateur, parce qu'au fond ce serait un immense gaspillage d'avoir tant de qualités pour un produit qui ne soit pas apprécié. Il est tout aussi important finalement, dans le mode de consommation, dans le mode de dégustation, de donner au consommateur le vocabulaire qui lui permette d'exprimer son plaisir et d'accéder au rituel - pensons au rituel du thé au Japon - qui fait qu'un produit est tout sauf anonyme. Cela nécessite bien sûr de délivrer une information qui soit l'information nécessaire.

Tout cela nécessite, je le répète, une reconnaissance du travail de tous, une rémunération équitable de tous. Cette rémunération équitable permet l'entretien de ce véritable capital social qui est la confiance tout au long de la filière entre tous ceux qui la constituent. Et c'est aussi un gage de constitution d'avantages compétitifs de qualité dont tout le monde pourra bien sûr bénéficier.

Il y a sur ces domaines de très importantes questions, difficiles d'ailleurs, de recherche publique en amont, recherche intéressant aussi bien nos pays que les pays en voie de développement. Il y a aussi des recherches à faire qui sont du domaine tant de l'INAO, du CIRAD que d'autres institutions, pour conserver ce capital inestimable qui est le fait d'incarner un produit dans une civilisation.

Il n'est écrit nulle part, et encore moins sous la voûte des cieux, que le développement du marché international devrait se faire avec des produits anonymes, sans saveur. Au contraire, on peut enraciner une civilisation dans des mécanismes de marché qui sont incarnés et qui rendent à ce produit la valeur des sociétés qui les produisent.

Enfin, il y a toute l'éducation du consommateur qui est quelque chose d'encore mystérieux et qui réclame des investissements en matière de recherche. Merci.

M. Bernard Guérin - Merci, Michel Griffon. Merci d'avoir ouvert notre champ de réflexion à ces problèmes des produits venant des pays du Sud et de ces agricultures et industries de transformation dans ces pays.

Je donne la parole au dernier intervenant, à Jean Sirami, directeur technique de l'ADI. Je vais lui demander de nous aider à réfléchir sur l'organisation de la recherche et du développement au niveau français.

Nous en avons déjà parlé, plusieurs intervenants nous ont montré l'importance et l'influence de la recherche publique, de la recherche en amont (INRA, CEMAGREF, AFSA, CIRAD, mais aussi INSERM pour quelques aspects nutritionnels), de la demande des entreprises, quel que soit leur type, de la demande d'organismes comme l'INAO, de la demande des populations en développement ainsi qu'on l'a rappelé pour les pays du Sud.

Quel peut être le rôle des centres techniques dans ce paysage, dans cette zone d'interface et dans cette zone où une recherche technologique plus appliquée, plus directement au contact des industriels peut se développer ?

Jean, tu as la parole. Jean, mon ancien élève à qui je suis content de donner la parole.

M. Jean Sirami - Merci Bernard.

Monsieur le Sénateur, Mesdames et Messieurs, je vais essayer de définir ce qu'est qu'un centre technique. C'est un mot un petit peu fourre-tout. On retrouve des structures de statuts un peu différents mais qui, de toute façon, sont toujours ou quasiment toujours des structures de statut privé. Le statut le plus fréquent, c'est l'association 1901, mais cela peut être aussi des sociétés anonymes.

Si on veut dresser un panorama rapide des centres techniques, il y a effectivement quelque chose qui les distingue assez ; soit ce sont des centres techniques de filières, donc centrés sur un métier, une filière (la viande, la conserve - les fruits et légumes c'est un peu différent - la brasserie, les boissons, les fromages), soit ce sont des centres plus polyvalents, régionaux ou alors encore des centres spécialisés sur des technologies innovantes. On a des centres qui s'occupent par exemple de toutes les technologies douces (haute pression, champ électrique pulsé, etc.).

Des centres techniques très différents les uns des autres qui n'ont pas tous le même mode de financement, ni le même mode de fonctionnement, mais qui sont toujours au contact de l'entreprise, depuis le grand groupe jusqu'à la PME.

Évidemment plus tournés vers la PME parce que notre métier, notre rôle - j'en viens au rôle de ce centre technique - c'est de faire l'interface entre de nombreuses choses. On dit interface entre la recherche amont et l'industrie, la mise en pratique de l'accroissement des connaissances au niveau du terrain, mais c'est aussi l'interface avec les pouvoirs publics quand il s'agit de réglementation, l'interface avec les consommateurs quand il s'agit de savoir ce que veut le consommateur, la PME n'ayant pas toujours les moyens de le questionner elle-même, l'interface avec la formation initiale aussi puisqu'il faut également se préoccuper de former des gens pour les entreprises qui seront d'ailleurs plus tard nos interlocuteurs à nous, centres techniques. Il y a donc plein d'interfaces à faire.

On essaye de prendre en compte toutes les problématiques des entreprises, de les faire progresser et de les mettre en application, de résoudre leurs problèmes.

Il s'agit de la qualité - cela, vous l'avez déjà beaucoup abordé. Dans la viande, cela va être beaucoup la texture, la tendreté, comment maîtriser la tendreté, c'est déjà un vaste problème.

Il s'agit évidemment de la composition de l'aliment (les contaminants, l'ESB, qui nous a beaucoup préoccupés il fut un temps, et qui nous préoccupe encore, les aspects microbiologiques, la sécurité alimentaire).

Il y a également les aspects de nutrition que l'on prend de plus en plus en compte aujourd'hui. Par exemple, à l'ADI, cela fait dix ans que l'on essaye de mobiliser la filière sur le fait qu'il faut s'intéresser aux problèmes nutritionnels et déclencher auprès des chercheurs en amont des sujets de recherche pour montrer ce qu'il y a de bien et de pas bien dans la viande, que l'on sache ce qui se passe.

On doit aussi se préoccuper des performances économiques des entreprises. Certains centres techniques se préoccupent également de technico-économie, d'études de faisabilité de projets.

Évidemment, au niveau technologie, on est en charge d'innovations, de développement appliqué dans les entreprises. On va faire un petit peu le service de R&D, surtout quand elle est petite. Plus elle est petite, plus on prendra en compte la globalité des problèmes de R&D. Si c'est une grosse entreprise, on prendra un sujet très ponctuel dans lequel on est bon ou très bon, si c'est une PME on prendra la totalité de la chose en main.

Dans certaines filières, et en particulier dans la viande, il faut également très bien connaître le gisement de matière première. Je ne sais pas si c'est pareil dans les légumes ou dans la céréale, mais enfin on mange beaucoup de viande grillée et plus beaucoup de viande cuisinée. Il y a des plats cuisinés qui sont là pour pallier. Il y a le steak haché, mais cela ne suffit pas, il faut inventer de nouveaux produits, de nouveaux process pour arriver justement à valoriser ces matières qui sont là de toute façon, et qui effectivement pèsent lourd dans l'économie de la filière.

C'est vrai que si l'on parle de valoriser par exemple certaines parties de la carcasse sur des AOC - cela commence à exister - des IGP, du Label Rouge, eh bien en général ce sont toujours les parties qui se vendent facilement en viande bouchère et jamais celles qu'on transforme. En fait, on met un surcoût énorme sur la partie qu'on valorise bien, et on ne valorise pas les autres.

Tout cela, le centre technique le prend en compte et doit orienter ces thématiques de recherche et les thématiques de recherche amont évidemment, via l'INRA ou via d'autres centres, en tenant compte de toutes ces problématiques.

Certains centres techniques s'occupent également de sécurité du personnel. On intervient par exemple dans des commissions en Europe pour définir des normes sur la sécurité des matériels.

On prend de plus en plus en compte, dans la plupart des centres techniques, les problèmes d'environnement ainsi qu'une autre thématique - et j'y pense là maintenant parce qu'on vient d'en parler - la communication. Comment communiquer pour expliquer l'ESB ? C'est dangereux ? Ce n'est pas dangereux ? Les OGM c'est bien, ce n'est pas bien ? Est-ce qu'on peut faire avec ou pas ? On peut aussi, dans certains centres techniques, se préoccuper de cela. Nous venons de reprendre un petit laboratoire de l'INRA qui s'occupait de sémantique des mots et de communication, à Nantes, pour pouvoir justement avoir des outils de communication, de marketing.

Voilà tout ce que peut faire un centre technique. Vous voyez que c'est assez vaste. Je le disais tout à l'heure, rôle d'interface entre la recherche et les entreprises, entre les pouvoirs publics et les entreprises, entre la formation initiale et les entreprises, et on peut peut-être trouver encore d'autres interfaces.

Certains centres techniques peuvent être très liés à des interprofessions, d'autres non, cela dépend de leur spécialisation.

Pour arriver à faire tout cela, évidemment il faut beaucoup de moyens, vu la diversité des thématiques. Je dirais que dans nos centres techniques on va trouver des bactériologistes, des biochimistes, des gens spécialisés dans le génie des procédés, des économistes, des formateurs, des gens de marketing, des psychosociologues. Voyez, on a besoin de compétences multiples et variées pour arriver à faire la synthèse. Le terme exact était, je crois, consolider les données transversales par filière - cela m'a bien plu, je l'ai noté ! - c'est quelque chose qui nous correspond tout à fait. Il faut aussi des moyens lourds, des plates-formes expérimentales avec des prototypes ou des pilotes qui valent très cher, et bien sûr des laboratoires.

Évidemment, je vais conclure en me plaignant un peu ; dans nos centres techniques, on manque cruellement de fonds structurels pour rester à la pointe et arriver à faire cette synthèse. Si j'avais un souhait, ce serait d'avoir une vraie politique des centres techniques, avec un financement à définir mais qui aujourd'hui, je pense, est un peu faible vu le nombre de PME et les faibles marges - on l'a dit tout à l'heure - qui les caractérisent. On a beaucoup de difficultés à vivre, mais nous faisons un métier passionnant et ceci rattrape cela ! Je vous remercie.

M. Bernard Guérin - Merci, Jean. Nous avons fait ce tour de table sur ce sujet des enjeux économiques et vu comment le progrès scientifique devait contribuer au développement de nos industries et à leur résistance à la pression du marché mondial.

Vous voyez qu'en fonction de l'importance du secteur économique, l'effort de recherche publique française est trop faible, cela a été souligné par plusieurs intervenants. Là, nous avons quelque chose qui est vraiment une préoccupation puisque, comparé aux pays étrangers, notamment de l'Europe du Nord, qui sont nos concurrents directs sur beaucoup de fabrications alimentaires, notre effort de recherche, qu'il soit public, ou des centres techniques et des entreprises, est trop faible.

Ceci doit donc conduire à une réflexion des pouvoirs publics que nous attendons. Nous espérons que dans le grand programme alimentaire qui a été évoqué par M. le Ministre de l'agriculture ce matin, qui a été demandé par le Premier Ministre comme un objectif à court/moyen terme, la politique de recherche et des moyens disponibles et le maintien d'une activité de recherche technologique de bon niveau qui permette notamment à nos PME de rester dans la compétition - parce que c'est cela l'objectif, nous avons vu leur importance - seront traités. Je crois que les colloques comme celui que nous tenons aujourd'hui au Sénat y contribuent.

Je rappellerai, parce que c'est quelque chose qui est peut-être passé inaperçu à certains, que les sénateurs, dans leur sagesse, lors de la loi de finances pour 2004, ont introduit la notion d'un crédit d'impôt recherche doublé pour la recherche publique, mais aussi la recherche collective. Cela a été l'objet d'un amendement qui a donné lieu à quelques difficultés mais il est passé aussi bien à l'Assemblée nationale qu'au Sénat. Ceci montrait bien que cette recherche collective, cette recherche technologique a toute son importance pour le développement de notre filière.

Monsieur le Sénateur, nous avons respecté le temps imparti à notre table ronde. Est-ce qu'on a de la place pour une ou deux questions ?

M. Claude Saunier - Deux, trois.

M. Bernard Guérin - Alors deux ou trois questions, mais soyez brefs et très précis et on essaiera aussi de vous répondre de façon brève et précise.

Un Intervenant - il y a quelques jours, on a appris qu'une entreprise chinoise allait s'implanter en Provence. On voulait savoir comment il se faisait que c'était eux qui allaient fournir aussi la matière première, étant donné que nous avons des producteurs de tomates en France. On ne comprend pas pourquoi leurs produits reviennent à 40 % moins cher qu'en France. Ils prennent 52 % de l'entreprise qui est installée en Provence.

M. Bernard Guérin - C'est une question délicate. Monsieur Bayon ?

M. Yves Bayon de Noyer - Je ne sais pas si je suis à même de vous répondre.

Je suis originaire de ce département. Le Vaucluse est le premier département producteur de tomates. Historiquement, j'ai installé mon entreprise en Vaucluse il y a 18 ans et l'année où je l'ai installée, quatre conserveries de tomates ont fermé. Donc le démarrage de la difficulté de la filière des conserveurs de tomates a démarré il y a une vingtaine d'années. C'était un département dans lequel il y avait quarante conserveurs de tomates, des petites entreprises.

La seule qui est restée vivante, c'est le Cabanon, une coopérative qui a survécu avec des injections de la puissance publique (subventions, exonérations d'impôts, etc.). Cela fait dix ans que le schéma économique dans lequel vit le Cabanon n'est pas viable. A un moment, il a fallu trancher.

Quel est le problème ? Le problème c'est qu'aujourd'hui, cela coûte beaucoup moins cher de faire venir une conserve de tomates qui vient de Grèce, de Chine ou d'ailleurs que de prendre un produit en Vaucluse qui est distant de dix kilomètres de l'usine, de le transformer et de le commercialiser. Le problème essentiel est là.

On peut penser aussi que peut-être cette entreprise a manqué un peu de vision stratégique, qu'elle aurait dû modifier ses types de production pour se positionner sur des produits à plus forte valeur ajoutée. Ils l'ont fait mais très récemment, et l'entreprise était déjà plus ou moins exsangue.

Sous votre question, il y en a une autre : est-ce que c'est un problème que des Chinois investissent en France ? Est-ce que c'est un problème que des Français investissent en Chine ? La Chine est un pays qui est en train de s'ouvrir, nous en bénéficions au niveau d'un certain nombre de produits (l'aéronautique et d'autres) et peut-être de l'agroalimentaire. C'est peut-être normal qu'il y ait aussi de la réciprocité. C'est cela la mondialisation. Si les Chinois - c'est 40 % qu'ils ont pris, ce n'est pas 50 % - sauvent l'entreprise, les emplois et un certain nombre de producteurs locaux, moi je dis « merci les Chinois ».

M. Bernard Guérin - Merci pour cette réponse. Une autre question ?

Un Participant - Je suis agronome de formation, je suis chercheur dans le domaine de l'agronomie, je m'occupe de qualité des céréales.

J'ai eu un peu faim dans la réunion de ce matin parce que je me suis demandé à plusieurs reprises où on trouve l'agriculture dans ces discussions. On disait que 80 % des produits qu'on consomme sont produits par les industries alimentaires. Que fait l'agriculture, que peut-elle faire ?

Enfin dans l'après-midi, on retrouve une bonne réponse à cette interrogation-là. Je constate que malgré la diversité des différents interlocuteurs, il y a une convergence assez importante des idées.

Je veux compléter avec deux ou trois problèmes qui me paraissent essentiels.

Premièrement, on a parlé de développement durable dans l'agriculture et de la multifonctionnalité. Je pense que l'on doit insister sur ce rôle-là pour deux raisons. Une étude récente de la DATAR montre que l'espace destiné à l'agriculture en France est réduit (seulement 1/3 du territoire). Le reste, les 2/3 restants, fait partie de l'espace urbain et périurbain. D'où le rôle important et multifonctionnel de l'agriculture qui doit s'occuper non seulement des produits mais également d'autres types de débouchés.

Deuxièmement, l'agriculture et le mode de fonctionnement et d'utilisation des terroirs peuvent avoir des effets boomerang à long terme. Prenons l'exemple de l'eau potable, et regardons ces effets. L'eau potable fait partie de l'alimentation. On doit donc forcément s'occuper de ces aspects-là que l'on n'a pas évoqués dans nos préoccupations d'aujourd'hui. La qualité, on la voit.

Troisièmement, il y a un autre aspect que je dois souligner. On a souvent entendu parler de l'année 2010. Je repense à cette année 2010 parce que le discours qui a été tenu par le CIRAD par rapport à d'autres produits et des potentialités et des qualités géographiques me fait penser au blé.

La France est un grand producteur de blé. La France exporte du blé. Le coût de l'exportation est important. Mais on doit subventionner pour faire du blé de qualité parce qu'autrement, on ne peut pas l'exporter. En 2010, les subventions européennes vont être arrêtées pour beaucoup de produits. Est-ce qu'on va continuer à faire du blé, subventionné ou non ?

A la Commission européenne, il y a des propositions pour éliminer toutes les subventions et tout investir dans la recherche. Je pense que l'on peut avoir une réflexion plus poussée sur l'intensification de l'agriculture, l'occupation des terroirs et la qualité des produits.

M. Bernard Guérin - Tout à fait. Merci de votre réflexion mais je crois que ce qui nous intéresse, puisque l'on s'intéresse à l'industrie alimentaire, c'est le blé transformé. Quel biscuit, quelle panification et avec quelle volonté d'exportation de produits innovants, de produits nouveaux ? Je crois que c'est véritablement là l'enjeu.

