B. RÉAFFIRMER L'IMPORTANCE DE LA LOI

La commission tient à rappeler que les politiques publiques ont un rôle déterminant à jouer et que la loi se doit de servir de point d'ancrage pour la population.

1. Une loi indispensable pour garder un lien avec les usagers de stupéfiants

La loi permet aux forces de l'ordre et aux magistrats d'interroger les usagers interpellés sur les motivations de leur consommation et donc de les orienter, comme l'a souligné le docteur Francis Curtet, psychiatre.

M. Jean-Pierre Carbuccia-Berland, directeur de la protection judiciaire de la jeunesse, a rappelé ce point lors de son audition : « Garder l'usage dans les catégories pénales permet de conserver un lien, fût-il dégradé et pénal, avec des populations qui risqueraient sinon d'être totalement à la dérive ». M. Yves Bot, procureur de la République de Paris, a également indiqué que la réponse judiciaire aux interpellations d'usagers permet, à partir d'une procédure qui a au départ un caractère répressif, d'avoir une démarche d'assistance éducative, et donc de prévention, ce qui n'est possible que parce qu'au départ, l'usage de cannabis est prohibé par la loi.

Telle est d'ailleurs l'orientation préconisée depuis des années par les circulaires successives des gardes des Sceaux.

A cet égard, M. Dominique Perben, garde des Sceaux, a réitéré lors de son audition par la commission d'enquête son refus de la banalisation de l'usage de stupéfiants, en affirmant que « le cannabis peut être porteur de dangerosité. Je considère donc que l'interdiction légale de l'usage de stupéfiants doit être réaffirmée suffisamment pour qu'elle soit ancrée dans l'esprit de tout un chacun, et je ne pense pas qu'il soit bon que l'usage du cannabis puisse être vécu avec un sentiment d'impunité. A cet égard, la pénalisation de la conduite sous l'empire de produits stupéfiants a marqué une étape importante. »

2. Le rôle de la loi : poser des repères

Ainsi que l'a indiqué M. Michel Bouchet, chef de la MILAD, lors de son audition par la commission d'enquête, « il n'est pas du rôle de l'Etat d'accompagner ou de valider les déviances et les transgressions sanitairement et socialement dommageables, mais plutôt de mener une politique pénale et préventive propre à les réduire ».

M. Philippe-Jean Parquet, président de l'OFDT, a également estimé qu'« un Etat a comme fonction, au travers de ses lois, d'aider les personnes à faire des choix éclairés ». Ce point a d'ailleurs été souligné par un grand nombre d'intervenants, parmi lesquels le docteur Francis Curtet, psychiatre, et M. Bernard Petit, chef de l'OCRTIS. S'il est arrivé à chacun de faire des excès de vitesse, le fait d'être constitutif d'une infraction montre que c'est dangereux. La loi est là pour poser des balises et dire que c'est dangereux. Le dispositif législatif et réglementaire apparaît ainsi comme un facteur de protection contre la toxicomanie, et légaliser le cannabis reviendrait à donner un avis mensonger à la jeunesse, puisqu'on éliminerait le tabou qui frappe son usage. La loi joue un rôle plus dissuasif qu'incitatif.

Par ailleurs, on voit mal comment faire coexister un interdit d'ordre moral avec une suppression de l'interdit légal, toute interdiction non assortie de sanction devenant une autorisation.

3. La loi impuissante ?

La commission tient à souligner le discours quelque peu paradoxal des tenants de la dépénalisation, qui critiquent fermement dans un premier temps la loi de 1970 et appellent à sa modification, tout en estimant dans un deuxième temps que la loi n'a aucune incidence.

Ainsi, M. Alain Ehrenberg, sociologue au CNRS, a lors de son audition dénoncé la « tendance à fétichiser la loi » dans la politique, en estimant que l'on dépénalise ou non, que l'on légalise ou que l'on maintienne l'interdiction de l'usage privé avec une année d'emprisonnement, rien ne changerait, la loi n'étant qu'un élément d'une politique.

Si la commission d'enquête est tout à fait consciente de la nécessité de mener une politique sur les quatre volets que représentent la répression, la prévention, le soin et l'action internationale, elle se refuse néanmoins à justifier l'inaction.

