2. La suppression des abattements facultatifs locaux peut accroître la charge de l'Etat
La politique nationale d'allègements de taxe d'habitation en fonction du revenu du contribuable a en effet été mise en place sans coordination avec la politique antérieure des abattements qui assurait elle aussi une certaine personnalisation de la taxe d'habitation et réduisait son caractère régressif par rapport au revenu.
Les collectivités locales peuvent voter à titre facultatif deux abattements à la base , l'un général concernant l'ensemble des contribuables au titre de leur résidence principale, le second spécial concernant les seuls contribuables dont le revenu n'excède pas la limite prévue pour les exonérations 24 ( * ) . Ces abattements sont définis sous forme d'un pourcentage de la valeur locative moyenne (VLM) des locaux d'habitation de la collectivité intéressée.
Un exemple permet de comprendre comment joue l'abattement général à la base. Supposons qu'une collectivité ne comprenant pas de résidences secondaires 25 ( * ) vote un abattement général à la base de 20 % de la VLM. Les bases d'imposition de toutes les résidences principales diminueront donc d'un même montant (soit 20 % de la VLM), mais la réduction en pourcentage sera d'autant plus élevée pour une résidence que celle-ci a une base brute plus faible, ce qui avantage relativement les contribuables occupant des logements modestes.
Toutefois, le vote de l'abattement a également pour résultat de réduire globalement les bases d'imposition de la collectivité de 20 %. Celle-ci sera donc obligée de relever son taux d'imposition de la taxe d'habitation de 25 % 26 ( * ) si elle veut conserver son produit fiscal antérieur. Le vote de l'abattement de 20 % et le relèvement concomitant du taux de taxe d'habitation de 25 % auront un effet neutre sur l'imposition d'un contribuable dont la résidence a une valeur locative brute juste égale à la moyenne, réduiront les cotisations des contribuables disposant de logements modestes et accroîtront celles des occupants de logements à forte valeur locative. L'abattement à la base exerce ainsi un effet fiscal redistributif au sein de la collectivité considérée en faveur des contribuables de conditions modestes .
Comment cette politique de redistribution fiscale locale se combine-t-elle avec une politique nationale visant à alléger les cotisations de taxe d'habitation des contribuables à faible revenu ? Il est probable que les contribuables bénéficiant de ces allègements fiscaux sont également ceux profitant le plus des abattements à la base. Plus les abattements locaux sont élevés, plus les bases nettes de ces contribuables sont réduites, moins le montant des exonérations et dégrèvements d'Etat sera élevé : Il y a donc substituabilité entre dégrèvements d'Etat et abattements à la base locaux.
Il suffit alors à une collectivité locale de mettre en oeuvre une politique de suppression des abattements facultatifs à la base, inverse de celle présentée ci-dessus, pour en reporter la charge sur l'Etat. La suppression de l'abattement à la base entraîne une augmentation des bases nettes et permet, le cas échéant 27 ( * ) , une réduction du taux de la taxe d'habitation. Le relèvement sensible des cotisations des redevables ayant des logements modestes est compensé par l'accroissement des exonérations et dégrèvements d'Etat. Quant aux contribuables disposant de logements à valeur locative élevée, la baisse des taux, si elle est votée, compense les effets du relèvement de leurs bases nettes ! L'exposé des motifs de la délibération du Conseil municipal d'une grande ville en 2002, présentée dans l'encadré ci-dessous, montre que ce mécanisme de transfert de charges est parfaitement compris des élus locaux avertis.
Les raisons de la suppression de l'abattement à
la base
(DCM de la ville de R. du 17 juin 2002)
« L'abattement à la base dont le taux résulte d'un ancien système fiscal et qui s'applique à une valeur locative moyenne communale, elle-même sans lien avec la réalité est devenu une référence dépassée.
Par ailleurs, compte tenu de la vétusté du système de calcul de la taxe d'habitation et de l'augmentation constatée au plan national de cet impôt (...), l'Etat a progressivement instauré depuis une quinzaine d'années un système de réduction de cet impôt en fonction des revenus imposables des contribuables.
L'abattement à la base qui à l'origine revenait à ne pas imposer les contribuables dont la valeur locative était inférieure à un certain niveau de loyer, n'a donc plus de justification sociale dans la mesure où chaque contribuable ayant des revenus modestes ou moyens acquitte aujourd'hui une taxe d'habitation selon sa capacité contributive.
Enfin en matière financière, la suppression de l'abattement à la base va permettre à la Ville de bénéficier d'une majoration de la compensation fiscale versée par l'Etat pour les exonérations totales de taxe d'habitation accordées à certains contribuables. Cette majoration résulte tout simplement du mécanisme de compensation qui est fonction des bases nettes exonérées de l'année précédente et du taux de taxe d'habitation de 1991 : la suppression de l'abattement à la base en augmentant les base nettes exonérées de ces contribuables, majore donc la compensation de façon automatique. Avec une suppression de l'abattement à la base en 2003, l'effet de cette compensation interviendra à partir de 2004 » .
La baisse concomitante du taux communal de taxe d'habitation (DCM du 15 mars 2003)
« ... Par délibération du 17 juin 2002, vous avez décidé de supprimer l'abattement général à la base de 15 % de la taxe d'habitation. Ceci a pour effet automatique d'en augmenter les bases... Il est donc proposé de rapprocher le taux de la taxe d'habitation de la moyenne des taux constatés dans les villes de la même strate démographique ».
(Le taux voté en 2002 soit 21,75 % est abaissé à 20,43 % en 2003.)
Ce type d'optimisation fiscale peut être apprécié sous différents angles :
Il montre d'abord l'insuffisance du mécanisme de gel des taux à leur niveau de 2000. Il faudrait, pour qu'il soit efficace, que le ticket modérateur à la charge du contribuable bénéficiant d'un dégrèvement partiel soit calculé à taux d'abattement à la base inchangé (à la baisse).
Mais une question plus générale est ouverte : doit-il y avoir un partage du coût des allégements en fonction du revenu entre la collectivité locale (c'est à dire les autres contribuables locaux) et l'Etat ? Si la réponse est oui et que l'on veuille conserver à la taxe d'habitation son caractère d'impôt de répartition, il serait souhaitable de rendre l'abattement à la base obligatoire (quitte à supprimer l'abattement spécial à la base) et il appartiendrait à l'Etat, seul responsable de la fonction « redistribution des revenus », d'en fixer le taux. Ce taux pourrait d'ailleurs être différencié selon les catégories de communes.
* 24 De plus la valeur locative de leur habitation doit être inférieure à 130 % de la moyenne communale.
* 25 L'abattement à la base a un second effet : celui de transférer une partie de la charge des résidences principales sur les résidences secondaires qui n'en bénéficient pas.
* 26 En effet, 25 %*(80 %VLM) = 20 % VLM.
* 27 La déliaison à la baisse du taux de la taxe d'habitation, par rapport à celui de la taxe professionnelle faciliterait évidemment la mise en oeuvre de cette politique d'optimisation fiscale locale !