Deux questions. Philippe Cagnos, je le reconnais de loin.

M. Philippe Cagnos - Bonjour. Je voulais intervenir sur un point qu'a développé Jean Sirami et un peu Gilles Trystram ce matin, mais sur un plan qu'ils n'ont pas forcément complètement développé : l'aspect des nouvelles technologies.

Aujourd'hui on est confronté au problème de la réglementation européenne « Novel Food ». Vous savez que toute nouvelle technologie doit aujourd'hui passer par cette Directive européenne. Je voudrais insister sur ce fait important parce qu'il est très contraignant et très lourd, en particulier pour les PME.

Je vais citer deux exemples tout simples qui sont très parlants. L'appertisation que tout le monde connaît, la conserve ; si elle devait passer aujourd'hui par la Novel Food, on n'aurait pas une boîte de conserve qui sortirait de nos industries alimentaires. Un deuxième argument également parlant : le barbecue, que tout le monde achète aujourd'hui. S'il devait passer par cette contrainte-là, personne n'aurait la possibilité d'acheter un barbecue.

Je pense qu'il faut réfléchir un petit peu à ces directives. Je voudrais interpeller le Sénateur Saunier sur deux points importants : premièrement, comment pourrait-on envisager d'assouplir cette directive européenne pour qu'elle soit moins contraignante vis-à-vis de nos PME ?

Le deuxième point important - plusieurs interlocuteurs en ont parlé - c'est le problème de la communication. Yves Bayon de Noyer le soulignait également. La compétitivité des entreprises passe par l'innovation et nous, centres techniques, nous n'avons pas assez de moyens pour communiquer autour des nouvelles techniques. Je pense qu'il est important de réfléchir à une politique de communication sur les nouvelles technologies. Claude Fischler disait ce matin qu'on avait toujours peur de ce qu'on mange. Les nouvelles technologies rentrent dans ce contexte-là. Je pense qu'il faut que les pouvoirs publics nous donnent quelques moyens autour de cette politique de communication dans le nouveau plan. Merci.

M. Bernard Guérin - Merci, Philippe, de souligner ce problème des Novel foods et de cette réglementation très lourde, mais aussi du rôle de la recherche publique et de la recherche collective pour faire avancer le mieux possible nos dossiers dans le cadre de la réglementation européenne. Dernière question.

Un participant - Merci. On parle beaucoup des filières qualité comme des remparts sécurisants de par la véracité de l'information qu'elles transmettent, de par l'exigence des cahiers des charges qui sont imposés aux producteurs. Je voudrais poser une question à M. Gomichon : est-ce qu'une filière qualité Carrefour, pour son saumon, est encore un gage de crédibilité pour le consommateur aujourd'hui ?

M. Bernard Guérin - Merci pour la question très précise. Elle est peut-être difficile, mais M. Gomichon va essayer d'y répondre.

M. Hervé Gomichon - Question courte, réponse courte, cela va être difficile.

Il y a plusieurs axes possibles pour aborder la réponse. Le premier, c'est de rebondir sur ce que je disais tout à l'heure en disant que le consommateur n'avait pas forcément les informations, qu'il ne savait pas trop comment les utiliser.

On n'a rien découvert dans l'étude qui a été publiée, qui n'apporte rien de neuf. Ce qui est nouveau, c'est l'amplitude médiatique qui lui a été donnée et la généralisation scientifiquement abusive de ce qui a été publié. Là, on a un premier problème et c'est toute la filière saumon - j'étais en Norvège il y a quinze jours, il n'y a pas que la filière qualité - qui a beaucoup souffert.

Le deuxième point, cela peut être l'abord par la filière qualité Carrefour, l'aspect anticipation. Dans les filières qualité Carrefour, les paramètres alimentaires sont depuis très longtemps contrôlés, notamment au niveau PCB (les dioxines). Donc les matières grasses venant de poisson qui sont données aux saumons d'élevage sont contrôlées et les résultats ont prouvé que nos dosages étaient inférieurs.

Mais finalement, quel est l'intérêt ou quel est l'avantage qu'on peut en retirer - c'est un investissement depuis 10 ans comme vous le savez - si on ne peut pas le communiquer et si le consommateur amalgame l'ensemble du saumon ? Nos résultats étaient très bas mais on a souffert comme les autres parce qu'il y a eu un amalgame général sur le saumon. Même le saumon sauvage en a souffert alors que justement l'étude tendait à prouver que finalement le saumon sauvage, et si possible celui qui vient des zones adéquates, ne risquait rien.

Depuis dix ans, on investit dans les filières qualité, et il est vrai que l'aspect communication est un aspect très délicat à traiter. Dans le groupe, il y a des pays qui le traitent beaucoup mieux que d'autres. L'Espagne le traite très, très bien, mais en France et en Belgique, on a du mal à faire passer ces messages.

M. Bernard Guérin - Merci pour cette réponse très précise et très concrète. Les problèmes de communication et les amalgames sont un drame pour les grandes marques et pour les filières. On le sait. Tout ce problème de communication, qui a déjà été évoqué, est redoutable. Là aussi, une recherche en sciences humaines et de la communication est nécessaire. Nos grands organismes de recherche s'y intéressent, les centres techniques y sont sensibles. C'est un nouvel enjeu.

Monsieur le Sénateur Saunier, je vous rends la parole si vous le permettez.

M. Claude Saunier - Je vous remercie, Monsieur Guérin, d'avoir animé cette table ronde ainsi que vous, Messieurs, d'avoir apporté votre contribution à notre réflexion.

Les pistes qui ont été évoquées au travers des questions justifieraient de nouveaux débats, mais ce sera peut-être pour un prochain rendez-vous ou pour la conclusion. Merci en tout cas d'avoir essayé de respecter le timing.

Deuxième table ronde :

LES ENJEUX DE SOCIÉTÉ : ATTENTES, ESPOIRS,
RÉALITÉS NUTRITIONNELLES ET SANITAIRES

M. Claude Saunier - Je demande à M. Martin, de l'AFSSA, Directeur de la Direction de l'évaluation des risques nutritionnels et sanitaires (DERNS), de bien vouloir prendre le relais.

J'appelle le professeur Guy-Grand, que j'ai aperçu, M. Corthier, directeur à l'INRA à Jouy-en-Josas, Mme Junien, directeur de recherche à l'INSERM, Mme Darcy-Vrillon (Directrice du laboratoire de nutrition et sécurité des aliments), M. Latgé, qui représente la firme Andros, et M. Duvillier, directeur général chez Béghin.

Mesdames, Messieurs, Monsieur Martin, je suis vraiment désolé, il est 16 heures, je ne peux pas vous donner au-delà de 17 heures. Vous ferez pour le mieux.

M. Ambroise Martin - Très bien, merci, Monsieur le Sénateur.

M. le Président - C'est contraignant, mais l'expérience montre que quand on travaille sous la contrainte, on arrive à sortir en deux minutes et demie ce qu'on aurait peut-être mis cinq minutes à dire.

M. Ambroise Martin - Etant depuis cinq ans directeur de l'évaluation des risques à l'AFSSA, j'ai constaté qu'un risque parfaitement prévisible s'est réalisé. Il s'agit de celui du retard. Un deuxième risque est parfaitement prévisible et se réalisera : nous ne rattraperons pas ce retard.

Plus sérieusement, un troisième risque est prévisible, c'est celui que nous ne traitions pas totalement le sujet du titre puisque ce sujet, vaste et multiforme (« les enjeux de société », en plus dans le contexte de la mondialisation), d'autant plus que la composition du groupe que vous avez annoncé (un médecin, trois chercheurs plus fondamentalistes, deux représentants industriels) n'est peut-être pas forcément la plus adaptée pour traiter la problématique des enjeux d'une société, surtout après la brillante présentation de Claude Fischler ce matin.

Malgré tout, je pense que ces personnes ont quelque chose à dire. De toute façon, ce sujet a été abordé indirectement, explicitement ou implicitement, à de multiples reprises. Il est très clair qu'un certain nombre d'enjeux, des acteurs qui composent la société, sont apparus au travers des discussions de ce matin et de cet après-midi.

Pour continuer dans l'évaluation des risques, l'évaluation est assez simple. Trois thèmes nous étaient proposés : attentes, espoirs, réalités. Deux domaines : sécurité sanitaire, sécurité nutritionnelle. Six intervenants, sept en comptant le modérateur, dont chacun pourrait s'exprimer de trois points de vue différents : comme expert dans son propre domaine de compétences, comme représentant d'une institution, d'une filière ou d'une entreprise, et éventuellement comme citoyen consommateur. Dans chacune de ces combinatoires, ils pourraient intervenir d'une part en réagissant à des idées qui ont été exprimées, et d'autre part en apportant éventuellement des idées nouvelles.

Aussi, la seule solution qui me paraît raisonnable, c'est d'essayer de tirer un bénéfice, comme l'indiquait le Sénateur, du temps qui nous est imparti en demandant à chacun de ne chercher à faire passer qu'une idée, une idée force sous une formulation choc de quelque chose qui lui tient à coeur dans la combinatoire qu'il souhaite des thèmes et des domaines.

Puisque je suis modérateur, je vais commencer. Mon idée choc ou force, qui m'est venue parce que j'ai présidé et rapporté un groupe de travail dans le cadre du programme national nutrition/santé, concerne la place de la nutrition dans les enseignements scolaires.

Nous avons disséqué l'ensemble des programmes, non seulement des sciences de la vie et de la terre, mais également d'histoire, de géographie, de français. Une idée très simple ressort, que vous pourrez vérifier ne serait-ce qu'en regardant les photos des manuels scolaires, c'est la vision extrêmement rurale et artisanale de l'alimentation qui est donnée à travers le système éducatif.

C'est seulement à travers quelques lignes, dans quelques sections spécialisées, que l'on retrouve par exemple en série scientifique, en physique-chimie, la notion d'additif. C'est pratiquement le seul exemple que l'on ait trouvé hors des sections professionnalisantes évidemment.

Cette idée peut permettre de comprendre un certain nombre de choses évoquées tout au long de la journée. Il est évident que nous avons fait des propositions dans ce domaine, parce qu'une vision un petit peu plus conforme à la réalité de notre alimentation serait tout à fait souhaitable dès le plus jeune âge, à travers un système éducatif approprié.

Dernière information avant de passer la parole aux autres intervenants, ce rapport vous pouvez le consulter sur le site Internet du Ministère de la santé (« la place de la nutrition dans les enseignements scolaires »). Voilà pour mon idée force, une réalité en sécurité sanitaire et nutritionnelle.

Comme je n'avais pas de fil conducteur étant donné la multiplicité des points, d'abord éventuels, d'enjeux de société, j'ai choisi de prendre tout simplement l'ordre qui est proposé sur le programme - cela vous facilitera l'identification des auditeurs - et de demander à chacun des intervenants l'idée qu'il souhaite vraiment faire passer, qu'il souhaiterait que le public retienne et valorise, utilise et défende, à l'extérieur.

Je cède la parole à Bernard Guy-Grand, professeur de nutrition.

M. Bernard Guy-Grand - Merci, on va tâcher d'être bref. Moi, je vais essayer de me situer dans mes attentes et mes espoirs puisque c'est ce que vous nous avez demandé tout de suite. Je vais parler en tant que médecin nutritionniste, spécialiste de l'obésité.

Je voudrais mettre en exergue deux enjeux majeurs. Le premier, c'est de placer ou de replacer la nutrition et l'alimentation - qui en est le premier temps - à la place éminente qui lui revient dans l'ensemble du système de santé. L'aphorisme hippocratique selon lequel « de l'alimentation tu feras ta meilleure médecine » se confirme de plus en plus. Inutile d'insister sur les bienfaits et les méfaits de l'alimentation, ils sont connus, on en a débattu. Il reste beaucoup de choses à apprendre, bien des idées reçues à combattre.

La nutrition et l'alimentation couvrent le cercle du domaine médical proprement dit, mais il est clair qu'elles le dépassent largement puisque la façon de se nourrir est avant tout un problème sociétal, économique, social et culturel qui tient à l'organisation de la société.

Un mouvement récent a été lancé. Un large débat s'ouvre. Ce colloque en est le témoin, tout comme la mise en place du programme national nutrition et santé en a été le moteur initial. On ne peut donc que s'en réjouir.

Mais mon sentiment est qu'une modification dans l'évolution actuelle de nos modèles alimentaires - n'oublions pas en outre qu'il n'y a pas qu'un seul modèle en France et que la façon dont les gens s'alimentent est extrêmement hétérogène dans notre pays - ne peut résulter à mon sens que d'une ou plutôt de politiques globales et cohérentes, plutôt que de mesures ponctuelles, quel qu'en soit le bien-fondé.

L'attente et l'espoir dans ce domaine sont donc que de telles politiques associent l'ensemble des acteurs ; les pouvoirs publics, les industriels, la distribution, la santé bien sûr, les médias bien entendu, sans oublier finalement l'individu lui-même, qui a tout de même une certaine responsabilité à exercer dans la mesure où il est correctement informé.

Si l'on ne dispose pas de telles politiques, à l'échelon français mais sans doute aussi à l'échelon européen, on restera dans les effets d'annonce et on ratera les buts.

On sait bien par ailleurs que la modification des comportements à risques est de toute façon très difficile et que les difficultés seront majeures dans un domaine aussi complexe et subtil que la nutrition où l'on peut facilement, et cela, c'est un écueil, générer des effets pervers et contreproductifs.

Je n'ai bien sûr pas de plan tout fait. Il ne peut résulter à mon sens que d'une réflexion vraiment commune, prenant en compte l'ensemble des dimensions de la nutrition. Le rapport de Monsieur Saunier peut fournir une base utile à cette réflexion, mais certainement pas la clore.

Le deuxième enjeu sur lequel je voudrais insister, est celui de réussir à faire face à la diversité des problèmes nutritionnels posés à la société, puisqu'ils vont de la prévention de la dénutrition, à l'hôpital comme à domicile, des personnes âgées par exemple, dont le nombre croît rapidement, à la prévention et au traitement de l'obésité chez l'enfant et l'adulte, en passant par les problèmes posés par la nutrition des sujets en situation de précarité.

Si l'on se concentre quelques instants sur l'obésité qui occupe, je pense, une grande place dans le rapport de M. Saunier d'une part, et qui occupe tant les esprits depuis quelque temps, comme si on découvrait le problème, que finalement on avait posé il y a déjà une vingtaine d'années, prenons conscience que la pandémie qui nous préoccupe n'est que la conséquence du développement économique et de l'évolution sociétale que nous connaissons ces temps-ci.

L'attente et l'espoir qui sont les miens ici, sont que l'on évite soigneusement de désigner des boucs émissaires qui ne feront que se renvoyer la patate chaude et qui généreront des conflits d'intérêt insolubles. La responsabilité en ce domaine est collective, elle appelle donc des réponses collectives, coordonnées de tous les acteurs.

Cela exige évidemment plus de recherche (publique et privée), plus de responsabilités publiques et privées, notamment dans l'offre alimentaire, plus de moyens spécifiques - je vise là, permettez-moi de prêcher un tout petit peu pour ma chapelle - plus de formation, plus de personnels spécialisés. L'exemple des difficultés qu'ont les diététiciens à faire entendre leur voix et à se faire reconnaître est à cet égard caricatural. Cela fait vingt ans que l'on se bat pour cela, et on est toujours au même point. Comment peut-on faire de la nutrition élaborée sans ce corps professionnel indispensable ?

On parle aujourd'hui d'alimentation, mais il est capital de souligner le rôle de la sédentarité dans l'émergence de l'obésité. Cet aspect n'a été qu'effleuré dans le rapport de M. Saunier, il le sait bien, nous en avons parlé ensemble. Pourtant, ce n'est pas un alibi qui serait destiné à dédouaner la responsabilité de l'offre alimentaire quantitative et qualitative. Il n'y aura pas de prévention efficace de l'obésité si cet aspect est laissé de côté. Il est indispensable d'agir sur les deux termes du bilan d'énergie en même temps.

Enfin, pour terminer, je dirai qu'il ne faut pas se leurrer. Nous ne régresserons pas à l'époque de la marine à voile et de la lampe à huile, mais les progrès scientifiques, s'ils sont intégrés, s'ils sont correctement véhiculés par la formation, nous permettront sans doute de mieux faire face en évitant finalement d'enfermer l'alimentation dans le carcan dogmatique qui nierait notre part et notre droit à une certaine dose d'irrationnel.

M. Ambroise Martin - Merci de cette profusion d'idées fortes issues d'une très longue expérience en ce domaine.

Je donne tout de suite la parole à Gérard Corthier, directeur de recherche à l'INRA.

M. Gérard Corthier - Bonjour, mon domaine d'expertise est très différent, et mes propos seront beaucoup plus modestes après ceux de Bernard Guy-Grand. On va aller vers des choses beaucoup plus terre à terre.

L'unité que je dirige s'occupe d'écologie microbienne, donc de la flore digestive. M. Chamba vous en a parlé un petit peu. Il vous a donné des chiffres, je vous en donnerai d'autres.

Le nombre de cellules dans votre cerveau s'élève à 100 milliards. Si vous prenez un gramme de matière fécale, vous tombez sur le même nombre de bactéries. Alors évidemment, on est un peu plus fier de notre cerveau que de notre matière fécale, mais l'information génétique contenue dans un gramme de matière fécale est bien plus importante que celle de notre cerveau ! On va arrêter là les comparaisons parce que je pourrais vous en parler un certain temps.