Certes, M. Hugues Lagrange, sociologue au CNRS, a indiqué qu'en dépit de la diversité des législations en Europe, les structures de consommation n'avaient pas de lien évident avec les législations.

M. Jean-Michel Costes, directeur de l'OFDT, s'est également exprimé sur cette question et a indiqué que l'INSERM et l'Observatoire européen des drogues et des toxicomanies avaient conclu à l'absence de lien entre législation et niveau de consommation. Si la législation sur le cannabis est ferme, en Suède comme en France, les niveaux de prévalence du cannabis sont très éloignés. De même, les pays qui se sont orientés vers des législations plus ouvertes par rapport à l'accès aux produits peuvent avoir des niveaux de prévalence tout aussi disparates.

M. Philippe-Jean Parquet, président de l'OFDT, a souligné pour sa part la remarquable constance de la progression de la consommation de cannabis pendant les années 1990, alors que les politiques publiques avaient fortement varié (du concept de l'abstinence au début des années 1990 à la prise en compte de la réduction des risques au milieu des années 1990, et enfin à l'approche dite globale de prise en compte de l'ensemble des produits à la fin de la décennie).

Mais « affirmer que la législation d'un pays n'influe pas sur la consommation revient à jeter le bébé avec l'eau du bain », comme l'a dit lors de son audition le professeur Renaud Trouvé. Il convient tout d'abord de voir si la législation est appliquée, ce qui n'est certes pas le cas actuellement en France en matière de drogues.

4. L'efficacité de la loi conditionnée par sa crédibilité

Ainsi que l'a indiqué à la commission d'enquête M. Nicolas Sarkozy, ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales, « la sanction a une utilité préventive et éducative, mais encore faut-il qu'elle puisse s'appliquer. »

L'exemple des récents succès rencontrés en matière de politique de sécurité routière, érigée en priorité nationale par le chef de l'Etat, montre l'importance d'une action politique déterminée et volontariste.

Comme l'a relevé le professeur Claude Got : « Une question fondamentale : la répression de l'usager est-elle capable d'avoir une efficacité en matière de prévention ? Ma réponse est oui. Nous avons vu dans le domaine de la sécurité routière à quel point cela pouvait se situer. Actuellement, uniquement par une action psychologique qui est l'anticipation de la loi qui était encore devant le Sénat hier [le projet de loi renforçant la lutte contre la violence routière] nous avons eu 1.000 tués en moins sur les routes en quatre mois, uniquement parce qu'il y a eu un renforcement de la crédibilité de l'action des policiers et des gendarmes . »

M. Jean-Pierre Carbuccia-Berland, directeur de la protection judiciaire de la jeunesse, a ainsi relevé lors de son audition : « L'expérience nous a montré que la force de l'interdit était variable en fonction des moyens que l'on mettait en place pour assurer le respect effectif de cet interdit. »

Comme M. Jean-François Mattei, ministre de la santé, de la famille et des personnes handicapées, qui estime que « prévention et sanctions savent aussi se conjuguer », M. Nicolas Sarkozy, ministre de l'intérieur, a indiqué que « la force de ce discours et sa clarté sera la première des préventions. Il est un signal pour tous, comme nous le voyons en matière de sécurité routière. En matière d'usage des drogues, nous obtiendrons également des résultats par la force du discours, par la prévention que représente le risque de la transgression. »

Or, pour être crédible, la loi doit être comprise .

Mme Nicole Maestracci, ancienne présidente de la MILDT, a d'ailleurs souligné lors de son audition : « Il est clair qu'aujourd'hui la loi et son application ne sont pas suffisamment comprises. Il n'y a pas de loi parfaite, mais en tout cas une bonne loi est celle qui est bien comprise par les gens auxquels elle est censée s'appliquer. »

Ce point a également été soulevé par M. Michel Bouchet, chef de la MILAD : « Il importe aussi, pour que l'action du gouvernement en ce sens soit efficace, qu'elle suscite l'adhésion de la plupart. » Les exemples de la Suède et des Pays-Bas, qui ont tous deux mené des politiques très différentes mais très cohérentes, chacune dans leur logique, et soutenues par la très grande majorité de leur population, amènent à penser que ce point est essentiel.

