B. L'INADAPTATION DES STRUCTURES DE SOINS AUX NOUVEAUX MODES DE CONSOMMATION : UN SYSTÈME COMPLEXE ET DES ACTEURS MULTIPLES
Les orientations actuelles de la politique de soins en matière de lutte contre la toxicomanie résultent, comme il a été vu, de la priorité donnée au cours des années 1990 à la politique de substitution et de réduction des risques.
Le plan du 21 septembre 1993 préconisait ainsi l'amélioration de la prise en charge des usagers de drogues non seulement dans le dispositif spécialisé, mais aussi dans le dispositif général de soins : augmentation du nombre de places d'hébergement, amélioration de la prise en charge à l'hôpital et constitution de réseaux ville-hôpital-toxicomanie associant les professionnels de la ville et de l'hôpital dans la prise en charge des toxicomanes.
La plupart des préconisations énoncées en 1993 seront confirmées et développées par la suite. Le plan du 14 septembre 1995 s'inscrit dans la continuité des grandes lignes du plan précédent, comme d'ailleurs le plan triennal de 1999-2001.
Le système de prise en charge des toxicomanes relève de deux dispositifs distincts : le dispositif socio-sanitaire spécialisé et le dispositif hospitalier de droit commun.
1. Le dispositif socio-sanitaire spécialisé
Depuis 1992, toutes les structures spécialisées de soins aux usagers de drogues illicites, financées sur fonds publics, sont rangées sous le terme générique de centres spécialisés de soins aux toxicomanes (CSST), avec ou sans hébergement.
Les CSST sont financés depuis le 1 er janvier 2003 par l'assurance maladie pour une enveloppe globale de 134 millions d'euros. En 2002, ils étaient financés sur le budget de l'État pour un montant de 107 millions d'euros, auxquels s'ajoutaient des financements complémentaires pour un montant de 27 millions d'euros (MILDT et collectivités locales notamment). Pour les années précédentes, la dotation budgétaire allouée est restée stable et était de l'ordre de 100 millions d'euros.
Ces structures de soins en ambulatoire ou avec hébergement, mises en place depuis les années 1970, assurent la prise en charge médico-psychologique et le suivi socio-éducatif des toxicomanes (aide à l'insertion et à la réinsertion). Elles sont gérées pour 60 % d'entre elles par des associations et pour 40 % par des établissements publics de santé.
La mission des CSST est définie par le décret n° 92-590 du 29 juin 1992 : assurer une prise en charge médico-sociale et une prise en charge sociale et éducative (aide à la réinsertion).
Ces centres doivent donc garantir : l'accueil, l'orientation et l'information des toxicomanes et de leur famille ; le sevrage et son accompagnement lorsqu'il est réalisé en milieu hospitalier ; le soutien à l'environnement familial.
Afin de mener à bien ces missions, les centres de soins élaborent un projet thérapeutique pour une durée de cinq ans qui fixe des objectifs thérapeutiques et socio-éducatifs et en précise les modalités de réalisation et d'évaluation.
Le rapport annuel 2002 de l'OFDT rappelle à cet égard que « la note d'orientation du 5 novembre 1998 de la direction générale de la santé prévoit les évolutions à prendre en compte pour réviser les projets des CSST afin de tisser des relations de partenariat avec les professionnels sanitaires et sociaux du dispositif de droit commun, en particulier avec les médecins généralistes ; décloisonner le dispositif spécialisé et le secteur psychiatrique pour mieux prendre en compte les comorbidités psychiatriques ; prendre en compte les polyconsommations et les nouveaux modes d'usage (consommations associées d'alcool, consommation d'ecstasy). »
D'après les réponses fournies à la commission par la DGS, le dispositif spécialisé de soins aux toxicomanes est ainsi constitué par :
- les CSST en ambulatoire : 141 d'entre eux (sur un total de 201) développent une activité de prise en charge avec traitement par la méthadone, les deux tiers d'entre eux étant gérés par des associations, les autres en gestion hospitalière. Ces centres assurent l'accueil et l'orientation de toutes les personnes ayant un problème lié à la dépendance, les consultations médicales, les soins infirmiers, le suivi psychologique et l'accompagnement social et éducatif adapté à chaque situation. Ils proposent également un soutien aux familles, prennent en charge le sevrage en ambulatoire et le suivi du sevrage en milieu hospitalier, ainsi que les traitements de substitution.
Ces centres gèrent, en outre, des permanences décentralisées d'accueil en ambulatoire. Le nombre de ces permanences est passé de 56 en 1998 à 85 en 2001 grâce à une réorganisation de l'offre réalisée par les DDASS en liaison avec la DGS.
Au cours de ses déplacements, la commission s'est rendue au CSST Saint-Germain Pierre Nicolle. Géré par la Croix Rouge, qui en possède les locaux, il est doté de 45 salariés et d'un budget d'environ 300.000 euros, financé pour 90 % par la sécurité sociale, et accessoirement par la MILDT. Le centre a reçu 563 patients en 2002 et a deux types d'activité : la prise en charge ambulatoire et l'hébergement (centre thérapeutique résidentiel de 17 places et appartements thérapeutiques-relais offrant 20 places).
- les centres thérapeutiques résidentiels et communautaires comportant un hébergement collectif, gérés pour l'essentiel par des associations.