Sachez que là aussi il y a adaptation, là aussi il y a mémoire, et là aussi, d'une façon ou d'une autre, il y a action sur notre santé, peut-être plus forte que ce que parfois notre cerveau nous fait faire.

Cette flore digestive est très importante à notre équilibre. Comme l'a dit aussi M. Chamba ce matin, chaque individu est différent, le nombre d'espèces différentes est bien plus important que celui qu'il a mentionné, et on retombe sur un principe philosophique : nous sommes uniques pour de multiples choses, sans doute pour nos AOC, mais nous sommes aussi uniques par notre microflore qui fait que chaque individu est différent dans un ensemble qui se ressemble quand même.

A partir de cela, le but de l'écologie microbienne, c'est de garder un équilibre à peu près stable, c'est-à-dire de ne pas trop le modifier. Bien sûr, il y a des traitements antibiotiques massifs, mais si on vous les donne c'est en général que vous en avez franchement besoin, enfin on peut l'espérer.

Par ailleurs, il y a d'autres choses qui peuvent modifier dans un sens positif ou négatif cet équilibre microbien. Les aliments qu'on consomme - et c'est pour cela que je suis sans doute ici - dans les fibres alimentaires ou dans un domaine très large qu'on appelle les probiotiques (c'est-à-dire des choses qui peuvent faire évoluer nos populations) peuvent jouer sur cet équilibre soit quantitativement (c'est-à-dire remplacer des bactéries par d'autres, je n'y crois pas beaucoup, ou faire monter des populations qui sont en général dominantes..). Imaginez bien que dans la matière fécale il n'y a plus de place, on ne peut pas faire augmenter beaucoup le nombre de participants. Par contre, on peut changer leur fonction, on peut jouer sur la santé de l'autre soit à court terme, soit à moyen terme.

Avec l'AFSSA, où j'ai fait partie d'un premier groupe de travail sur l'enfant, et maintenant d'un deuxième, les probiotiques et l'adulte, on s'est posé la question suivante : ces enfants reçoivent à la naissance des laits qui peuvent contenir plus ou moins de fibres ou plus ou moins de probiotiques vivants. Cela a sans doute un effet positif sur la santé immédiate, mais quel sera l'effet à long terme ?

Dans le domaine des aliments, on consomme volontairement un grand nombre de produits qui contiennent des bactéries vivantes. Ces bactéries vivantes servent dans les procédés technologiques mais ont aussi un rôle positif sur notre santé.

Derrière, on a un peu tendance à jeter le bébé avec l'eau du bain parce que le marketing est souvent beaucoup plus enthousiaste que la réalité des produits. C'est un peu injuste. C'est vrai que le marketing y va toujours beaucoup trop fort mais c'est son rôle. Par contre, il y a des effets, modestes mais réels, de ces probiotiques.

Comme M. Ambroise Martin nous a demandé d'exprimer un voeu avec une vision d'avenir, je pense que les choses vont évoluer. On en est au début, pour le moment les produits sont encore alimentaires, les allégations vont souvent au-delà de la réalité, mais l'AFSSA a son rôle à jouer justement pour réguler les allégations.

Derrière la recherche continue, et de plus en plus maintenant, il y a un domaine qui est celui du médicament où l'on peut, par génie génétique (je pense notamment aux OGM), jouer un rôle très important pour faire produire à des bactéries des choses qui sont bonnes pour la santé dans le tractus digestif.

C'est encore pire que le maïs, parce que jamais les gènes de maïs ne sont passés dans notre microflore, mais par contre les gènes des bactéries pourraient y passer. Pour autant, des essais chez l'homme, visant à protéger de la maladie de Crohn, se font actuellement en Belgique.

Il existe également d'autres essais qui sont plus expérimentaux ; on peut traiter d'un papillomavirus - c'est un cancer quand même très important chez la femme - en faisant produire à des bactéries lactiques des adjuvants. On peut traiter contre une carence en lipases.

C'est vraiment le domaine de la médecine et je pense que dans les années qui viennent on va avoir quelque chose qui sera un intermédiaire entre les deux systèmes. Il y a toutes les techniques en « ique » qui permettent d'échapper au biais des OGM qui font peur, mais d'avoir des sélections positives de bactéries avec des fonctions nouvelles. Je pense qu'elles pourraient avoir un effet important sur la santé et qu'il y a quelque chose à trouver.

Bien sûr, faire un yaourt au goût de fraises, sans mettre de fraises, parce qu'on a mis une bactérie génétiquement modifiée, c'est sans doute inacceptable. Mais avoir des probiotiques qui jouent sur notre santé ne l'est pas autant. Ils existent déjà un petit peu et je pense que les progrès de la recherche - on essaye d'y contribuer modestement - joueront dans ce domaine.

M. Ambroise Martin - Merci, je retiens donc l'idée force : bactéries du fromage, bactéries du colon, même combat ! Une sociologie et une écologie aussi difficiles que l'humaine, si l'échelle mondiale est importante, l'échelle microscopique aussi nous réserve bien du travail et des plaisirs et découvertes.

Je cède la parole maintenant à Claudine Junien, directrice de recherche à l'INSERM et spécialiste des génétiques.

Mme. Claudine Junien - J'aurais pu parler derrière Bernard Guy-Grand, puisqu'en fait son souci de développer la recherche est également le mien. Mais ce n'est pas uniquement le souci de développer la recherche qui me tracasse, c'est là le voeu que je formerais, c'est de voir en fait quels sont les obstacles au développement et surtout à l'application aux patients, aux individus que nous sommes, de cette médecine personnalisée qu'on nous promet mais contre laquelle des tas d'obstacles sont en train de s'ériger.

Ces obstacles, je vais rapidement les énoncer mais je vais d'abord vous parler des progrès de cette médecine et de ce qu'on peut en attendre.

Ces obstacles sont de deux sortes, enfin il y en a au moins deux - on peut bien entendu ne pas être totalement restrictif. Le premier, je crois, c'est le public, le consommateur lui-même pour qui la crainte des tests génétiques et de tout ce qui est personnalisé est en absolue contradiction avec son désir de se voir appliquer quelque chose qui lui soit propre.

Et puis, il y a aussi, finalement, la part de l'industrie agroalimentaire qui, tout comme l'industrie pharmaceutique, craint certainement de voir une segmentation du marché s'opérer si on distingue des sous-groupes d'individus et que peu à peu ces allégations santé, vantées pour le plus grand nombre, ne finissent par se réduire qu'à quelques-unes, voire font courir un risque pour certains.

Ce sont mes deux voeux ; je pense que l'on peut tout à fait y remédier. Le premier, c'est ce que Ambroise Martin a déjà abordé, c'est le problème de l'éducation. L'éducation est, je crois, fondamentale, elle doit prendre racine à l'école. Quand on voit dans le public, de manière générale, ce qu'est la connaissance de base sur ce que sont les lipides, les protides et les glucides, c'est absolument dramatique. Si on ne commence pas très tôt chez les enfants, on n'arrivera certainement pas à faire évoluer les choses.

Et puis, il n'y a pas que les enfants, il y a l'opinion du public. On en a parlé, les recherches en sociologie sont très importantes. Il faut qu'il y ait un observatoire de ces opinions publiques, et surtout que l'on sache quels sont les moyens de remédier à une mauvaise interprétation de la part du public et lui donner les outils pour le faire.

Je sais très bien que ce n'est pas - et je suis bien placée pour le savoir en tant que chercheur - en disant la réalité, la vérité, que l'on convainc, bien au contraire. Un jour, une journaliste m'a dit : « vous, avec vos vérités, vous me faites encore plus peur ». C'est vrai que souvent les réalités scientifiques font encore plus peur.

Je vais terminer sur ce qu'est cette réalité scientifique. Cette réalité scientifique, dans un domaine sur lequel je travaille, qui est celui de l'obésité, mais qui est vraie aussi pour les maladies cardiovasculaires, qui en sont une conséquence, qui est vraie pour le cancer, qui est vraie pour toutes les grandes pathologies, est que nous avons un terrain génétique.

Or ce terrain génétique n'est pas, comme on le croit de manière générale, dû à un gène comme le gène de l'obésité ou le gène du cancer, mais à tout un assortiment de gènes. Chacun d'entre nous possède un assortiment unique qui fait que nous possédons tous des gènes de cancer, des gènes d'obésité, mais que cela n'est que si nous avons un assortiment particulier et des pratiques particulières que nous développerons cette pathologie.

La peur des tests génétiques est totalement idiote puisqu'en fait on peut faire des tests génétiques pour déterminer un profil, mais ces tests génétiques ne vous diront pas plus si vous êtes intelligent ou doué pour les maths, ce qui pourrait entraîner effectivement des discriminations. On a un terrain génétique mais on a aussi surtout, et cela c'est quelque chose que l'on découvre de plus en plus, des pratiques à la fois alimentaires, mais aussi d'activité physique, qui vont moduler l'activité de nos gènes et faire en sorte que nous ne réagirons pas de la même façon selon nos pratiques.

Enfin, le troisième domaine qui est en train de se dessiner et qui est vraiment très important, c'est le problème de la programmation génétique et épigénétique.

Nous savons maintenant que tout individu est programmé sur ses gènes, sur la façon dont son organisme va se développer, non seulement dans la période périconceptuelle (du fait de la relation, de l'alimentation de la mère avec ses propres gènes) mais aussi au cours de la vie foetale, au cours de la période néonatale, et après au cours du développement.

Allons-nous être capables de comprendre - et ce sont des recherches qui sont maintenant en cours - comment agir sur cette programmation ? En quelque sorte, serons-nous capables, comme on le dit pour l'informatique, de « nous reformater » pour permettre à nos gènes de réagir un petit peu différemment ?

Dans toute cette diversité, je forme un voeu, c'est celui que nous puissions mieux collaborer avec les industriels puisqu'en fait, pour pouvoir appliquer les découvertes, les progrès de cette recherche à un plus grand nombre, il faut que nous mettions en oeuvre des études épidémiologiques. Nous ne pourrons pas le faire sans une recherche, des études multidisciplinaires sur un grand nombre ce qui, évidemment, est très coûteux. Je vous remercie.

M. Ambroise Martin - Merci. Dans une présentation aussi brève, j'aurais presque envie de réagir comme la journaliste en disant que certaines choses, notamment quand on parle de reformatage, sont effectivement terrifiantes.

Vous trouverez un certain nombre de développements dans le rapport du Sénateur Saunier, notamment la définition de ces termes un petit peu nouveaux (différence entre nutrigénomique, nutrigénétique, etc...).

J'aurais une question rentrée que je vais poser maintenant mais pour une réponse différée, éventuellement si on a le temps : compte tenu des débats qui ont eu lieu ce matin et même cet après-midi, sur toutes ces problématiques des biotechnologies, des OGM, etc... , avez-vous l'impression que ce que vous faites sur la dissection du génome humain et de ses fonctionnalités, que ces biotechnologies, ce génie génétique, peuvent avoir un retentissement et expliquer aussi en partie peut-être ces peurs ? On y reviendra peut-être. Je vous laisse méditer une réponse éventuelle si on a le temps.

Je cède la parole à Béatrice Darcy-Vrillon, directrice de recherche à l'INRA.

Mme Béatrice Darcy-Vrillon - Merci beaucoup. Je vais essayer de tenir les temps. J'avais prévu de revenir sur quelques éléments de contexte qui, je crois, ont été très bien abordés ce matin, sur toutes les évolutions qu'a connues notre alimentation au cours des cinquante dernières années, qui sont finalement très favorables, et sur le fait qu'en contrepoint on arrive à un niveau d'exigence qui est de plus en plus élevé. Je souhaite également revenir sur les enjeux qui sont considérables pour tous les acteurs, depuis les consommateurs qui ont des attentes individuelles jusqu'à la notion de santé publique.

Ce que je voudrais faire, c'est partager avec vous quelques réflexions sur ce qu'est la place de la recherche. On a largement parlé de ses apports. Je voudrais aussi peut-être un peu plus modestement parler de ses limites et de ses contraintes et partager quelques souhaits, quelques espoirs autour de la nutrition.

La recherche est nécessaire. Elle progresse mais elle a, de manière un peu inhérente, dans ce domaine qui touche à l'homme, des limites et des contraintes.

Son rôle, c'est bien sûr d'identifier non seulement les risques - et c'est bien clair sur le plan sanitaire - mais aussi les bénéfices, en particulier sur le plan nutritionnel, on en a parlé, et de quantifier les uns et les autres sur la base de données objectives.

Hier, les réponses étaient simples, elles étaient non contestées. Aujourd'hui, les questions sont de plus en plus complexes et intégratives. Et pour nous compliquer la tâche, on assiste à une critique précisément de la science, sur sa capacité à répondre à ce type de questions.

Dans ce domaine qui touche à l'humain, les difficultés sont évidentes ; l'expérimentation n'est pas toujours possible. C'est bien évident dans le domaine de la sécurité, cela l'est plus ou moins dans le domaine de la nutrition. Nous, scientifiques, nous sommes donc obligés finalement de nous contenter de données qui sont très imparfaites au regard des questions qui sont posées et qui sont bien souvent des données obtenues sur des modèles cellulaires ou animaux.

Il faut donc être prudent. Je crois qu'il est essentiel de bien connaître les limites des outils expérimentaux dont nous disposons, et également se garder d'extrapoler trop vite.

Enfin, une difficulté qui est évidente sur les deux aspects - sanitaire et nutritionnel - c'est qu'il nous faut prendre en compte des effets sur le long terme puisque l'alimentation c'est quelque chose auquel on est exposé pendant toute sa vie, que ce soit en termes de facteurs de risques ou en termes de prévention. Et l'expérimentation est difficile à mener pour prendre en compte ces aspects de long terme.

Les attentes, les espoirs : sur le plan nutritionnel, je pense qu'il va nous falloir de plus en plus concevoir la nutrition dans le contexte de la chaîne alimentaire, ne serait-ce que parce que la nutrition en tant que discipline scientifique est une discipline d'interfaces entre les sciences amont (les sciences agronomiques - je prêche bien sûr pour ma paroisse) et la biologie humaine et la médecine en aval, avec l'apport qu'on a mentionné, très important, des sciences humaines sociales.

Je crois qu'en termes de recherche agronomique, le défi auquel on est confronté, c'est de savoir tirer parti au mieux de la chaîne alimentaire pour optimiser la qualité des aliments de l'homme, et c'est ce à quoi nous nous attachons à l'INRA en particulier.

Je souhaiterais personnellement qu'on aille de plus en plus vers une vision positive de l'alimentation. D'abord parce que c'est un paramètre sur lequel on peut agir en tant que déterminant de l'état de santé, et ensuite parce que c'est une source de facteurs de protection par rapport au développement de certaines maladies ou à la prévention des maladies associées au vieillissement et pas seulement des facteurs de risque. Exploiter ce potentiel positif de l'alimentation, cela suppose bien sûr que l'on continue à progresser par la recherche pour mieux comprendre les relations intimes qui existent entre nutrition et santé.

Je crois que, de plus en plus, on aura à penser la nutrition tout au long de la vie, une vie qui ne cesse de s'allonger, de façon à nous protéger de maladies non seulement présentes, mais également futures, dans une optique de longévité et de qualité de vie. Il ne s'agit pas seulement d'ajouter des années à la vie, il s'agit surtout d'ajouter de la vie aux années.

Un point qui me tient également à coeur et dont on n'a pas encore assez parlé : on a la chance maintenant, tant au niveau national qu'européen, d'avoir une politique nutritionnelle de santé publique. Je pense que ce couplage entre recherche et politique nutritionnelle de santé publique est facteur de progrès pour l'un et pour l'autre. L'un ne va pas sans l'autre. La recherche que nous faisons aujourd'hui est à la base de ce que seront les recommandations et leur mise en application demain.

Enfin, le dernier enjeu, je crois qu'on l'a signalé, c'est de faire évoluer les comportements dans le domaine de l'alimentation et de l'hygiène de vie - on a aussi parlé de l'activité physique. Cela, ça passe par l'apport incontournable des sciences humaines et sociales puisque, si on veut faire évoluer les comportements, il s'agit d'abord d'être capable de les décrire et de les comprendre. Je pense donc que c'est une étape indispensable et mon dernier souhait, c'est qu'on puisse aller réellement vers une éducation nutritionnelle dans ce pays. Je vous remercie.

M. Ambroise Martin - Merci. Beaucoup d'éléments très intéressants, sur lesquels nous reviendrons dans la dernière table ronde. La politique nutritionnelle comme élément d'une politique alimentaire à côté de la pure économie, l'intégration des sciences sociales, ce sont des éléments importants.

Je voudrais simplement, avant de passer la parole à l'orateur suivant, souligner un point que l'on rencontre dans l'évaluation, dans la recherche, et que les gestionnaires rencontrent, à savoir la difficulté de hiérarchiser et de prioriser les problèmes pour une affectation optimale des ressources, affectation qui rencontre l'assentiment du plus grand nombre, sinon le consensus.

Là, je crois que l'INRA a une démarche tout à fait originale, novatrice et intéressante, d'élaborer son projet stratégique en nutrition et en alimentation, en lien très fort avec les différents acteurs de la chaîne alimentaire et de le soumettre à discussion au Conseil national de l'alimentation. Je pense que c'est une démarche tout à fait originale d'associer la société à ces problèmes de recherche et non pas de se contenter de l'évolution interne, de la dynamique des règles strictement scientifiques, de notoriété, de facteurs d'impact, etc... Je crois que c'est un point tout à fait important, et une évolution positive.

