2. La pratique : une alternative entre « l'accord sur tout » (52 % des procédures) et la recherche des fautes (42,8 %)
Dans la pratique actuelle, les quatre possibilités prévues par la loi de 1975 se ramènent à une alternative entre le consentement mutuel, qui suppose « l'accord sur tout » et la recherche des fautes.
a) Le consentement « mutuel » et les violences ou les pressions conjugales : les leçons à tirer de la situation actuelle
Partant d'un simple constat statistique -52 % de divorces par consentement mutuel-, on peut être tenté de conclure que ce dispositif fonctionne de manière satisfaisante.
Des associations de femmes s'interrogent cependant sur le fait que, parmi les 120 000 couples qui divorcent chaque année, plus de 65 000 parviennent à s'accorder parfaitement à la fois sur le principe et les modalités de leur séparation.
Votre délégation a eu l'occasion d'attirer l'attention sur le fait qu'un certain nombre de divorces par consentement mutuel « se passent un peu trop bien ». Elle rappelle que le consentement mutuel suppose un équilibre entre les époux et un accord des volontés qui ne doit être obtenu ni par la menace physique, ni par le chantage affectif et financier.
Il est donc essentiel, pour que les procédures de divorce se déroulent dans des conditions d'équilibre conformes à la loi, de tenir compte de l'incidence des violences au sein du couple.
Ce thème a fait l'objet d'un rapport conjoint du ministère de la Justice et du secrétariat d'Etat aux Droits des femmes et à la Formation professionnelle en octobre 2001. Le document indique, dans une perspective de droit comparé, que « la France dispose d'une législation très complète qui permet de réprimer ce phénomène de violence conjugale ». En matière de divorce, le rapport évoque notamment les mesures d'urgence prises, conformément à l'article 257 du code civil, par le juge aux affaires familiales qui peut autoriser la résidence séparée des époux dès le dépôt de la requête initiale.
Votre délégation estime néanmoins parfaitement fondées les dispositions du projet de loi prévoyant l'éloignement du conjoint auteur de violences du domicile conjugal (cf. infra).
Ce nouveau dispositif repose, en effet, sur la connaissance plus précise des violences conjugales apportée par les résultats de l'enquête nationale sur les violences envers les femmes dont l'enseignement majeur est qu'en 2000 près d'une femme sur dix avait subi des violences de la part de son conjoint , qu'elles soient verbales, psychologiques, physiques ou sexuelles, au cours des douze derniers mois .
Votre délégation, en prenant connaissance de l'analyse statistique des jugements de divorce réalisée par le ministère de la Justice, avait eu l'occasion de constater qu'aucune des 89 pages de ce document (publié en 1999 et qui sert toujours de référence), ne mentionne les faits de violences conjugales. Elle renouvelle sa recommandation : il conviendrait, sans aller jusqu'à instaurer un « casier conjugal », d'adapter, à l'avenir, l'appareil d'analyse statistique au recensement et à la détection des faits constitutifs de violences conjugales .
b) En pratique, la législation canalise vers la faute une initiative principalement féminine
D'après l'analyse statistique conduite en 1999 par le ministère de la Justice sur les jugements de divorce prononcés en 1996, « l'épouse demande le divorce dans trois procédures contentieuses sur quatre » : plus précisément, la proportion est de 75,4 % dans les divorces pour faute, tandis que l'on constate un quasi-équilibre hommes/femmes dans le cas de divorces par conversion de séparation et pour rupture de la vie commune (respectivement 55,2 % et 45,7 % d'initiatives féminines dans des procédures qui ne représentent globalement que moins de 4 % des 120 000 divorces annuels).
Votre délégation s'est efforcée, au cours de ses travaux antérieurs, de rechercher la signification de cette initiative féminine dans le divorce pour faute. D'après les praticiens du droit, les femmes qui demandent le divorce pour faute mettent généralement en avant des griefs précis à l'encontre de leur époux (adultère, alcoolisme, violence, mauvaise gestion financière), tandis que, dans la plupart des cas, les hommes font état d'un désaccord global pour justifier une rupture.
Votre rapporteur estime également, qu'en règle générale, les femmes ont, plus que les hommes, le courage de l'initiative du divorce parce qu'elles s'investissent de manière plus intense dans le mariage et en subissent, très directement, les dysfonctionnements au quotidien .
Dans ces conditions, votre délégation estime ainsi qu'un certain rééquilibrage dans la répartition des rôles, à l'intérieur du ménage, ne pourra qu'avoir des effets bénéfiques sur la stabilité des couples.
Au total, votre rapporteur observe ainsi que, contrairement à l'intention du législateur de 1975, qui souhaitait instituer un « divorce à la carte », le choix des époux est, en pratique, limité : à défaut d'accord total sur les points les plus sensibles de la séparation (l'affectation du logement, la garde des enfants, le montant de la pension alimentaire et de la prestation compensatoire), les procédures de divorce sont canalisées vers le divorce pour faute, c'est-à-dire la « guérilla » des preuves et des attestations.
Les conséquences de cette situation sont préjudiciables à plusieurs titres :
- au plan humain, le processus de recherche des torts inhibe d'éventuelles possibilités de réconciliation ;
- au plan financier, le législateur de 1975 a souhaité détacher le plus possible de la faute la répartition des droits pécuniaires après-divorce, en observant que le système antérieur « excitait les époux à la belligérance ». Cependant, la focalisation sur la faute continue aujourd'hui de détourner l'attention portée à l'estimation précise des biens revenant à chacun des époux et à l'évaluation de leurs besoins respectifs, alors que le salaire des femmes est en moyenne de 25 % inférieur à celui des hommes et que, dans 92 % des cas, les femmes ont la garde des enfants et donc la charge financière la plus lourde ;
- en ce qui concerne les hommes, votre rapporteur juge également la situation actuelle insatisfaisante : les torts exclusifs qui leur sont attribués résultent dans 30 % des cas, comme l'avait rappelé à votre délégation le Professeur Dekeuwer-Défossez, d'un jugement par défaut. En effet, dans un nombre significatif de cas, les épouses bénéficiant de l'aide juridique engagent des procédures de divorce pour faute à l'encontre de maris qui, bénéficiant moins fréquemment de cette aide, ne souhaitent pas se défendre lorsque les enjeux financiers sont limités.
Avant 1975, l'absence de rupture par consentement mutuel imposait aux époux de simuler les torts pour obtenir le divorce. Vingt-cinq ans plus tard, votre délégation a constaté que la « comédie judiciaire », même si elle a évolué, n'a pas été totalement réduite, puisque subsistent à la fois de faux consentements mutuels et des conflits artificiellement exacerbés ou invoqués.
En définitive, votre délégation s'accorde à reconnaître que la focalisation sur les causes de la séparation détourne les esprits de la préparation et de la préservation de l'avenir et qu'en particulier les enfants ont tout à gagner d'une amélioration du climat du divorce.