En outre, s'il est une politique publique exigeant une continuité de l'action publique, indépendamment des alternances politiques, c'est bien de celle de la lutte contre la drogue qu'il s'agit. Mme Nicole Maestracci a estimé pour sa part qu'une période minimale de dix années était nécessaire avant de réellement parvenir à une évolution des mentalités. Or, la France est passée en 15 ans d'une politique restrictive à une politique de gestion du problème des drogues, avec l'instauration dans l'urgence de la politique de réduction des risques, au détriment des autre piliers indispensables que constituent la prévention, la répression et le soin à long terme.

5. Une révision de la loi de 1970 ?

La plupart des personnalités auditionnées par la commission d'enquête ont mis en avant l'obsolescence de la loi de 1970, dans son volet consacré à l'usage, destinée à l'origine à contraindre les héroïnomanes dépendants à se soigner, sous peine d'emprisonnement.

M. Nicolas Sarkozy, ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales, a ainsi estimé lors de son audition : « Il faut donc reconsidérer la loi de 1970 qui a vieilli et qui n'est manifestement plus adaptée aux réalités. En 1970, l'objectif a d'abord été de traiter l'augmentation considérable de l'usage de l'héroïne. La procédure et les sanctions prévues apparaissent aujourd'hui peu adaptées et trop lourdes face à la consommation très importante de nouvelles substances de type cannabis et ecstasy, alors que la plupart des usagers de drogues injectables ont rejoint des programmes dits de substitution ».

Comme l'a précisé M. Didier Jayle, président de la MILDT, à la commission d'enquête : « La réduction des risques a fait que cette loi s'est un peu vidée de sa substance ». En effet, il est difficilement concevable, par exemple, de condamner à un an d'emprisonnement un jeune Centralien ayant fumé un joint pour fêter son admission au concours.

M. Michel Bouchet, chef de la MILAD, a fort justement résumé cette difficulté : « La consommation des stupéfiants ne devient constitutive d'une maladie qu'au stade de la forte dépendance. C'est surtout cette situation que visait la loi de 1970 qui avait pour premier objectif l'orientation sanitaire des héroïnomanes dépendants. Actuellement, environ 90 % des consommateurs n'en sont pas à ce stade. On peut qualifier leur comportement à la fois de ludique et transgressif. N'étant pas dépendants, ils ne justifient pas un traitement sanitaire, mais plutôt un accompagnement psychosocial préventif et une sanction pénale adaptée à laquelle ils sont d'ailleurs accessibles du seul fait qu'ils n'ont pas centré leur vie autour du produit. Ces deux approches, psychosociale et pénale, ne sont d'ailleurs nullement contradictoires. Il faut donc entamer une réflexion sur l'évolution des textes législatifs permettant de mieux appréhender cette transgression de masse à laquelle il conviendrait d'apporter une réponse pénale modernisée, mieux adaptée, en même temps que plus systématique, plus homogène et finalement plus efficace . Bien sûr, ne seraient pas éludées les nécessités relatives aux orientations sanitaires et sociales. Abaisser les seuils et déboucher sur une application plus homogène, plus constante et finalement plus dissuasive qui peut être de nature administrative, à base de suspensions de permis ou d'interdictions de le passer pour les mineurs.»

Néanmoins, M. Dominique Perben, garde des Sceaux, a estimé lors de son audition que : « Si nous devons développer une dynamique publique, c'est davantage en faisant un effort de prévention, de rééducation et de réinsertion, effort qui, lui, n'est pas exclusivement judiciaire, qu'il faut agir, plutôt que de rouvrir un débat à caractère législatif dont les conséquences apparaissent incertaines. Je ne sais pas si la modification de la loi est une priorité. Nous sommes beaucoup plus dans une problématique concrète et pratique de mise en oeuvre des politiques publiques. »

M. Jean-François Mattei, ministre de la santé, de la famille et des personnes handicapées, a pour sa part estimé lors de son audition qu'il convenait de « toiletter la loi, pas de se lancer dans un grand chantier législatif ».

Cette position ne peut qu'être partagée par la commission d'enquête.

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