Maintenant je cède la parole à M. Christian Latgé, responsable du développement et de la nutrition chez Andros. Un point de vue plus industriel.

M. Christian Latgé - Merci, Monsieur Martin.

L'idée force que je voudrais développer ici sur un aspect industriel, c'est que la nutrition, aujourd'hui, ne peut plus être écartée de la formulation des produits. La R&D industrielle a, à sa portée, de nombreuses données scientifiques. On a trois types de données.

Des données scientifiques plus fondamentales qui sont obtenues la plupart du temps par les recherches publiques.

On a des données épidémiologiques, pas assez, il faut surtout les soutenir. On en a quelques-unes en nutrition depuis quelques années, elles sont extrêmement riches d'enseignement. Elles nous servent dans des cas de formulation de produits. On en tient compte très rapidement, elles sont indispensables pour nous, elles sont indispensables ensuite pour la politique de la santé que l'on veut mener. Il faut pousser - et on soutiendra de toutes nos forces - ce type de recherches épidémiologiques.

L'autre partie, en termes de données, ce sont les données cliniques. Il faut savoir effectivement que jusqu'à maintenant les études de l'impact de certains aliments sur le métabolisme humain étaient faites par l'industrie pharmaceutique. Aujourd'hui, l'industrie alimentaire fait aussi ce type de recherches. Pourquoi ? Parce qu'elles ont un caractère concurrentiel extrêmement fort ; elles permettent d'avoir des produits avec des allégations santé qui sont recherchées et qui ont un plus d'un point de vue concurrentiel. Mais il faut savoir que ces études coûtent extrêmement cher et que seuls de grands groupes sont capables de les faire aujourd'hui.

Donc, on voit qu'aujourd'hui le développement de produits pointus, novateurs en nutrition, passe obligatoirement par une phase « recherches », soit menées en interne, soit menées en externe, extrêmement forte.

Malgré cela, il y a des territoires qui sont encore complètement inexplorés. Je prendrai le cas que je connais bien, les fruits. Il faut savoir que les fruits sont un produit couramment consommé depuis des milliers d'années et dont on connaît encore très peu de choses. On sait que dedans il y a des vitamines, il y a des polyphénols. On ne sait pas encore exactement quel est l'impact santé de la plupart de ces molécules. On voit que même sur des choses extrêmement simples le territoire recherches est encore complètement à ouvrir et à travailler.

Le deuxième point, c'est la rapidité avec laquelle on peut utiliser ces données. Aujourd'hui ces données sont intégrées de plus en plus, et surtout de plus en plus vite, dans la formulation des produits. La nutrition entre depuis plusieurs années dans la formulation des produits.

Elle l'a été très tôt, par exemple, dans la formulation des produits de nutrition infantile. On voit tout le bénéfice que cela a apporté. On peut parler par exemple des laits infantiles qui, très tôt, ont intégré des aspects nutritionnels très forts et on a lancé des études en parallèle là-dessus.

Aujourd'hui, on a des développements de produits spectaculaires. C'est vrai aussi sur certains aliments diététiques.

Jusqu'à maintenant, la nutrition s'orientait surtout sur des populations localisées, précises. Aujourd'hui, c'est l'alimentation courante qui a besoin de profiter de cet apport et de ces données en nutrition.

On a parlé ce matin « d'aliments santé ». C'est vrai qu'il y a une attente du consommateur très forte là-dessus. La santé aujourd'hui va bien au-delà de la sécurité dont on a parlé ce matin, elle va aussi sur l'intégrité, sur la nutrition et sur le vieillissement par exemple.

Donc on dit que depuis les années 1980-1990 on a changé d'ère alimentaire. L'ère précédente, c'était l'aliment industriel, c'était l'aliment appertisé qui permettait de se nourrir facilement, dans de bonnes conditions. Aujourd'hui on est vraiment dans l'ère de la satiété et le consommateur recherche deux choses en priorité au niveau de ses aliments : premièrement, le goût, et en second, la santé. Donc le consommateur est prêt à entendre ce type de discours.

Le dernier point que je voudrais développer est le suivant : finalement, oui, on peut intégrer la nutrition très tôt dans la formulation des produits, mais comment, ensuite, communiquer auprès du consommateur ?

On pourrait le faire de façon législative ; on pourrait dire qu'on va mettre des allégations données sur les emballages, par exemple pour pouvoir indiquer les valeurs nutritionnelles précises des aliments. Il y a déjà beaucoup de données techniques et, au final, on voit que souvent, en mettant ce type de données, on perd le consommateur. Et je le comprends, je vais vous donner un exemple.

Hier soir, j'ai acheté un sandwich dans le train, c'était un sandwich relativement simple, jambon-crudités. J'ai identifié cinq ingrédients. Or, j'ai lu sur l'étiquette qu'il y en avait trente-cinq. Si en plus de cela, on met des données sur la valeur nutritionnelle spécifique du produit, c'est-à-dire : « si vous pesez entre 50 et 60 kilos, votre produit couvre 10  % de vos besoins quotidiens », alors là, on va perdre complètement le consommateur !

Il faut donc réfléchir à la façon de faire passer et de communiquer ces valeurs nutritionnelles auprès du consommateur.

Une des meilleures solutions, et je dois dire que là, le programme national nutrition et santé est un bon exemple, ce sont les guides alimentaires. Ces guides alimentaires sont intéressants parce qu'ils sont relativement simples, ils sont utilisables partout. Les grands groupes comme les petites PME peuvent les utiliser, et ils peuvent être communiqués au plus grand nombre. Je pense que ces guides représentent des solutions pour communiquer de façon intelligente et ciblée auprès du consommateur.

L'exemple du PNNS en France, à mon avis, est un bon exemple. Je citerai aussi la consommation de fruits, en France, qui chute environ de 4  % par an. Or, la première recommandation du PNNS est bien d'augmenter la consommation de fruits et légumes. On voit donc qu'on peut tout à fait s'appuyer sur ce type de référence pour pouvoir faire passer une communication auprès du consommateur, pour augmenter par exemple son réflexe fruitier.

En résumé, je dirais que oui, les données nutritionnelles existent. Elles ne sont certes pas suffisantes, il faut les soutenir. Il faut soutenir la recherche dans ce domaine, qu'elle soit privée ou publique puisque, par exemple, la recherche privée ne fera pas de recherches épidémiologiques. Il faut donc soutenir les deux.

Oui, ces données sont intégrées très tôt et très rapidement dans la formulation des produits. Par contre, non, on ne communique pas assez bien auprès du consommateur, qui attend certainement une communication beaucoup plus personnalisée, ce que nous ne savons pas faire aujourd'hui. Merci.

M. Ambroise Martin - Merci. Je retiens une idée force qui avait déjà été évoquée ce matin par Xavier Leverve, reprise par d'autres, et dont vous soulignez l'importance pour les industriels, la notion de l'épidémiologie.

L'épidémiologie nutritionnelle devient extrêmement difficile compte tenu du nombre absolument effarant de références, des différences de composition, si bien que cela ne pourra se faire que par un travail vraiment collectif. On pourra dire que l'épidémiologie nutritionnelle et alimentaire, c'est un peu le Cyclotron de notre discipline. Ce sont des investissements lourds dans le temps mais qu'il faudra bien consentir si on veut pouvoir un jour donner de vraies réponses.

Le deuxième élément, c'est vrai que les nutritionnistes retrouvent avec plaisir le fait que l'on considère maintenant que les aliments doivent nourrir, c'est-à-dire satisfaire les besoins nutritionnels de l'homme.

Je voudrais simplement revenir sur ce qui a été évoqué par M. Sirami dans la table ronde précédente. J'ai préfacé récemment un guide pratique de l'audit nutritionnel, réalisé par l'ACTIA, qui va bientôt paraître. C'est un ouvrage tout à fait remarquable qui devrait aider tout un chacun à s'y retrouver et à progresser dans ce domaine pour éviter ce que l'on constate trop maintenant et qui a été souligné par Bernard Guy-Grand, c'est-à-dire les déficiences, voire les carences, dans une société d'abondance en dehors de tout problème économique. C'est quand même quelque chose de surprenant, et pas tout à fait normal.

Je vais maintenant laisser la parole à M. Vincent Duvillier, directeur général de Béghin-Meiji.

M. Vincent Duvillier - Bonsoir. Béghin-Meiji, c'est une filiale du groupe Tereos, c'est un groupe sucrier qui produit et commercialise des saccharides, donc des prébiotiques.

Je voulais reprendre le plan qui est donné : attentes, espoirs, réalités nutritionnelles.

Attentes et espoirs : je crois qu'effectivement aujourd'hui le consommateur a une réelle attente en termes de nutrition. Il commence à savoir un peu ce que cela veut dire. Il sait que l'alimentation peut être une source de bonne santé, même s'il a des comportements paradoxaux.

Il est aujourd'hui sensiblement mieux informé qu'il y a vingt ans. Même si la première source d'information est probablement la télévision, et même peut-être la publicité, si aujourd'hui les gens savent ce qu'est qu'un yaourt avec des probiotiques, c'est parce que de grandes sociétés ont communiqué sur ces produits-là ou sur un sujet que je connais bien : la nécessité d'avoir des fibres.

La réalité nutritionnelle : je pense qu'aujourd'hui la qualité nutritionnelle des aliments est assez bonne. Néanmoins il est difficile pour le consommateur de manger dix légumes et fruits par jour, ou du pain au son, pour avoir les trente grammes de fibres qui sont préconisés quotidiennement.

Les industriels, les ingrédientiers comme on les appelle, les fabricants d'ingrédients, ont compris qu'il y avait là une opportunité pour produire des ingrédients à caractéristiques nutritionnelles particulières, génératrices de valeur ajoutée.

Pour arriver à cela, il faut faire de la recherche. De la recherche sur la qualité de l'ingrédient originel et ensuite bien sûr de la recherche pour démontrer les bénéfices de cet ingrédient au niveau nutritionnel pour le consommateur.

Tout à l'heure on parlait de 0,6  % du chiffre d'affaires, en moyenne, consacré à la recherche. Dans l'entreprise que je dirige, on dépense au moins 5 % de notre chiffre d'affaires en recherche. C'est dire que quand on commence à vouloir faire de la nutrition en tant qu'industriel, cela commence effectivement à coûter assez cher.

Cette recherche se fait sur nos deniers et en collaboration avec des organismes publics. On travaille notamment beaucoup avec l'INRA et avec certains hôpitaux pour faire des recherches cliniques. Ces recherches, encore une fois, coûtent de plus en plus cher parce qu'il faut montrer le bénéfice pour le consommateur. En fait, j'arrive aux deux idées forces que je voudrais transmettre aujourd'hui.

La première question qui se pose à nous est la suivante : comment protéger les résultats de recherches au niveau de la nutrition ? Quand on montre un bénéfice par exemple sur l'ostéoporose ou sur l'absorption minérale, comment protéger ce résultat pour en tirer des bénéfices ? Faire de la recherche c'est bien, mais après, l'objectif, c'est quand même de récupérer du chiffre d'affaires pour retrouver des résultats.

Je sais qu'il y a des choses qui se font aux États-Unis dans ce sens. Je pense qu'en Europe on est assez en retard. J'inciterais les gens à réfléchir sur ce point parce qu'il y a beaucoup d'entreprises qui sont découragées, qui feront probablement moins de recherches en nutrition à l'avenir si au bout du compte elles ne peuvent pas en tirer des bénéfices économiques ?

La deuxième idée force que je voudrais soulever ce soir - et je fais référence à la discussion qui avait lieu ce matin entre M. Hirsch et Mme Geslain-Laneelle - c'est qu'aujourd'hui il y a une certaine disparité dans les différents pays européens entre ce qui est autorisé et ce qui ne l'est pas. Un ingrédient nouveau ou les bénéfices nutritionnels d'un ingrédient peuvent être autorisés dans un pays européen de l'Union européenne, et pas dans un autre.

Vous comprenez bien que quand on fait de la recherche, quand on vend des ingrédients - aujourd'hui toutes les entreprises qui font des ingrédients sont des entreprises européennes - on espère au moins pouvoir vendre ce produit dans toute l'Union européenne.

Cette harmonisation au niveau européen, nous la souhaitons de tout coeur. Probablement que l'Autorité européenne de la santé et des aliments sera un élément de réponse. Par exemple, aujourd'hui, en Europe, il n'y a toujours pas de définition de ce qu'est une fibre soluble. Les Anglais, les Danois, les Hollandais et les Français n'ont pas le même avis, et il n'y a toujours rien de tranché. Ce n'est pas très facile de décider de lancer un ingrédient quand on n'est pas capable de savoir si l'ingrédient qu'on va mettre sur le marché sera dans la rubrique « fibres », ou pas, au niveau de l'étiquetage.

Je vous remercie de votre attention.

M. Ambroise Martin - Merci. Je vais avoir quelques réactions personnelles.

Il est vrai que les fibres sont un problème difficile. La France anime un groupe de travail sur la question au sein du Codex Alimentarius, après de nombreuses réflexions au sein de l'AFSSA depuis plusieurs années. Cela n'avance guère.

Je partage tout à fait la deuxième réflexion sur la protection de la recherche. C'est un problème fondamental et difficile que je défends depuis longtemps.

J'espère - je n'ai pas lu la dernière version du règlement européen sur les allégations en voie de finalisation - que le droit d'exclusivité qui avait été inclus dans les versions précédentes sera maintenu. Ce pourrait être un moyen de protéger cette recherche, en tous les cas je l'espère. Cela permettrait d'avoir une recherche meilleure, d'avoir une plus grande lisibilité pour l'industriel, et pour les évaluateurs d'avoir des dossiers mieux construits, plus solides que ceux que l'on a maintenant - même si cela s'améliore progressivement.

Cela a été évoqué à quelques reprises ce matin de façon tout à fait indirecte : l'absence de protection de l'innovation dans le domaine alimentaire, et nutritionnel en particulier, est très certainement quelque chose qui pousse à une espèce de fuite en avant totalement déstabilisante pour le consommateur, qui complique la vie des nutritionnistes indubitablement, et qui n'est pas satisfaisante pour les industriels, même si évidemment c'est très stimulant pour la créativité des entreprises et du marketing. C'est certainement un réel problème.

Merci à tous les intervenants d'avoir pu exposer dans les temps leur idée force. Il nous reste quelques minutes pour répondre aux questions...

M. Ambroise Martin - Il est clair que sur les enjeux de société, on ne peut pas épuiser le sujet en une table ronde d'une heure, mais si quelqu'un avait lui aussi une idée force, une question force... ?

Un Intervenant - Ce qui m'a un peu ennuyé dans les propos, c'est d'entendre que les pouvoirs publics ou les entreprises seraient responsables de la nutrition des gens.

J'ai quelques kilos de trop, et je sais à quoi je le dois, c'est à mon indiscipline alimentaire. Il ne me viendrait pas à l'idée d'accuser l'industrie alimentaire ou les pouvoirs publics de cela. C'est un peu gênant. J'ai quelque part l'idée qu'on va nous mettre dans un modèle et un système, et j'ai presque eu le sentiment, qui m'a effleuré, qu'on traitait la nutrition humaine comme un problème de zootechnie. Et le plaisir, où est-il là-dedans ?

M. Ambroise Martin - Je crois que c'est le propre de la contraction en idée force que peut-être de simplifier... Bernard Guy-Grand, je pense ?

M. Bernard Guy-Grand - Je partage un peu votre point de vue. C'est ce que j'ai essayé de dire en disant qu'il n'était probablement pas sain de désigner, de pointer du doigt des boucs émissaires uniques. Effectivement, la responsabilité du consommateur est évidemment engagée. Mais on ne peut pas non plus dire que la nature de l'offre alimentaire, ainsi que les stimuli utilisés pour développer cette consommation soient totalement étrangers au phénomène.

Je pense que c'est un phénomène suffisamment complexe pour qu'on ne lui apporte pas des réponses qui seraient primaires. C'est pour cela que j'ai cru devoir plaider, mais je pense qu'il y a beaucoup de gens qui en sont convaincus, pour une espèce de cohérence globale des différents acteurs.

Par exemple on fait la guerre au sucre en ce moment. Je pense qu'il y a des arguments justifiés et des arguments injustifiés. Quand on nous parle de tel ou tel type de probiotique, il est clair - là je parle sous le contrôle de M. Corthier -qu'il y a un certain nombre d'allégations trompeuses et qui vont au-delà de la réalité, même si un progrès est manifestement fait pour contrôler les allégations santé.

Je ne suis évidemment pas partisan de traiter l'alimentation humaine comme un problème de zootechnie. Cela fait trente ans que je me bats contre cela, je ne vais pas changer maintenant !

M. Ambroise Martin - Pour mémoire, le guide alimentaire évoqué par Christian Latgé tout à l'heure commence par les mots de « plaisir », jusqu'au plaisir de ne pas se soucier de son alimentation et de ce qu'il y a dans son assiette.

M. Gérard Pascal - Oui, je me suis retenu ce matin d'intervenir au sujet des demandes d'harmonisation européenne de réglementations diverses. Comme il vient de nouveau d'y être fait allusion, je ne peux plus m'empêcher de faire un petit commentaire.