Les 47 structures existantes ont pour objet de rétablir l'équilibre personnel et l'insertion sociale de leurs résidents, avec une prise en charge pluridisciplinaire (médecins, infirmiers, psychologues, éducateurs, assistants sociaux...) et une forte implication de l'entourage.
Avant l'introduction des traitements de substitution, ces centres constituaient une étape en aval du sevrage au cours de laquelle le patient s'engageait à ne plus consommer aucun produit.
Ils peuvent aujourd'hui également gérer, comme c'est le cas pour les centres en ambulatoire, des réseaux d'appartements thérapeutiques et des structures d'hébergement de transition ou d'urgence, ou des réseaux de familles d'accueil.
- les appartements thérapeutiques-relais
Réservés aux personnes en grande difficulté sanitaire ou sociale, ils s'inscrivent dans une dynamique de socialisation. Il s'agit de modes d'hébergement permettant aux toxicomanes d'acquérir une plus grande autonomie, tant sur le plan sanitaire que social, pendant la période de sevrage ou de traitement de substitution.
- les structures d'hébergement de transition ou d'urgence
Les 18 petites structures d'hébergement collectif existantes, gérées par les CSST, accueillent les toxicomanes pour des séjours courts d'une à quatre semaines, pendant une période de transition (attente d'un sevrage, sortie de prison...) et comportent un accompagnement socio-éducatif et sanitaire.
- les réseaux de familles d'accueil sont également gérés par les CSST.
L'accueil en famille, pour une durée qui peut aller du week-end à un séjour de neuf mois, vise à prendre en charge de toxicomanes dans un milieu qui leur donne la possibilité d'accéder à l'autonomie et de renouer avec une vie « normale ». Le CSST de rattachement assure parallèlement un suivi médico-social régulier de la personne accueillie au sein de la famille d'accueil.
Aux côtés de ce dispositif spécialisé, la prise en charge des toxicomanes dépendants est également assurée par les établissements hospitaliers.
2. Le dispositif hospitalier de droit commun
La circulaire du 15 juin 1999 relative à l'organisation des soins hospitaliers pour les personnes toxicomanes fixe cinq objectifs en ce domaine : l'amélioration de la prise en charge aux urgences hospitalières ; le développement des possibilités d'hospitalisation pour sevrage, bilan et soins de la toxicomanie ; l'amorce ou la poursuite d'un suivi des problèmes liés à la dépendance (orientation du patient vers les structures adéquates) ; la formation du personnel hospitalier et le développement des outils d'observation de l'activité hospitalière dans ce domaine.
a) Les équipes de liaison en toxicomanie
Cette prise en charge hospitalière s'appuie sur les équipes de liaison en toxicomanie, créées à la suite de la circulaire du 3 avril 1996, dont le personnel pluridisciplinaire a reçu une formation spécifique. Ces équipes sont dotées en 2002 de 157 équivalents temps plein (ETP) médicaux et 404 ETP non médicaux (infirmières, psychologues, assistantes sociales).
Le ministère de la santé élabore actuellement un guide méthodologique d'orientation pour la pratique quotidienne de cette activité transversale en milieu intra et extra-hospitalier qui devrait être diffusé en juin 2003.
Les équipes hospitalières de liaison en addictologie, qui étaient au nombre de 69 en 1999, sont, en 2002, au nombre de 307. Toutes les régions sont dotées d'au moins une équipe de liaison, à l'exception de trois départements: le Lot, le Lot-et-Garonne et la Haute-Corse. Le rôle de ces équipes s'est rapidement développé, notamment avec la circulaire du 8 septembre 2000 relative à l'organisation des soins hospitaliers.
Elles ont bénéficié de crédits spécifiques régionalisés d'un montant global de 5,79 millions d'euros en 2000, de 7,60 millions d'euros en 2001 et de 5,95 millions d'euros en 2002. Ces crédits ont été attribués aux établissements hospitaliers sous la responsabilité des Agences régionales d'hospitalisation (ARH).
b) Les réseaux ville-hôpital-toxicomanie
Afin d'améliorer l'efficacité du dispositif de prise en charge de droit commun des toxicomanes, dont une bonne partie dépend également de la médecine de ville, la circulaire du 3 avril 1996 avait également prévu la création de réseaux ville-hôpital-toxicomanie, financés conjointement par l'assurance maladie et le budget de l'État.
On rappellera que notre pays compte aujourd'hui 53 réseaux toxicomanie ville-hôpital (RTVH) dans 43 départements. La mise en place de ces réseaux a donné un nouvel élan au dispositif de droit commun en permettant un partenariat plus efficace entre l'hôpital et la médecine de ville.
Ces réseaux ont toutefois des problèmes de personnel et de financement qui les empêchent de fonctionner correctement, ainsi que le docteur Dherbecourt l'a souligné lors du déplacement de la commission à Valenciennes : « Il est indispensable de sensibiliser les professionnels libéraux au fonctionnement en réseau. Pour permettre le développement des réseaux, il est également nécessaire de pérenniser leur financement, la quête de subventions épuisant les intervenants. (...) En 1994, un poste de psychiatre a été créé dans le secteur de Valenciennes pour aider les toxicomanes et leur entourage, mais la trésorerie est insuffisante pour le payer depuis 2002. »
La commission ne peut donc que souligner la complexité du système de prise en charge des toxicomanes, du fait de la multiplicité des structures et des acteurs qui le composent. Si des efforts non négligeables ont été faits en termes d'organisation, le système semble éprouver des difficultés pour s'adapter aux nouveaux modes de consommation.