2. Une nécessaire remise à niveau
Votre mission a regretté plus haut qu'aucune étude d'ensemble n'ait été réalisée par les services de la direction des musées de France pour apprécier l'état des réserves de la totalité des musées et évaluer l'effort de remise à niveau nécessaire pour assurer dans de bonnes conditions la conservation de leurs collections, objectif qui répond pourtant à une nécessité patrimoniale évidente.
Il apparaît que la question des réserves est en pratique examinée « au coup par coup » au gré des projets de création et de rénovation des institutions muséographiques.
• Des marges budgétaires qui restent à dégager
* Les musées nationaux
Les crédits d'investissement dont dispose la direction des musées de France, qui s'élèvent en 2003 à 17,26 millions d'euros pour les dépenses exécutées par l'Etat et à 44,22 millions d'euros pour les subventions d'investissement, obéissent à une logique de programmation qui favorise une approche ponctuelle des besoins des musées, institution par institution. Les conséquences de cette planification des crédits sont accentuées par le fait que la réalisation de la plupart des projets, souvent assez coûteux, s'étale sur plusieurs années.
Ainsi, pour les musées nationaux, les crédits inscrits dans la loi de finances pour 2003 sont affectés à la poursuite des programmes de rénovation des bâtiments déjà engagés au musée d'Orsay et au musée de l'Orangerie -qui bien entendu ne concernent en aucun cas les réserves de ces établissements-, aux études de maîtrise d'oeuvre de la restructuration du musée Adrien Dubouché à Limoges, qui permettront certes de remédier aux insuffisances actuelles des réserves, à l'extension du musée de la coopération franco-américaine de Blérancourt ainsi qu'à la restructuration des espaces d'accueil des musées de Compiègne et de Fontainebleau.
La logique de cette programmation -qu'au demeurant la mission ne remet pas en cause- conjuguée à la modicité des enveloppes globales si on les rapporte aux urgences conduit donc à n'envisager une remise à niveau des réserves des musées nationaux qu'à une échéance très lointaine, ce qui est regrettable au regard de la situation alarmante de certaines institutions muséographiques.
Si la contrainte budgétaire constitue un obstacle à cette remise à niveau, la mission a regretté que la direction des musées de France ne dispose pas d'indicateurs lui permettant de hiérarchiser les projets de rénovation en tenant compte des périls que courent les collections, et en particulier celles conservées dans les réserves.
Le sort des musées territoriaux n'est guère plus enviable.
* Les musées territoriaux
L'attribution des subventions d'investissement par l'Etat obéit à une logique très proche de celle qui vaut pour les musées nationaux.
L'objectif poursuivi par le ministère de la culture en ce domaine est de soutenir les efforts financiers consentis par les collectivités locales tout en les faisant bénéficier des compétences de ses services en matière d'expertise architecturale et technique. A ce titre, le ministère participe au financement des études et des concours d'architecture et de muséographie puis aux travaux, mais ne subventionne pas l'entretien courant des bâtiments ni les opérations modestes d'aménagement. Ces crédits ne contribuent donc à la rénovation des réserves que dans la mesure où cet aspect est pris en compte par les projets de rénovation.
Là encore, notre mission ne conteste pas les principes d'attribution des crédits. Elle soulignera cependant qu'une accélération de la réhabilitation des réserves ne peut provenir que d'une intensification de l'effort financier consenti par les collectivités territoriales concernées.
En effet, après avoir notablement progressé jusqu'en 1992, afin d'accompagner le financement d'opérations majeures en région telles que la rénovation des musées des Beaux-Arts de Lyon, de Grenoble, du Havre ou de Nancy, le montant des concours apportés par l'Etat s'est depuis stabilisé autour de 21 millions d'euros, compte tenu de la réduction de l'ampleur des programmes muséaux qui ont succédé à cette première génération de grands travaux en région. Depuis, ces crédits n'ont pas été revalorisés, l'année 2003 confirmant une nouvelle fois cette tendance à la stabilisation.
Faute d'inverser cette tendance, il y a à craindre que les espoirs de voir améliorer la situation des réserves de ces musées ne reposent que sur l'effort que pourront consentir les collectivités territoriales.
• Un renforcement de la qualification des personnels
La modernisation des musées et la gestion plus dynamique des collections qui découle de ce mouvement ont fait apparaître des besoins nouveaux.
En effet, la multiplication des expositions temporaires, le renouvellement des présentations permanentes comme l'intensification des relations entre les musées ont développé et accéléré les mouvements d'oeuvres, ce qui implique une logistique importante qui fait encore défaut à nombre de musées. A titre d'exemple, le nombre de mouvements d'oeuvres enregistrés pour le département des peintures du musée du Louvre qui compte environ 6 000 oeuvres dans les murs du musée et à peu près autant en dépôt, oscille selon les années entre 4 000 et 6 000.