Je commencerai par les fibres. J'ai personnellement le souvenir d'une discussion - c'est la seule discussion d'ailleurs où nous avions eu un partage pratiquement à 50/50 dans un collectif scientifique - sur la définition des fibres. J'ai ensuite réuni à Paris les parties scientifiques. Nous avons publié un document, un article scientifique qui me paraissait essayer de faire le point de la connaissance scientifique du moment.

C'était aux gestionnaires, aux décideurs de décider, ce n'était pas à nous. Je crois qu'on avait fait le tour de la question scientifique, on l'avait publiée dans une grande revue scientifique. Maintenant, la balle n'était plus dans notre camp, mais finalement aucune décision n'a été prise. Cela, c'était il y a douze ou treize ans.

Ce matin, on a évoqué aussi le rôle des États membres et de la Commission. C'est très facile d'accuser la Commission, d'accuser l'Europe, mais très souvent, quand même, il faut le dire, c'est à cause de l'incapacité des décideurs à décider. Il y a une tendance à essayer de repasser le bébé aux scientifiques afin de les pousser dans leurs derniers retranchements pour que ce soit eux qui, finalement, prennent une quasi-décision et qu'ensuite le décideur dise : « mais les scientifiques ont dit, donc on ne peut pas aller contre ». A chacun ses responsabilités.

Je crois qu'on a bien montré aujourd'hui que la science avait ses limites. Béatrice Darcy-Vrillon l'a répété. Il faut nous faire travailler, il faut nous pousser à aller au fond, à poser toutes les questions, à les débattre entre nous, et à donner la conclusion scientifique du moment, mais ce n'est pas la décision politique. Chacun a ses responsabilités et je crois que c'est bien d'avoir ces discussions ici, dans cette enceinte, dans une enceinte où les politiques vont débattre ensuite de décisions à prendre et en particulier en matière de politique alimentaire.

M. Ambroise Martin - Hélène Moreau, UFC-Que Choisir... La voix des consommateurs, qu'on a seulement entendue ce matin.

Mme Hélène Moreau - Puisque Gérard Pascal est revenu sur cette question d'harmonisation des normes, ce qu'on voulait dire au nom des consommateurs, c'est qu'on est très contents que l'AESA n'ait pas pour mission d'harmoniser les normes pour faciliter la commercialisation des marchandises au niveau européen.

On est très content que l'AESA ait comme rôle principal la protection des consommateurs, qu'elle tienne compte des spécificités nutritionnelles dans chaque pays de la Communauté et qu'elle en tienne compte dans les recommandations qu'elle formule pour les normes.

On voit que sur certaines questions, il est tout à fait justifié d'avoir des normes différentes en fonction de régimes alimentaires qui sont assez différents dans les pays de l'Union.

M. Vincent Duvillier - Je voulais juste ajouter que celui qui habite en Finlande n'a peut-être pas besoin de la même quantité de vitamines D que celui qui habite en Sicile. Néanmoins, est-ce qu'un ingrédient génère un risque pour le consommateur ? Est-ce que tel produit est une fibre ou pas ? Ce sont des questions qui sont cruciales mais sur lesquelles on doit pouvoir normalement s'harmoniser au niveau de l'Europe. Je le souhaite, parce que cela aiderait pas mal de choses.

Mme Hélène Moreau - Juste un petit point sur la question des ingrédients. On sait très bien que cela peut quand même poser des problèmes.

Je prends l'exemple des discussions qui ont lieu actuellement concernant la complémentation en iode dans le sel. On sait très bien que les conditions ne sont pas du tout les mêmes dans les différents pays de l'Union. Les industriels demandent une harmonisation pour ne pas changer leur formulation, et on sait très bien que cela poserait des problèmes en termes de santé publique. On estime que c'est justement aux autorités scientifiques de mettre en évidence ces problèmes-là et pas de faciliter les formulations pour les industriels.

M. Ambroise Martin - Merci de ces remarques. Je crois que nous allons arrêter là le débat, qui pourrait durer encore longtemps. Merci à vous d'avoir participé, merci aux intervenants.

M. Claude Saunier - Merci aux intervenants, merci à M. Martin pour avoir su faire le tour de ce qui était proposé en 55 minutes. Nous allons donc passer maintenant à la dernière phase de cette longue journée.

Troisième table ronde :

POUR UNE POLITIQUE DE L'ALIMENTATION MOBILISANT TOUS LES ACTEURS

M. Claude Saunier - J'appelle M. Costes, qui a accepté d'être le régulateur de ce dernier groupe, Mme Pradelle, vice-présidente de l'UFC-Que choisir, M. Bédier, qui vient d'arriver, Gérard Pascal bien sûr, qui a été très présent depuis ce matin, Olivier Mignot, de la société Nestlé, qui est déjà intervenu ce matin, Dominique Langin, directeur de recherche à l'INSERM, M. Klinger, directeur général de l'alimentation au ministère, dont on a accueilli le patron il y a quelques heures, et un représentant de l'ANIA, M. Coindreau.

Monsieur le modérateur, il était prévu d'organiser cette dernière table ronde à partir des propositions que je vais présenter brièvement.

Je voudrais d'abord indiquer que ces propositions sont l'état de la réflexion, un point de synthèse à un moment donné. J'ai reçu, écouté, entendu beaucoup de monde, beaucoup d'entre vous sans doute - environ 250 personnes - et j'ai cru déceler, au travers de ces auditions, un certain nombre de préoccupations qui m'ont semblé déterminantes.

J'ai regroupé tout cela en 5 points et je vais essayer d'expliciter les propositions qui pourraient constituer non pas une base de travail mais simplement des points de repère visant à l'élaboration d'une politique de l'alimentation.

Ce sera la contribution de l'Office parlementaire, la contribution du Sénat et de l'Assemblée Nationale au début de cette réflexion.

Cette réflexion, et ces propositions, s'organisent autour de cinq thèmes. Vous constaterez que, même s'ils ne recoupent pas tout ce que nous avons dit et entendu aujourd'hui, ils recoupent quand même un certain nombre d'observations qui ont été faites.

Première proposition : mieux évaluer les risques alimentaires réels pour les mieux les maîtriser . Si j'évoque les risques, c'est avec le souci de rappeler une donnée fondamentale que j'ai exprimée dès l'entrée de ce colloque. En gros, depuis cinquante ans, l'introduction des progrès de la science et de la technologie dans l'industrie agroalimentaire a permis de sécuriser notre alimentation. On est passé de 15.000 décès par an à quelques centaines, d'après ce que nous a dit le directeur de l'AFSSA.

Mieux évaluer les risques, cela veut dire quoi ? D'abord, et on n'en a pas parlé mais je voudrais reprendre cette idée, informer sur les risques postérieurs à l'achat. On a beaucoup parlé des risques liés à la production agroalimentaire. On a peu parlé des risques, qui ne sont pas secondaires, de ce qui se passe dans nos domiciles et dans nos réfrigérateurs. C'est la première observation.

Deuxièmement : surveiller les risques potentiellement émergents . Par exemple, les zoonoses virales, les biorésistances, vous tous l'avez bien indiqué, représentent des risques qui ne sont pas théoriques, qui sont des risques réels, majeurs, et qu'il convient d'étudier, la recherche jouant ici le rôle d'une surveillance préventive.

Troisième proposition : s'interroger sur la pertinence des seuils de toxicité . Un certain nombre de chercheurs ont indiqué que le risque que nous avons, et qui s'adresse en particulier au législateur, c'est de fixer les taux de toxicité et les normes en fonction de la sensibilité des machines permettant de faire l'analyse. Il y a là un risque réel. Il faudrait que nous sachions déconnecter la sensibilité des méthodes d'analyse de la fixation des seuils.

Et puis j'indique qu'il faudrait aussi envisager de consolider le partage des responsabilités entre l'évaluation et la gestion des risques alimentaires. Je veux dire par là que c'est la loi qui a institué par exemple l'AFSSA en 1998 qui pose ce principe. Je crois qu'il faut que nous le réaffirmions avec force.

Deuxième axe de réflexion : répondre aux données nouvelles de la mondialisation du risque alimentaire . Nous en avons déjà parlé longuement, j'irai donc à l'essentiel.

Il me semble déterminant d'assurer la sécurisation de l'espace alimentaire européen. Des exemples ont été donnés ; l'arrivée dans quelques semaines de pays qui vont entrer dans notre espace économique avec tous les droits et les devoirs des membres de l'Europe, la porosité connue et reconnue des nouvelles frontières du côté de la Biélorussie et de la Pologne, pour ne parler que de ce secteur, nous amènent à avoir beaucoup plus de vigilance que dans le cadre des Quinze qui ont, en gros, défini des normes sanitaires tout à fait pertinentes.

Par ailleurs, il faut veiller à harmoniser l'application du principe de précaution au sein de l'Union européenne. On en a eu quelques exemples, il y a des aberrations. Nous n'avons pas encore réussi à l'évidence dans le domaine sanitaire, dans le domaine de la recherche, dans le domaine des normes, l'harmonisation totale de l'espace européen.

Et puis, proposition qui rejoint bien des propos qui ont été tenus : consolider les identités alimentaires. C'est peut-être un fantasme que de dire que nous allons être tous condamnés, que toute l'humanité va être condamnée, à manger un certain type de produits industrialisés. Par rapport à ce risque, il faut effectivement que nous sachions nous arc-bouter sur nos identités alimentaires. Derrière, il y a par exemple la transmission de la culture alimentaire au sein des familles, mais aussi au sein de notre société.

Troisième type de proposition, troisième grand axe : tirer les conséquences de la constitution d'une économie mondialisée de la connaissance . Tout le monde parle aujourd'hui de l'économie de la connaissance. Eh bien nous avons vu au cours de cette journée, à des dizaines de reprises, qu'on ne peut pas imaginer la réflexion sur le renforcement de notre industrie agroalimentaire sans la consolidation de la recherche.

Il faudra aussi accepter que la consolidation de cette industrie agroalimentaire et de cette recherche prenne en compte le fait de la mondialisation. Si, à l'autre bout de la planète, il y a des équipes qui font des avancées significatives, il faut que nous-mêmes participions à la connaissance de ces avancées, ce qui veut dire donner davantage de moyens, mais aussi être capable de réformer le dispositif de recherche, et en particulier le dispositif de recherche appliquée.

Je crois avoir entendu il y a quelques minutes un des participants souhaiter la consolidation des plates-formes. Je crois qu'il faut que nous visions à la fois à consolider les plates-formes et à leur donner un niveau d'excellence européen ou mondial.

Quatrième perspective : anticiper les enjeux sanitaires de l'alimentation . A plusieurs reprises, cet après-midi en particulier, la notion d'anticipation a été formulée. Je reprends cette notion d'anticipation au travers de deux exemples, l'un positif, l'autre un peu moins.

Je commencerai par le deuxième exemple, c'est celui de l'obésité. Si une part significative du rapport que j'ai présenté devant l'Office consacre une part importante à ce phénomène de l'obésité, cela n'est pas parce que c'est à la mode. C'est parce que les personnes que j'ai auditionnées, à plusieurs reprises et avec des arguments tout à fait convaincants, voire terrifiants, m'ont indiqué que notre population, notre société étaient réellement menacées par un fléau nouveau qui s'appelle l'obésité.

Quand on nous dit que le terme « obésité + surpondération » connaît un rythme de croissance de l'ordre de 17 % par an, que nous allons rejoindre le niveau d'obésité des États-Unis en 2020 si nous n'arrêtons pas ce processus, il y a là un devoir d'alerte que j'ai cru devoir formuler vis-à-vis des pouvoirs publics. Puisqu'on parle d'anticipation, il faut anticiper dans ce domaine-là.

A l'inverse, c'est l'anticipation positive : à l'instant encore, et à plusieurs reprises, on a évoqué les perspectives fabuleuses offertes par la recherche, notamment dans le domaine de la génétique, même si à certains moments, j'ai un peu frémi quand on a parlé du « reformatage génétique ». Néanmoins, on voit bien que par rapport à des enjeux sanitaires importants, liés en particulier au vieillissement de la population, la recherche offre des perspectives de solutions et que, pour reprendre une formule très simple, une grande partie de notre santé est construite au travers de la constitution du menu que nous mettons dans notre assiette.

Pour terminer, c'est le cinquième point, je crois - et c'est le reflet aussi d'un souhait qui a été exprimé à plusieurs reprises - qu'il faudra tenir compte d'une capacité de mobilisation générale et donc tenir compte des consommateurs que nous sommes, que nos concitoyens sont.

Il faut donc revoir l'information des consommateurs , il faudra revoir les conditions dans lesquelles l'information de ces consommateurs est faite au niveau des étiquettes. Combien de temps nous devrions passer pour décrypter les étiquettes (et avec une calculette, voire un micro-ordinateur) pour comprendre quelle est la nature du produit que nous achetons dans l'hypermarché ? Il faut repenser l'étiquetage, c'est-à-dire envisager une utilisation des nouvelles technologies pour faciliter l'information des consommateurs.

Et puis - mais cela, c'est un petit clin d'oeil à nos partenaires de l'AFSSA qui ont été tellement présents dans cette étude - les études de l'AFSSA sont tout à fait remarquables. Il faudrait penser, lorsqu'elles sont publiées, à y ajouter peut-être une ou deux pages de condensé du résultat de ces études qui soient lisibles par les simples parlementaires, voire par l'ensemble de nos concitoyens.

Merci de votre attention et bonne suite à cette table ronde.

(Applaudissements).

M. Alain Costes - Monsieur le Sénateur, permettez-moi tout d'abord, en toute simplicité mais avec grande sincérité - je crois que ce que je vais vous dire est partagé, pour en avoir discuté pendant les pauses avec beaucoup de présents dans cette salle - permettez-moi de vous remercier de nous avoir permis d'assister à cette réunion, et surtout de partager des idées de pistes qui permettront d'aller dans le bon sens. Ce sont des remerciements que peut vous faire l'ensemble des participants.

Le titre de cette table ronde, c'est : « pour une politique de l'alimentation mobilisant tous les acteurs ». Je crois qu'il y a deux mots importants : « mobilisant » et « tous les acteurs ». Vu qu'il est 17h08, vu que je préfèrerais finalement que les participants à cette table ronde s'expriment non pas devant des chaises vides, mais devant des chaises relativement remplies, je crois qu'il va falloir aller très vite.

Je reprendrai la formulation de celui qui a animé la table ronde précédente, Ambroise Martin. Je crois que la meilleure solution sera de donner une ou deux idées et en particulier de réagir par rapport aux propos que vous venez de tenir, Monsieur le Sénateur. Je propose à tous les participants à cette table - tout le monde est fatigué, vous le voyez - d'avoir une idée choc de telle manière que les uns ou les autres s'en souviennent.

Permettez-moi simplement de reprendre en quelques mots la problématique qui a été indiquée pour cette table ronde et que nous avons vu évoquée tout au long de la journée sous des formes différentes.

Les uns ont parlé du deuxième cercle à plusieurs reprises ce matin. Ce deuxième cercle est constitué, d'après ce qu'on nous a dit, des scientifiques, des producteurs et des consommateurs.

Ce qui a été également beaucoup abordé, c'est l'aspect de la multidisciplinarité. Je crois que c'est un point tout à fait important qui a été mis en avant par beaucoup d'interlocuteurs ce matin qui, à juste raison, ont dit que si l'on souhaitait réussir de ce côté-là, il fallait impérativement que soient mises en avant les disciplines des sciences humaines et sociales.

Je crois que ceci est tout à fait important et qu'en particulier ce sont elles qui permettront de faire la différence entre ce qui a été appelé le réel, le supposé ou l'imaginaire.

Ensuite, un autre point qui me paraît important, et qui a été indiqué, c'est le passage de l'autoconsommation de proximité à la politique de filière, filière qui met en avant, là aussi, une mutualisation des progrès scientifiques, de la qualité des aliments, de la responsabilité sur l'environnement, et certains ont même ajouté le bien-être animal. On voit bien là également une politique de filière qui mutualise.

Il ne faut pas oublier, bien évidemment, que l'Europe est là. Certains disent aujourd'hui, et je ne fais que le répéter, que la France est un pays de puissance moyenne qui a la chance d'être dans un grand ensemble qui est l'Europe. Je crois que, de ce côté-là, il faut tenir compte bien évidemment de cette dimension européenne et, si vous le permettez, en restant dans un raisonnement équilibré.

J'ai bien écouté la discussion qui a eu lieu tout à l'heure très rapidement sur l'harmonisation et la protection. Je crois que les deux peuvent aller de pair si c'est bien réfléchi et bien travaillé. Je crois que ce serait une erreur monumentale de les opposer.

Dernier point : ce que j'aimerais personnellement, mon souhait, mon voeu, c'est tout simplement que certaines réflexions, certaines pistes du Sénateur Saunier deviennent, au niveau de notre pays, des actions. C'est le voeu que je forme ; qu'un certain nombre de pistes que vous nous avez données deviennent des actions concrètes, de telle manière que l'on puisse s'appuyer sur ce remarquable travail de fond qui a été fait pour aller dans le bon sens.

Très rapidement, vous avez indiqué dans votre rapport que nous avons en France une industrie de première importance mais qui a des éléments de fragilité, et que cette industrie doit savoir adapter en permanence ses produits en fonction des avancées scientifiques et des progrès technologiques.

