2. La compatibilité de fond
A priori, les « lignes directrices relatives aux aides au sauvetage et à la restructuration des entreprise en difficulté », publiées par la Commission le 23 décembre 1994, constituent l'encadrement d'aides présumées régulières le plus à même de s'appliquer aux opérations financées sur le chapitre 64-96.
Elles soumettent les « aides à la restructuration » à une condition de forme et à des conditions de fond, les unes et les autres étant d'ailleurs liées :
• La condition de forme est la mise en oeuvre d'un « plan de restructuration [permettant] de rétablir dans un délai raisonnable la viabilité à long terme de l'entreprise ». Ce plan doit être présenté à la Commission et son exécution faire l'objet de rapports réguliers ; il doit être intégralement respecté.
Le non respect de cette condition formelle, mais à laquelle sa jurisprudence donne aussi un contenu de fond (pour s'assurer de la viabilité de l'entreprise, il faut que le plan présenté soit « sérieux »), est le premier grief de la Commission plusieurs affaires concernant des opérations sur CPI, notamment dans les affaires Brittany Ferries et Lainière de Roubaix. Dans sa décision 23 ( * ) sur cette dernière, la Commission reproche au Gouvernement français de n'avoir pas transmis tous les éléments demandés et notamment pas quantifié en totalité les coûts de restructuration de l'entreprise ; en outre, même en l'absence de plan de restructuration en bonne et due forme, les données financières prévisionnelles de l'entreprise transmises, comme les données d'exécution en deçà de ces prévisions, reflètent l'absence de plan de restructuration crédible.
La pratique, fréquente s'agissant des crédits de restructuration, des conventions de subvention ne comportant pas de véritable exigence de contrepartie de la part du bénéficiaire, outre qu'elle est choquante au regard du principe de la vérification du service fait, illustre ce qui semble être une large indifférence des autorités françaises à l'existence d'un plan de redressement viable à long terme. Par exemple, la convention « Lainière de Roubaix » du 18 novembre 1996 prévoit le versement de 3,35 M€ de CPI, définis comme une « aide pour la mise en oeuvre du plan de reprise », sans véritable conditionnalité autre que formelle : versement en une fois dès notification sur présentation d'une copie de l'offre du repreneur -qui s'engage à consacrer la totalité des moyens de l'entreprise à son redressement à l'exclusion de toute croissance externe-, du jugement du tribunal de commerce et d'un tableau prévisionnel de financement.
Il convient de relever les maladresses commises dans la gestion des dossiers à l'égard de l'exigence d'un plan de restructuration préalable à l'aide et sérieux. Ainsi, dans le dossier Lainière de Roubaix, le fait d'inscrire dans un jugement de tribunal de commerce 24 ( * ) un engagement des pouvoirs publics d'apporter 6,1 M€ à l'un ou l'autre, indifféremment, de deux repreneurs en compétition a donné un solide argument aux instances communautaires 25 ( * ) pour mettre en doute l'existence d'un plan de restructuration mûrement réfléchi à l'appui de ces promesses financières.
• Les conditions de fond reposent sur le principe d'un partage des coûts de restructuration entre les pouvoirs publics, les propriétaires de l'entreprise, dont la contribution devra être suffisante, et ses concurrents, lésés par sa survie artificielle. Il doit être établi :
- que la viabilité à long terme de l'entreprise sur ses ressources propres, donc sans aides publiques récurrentes, soit établie ;
- mais que, dans l'autre sens, il s'agisse d'une entreprise en difficulté et que l'aide soit « limitée au strict minimum pour permettre la restructuration » ;
- qu'en conséquence, la contribution propre des bénéficiaires (actionnaires) au plan de restructuration soit significative ;
- que la restructuration s'accompagne de mesures limitant le préjudice aux concurrents : réductions de capacités.
Dans la décision précitée relative à la Lainière de Roubaix, un des motifs de l'interdiction (a posteriori) de l'opération est l'insuffisance de l'apport du repreneur, de l'ordre de 0,8 M€ pour le rachat des actifs et en fonds propres, au regard des 6,1 M€ de fonds publics apportés.
Dans la décision précitée relative à la Manufacture corrézienne de vêtements, la Commission évoque avec sévérité une « approche tout à fait permissive à l'égard des aides à la restructuration », le site de production concerné ne pouvant « jamais devenir une entreprise économiquement viable » et dépendant, pour sa survie, « d'aides récurrentes ».
De manière générale, l'exigence d'une solution de fond aux difficultés de l'entreprise et le refus des aides récurrentes conduisent la Commission à sanctionner les aides qui ne visent en fait qu'à couvrir des pertes d'exploitation et plus généralement les aides de fonctionnement ; or, les aides accordées sur la période 1996-2000 sur le chapitre 64-96 ont souvent pris ce caractère.
Les dispositifs destinés aux PMI et/ou répondant à des logiques territoriales (FIL, FIBM) peuvent beaucoup plus aisément être gérés dans le respect de la réglementation communautaire, et le sont effectivement, car les encadrements communautaires des aides aux PMI et des aides à finalité régionale sont d'application moins complexe (il s'agit de respecter des taux maximaux de subvention selon la taille des entreprises bénéficiaires et/ou leur localisation).
* 23 N° 1999/378/CE du 4 novembre 1998.
* 24 Le jugement du tribunal de commerce de Roubaix en date du 17 septembre 1996 comporte l'attendu suivant : « Attendu que M. le procureur de la République confirme le soutien des pouvoirs publics à hauteur de 40 MF selon les modalités offertes par chacun des offreurs (...) ».
* 25 Ce point apparaît clairement dans l'attendu n° 42 de l'arrêt de la Cour de justice des communautés européennes confirmant la décision antérieure de la Commission : n° 61999JO017 du 22 mars 2001.