Outre des réserves adaptées à ces mouvements, ces nouveaux modes de fonctionnement exigent des personnels formés à ces tâches spécifiques.
La nécessité d'une approche globale et transversale de la gestion matérielle des collections a conduit les musées les plus importants à s'adjoindre le concours de régisseurs d'oeuvres dont la fonction consiste notamment dans l'organisation matérielle des réserves.
La généralisation de cette fonction dans l'organigramme des musées présente de nombreux avantages.
En premier lieu, l'existence d'un emploi spécifique permet de codifier les usages et d'introduire plus de rigueur dans la gestion des réserves, domaine où, on l'a vu plus haut, la réglementation est quasiment inexistante. Ainsi, lors de la visite effectuée par la mission au musée des Beaux-Arts de Lille, le directeur, M. Arnauld Bréjon de Lavergnée a indiqué l'apport pour le musée de la création du poste de régisseur des oeuvres qui a notamment été le moyen d'élaborer un « cahier des procédures » pour les différents types de mouvements d'oeuvres (prêt, restauration, déplacement interne, procédure d'accès aux réserves, dépôts, dons et legs,...).
En second lieu, la régie d'oeuvres contribue à la professionnalisation de la gestion des collections, ce qui présente un avantage du point de vue de la conservation des oeuvres mais également de leur connaissance. Dans nombre de cas, il semble en effet que l'insuffisance des effectifs, conjuguée à une absence de mobilité des personnels, fasse reposer la gestion des réserves sur quelques personnes qui sont seules à connaître l'identité et l'emplacement des objets conservés en réserve.
Cependant, force est de constater que la fonction de régie des oeuvres, aussi importante soit-elle, n'est pas encore généralisée. En effet, nombre de musées nationaux ne disposent pas de régisseur. Tel est le cas du musée national de porcelaine Adrien Dubouché à Limoges, dont la conservatrice souligne en réponse à cette question de la mission : « un régisseur d'oeuvres serait indispensable ».
Outre les obstacles budgétaires, il semble que le recrutement de ces personnels se heurte à une inadaptation des corps et cadres d'emplois de la fonction publique à cette fonction spécifique.
En ce qui concerne les musées nationaux, la mise en place d'un sujet « régie d'oeuvres » au concours de recrutement des chargés d'études documentaires, permet désormais le recrutement de régisseurs d'oeuvres dans un corps de fonctionnaires de catégorie A, en fonction des emplois budgétaires disponibles.
La mission souligne la nécessité d'étendre cette mesure aux concours de recrutement des secrétaires de documentation. Elle permettrait de recruter des personnels qualifiés de catégorie B, ce qui rendrait possible la constitution de services de régie structurés et efficaces.
Dans une seconde étape, la création d'une épreuve distincte ou d'une option pour les personnels de catégorie A et de catégorie B permettrait de résoudre la difficulté qui résulte aujourd'hui de l'application de la règle statutaire selon laquelle les affectations s'effectuent en fonction du rang de classement aux concours et non en fonction du choix des sujets par les candidats.
En ce qui concerne la filière culturelle territoriale, le cadre d'emploi des attachés de conservation du patrimoine permet le recrutement de régisseurs d'oeuvres dans les musées territoriaux. Cependant, il serait souhaitable qu'à l'image de ce qui existe pour la médiation culturelle, une option spécifique soit créée pour la régie d'oeuvres.
En outre, la mission estime nécessaire que les exigences nouvelles de gestion matérielle des collections soient prises en compte systématiquement au niveau de la formation initiale comme professionnelle de ces personnels. L'Institut national du patrimoine, en inscrivant récemment dans son programme de formation continue des stages de régie d'oeuvres ouverts aux agents de catégorie A concernés, a apporté une amorce de réponse. Il convient toutefois que cet effort soit poursuivi en étroite liaison avec les écoles nationales d'application des collectivités territoriales et le Centre national de la fonction publique territoriale.
Ces évolutions apparaissent nécessaires. En effet, dans la majorité des musées, c'est aux conservateurs qu'il incombe, en plus de leurs autres tâches, d'assumer directement la responsabilité de la tenue des réserves. Or ces personnels, compte tenu de la lourdeur de leur charge de travail comme des exigences nouvelles qui doivent désormais être respectées dans la gestion de ces espaces, ne peuvent l'assumer dans de bonnes conditions.