Je crois que l'exemple du Vaucluse, qui a été donné tout à l'heure, est un exemple typique. Nous sommes, en particulier dans ce secteur là, en recherche permanente d'innovations scientifiques afin d'être plus concurrentiels. Si nous ne le faisons pas, nous perdrons des marchés au fur et à mesure. Ce point me paraît tout à fait important.

Un deuxième point que vous avez signalé : c'est que le transfert de technologie en France est à reconstruire. Vous avez dit que, finalement, il n'y avait pas de stratégie globale et que quelque part il fallait savoir bâtir un projet qui intégrait tous les acteurs. Je crois que là aussi, c'est un point tout à fait important. On le voit bien d'ailleurs dans ce qui a été dit dans la matinée ; il y a des sensibilités différentes, il y a des approches différentes. Je crois qu'il faut en quelque sorte aller dans le même sens et donc rebâtir cet aspect de transfert de technologie.

J'ai quasiment fini. Vous avez également indiqué dans votre rapport qu'aujourd'hui en France, dans ce domaine comme d'ailleurs dans beaucoup d'autres, il y avait trop d'acteurs et que le fait qu'il y ait trop d'acteurs nous empêchait d'être visibles et lisibles aux niveaux national et européen.

Vous avez fait une proposition, que vous avez reprise dans votre conclusion tout à l'heure, à savoir qu'il fallait avoir la volonté d'unifier autour de plates-formes qui, elles-mêmes, seraient mises en réseau. Je crois que ceci est tout à fait important.

Si vous le permettez, j'aurais tendance à dire que ces plates-formes, je les verrais comme des pôles de compétences, pôles de compétences voulant dire qu'il y a à l'intérieur la formation - je crois que l'éducation a été donnée comme un point très important, en particulier au niveau du primaire et du secondaire, mais également dans l'enseignement supérieur. Donc pôle de compétences incluant la formation et la recherche, mais qui sont à la fois des pôles de compétences et de compétitivité - c'est là qu'on revoit l'aspect industriel - qui soient - et je crois que c'est ça qui est important - visibles et lisibles au niveau national et européen.

Enfin, véritablement mon dernier point, et cela se dit de plus en plus, ce qui nous paraît important, pour notre pays en particulier, c'est qu'il serait temps que nous ayons un pilote dans l'avion, un pilote qui permette de fixer un cap politique qui soit, comme vous l'avez indiqué, transparent et démocratique, c'est-à-dire que nous ayons, dans ce domaine comme dans d'autres, une vision stratégique d'un certain nombre de choix globaux, faisant intervenir tous les partenaires, publics et privés (je crois qu'il ne faut plus faire de différences, il faut qu'ils travaillent ensemble dans le cadre d'un partenariat).

Permettez-moi d'appuyer ce que vous avez dit également ce matin. Nous sommes le seul pays dans lequel nous passons encore des heures et des heures, pour ne pas dire des réunions et des réunions, à parler des différences entre recherche fondamentale et recherche appliquée, entre public et privé.

Admettons une bonne fois pour toutes que tout ceci est dépassé, que la recherche est en continuum, qu'elle peut partir de l'aval vers l'amont ou de l'amont vers l'aval, et que c'est complètement ridicule de perdre du temps dans des discussions qui ne servent plus à rien si ce n'est à faire plaisir à ceux qui finalement parlent plutôt qu'ils n'agissent.

Voilà très rapidement ce que je souhaitais dire en introduction.

Je vais passer tout de suite la parole à Sylvie Pradelle, donc aux consommateurs.

Mme Sylvie Pradelle - Je vous remercie.

Pour l'UFC-Que Choisir, le niveau pertinent pour l'élaboration d'une politique alimentaire, c'est le niveau européen. Cette politique alimentaire doit comporter deux volets majeurs : la sécurité alimentaire et la nutrition.

Il est évident que la question de la sécurité alimentaire a été largement abordée ce matin, je n'y reviendrai donc pas dans le détail. Je vais rappeler seulement les principales demandes de l'UFC-Que Choisir dans ce domaine, à savoir : des instances d'évaluation réellement indépendantes, une coordination entre les instances d'évaluation nationales et communautaires, enfin une ouverture du processus d'évaluation du risque à la société civile.

Quant au deuxième volet, la nutrition, c'est pour nous une priorité aujourd'hui. Les crises alimentaires ont mis la sécurité alimentaire sur le devant de la scène. Pourtant, les problèmes de santé liés à une mauvaise nutrition sont en comparaison beaucoup plus répandus que ceux liés à des problèmes de sécurité sanitaire des aliments.

En Europe, il y a cent fois plus de décès liés à une alimentation déséquilibrée que de décès liés à des problèmes de sécurité alimentaire.

L'UFC-Que Choisir et toutes les associations de consommateurs membres du Bureau Européen des Unions de Consommateurs (BEUC) ont fait de la nutrition une priorité. Elles demandent notamment une véritable politique nutritionnelle au niveau européen, que la nutrition soit explicitement prise en compte dans l'élaboration de toutes les autres politiques communautaires, une limitation de la publicité pour des produits déséquilibrés ciblant les enfants, une information nutritionnelle accessible et compréhensible pour tous, un étiquetage simple, clair et compréhensible qui permette aux consommateurs d'identifier facilement les qualités nutritionnelles des produits, que les produits sains soient accessibles à tous, enfin une amélioration de la qualité des produits.

Au niveau national, nous estimons que les pouvoirs publics doivent également se saisir du problème à bras le corps. Le projet de loi sur la politique de santé publique en cours de discussion nous semble être un outil tout à fait pertinent pour se donner des objectifs concrets en matière de nutrition.

A cet effet, nous nous félicitons d'ailleurs de l'adoption par l'Assemblée Nationale de deux amendements que nous avions suggérés, l'un sur la réduction des teneurs en sel dans l'alimentation, le second sur la suppression des distributeurs automatiques de confiseries et de sodas dans les établissements scolaires.

Nous espérons que le Sénat validera ces positions et prendra la seule mesure qui s'impose en matière de publicité, à savoir ce que nous demandons à l'UFC-Que Choisir : l'interdiction des publicités ciblant les enfants. En effet, la demi-mesure adoptée par l'Assemblée Nationale sur ce dernier point ne nous paraît pas à la hauteur de l'enjeu en matière de santé publique.

M. Alain Costes - Merci beaucoup. Je vais passer la parole, si vous le voulez bien, à Jérôme Bédier.

M. Jérôme Bédier - Merci beaucoup, Monsieur le Professeur. Je vais essayer d'être aussi efficace que Madame Pradelle.

Je pense qu'il y a effectivement la place pour un vrai projet de société autour de l'alimentation. Nous avons en France des acteurs qui sont des acteurs de référence aux différents stades de la filière. Nous avons une excellente recherche qui est connue au plan international, nous avons la plus grande agriculture d'Europe, nous avons l'industrie agroalimentaire la plus forte et la plus exportatrice, et nous avons une distribution qui, on ne le dit pas suffisamment, fait honneur au pays et qui est présente dans tous les coins du monde. L'ensemble de tout cela fait qu'on a des atouts considérables sur cette filière de l'alimentation.

On a en même temps, au fond, un projet qui est de défendre une forme d'alimentation qui n'est pas forcément la forme d'alimentation que connaissent les autres pays, et notamment les traditions plus anglo-saxonnes.

Nous avons une forme d'alimentation qui est fondée sur le produit vivant plus que sur des traitements et des adjonctions ultérieures de substances. Nous avons aussi une forme d'alimentation qui est fondée sur une diète alimentaire très variée, beaucoup plus variée que ce qu'on peut trouver dans d'autres pays avec une grande présence de produits frais. C'est un capital que nous devons préserver et développer.

On s'est d'ailleurs dans le passé bien tenus, si je puis dire, dans ce combat, grâce à deux éléments qui ont défrayé la chronique : le premier, le « french paradoxe », qui nous a permis de montrer que le vin, qui est une tradition, avait un effet positif sur la santé, et l'autre, le régime crétois, qui a mis l'accent sur le côté méditerranéen de notre diète alimentaire.

Mais on ne pourra pas vivre indéfiniment sur ces concepts. Ils ont produit leur effet, nous pensons que maintenant il faut renouveler cela. Il faut ensemble définir ce qui fait le modèle alimentaire à la française ou à l'européenne, ou à l'européenne du sud, il faut voir avec qui on va le faire - parce que je suis d'accord avec Mme Pradelle, c'est au niveau européen que cela se passe - et essayer ensemble d'avancer.

Le premier objectif pour avancer, et, Monsieur le Sénateur Saunier, vous l'avez très bien dit, c'est de créer une vraie culture du produit de l'alimentation chez nos concitoyens. C'est quand même cela la base. Là, on ne peut le faire qu'ensemble. Les agriculteurs, les industriels, les scientifiques et les commerçants qui sont au contact des clients doivent travailler ensemble pour faire qu'il y ait une vraie culture du produit, ce qui n'est pas un combat gagné d'avance. Il y a des tas de familles où l'on perd aujourd'hui de la culture alimentaire plutôt qu'on en gagne.

Si on veut avancer dans ce domaine-là, il faut qu'on se mobilise tous pour expliquer l'intérêt d'une diète équilibrée, l'apport des produits, comment on peut concilier les rythmes de vie actuelle avec une bonne alimentation en s'organisant mieux.

Deuxième point, après la culture du produit et de l'alimentation, il y a derrière cette culture toute une information à donner sur le produit lui-même et son origine. C'est un corollaire de la mondialisation.

On n'a pas besoin de tout mettre sur les étiquettes, mais il faut que le consommateur au moins soit convaincu que celui qui fabrique le produit et celui qui le vend sont au courant - c'est déjà l'élément essentiel - et que s'il veut avoir accès à certaines informations, il puisse le faire relativement facilement.

Après tout, on a mis en place des indications d'origine un peu sous la contrainte pour les filières de viande, comme on l'avait fait pour les fruits et légumes il y a quelque temps. Tout cela marche bien. Nous pouvons continuer à le faire dans d'autres domaines, de manière encore plus générale, et faire en sorte que le consommateur ait des réflexes pour comparer les produits et pouvoir mieux les acheter.

Troisième élément pour intensifier cette culture et cette information, c'est le problème de la transparence. Nous avons bien vu que les crises qu'on a connues - là je parle sous le contrôle des consommateurs - ont été beaucoup liées à l'impression de non transparence qu'ont les consommateurs. Ce n'est pas un hasard si la filière viande apparaissait comme l'une des filières les plus obscures, dans laquelle on ne savait pas très bien ce qui se passait.

Il y a eu un vaste travail de transparence. Les dossiers sont maintenant sur la table et on pense que le retour de la confiance globale que l'on constate dans les magasins et dans les ventes des produits est essentiellement dû à ce phénomène de transparence.

On a fait une sorte de « coming out » de la situation de la sécurité alimentaire dans ce pays, et c'est une bonne chose. Il faut que nous continuions à jouer cette carte de la transparence, c'est-à-dire que nous soyons, sur les différents sujets, capables de continuer à informer et à avancer.

Je terminerai en évoquant deux sujets. Le premier, c'est qu'il nous semble qu'il y a un outil privilégié pour avancer dans ce domaine : ce sont les interprofessions. Les interprofessions ont d'ailleurs fait un très bon travail de communication, d'information et de mise en évidence des bonnes pratiques. Cela a été le cas dans la viande, c'est le cas dans les fruits et légumes. Nous regrettons quelquefois que les interprofessions ne soient pas plus systématiquement mises en valeur ou mises en situation de mieux fonctionner - dans certains cas, d'ailleurs, elles n'existent que de manière restreinte.

Nous regrettons aussi - cela renvoie à un autre débat - de passer beaucoup de temps dans ces filières alimentaires à nous opposer les uns aux autres plutôt qu'à penser ensemble à notre client commun qu'est le consommateur. Si toute l'énergie qu'on met à s'accuser des pires maux, à se traiter de noms d'oiseaux et à aller devant le Parlement obtenir des mesures qui ne règlent d'ailleurs rien, mais qui prennent beaucoup de temps et d'énergie, si tout ce temps-là on le mettait à travailler les produits et à avancer pour le consommateur, nous pensons que tout le monde y gagnerait. Je ferme aussitôt la parenthèse.

Le deuxième élément, c'est que nous pensons que si on veut gagner tous les combats que j'évoquais précédemment, il faut mieux nous organiser au niveau international. Il est vrai qu'en Europe on commence à le faire. Je pense que les acteurs français sont relativement présents en Europe, mais c'est encore perfectible.

Nous devons maintenant, au plan mondial, la table ronde de tout à l'heure y faisait allusion, nous organiser collectivement pour peser à Bruxelles, mais aussi au niveau international, notamment dans le cadre du Codex Alimentarius ou dans d'autres enceintes, pour qu'on ait des experts présents, qu'on se répartisse les tâches, qu'on puisse travailler en commun avec les différents acteurs qui sont concernés par la filière.

Nous avons besoin pour cela de nous voir régulièrement. Les interprofessions permettent de le faire sur les sujets des filières concernées ; sur les aspects scientifiques, l'AFSSA peut contribuer à jouer ce rôle, mais il faut quand même qu'il y ait une enceinte. Si les interprofessions ne fonctionnent pas, on a besoin d'un endroit pour se voir et pour défendre ensemble ce modèle alimentaire à la française ou à l'européenne. En tout cas, nous, en tant que commerçants, sommes prêts à y participer dans les mois qui viennent.

M. Alain Costes - Merci. Si vous le voulez bien, je vais passer la parole immédiatement à Gérard Pascal, qui est déjà intervenu mais souhaite exposer encore quelques points dans cette dernière table ronde.

M. Gérard Pascal - Puisqu'une politique de l'alimentation doit mobiliser tous les acteurs - je pense que l'INRA ne peut qu'approuver - je voudrais vous donner quelques informations sur la façon dont l'INRA souhaite mieux participer à ce débat et mieux apporter sa contribution à une politique de l'alimentation.

Il y a quatre ans, l'INRA a redéfini son projet, son orientation pour les années à venir en construisant le futur sur trois piliers qui sont : une agriculture durable, l'environnement et les territoires, et l'alimentation. A partir de ce choix stratégique, des réflexions ont été mises en place pour savoir comment on allait mobiliser nos chercheurs sur ces trois piliers, ces trois orientations fondamentales, et en particulier dans le domaine de l'alimentation.

Un groupe de scientifiques a été mis en place. Il a produit un rapport. Pour ceux d'entre vous qui souhaiteraient en disposer, ce rapport peut être obtenu en prenant contact avec l'INRA. Il est intitulé « Perspectives pour l'avenir de la recherche en alimentation à l'INRA ».

Ce rapport a mis en évidence quatre défis. Je crois que ce sont vraiment des thèmes très importants qui sont ressortis de toutes les discussions aujourd'hui. Ces quatre défis sont les suivants : développer une compréhension globale du comportement du consommateur - puisque ce ne sont pas seulement les approches de science biologique qui vont régler des problèmes comme celui de l'obésité mais des compréhensions de comportements des consommateurs.

Le deuxième défi, c'était expliquer l'impact des aliments et de l'alimentation sur les fonctions physiologiques et psychologiques de l'homme et sur la préservation de sa santé. On en a largement débattu.

Le troisième défi, c'est évaluer et prévenir les risques dans la filière alimentaire. Cela aussi, on l'a beaucoup évoqué.

Et le dernier, c'est comprendre les mécanismes d'élaboration de la qualité des aliments.

Sur la base de ces défis, l'INRA met en place un programme transversal et ne le met pas en place seul, mais en collaboration. Ce programme fédérateur « alimentation » est constitué de deux actions qui sont couplées.

Une première action est la suite d'une collaboration entreprise avec l'INSERM. L'INSERM avait été le premier à mettre en place une action thématique sur la nutrition. L'INRA s'y est associé il y a deux ans. Un appel d'offres commun a été lancé, des projets sont en cours qui regroupent non seulement des chercheurs de l'INSERM et de l'INRA, mais aussi la recherche hospitalo-universitaire. Ce projet va continuer.

Un appel d'offres va être prochainement lancé. Ce sera un appel d'offres largement diffusé, qui fait appel à tous ceux qui souhaitent participer, dans le domaine de la nutrition humaine, à cette action commune entre l'INSERM et l'INRA. Une somme non négligeable de 500.000 euros est attribuée à ce projet pour cette année, certainement à peu près la même chose pour l'an prochain. Cela, c'est le premier volet qui concernera essentiellement la nutrition humaine et les déterminants biologiques de la prise alimentaire, mais moins les déterminants socio-économiques.

Le deuxième volet de ce programme fédérateur concernera le comportement du consommateur dans ses approches socio-économiques (et donc les sciences humaines et sociales).

Il concernera également la compréhension des écosystèmes microbiens : les aliments fermentés, un autre écosystème microbien, le tube digestif de l'homme. Les approches scientifiques doivent être communes sur des problèmes extrêmement complexes liés à l'écologie microbienne.

Le troisième sous-thème dans cette action sera la construction de la qualité. On a beaucoup parlé de la fourche à la fourchette ou de la ferme à l'assiette, on n'a pas beaucoup parlé d'une approche qui, pour nous, semble fondamentale : celle de l'assiette à la ferme.

C'est en fait, pour le chercheur et pour le technologue, la question de savoir comment on peut, en partant des attentes, des désirs, des souhaits des consommateurs, construire la qualité que le consommateur attend, la construire à chacun des niveaux de la transformation, y compris en remontant jusqu'à la production agricole, donc à l'agronomie et à l'élevage. Il y a une réflexion à engager dans ce domaine et elle doit être pluridisciplinaire.

