CHAPITRE V :
INCITER
AU TRAVAIL,
UNE PRÉOCCUPATION COMMUNE, DES DISPOSITIFS PLUS OU MOINS
EFFICACES
L'une
des rares orientations communes qui semble traverser les réformes des
prélèvements obligatoires entreprises en Europe au cours des
années écoulées est celle qui a consisté à
développer l'incitation au travail en s'efforçant de lutter
contre les « trappes à inactivité ».
En effet, de nombreux pays européens ont adopté des mesures
visant à accroître le taux d'activité des personnes les
moins qualifiées. Les mesures les plus significatives ont
été prises au Royaume-Uni et en France, qui, à l'image de
l'
Earned
Income Tax Credit
(EITC) américain adopté
dès 1975, ont mis en place un dispositif de crédit d'impôt.
Le contenu des dispositifs varie toutefois assez nettement avec un impact
également différencié selon certaines évaluations
externes récentes.
I. UN OBJECTIF COMMUN, INCITER AU TRAVAIL PEU QUALIFIÉ EN LUTTANT CONTRE LES TRAPPES À INACTIVITÉ
Un
objectif commun aux pays européens les a incités à
modifier leur régime fiscal afin de lutter contre les trappes à
inactivité des « peu qualifiés ».
Même si son exactitude est débattue, le diagnostic de la
responsabilité d'un phénomène de trappes à
inactivité dans l'importance du chômage en Europe s'est
imposé, étayé par l'existence de taux d'imposition
effectifs élevés en cas de reprise d'emploi par les
« peu qualifiés ».
A. UN DIAGNOSTIC À LA PERTINENCE RELATIVE...
La
notion de trappe à inactivité renvoie à la situation dans
laquelle un individu, chômeur ou inactif, n'est pas incité
financièrement à prendre un emploi, parce que la
rémunération à laquelle il pourrait prétendre
serait à peine supérieure, voire inférieure, aux revenus
de transferts qu'il perçoit en restant inoccupé.
Un certain nombre d'éléments arithmétiques viennent donner
quelque crédit à l'existence d'un tel phénomène.
Toutefois, plusieurs considérations doivent être gardées
à l'esprit, qui conduisent à conserver une attitude prudente
à l'égard de ce concept.
En premier lieu, on ne saurait passer du constat de l'existence de taux
d'emploi
12
(
*
)
et taux
d'activité
1
relativement faibles pour des « peu
qualifiés » à la conclusion de l'existence, pour les
populations concernées, d'un fort chômage volontaire.
C'est le cas pour le taux d'emploi dont la principale variable explicative est
la demande de travail. Les très fortes créations d'emplois
observées, en France, à la fin des années 90 ont
montré la vigueur des liens positifs entre demande d'emploi et taux
d'emploi des non qualifiés.
Mais c'est probablement aussi vrai du taux d'activité qui, mesurant la
participation au marché du travail (soit comme personne occupée,
soit comme personne à la recherche d'un emploi) est
a priori
un
indicateur plus pertinent pour mesurer l'impact dissuasif du système
fiscalo-social sur la volonté de trouver un travail. On observe en effet
que cet indicateur varie de façon indépendante par rapport aux
caractéristiques nationales des systèmes redistributifs. En
revanche, une corrélation assez robuste semble exister entre son niveau
et celui du taux d'emploi, qui pourrait attester l'existence de
phénomènes de découragement des populations en cause
devant la persistance du chômage.
Plus globalement, on ne peut que constater la thèse selon laquelle le
système redistributif entraîne l'apparition de trappes à
inactivité repose sur
un modèle de rationalité
étroite
où les choix ne seraient motivés que par la
comparaison entre les gains associés à l'emploi et les revenus
sociaux nets d'impôt. Or un tel modèle exclut, par
définition, une série de considérations qu'un
modèle de rationalité complète recommande de prendre en
compte. Ces considérations peuvent comprendre le fait que l'emploi n'est
pas seulement un moyen de subvenir à des besoins matériels
immédiats, que sont associés des avantages de long terme à
la prise d'un emploi (en termes de retraite future plus importante ou de
formation et d'expérience professionnelle pouvant sensiblement
améliorer sa situation professionnelle dans le futur), ou encore que les
structures sociales, l'existence de revenus occultes ou d'autres
phénomènes socio-économiques peuvent jouer.
En bref, sans rejeter le cadre théorique expliquant
l'éventualité de trappes à inactivité, un spectre
complet d'analyse conduit plutôt à s'interroger sur l'ampleur d'un
tel phénomène.
Une étude de Laroque et Salanié (2000) a proposé une
décomposition du non emploi. Ils estiment que pour 57 %, il s'agit
de non emploi volontaire. Cet ordre de grandeur reste toutefois incertain. Par
exemple, l'analyse qui le sous-tend exclut le temps partiel. Or, la plupart des
travailleurs à temps partiel (le plus souvent des femmes) n'auraient pas
intérêt à travailler étant donné les faibles
salaires qu'ils perçoivent relativement au RMI et autres allocations
associées à l'inactivité. De plus, ils sont souvent en
situation de sous-emploi involontaire (ils souhaiteraient travailler
davantage). Ainsi, les exclure de l'analyse sous-estime le chômage
involontaire et surestime le chômage volontaire. Du reste, le pouvoir
explicatif du modèle utilisé semble relatif dans la mesure
où la décision de rechercher un emploi telle qu'elle y est
représentée dépend en grande partie de facteurs
inexpliqués.
* 12 Le taux d'emploi mesure le nombre de personnes effectivement employées par rapport à la population en âge de travailler. Le taux d'activité mesure le nombre de personnes participant d'une manière ou d'une autre (emploi, chômage, formation) au marché du travail par rapport à la population en âge de travailler.