Enfin, le dernier aspect, ce sera l'analyse et la réduction du risque alimentaire dans le domaine microbiologique, le domaine chimique devant être abordé en collaboration avec l'INSERM.

Cela représente un budget d'un million d'euros pour cette année, sans doute autant l'année prochaine, avec un co-financement de l'INSERM. Si d'autres organismes souhaitaient se joindre à nous, ils seront évidemment les bienvenus. Cette action, je tiens à le répéter, n'est pas limitée aux équipes de l'INRA et aux équipes de l'INSERM, mais ce seront des appels d'offres très largement ouverts à toutes les équipes qui souhaiteront participer.

Je crois que l'objectif majeur, c'est d'être plus lisible au niveau de la recherche en alimentation, de mieux intégrer les différents maillons de la chaîne et de permettre déjà, au moins chez nous - mettons de l'ordre dans notre boutique - de mieux intégrer les recherches de façon pluridisciplinaire entre des agronomes, des technologues, des nutritionnistes et des chercheurs en sciences de l'homme et de la société. Ce sera notre petite pierre à l'édifice.

M. Alain Costes - Merci. Cela va tout à fait dans le sens de ce qu'indique le rapport du Sénateur Saunier.

Si vous me permettez, simplement, une petite réaction. Ce serait encore mieux si on franchissait un tout petit pas de plus, qui consisterait à dire qu'il serait nécessaire que ces projets soient menés par ces équipes pluridisciplinaires sur un lieu unique sur lequel ils partageraient la cafétéria, la bibliothèque, etc... Pour une raison très simple : on a une telle différence de culture, de formation, par exemple entre les sciences humaines et sociales et les autres secteurs que pour pouvoir véritablement travailler ensemble, il faut qu'on soit dans le même lieu, qu'on soit réunis pour une durée déterminée - c'est-à-dire pour la durée du projet - et qu'ensuite on regagne les laboratoires d'origine. Je crois qu'il faut pousser de ce côté-là.

M. Gérard Pascal - J'avais voulu gagner une minute, mais nous participons avec nos collègues recherche universitaire, INSERM et CNRS, quand le CNRS est sur place, au fonctionnement des centres de recherche en nutrition humaine, qui sont justement des lieux où les différentes équipes se retrouvent et des lieux qui cristallisent la formation.

Je ne l'ai pas évoqué, mais on peut y monter des formations depuis la licence jusqu'à la formation doctorale. Ces lieux existent, ils ne sont pas nombreux. On pourrait peut-être les multiplier, les régionaliser un peu mieux. On va continuer à travailler dans ce sens.

M. Alain Costes - Merci.

Suite à ce que vous avez dit, je vais donner immédiatement la parole à Dominique Langin, de l'INSERM, puisqu'en fait l'INSERM a été mis en avant dans ce que vous avez dit.

M. Dominique Langin - Parfait, cela va compléter l'intervention de Gérard Pascal. Je vais insister sur deux aspects ; d'abord la politique de recherche en nutrition de l'INSERM, et puis dans un deuxième temps, la dimension européenne de cette recherche.

Evidemment, par sa mission en recherche médicale et en santé publique, l'INSERM a pour vocation de s'intéresser aux pathologies liées à la nutrition.

L'importance de cette recherche, on l'a vu dans l'exposé qui reprend en fait le rapport, est bien démontrée par l'évolution de l'obésité en France et en Europe. L'INSERM s'intéresse aux différents aspects qui vont de l'épidémiologie aux mécanismes biologiques en passant par la génétique. Il y a des équipes pratiquement sur toute la France dans ces domaines.

On a vu que le problème était double. C'est un problème à la fois de prévention du développement de l'obésité, avec des taux qui atteignent maintenant 10 % de la population française chez les adultes, qui passeront à 15/20 %, même si on espère freiner cette évolution, et de traitement des personnes qui sont déjà obèses.

Il y a le double aspect de la prévention et du traitement, en particulier du traitement des enfants, et du traitement de cette sous-fraction de la population obèse, qui est massivement obèse, et dont les risques associés en matière de pathologie sont extrêmement importants, comme vous le savez, en matière de diabète ou de maladies cardio-vasculaires.

Un des objectifs est évidemment de comprendre les relations complexes qui existent entre nutrition et développement ou prévention de l'obésité. Cette double quête de la compréhension du développement et de la prévention par la nutrition s'applique également aux maladies métaboliques dans leur ensemble, aux maladies cardiovasculaires et à certains cancers.

Gérard Pascal l'a évoqué, ce type de recherche se conçoit en complément des recherches sur l'alimentation. C'est pour cela que cette année l'INSERM et l'INRA ont décidé de lancer un programme de recherche en nutrition humaine qui fait suite aux actions thématiques concertées qui avaient été lancées il y a deux ans. Je ne vais pas reprendre les points qui ont déjà été évoqués, mais simplement dire qu'en complément de l'INRA, la spécificité de l'INSERM c'est le savoir-faire en termes de pathologies, son implantation dans les hôpitaux et dans les universités pour ce type de recherches.

Le deuxième point, c'est la dimension européenne. Dans les différents programmes-cadres, pratiquement dès le début, et en particulier à partir du quatrième, la place de la nutrition a toujours été importante. Il y a sûrement une raison historique à cela, politique agricole commune, etc... Mais proportionnellement, si l'on regarde l'ensemble des budgets qui étaient dédiés à la recherche, la recherche en nutrition avait une part non négligeable. Donc c'est aussi un enjeu national de coloniser cette part de recherche et d'y être fortement impliqués.

Evidemment, il faut s'interroger sur la nature de ces programmes. Dans le cinquième et le sixième programmes-cadres, les financements portent sur des projets importants qui - je crois que cela a été évoqué - regroupent dix, voire plus, laboratoires dans toute l'Europe, sur des questions relativement précises. L'implication des EPST françaises, de l'INSERM, de l'INRA mais également du CNRS et d'autres, est évidemment essentielle.

En amont, je crois que c'est un point que vous soulignez dans le rapport, Monsieur le Sénateur, peut-être que l'implication, dans la définition des programmes et l'évaluation de ces programmes, de la part des scientifiques français n'est pas assez importante, mais également en aval dans la réalisation et la coordination de ces projets.

Dernier aspect sur ces projets européens ; il semble qu'il y ait encore un effort à faire dans l'adéquation entre les priorités nationales et les priorités européennes.

Concrètement, certaines études ne sont envisageables qu'au niveau européen. On a mentionné les études épidémiologiques qui sont importantes. Il faut également mentionner les études d'intervention nutritionnelle sur le plan clinique chez l'homme quand elles s'adressent à plusieurs centaines de sujets. C'est quelque chose qui est très difficile à faire, à la fois sur le plan budgétaire et sur le plan logistique, essentiellement au niveau français. Il y a déjà plusieurs projets européens qui ont été dans ce sens, en particulier dans l'interface nutrition et obésité.

Il y a également des initiatives bilatérales comme la création par l'INSERM d'un laboratoire franco-tchèque de recherche clinique sur l'obésité, soutenu par l'INSERM et le Ministère des Affaires Etrangères.

Enfin, dans ces projets européens, il est indispensable d'avoir une intégration des PME/PMI et il est également tout à fait souhaitable d'encourager l'implication des grands groupes de l'agroalimentaire. Cela se passe en pratique. C'est encore peu le cas en ce qui concerne les projets de recherche nationaux, où cela reste un peu à la marge. On peut peut-être s'inspirer de ce qui se fait au niveau européen.

En conclusion, le renforcement des relations interorganismes et des relations avec l'industrie et l'implication des programmes européens sont évidemment essentiels pour répondre à la demande de la société en matière de recherche en nutrition humaine.

M. Alain Costes - Merci. Simplement, un commentaire par rapport au dernier point que vous avez souligné à propos de l'Europe : à juste titre, vous avez indiqué qu'on manquait - tous domaines confondus - d'experts français lorsqu'on est dans la définition des programmes, ce qui veut dire que de ce côté-là, on n'est pas bons.

Ce qu'il faut savoir, c'est que lorsqu'un programme est lancé, lorsque le sixième programme a été officiellement lancé, les dés étaient déjà joués à 90 %. Pourquoi ? Parce que ces experts avaient défini au départ les thématiques qu'ils considéraient comme importantes et sur lesquelles ils allaient pouvoir intervenir.

Si je me permets de faire cette remarque en ricochet de ce que vous avez dit, c'est qu'aujourd'hui déjà, le septième programme-cadre est en cours de définition. Cela veut dire qu'aujourd'hui, il y a déjà des experts qui se réunissent pour définir ce que vont être les thématiques du septième programme-cadre, dont on sait déjà qu'il va avoir une définition globale différente du sixième et qu'il va être beaucoup plus axé sur les plates-formes qu'il n'est axé aujourd'hui sur les réseaux.

Cela veut dire qu'il est temps qu'on soit présents au niveau des experts, que les directions se réunissent déjà - il y a déjà eu des dizaines de réunions - pour définir les thématiques qui seront celles du septième programme-cadre. Cela va tout à fait dans le sens de ce que vous avez dit, il est temps de s'y mettre. On est déjà même un peu en retard, à mon point de vue.

Si vous le voulez bien, on va passer la parole tout de suite à M. François Coindreau, de l'ANIA.

M. François Coindreau - Merci. Je suis là en ma qualité de président de la Commission qualité de l'ANIA.

Vous nous avez demandé tout à l'heure d'essayer de faire passer un seul message. Si j'avais un message à faire passer, ce serait que l'industrie alimentaire a peut-être quelque chose à dire sur les questions de sécurité alimentaire, d'alimentation et de nutrition. Elle aimerait être de temps en temps écoutée, et parfois même entendue.

Nous croyons avoir une meilleure connaissance du consommateur que beaucoup, parce que c'est lui qui nous fait vivre en achetant nos produits, et surtout en les réachetant. Je pense que notre apport au débat peut ne pas être négligeable.

L'industrie souhaite aussi participer à la mise en oeuvre des solutions dans son domaine de responsabilité.

Je voudrais prendre l'exemple de l'obésité dont on parle beaucoup, à juste titre, en ce moment. Le Professeur Guy-Grand parlait tout à l'heure de la nécessité d'une action concertée de tous les acteurs. Je ne peux que l'approuver.

Je ne peux malheureusement que dire que dans ce domaine, on est mal partis. On est mal partis parce que dans le débat actuel une large partie de la presse, une bonne partie des politiques, parfois même quelques secteurs de nos administrations ont trouvé un bouc émissaire facile, vulnérable dans l'industrie alimentaire, et qu'on assiste à une diabolisation d'un certain nombre de produits. Conséquence de cela, on s'oriente vers une politique de prohibition qui n'est pas encore suffisante, semble-t-il, aux yeux de certains.

Nous disons que cette politique n'est pas efficace, en nous appuyant sur un certain nombre d'exemples étrangers dont il est dommage qu'on ne s'inspire pas. Plus grave, cette politique peut être une excuse facile pour ne pas s'attaquer vraiment aux sujets difficiles que sont les questions d'éducation, et non seulement d'éducation nutritionnelle, mais d'éducation dans les modes de vie.

L'industrie regrette qu'on ne l'écoute pas, que parfois même on refuse de l'entendre, mais elle va de toute façon prendre sa part du problème.

D'abord un travail important de reformulation des produits est en cours chez une grande partie des industriels pour justement - on l'évoquait dans la table ronde précédente - mieux prendre en compte la dimension nutritionnelle des produits qui, il faut bien le dire, jusqu'il y a quelques années, était un élément négligé dans le développement des recettes.

Mieux prendre en compte cette dimension nutritionnelle, avec pour limite le fait que le premier objectif qu'on cherche est d'avoir des produits qui plaisent. Contrairement à ce que pensent certains, l'objectif de l'industrie alimentaire n'est pas de vendre du sucre, de la matière grasse ou du sel, c'est de vendre des recettes.

Et dans un certain nombre de cas, pour qu'elles plaisent, il faut qu'elles soient sucrées, il faut qu'elles aient de l'onctuosité, donc de la matière grasse. On peut certainement prendre en compte la dimension nutritionnelle, faire des progrès dans ce domaine, mais il y a des limites en termes de goût, et aussi accessoirement, des limites en termes de technologie.

Je crois que toute l'industrie alimentaire est en train de prendre acte du fait que la préoccupation nutritionnelle devient une préoccupation majeure des consommateurs.

On dit beaucoup de mal du marketing mais une chose reste vraie, c'est que les gens qui font du marketing ne sont pas des imbéciles. Quand ils ont identifié un besoin, une préoccupation des consommateurs, qui peuvent créer un avantage compétitif pour leur produit, ils n'hésitent pas à l'utiliser et la valeur nutritionnelle va certainement devenir un élément croissant de choix du consommateur, le goût restant de toute façon, quand même, l'élément principal.

Le corollaire de notre conviction, selon laquelle il faut continuer à laisser le consommateur libre et responsable de ses choix, c'est qu'il doit être mieux informé. Là, je crois qu'on rejoint beaucoup de commentaires qui ont été faits.

Il y a des progrès à faire en matière d'information des consommateurs, et d'information nutritionnelle, en particulier sur les étiquettes, sur les emballages. Mais là, parfois, il y a des problèmes concrets de limite de place, et des problèmes plus difficiles de sélection des informations pertinentes parce que trop d'information tue l'information. Il y a aussi d'autres moyens d'informer.

De toute façon, aujourd'hui, la position de l'ANIA, en l'occurrence, est d'encourager l'information nutritionnelle, même quand elle n'est pas obligatoire. Je crois d'ailleurs qu'à terme elle le sera pratiquement pour la plupart des produits.

Autre chose, l'industrie croit à l'autodiscipline et a fait dans ce domaine un certain nombre de travaux, de recommandations aussi bien en matière de publicité qu'en matière de formulation des produits ou en matière de communication nutritionnelle qui, je crois, seront d'autant mieux suivies qu'elles sont librement consenties.

Dernier point, et là aussi je rejoins un certain nombre de choses qui ont été dites auparavant, une des grandes chances que nous avons, c'est que nous avons une culture alimentaire, un patrimoine alimentaire qu'il faut enrichir, défendre parce que finalement un des meilleurs garde-fous contre les dérives de comportements alimentaires, c'est la prise en compte du goût, du plaisir. L'alimentation n'est pas seulement une absorption fonctionnelle de nutriments, c'est d'abord du goût, du plaisir, de la convivialité, de la culture.

M. Alain Costes - Merci beaucoup. Je pense que le message prioritaire que vous avez souhaité faire passer, c'est que l'industrie alimentaire soit écoutée.

Ce que je souhaite rajouter tout simplement, c'est que dans le débat d'aujourd'hui, la parole a été largement donnée à l'industrie alimentaire. Je crois que c'est un point sur lequel il faut insister. Je veux dire par là qu'aujourd'hui l'industrie alimentaire qui souhaitait s'exprimer a pu s'exprimer, a pu donner ses idées, a pu exposer ses convictions. Je crois qu'on doit rendre hommage aux organisateurs qui ont justement su faire intervenir tous les acteurs, le consommateur, le scientifique, le transformateur, l'industriel.

La deuxième remarque, si vous le permettez, on l'a dit mais pour ma part vous venez de me le faire découvrir : on parle d'une meilleure information du consommateur, mais très souvent, pour être un consommateur moi-même, on va très vite, on revient, on repart. Je crois que la solution à ce phénomène-là - pas la seule, mais une solution - c'est de commencer réellement l'éducation.

C'est un problème d'éducation, il faut apprendre aux jeunes tout ce qu'est le nutritionnel. Tout à l'heure, quelqu'un a dit, lors de la table ronde précédente si mes souvenirs sont exacts, que des travaux avaient été faits, et on nous a dit, et cela m'a frappé, que les résultats étaient sur le site Internet du ministère de la Santé. Mais les enseignants ne vont pas aller sur ce site mais sur celui du ministère de l'Education nationale.

Là aussi, il faut que tous les acteurs, le ministère de la Santé, le ministère de l'Education Nationale travaillent ensemble, de telle manière qu'au niveau de l'éducation, qui est du ressort de l'Education Nationale, ce problème soit pris comme un véritable problème de société. C'est à ce niveau-là, je crois, qu'il faut prendre le problème. Parce que les enfants en parleront à leurs parents immédiatement. Je crois que cela a été le même cas pour les sciences de la technologie, de l'information et de la communication. Ce sont les jeunes qui ont appris aux parents à se servir des ordinateurs, des micro-ordinateurs, etc...

M. François Coindreau - Pour conforter ce que vous venez de dire, l'expérience EPODE démontre superbement que l'éducation des enfants à l'école primaire a un impact majeur, significatif en tout cas, sur l'évolution de l'obésité et qu'à travers les enfants on modifie aussi la façon de se nourrir des parents.

M. Alain Costes - Merci. Donc voyez, on va aller dans le sens que vous demandiez, on va donner la parole à l'industrie alimentaire.

Monsieur Mignot, vous êtes intervenu ce matin parmi les premiers, que retenez-vous de cette journée par rapport à votre intervention de ce matin ?

M. Olivier Mignot - C'est un petit peu dans ce sens que j'allais aller pour éviter de répéter mot pour mot ce que vient de dire M. Coindreau, propos auxquels nous souscrivons absolument.

Il y a peut-être deux éléments que je retiens par rapport à cette journée et aux différents points que j'ai évoqués ce matin, qui, comme vous l'aurez sans doute compris, traitaient de l'évolution des perspectives technologiques et scientifiques liées à la qualité et à la sécurité des aliments, mais aussi soulignaient en filigrane la politique en matière de qualité et de sécurité à laquelle nous croyons, à laquelle nous adhérons et que nous pratiquons chaque jour. Pour nous, la politique de demain, c'est déjà la politique d'aujourd'hui.

Les deux éléments sur lesquels j'aimerais brièvement revenir, c'est un élément qui a été évoqué par M. le Ministre, qui est de remettre la science à sa juste place. Je pense que la science a beaucoup souffert, parfois peut-être à raison mais souvent à tort, d'un certain nombre d'événements qui se sont produits, qui ont touché à la fois à la sécurité et à la qualité des aliments notamment.

Je pense qu'il est très important qu'on arrive à remettre la science à sa juste place et pour cela on a besoin de deux éléments fondamentaux ; le premier ce sont des moyens - et je crois que cela a été largement évoqué ce matin.

J'aimerais juste donner quelques chiffres. On a mentionné le monopole ou l'oligopole des industries agroalimentaires. Nestlé est le premier groupe agroalimentaire dans le monde, il représente en chiffre d'affaires pas tout à fait 2 % du chiffre d'affaires global de l'agroalimentaire. Vous voyez que c'est un monopole qui est quand même très relatif.

Par rapport à cela, nous dépensons annuellement un budget recherche & développement qui est de l'ordre de 1,3 %, c'est-à-dire légèrement au-dessus de la moyenne qui a été évoquée tout à l'heure. Il est intéressant de dire que ce budget représente le budget global de l'ensemble de l'Europe dans le domaine agroalimentaire.

Je pense que lorsqu'on parle de moyens, il est important que ces moyens, dans l'effort collectif qui a été appelé de vive voix par le Professeur Guy-Grand tout à l'heure, soient partagés et qu'en conséquence les moyens qui sont mis à disposition notamment du public, soient considérablement renforcés, comme il a été évoqué tout au long de la journée, et que l'on puisse une fois pour toutes dépasser - vous l'avez également appelé de vos voeux Monsieur Costes - ce fameux dilemme ou cette fameuse bataille, ou discussion, entre recherche publique et recherche privée qui est totalement infructueux et improductif.

Le deuxième élément sur lequel j'aimerais revenir et qui a été évoqué à l'instant par M. Coindreau, mais que j'aimerais illustrer, concerne la qualité des produits. Je l'ai mentionné dans mon premier transparent ce matin, la qualité des produits, ce n'est pas simplement leur sécurité, ce n'est pas simplement leur valeur nutritionnelle, mais ce sont l'ensemble des aspects sociaux, sensoriels (c'est-à-dire gustatifs) et qui touchent à la santé. Nos efforts seront couronnés d'autant plus de succès que nous saurons concilier ces trois éléments. Les trois doivent aller de pair.

C'est exactement la direction dans laquelle l'industrie agroalimentaire s'est engagée déjà depuis plusieurs années. Il y a encore des choses à améliorer.

Nous avons de ce fait une initiative qui, en interne, s'appelle « 60-40+ », c'est du jargon interne, ne vous affolez pas. Cette initiative vise précisément à revoir ou à reconsidérer l'ensemble de nos produits sur l'ensemble de nos marchés - c'est-à-dire une initiative qui couvre le monde entier, et pas seulement l'Europe ou la France - dans cette perspective-là de façon que l'un des éléments ne soit pas privilégié par rapport à l'autre, mais que les trois éléments soient mis en balance pour réellement proposer au consommateur une offre qui réponde à ses besoins. On a déjà obtenu quelques succès dans ce domaine-là et on espère continuer.

Juste un petit exemple : vous avez sans doute constaté, ou vous le savez peut-être, qu'en France les yaourts allégés aux fruits ont dépassé aujourd'hui, en termes de vente, les yaourts aux fruits traditionnels, ce qui montre bien que l'on peut concilier à la fois des produits qui, nutritionnellement parlant, procurent un certain bénéfice santé à une certaine catégorie de consommateurs, et en même temps ont des qualités gustatives et des qualités de prix qui permettent leur mise à disposition vis-à-vis d'un grand nombre de consommateurs. On arrive à concilier ces trois éléments. Voilà les deux éléments sur lesquels je voulais revenir.

M. Alain Costes - Merci beaucoup.

Si vous le voulez bien, on va terminer ce tour de table ronde par M. Thierry Klinger, directeur général de l'alimentation du ministère de l'Agriculture.

Monsieur le Directeur général, vous avez la parole...

M. Thierry Klinger - Merci, Monsieur le Président. Je suis dans une situation assez originale et inhabituelle parce qu'en général un préfet ou un directeur général ne parle pas après son ministre. Or, c'est le ministre qui a fait l'ouverture ce matin. Je me sens néanmoins autorisé à le faire d'autant que je n'étais pas totalement innocent dans le message qu'il vous a fait parvenir puisque nous l'avons en partie élaboré ensemble.

Je voudrais revenir très rapidement sur un ou deux points. Tout d'abord, pour bien resituer les responsabilités de la direction générale de l'alimentation par rapport à la sécurité alimentaire, et dire qu'autant nous nous sentons totalement responsables de la sécurité alimentaire sous tous ses aspects - ils ont été largement rappelés - et trois thèmes restent principalement des thèmes centraux : la microbiologie, les résidus et les risques liés à la transformation et à la distribution de l'alimentation - autant nous avons également à répondre aujourd'hui à de nouvelles attentes.

Je crois qu'en matière de nutrition, ces attentes ont en partie été évoquées dans la journée.

Attentes liées à l'origine géographique des produits : le consommateur aujourd'hui veut savoir d'où vient son alimentation.

Attente sur les modes de production. Je crois que là on rejoint toute la problématique sur ce qu'est aujourd'hui l'agriculture raisonnée, respectueuse de l'environnement. Cela a été évoqué par vous-même également il y a encore peu de temps. Le bien-être animal a-t-il sa place dans les conditions d'élevage, etc... ?

Là je crois qu'il faut bien voir qu'on arrive à une image assez complexe du produit pour le consommateur, qui intègre toutes ces notions. Il veut tout cela en plus de la sécurité.

Mais autant le rôle de l'État est de lui assurer la sécurité dès le premier prix - je rappelle toujours que notre doctrine est de ne pas réserver une meilleure sécurité alimentaire à des filières soit bio, soit de luxe, soit d'appellation d'origine ou autre ; la sécurité doit être au niveau voulu dès le premier prix.

Là où l'État conserve son rôle, c'est d'assurer la loyauté de tout ce qui est dit à ce sujet. En particulier, en termes d'étiquetage, en termes d'allégations, qu'elles soient d'origine, de mode de production ou de santé, que ces allégations puissent être vérifiées et ne soient pas une simple tromperie sur la marchandise. C'est plus le rôle de mon collègue, Benoît Parlos, à la direction générale de la consommation, de veiller à cela qu'à nous, mais nous y avons notre place, en particulier dans la mesure où nous sommes appelés à certifier des filières.

Je crois qu'il faut bien voir que ces deux directions sont complémentaires mais ne se confondent pas totalement.

Je voulais faire une observation au sujet de la présentation que vous avez faite dans votre rapport, Monsieur le Sénateur, et dire en particulier que j'ai trouvé trois idées fortes en le feuilletant - rapidement, puisque j'en ai pris connaissance aujourd'hui.

L'importance que vous accordez au risque postérieur à l'achat. C'est un domaine fondamental dans l'ensemble de l'épidémiologie accidentelle constatée, puisque c'est quand même la raison numéro un des intoxications particulièrement collectives dans ce pays.

La réflexion très forte que vous avez conduite - nous en avions parlé au moment où vous m'avez auditionné, mais je vois que d'autres l'ont fait également - sur le seuil de toxicité. Je crois qu'il faut vraiment qu'on amène nos concitoyens à réfléchir sur la notion de seuil de détection, seuil de quantification et seuil de risque. Où commence le danger ? J'ai expliqué au Ministre que je ne voulais pas que les problèmes de produits phytosanitaires se réduisent à un programme que j'ai baptisé « Picogramme dans la purée » ! Le picogramme dans la purée, c'est intéressant mais on ne peut pas résumer toute la problématique à la recherche du picogramme dans la purée.

Enfin, également, j'ai apprécié que vous ayez bien reposé la problématique de la loi de 1998 sur les séparations entre la gestion et l'évaluation.

Sur les responsabilités dans le domaine de la nutrition, beaucoup en ont parlé mais je voudrais revenir là aussi à une réflexion de bon sens. Autant l'État a des possibilités et un rôle important en matière d'éducation sanitaire, d'éducation tout court, autant les familles, le comportement individuel, les responsabilités individuelles gardent leur place. Nous ne sommes pas dans un État totalitaire, et en tout cas ce n'est pas la DGAL qui va pouvoir imposer des diètes alimentaires qui ne tiendraient pas compte de nos modes de vie.

Je ne résiste pas au plaisir de vous dire que je fais partie de ces Français qui essayent de prendre de bonnes résolutions. En ayant divisé par 7 ou 8 ma consommation de tabac, au bout de trois mois je me suis aperçu que j'avais pris quatre kilos. Evoquant cela avec un professeur de médecine générale de mes amis, celui-ci m'a dit, « mon pauvre ami, c'est tout à fait évident, vous n'avez pas augmenté votre besoin calorique, vous avez diminué votre rythme cardiaque, donc c'est un problème de robinet, il rentre la même chose, il en sort moins. Cela fait quatre kilos, maintenant il faut se débrouiller. Ou vous faites plus de sport ou... » Quelle est la solution ? Il me dit « il y en a une qui marche très bien ; c'est le régime BLM ». Je lui dis « ah, je ne le connais pas celui-là. C'est quoi ? » Il me dit « c'est : bouffe la moitié » ! Je crois que le régime BLM illustre qu'on a des responsabilités individuelles dans tout cela. Je crois qu'il ne faut pas tout transférer sur l'État. Je ne puis donc qu'être l'apôtre du régime BLM et de la responsabilité individuelle.

Le Ministre en a parlé mais j'ai entendu que cela avait été réévoqué ; je crois qu'il y a vraiment effectivement un problème de fond dans tout ce qu'on a abordé dans votre rapport et dans les thèmes de la journée, à savoir ce passage d'une société d'autoconsommation et donc de marché local, réduit, de produits bruts à une économie de filière et d'agroalimentaire intégrée.

Cela veut dire aussi qu'il faut en tirer toutes les conséquences, dans la solidarité des acteurs, sur l'appréhension de tous ces problèmes de nutrition. On ne réussira à garantir une politique de sécurité, une politique de qualité et une politique qui économiquement soient satisfaisantes pour les producteurs et le consommateur que si cette solidarité des filières s'institue.

Là, mon voisin évoquait le rôle des interprofessions. Je suis effectivement tout à fait partisan de cela et j'ai un ami qui disait toujours à ses collaborateurs : « toute parcelle d'énergie dissipée à se tirer dans les pneus est perdue pour la mission ! » Je crois que nous devrions avoir tous cette ligne de conduite à l'esprit. On ne bâtit pas une politique efficace dans le domaine de la nutrition en passant le mistigri aux autres, en aval ou en amont. Il faut qu'il y ait des conceptions globales de filière.

S'agissant de la politique de plate-forme qu'évoquait M. le Professeur Costes, je voudrais dire que nous sommes actuellement, avec le Ministre, en train de réfléchir très fortement sur un secteur qui a moins bénéficié de progrès dans les 10/15 dernières années que d'autres, celui du végétal.

On a énormément fait dans le domaine de l'industrie agroalimentaire, en partie sous la pression internationale et parce que l'industrie agroalimentaire s'est fortement impliquée dans l'export et a donc bénéficié de progrès remarquables. On a aussi fait des progrès fantastiques dans le domaine de l'élevage et des produits carnés. L'affaire de la vache folle a permis, en cinq ans, des progrès qu'on aurait peut-être mis trente ans à faire, et on ne les aurait peut-être pas faits.

Je crois qu'aujourd'hui le moment est venu, avec les crises qui défrayent la télévision et la grande presse, notamment à propos des pesticides récemment, de donner la même accélération au progrès en ayant là aussi un souci de traçabilité, de filière et de plate-forme.

Notre volonté aujourd'hui est effectivement de créer une véritable plate-forme de la santé végétale qui soit à la hauteur de la production et des capacités scientifiques  de nos établissements français, en revenant à l'agronomie de façon beaucoup plus forte. Quelqu'un parlait du retour à l'agronomie, et je crois que c'est vraiment un fondamental. Retour à l'agronomie, réflexion sur l'emploi des produits phytosanitaires. Nous avons quand même l'INRA, le CIRAD et bien d'autres centres d'excellence qui sont à la base, si je puis dire, d'une possibilité de progrès fantastique dans ce domaine-là.

Je m'arrêterai là.

M. Alain Costes - Merci beaucoup. Il est 18h10. Je laisse le soin à M. le Sénateur de conclure.

M. Claude Saunier - Oui, quelques mots. D'abord pour vous remercier de votre assiduité, pour remercier tous les participants aux différentes tables rondes qui ont été d'une richesse - je le dis parce que je suis simplement, dans cette affaire-là, un témoin, un enregistreur - exceptionnelle.

Pour vous dire aussi ce que je retire de cette aventure que j'ai vécue depuis maintenant un an, n'étant ni industriel, ni chercheur, simplement un parlementaire de base, comme un moment important de ma vie parlementaire. Je dégage, de cette expérience et de cette journée, deux ou trois idées.

La première, c'est qu'en attaquant cette question de l'alimentation, on aborde vraiment une question majeure. Il y a des enjeux majeurs : enjeux économiques - je n'y reviens pas -, enjeux sanitaires et je dirais même enjeux de société, pour que les choses soient très claires.

Je crois d'ailleurs que le Ministre, ce matin, avait bien compris quelle était la nature de l'enjeu et que le Premier Ministre, en lui demandant d'élaborer dans les meilleurs délais une politique de l'alimentation pour la France, participait à cette volonté.

Ce que j'ai cru comprendre aussi de nos échanges, c'est que les différents partenaires, les différents acteurs étaient tout à fait sensibles à des évolutions nécessaires, à des remises en cause nécessaires, mais qu'ils attendaient qu'un cap soit donné. J'ai retenu l'idée « Y a-t-il un pilote dans l'avion ? ».

Il y a peut-être plusieurs pilotes qui auraient pu prendre le manche à certains moments au cours des dernières années. Peu importe, le problème n'est pas là. Le problème est de savoir s'il y a aujourd'hui, par rapport à l'attente évidente de la société qui porte sur la qualité des aliments, qui porte sur la santé, qui porte sur la sécurité, de la part des pouvoirs publics non pas la volonté de tout prendre en main, de tout assumer, mais de conduire l'ensemble des partenaires à se trouver et à définir un objectif commun.

En tout cas, ce que je voudrais dire aussi, par rapport au débat qui a secoué notre pays un peu abusivement pendant trois mois, c'est qu'à l'évidence, quelle que soit la question posée, la réponse qui a été apportée, c'est la nécessité de renforcer la recherche. Je crois que maintenant, c'est quelque chose qui a été tout à fait intégré.

L'autre idée que j'ai retenue de cet échange, c'est qu'on ne fera rien sans la transparence de l'information et donc sans une démocratie vivante.

Vous avez fait allusion, Monsieur le Directeur général, à une vision totalitaire. Rien ne serait plus stérile et inefficace qu'une approche totalitaire. La bonne approche, c'est la capacité effectivement du débat et la capacité de mobiliser l'ensemble des acteurs sur un projet qui est reconnu comme d'intérêt collectif.

On a beaucoup parlé au cours de cette journée. On a beaucoup écrit au cours des derniers mois. Je voudrais vous dire, Monsieur le Directeur général, puisque vous représentez ici M. le Ministre, qu'il va falloir passer maintenant de la parole aux actes. En tout cas, les parlementaires du Sénat et de l'Assemblée sont prêts à participer à la réflexion que vous voudrez bien engager et concrétiser par certains actes forts et significatifs.

Merci aux unes et aux autres de votre participation. Peut-être que l'idée qui a été évoquée d'un rendez-vous régulier, permettant aux acteurs de continuer à travailler ensemble, sera reprise par le Ministre.

Merci.

(Applaudissements).

(La séance est levée à 18 heures 20).

Après les crises alimentaires des années 1990, un effort scientifique et technologique marqué a été accompli par les centres de recherche et les industriels pour améliorer la qualité et la sûreté de nos aliments.

Qu'il s'agisse du goût, des services, de la santé ou de la sécurisation, des progrès notables ont été réalisés.

Mais ces progrès ouvrent tout autant de perspectives et soulèvent tout autant d'interrogations scientifiques et de questions politiques.

Dans le contexte de la mondialisation alimentaire, ces avancées scientifiques et technologiques renvoient également à des enjeux de première importance en matière de sécurité sanitaire, de santé, d'identité et d'économie.

L'étude menée par le sénateur Claude Saunier s'efforce de cerner ces enjeux et propose un cadre pour une nouvelle politique de l'alimentation, plus cohérente et plus prospective.

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