II. L'ATELIER-MUSÉE DU CHAPEAU, CHAZELLES-SUR-LYON (LOIRE) : DU MUSÉE À L'ATELIER-MUSÉE OU DE L'ENTREPRISE CULTURELLE À L'ENTREPRISE ÉCONOMIQUE
M. Gilles ROSE, Directeur
Chazelles-sur-Lyon est situé dans la Loire, à 50 km à l'ouest de Lyon et 30 km au nord de Saint-Etienne, dans une région rurale très agricole, assez vallonnée à 600 m d'altitude.
1. Chazelles-sur-Lyon, berceau de la chapellerie
La chapellerie est une tradition locale ancienne puisque les premières traces remontent au XVI e siècle. Ce fut l'un des centres français les plus importants dans le domaine de la production de chapeaux en feutre, fabriqués à partir de poils de lapins pour donner du feutre haut de gamme. Dans les années trente, on comptait localement 28 usines, 2 500 ouvriers sur une population d'environ 5 500 habitants. Cette monoactivité a fait de Chazelles une ville industrieuse à la campagne.
La grande crise est arrivée dans les années soixante-cinq, soixante-dix, avec un déclin des manufactures les plus importantes jusqu'en 1976 où la plus grande chapellerie a fermé ses portes. Il n'en subsistera plus qu'une jusqu'en 1997, ce qui a créé localement une crise économique et un traumatisme social assez important puisque tout le monde était chapelier de père et de grand-père en fils et en petit-fils.
2. La création du musée
Dans ce contexte, la réalisation du musée traduisait d'abord la volonté de conserver une identité locale très forte et un patrimoine assez important. Le projet est parti d'une association locale qui effectuait des recherches historiques et archéologiques et qui a donné naissance, quelques années plus tard, à une seconde association avec pour objet la création d'un musée en 1983.
A la base, c'est un musée très traditionnel contrôlé par le ministère de la Culture, installé dans un ancien site chapelier, une usine du début du siècle, avec à sa tête un conservateur assisté de deux personnes employées par la commune, l'animation étant toujours assurée par une association qui a constamment joué son rôle dans le développement de la structure.
Les collections concernent à la fois toute la partie technique de production avec le soufflage, le bastissage, les techniques de transformation des poils en feutre, puis du feutre en chapeau, ce qui requiert à peu près une douzaine d'opérations très spécifiques nécessitant un grand savoir-faire. Au départ, la collection mode était assez réduite, constituée de pièces trouvées localement, et progressivement, elle s'est développée pour devenir l'une des premières collections françaises comparable à celles qui sont présentées dans les musées parisiens.
En 1986, les élus et les membres de l'association ont pris conscience de la lourdeur du fonctionnement et de la difficulté de gérer cet établissement public. La gestion du musée a donc été confiée à l'association qui en était à l'origine, avec signature d'une convention pluriannuelle.
3. Le développement du musée
Ce sont essentiellement la volonté forte et la passion des bénévoles et des salariés de l'association qui ont conduit à mener différentes actions en dehors du cadre traditionnel des musées dont la vocation est la conservation du patrimoine, la recherche et la valorisation et la diffusion auprès du public.
La première action importante a touché au savoir-faire. Au-delà des collections de machines et de chapeaux finis, la demande des visiteurs était assez importante pour voir les étapes du process de fabrication. Dans le même temps, parmi les membres de l'association, des chapelières retraitées souhaitaient faire partager leur métier autrement que par des photographies et des vidéos.
Dans les années quatre-vingt-dix, des démonstrations avaient lieu deux fois par mois, ce qui était assez peu. Sous la pression du public et pour renouveler l'intérêt culturel et touristique du site, le musée a engagé un jeune chapelier qui a été formé en interne par des chapeliers qui avaient 30 ou 40 ans de métier. Les démonstrations sont maintenant assurées chaque jour toute l'année. Avec les 35 heures et les contraintes horaires, une seconde personne a reçu une formation pour assurer ces démonstrations en permanence. On procède à la mise en forme du feutre, étape qui s'opère à partir de vapeur sur des moules de bois.
Ces actions ont conduit à travailler sur un projet de boutique puisque, au départ, il y avait simplement un petit comptoir qui diffusait quelques cartes postales et quelques chapeaux miniatures. Pour satisfaire les attentes des visiteurs et pour aller dans le sens de l'autofinancement de la structure, a été lancée une production de chapeaux diffusée simplement à l'intérieur du musée. Sans faire de concurrence à des professionnels qui avaient déjà bien souffert ces dernières années, il était important que les visiteurs puissent repartir avec un produit lié aux traditions du territoire. Quand on voit faire et que l'on connaît les méthodes, le process de fabrication, le regard est totalement différent par rapport au prix de vente d'un chapeau qui peut valoir de 7,5 € à 120 € l'unité.
En termes d'animation, nous avons mis en place à partir de 1998 un centre de formation mode-chapellerie, déclaré à la Direction Régionale du Travail, de l'Emploi et de la Formation Professionnelles, qui permet d'accueillir des stagiaires venant de France et de l'étranger. La proposition en termes d'offre de formation permanente pour adultes en mode chapellerie est très faible en France. Les stages accueillent des professionnels qui désirent se spécialiser sur certaines techniques ou des personnes qui souhaitent se reconvertir. Actuellement, ces stages représentent une quinzaine de sessions par an d'une durée de deux à sept jours. L'encadrement est assuré par des chapeliers retraités et un professeur de mode d'une école parisienne qui vient régulièrement, mais également par une artiste genevoise puisque dans le cadre des stages, outre le savoir technique, il y a une approche artistique pour favoriser la création.
La collaboration entre les acteurs locaux héritiers des techniques traditionnelles et les créateurs a permis des échanges professionnels assez riches.
4. Les retombées économiques
Le bon taux de fréquentation de l'établissement engendre un flux économique pour le petit commerce local. Bien que modestes, les retombées sont intéressantes à l'échelle de la collectivité puisque, en 2001, 56 stagiaires ont généré 206 nuitées sur le secteur. Une notoriété assez importante est obtenue pour le musée et pour la collectivité. Différentes publications nationales se font l'écho de l'expérience de Chazelles.
En France, l'appellation « musée » a une connotation assez négative, c'est pourquoi le musée a été rebaptisé Atelier-musée du chapeau . Tout en se tournant vers la création et la production, la vocation première essentielle est conservée. Le musée est un lieu de transmission de savoir-faire.
La seconde action a porté sur l'élargissement des publics. La préoccupation actuelle au plan touristique consiste à essayer d'adapter l'offre à la demande, et notamment de segmenter et d'évaluer les offres destinées à différents types de publics. L'accueil des personnes handicapées par exemple a surtout impliqué la formation des guides et des personnels du musée. Il a également fallu une adaptation importante aux publics scolaires à travers différents outils de médiation comme un jeu et des ateliers de feutrage.
5. Les partenaires
La mise en place de l' Atelier-musée du chapeau a nécessité un important travail en réseau avec les différents organismes (CDT, CRT et autres). Une action a été mise en place avec l'Office de Tourisme cantonal de Chazelles-sur-Lyon. D'autres partenaires comme des fermes découvertes et des ateliers artisanaux ouverts à ce type de tourisme pédagogique ont accepté de travailler sur la médiation. C'est-à-dire que leur premier savoir-faire est la production et non pas l'accueil du public, et ces gens ont accepté de suivre des formations pour acquérir une bonne qualité d'accueil.
En trois ans, les différentes prestations ont permis de générer plus de 15 000 € de chiffre d'affaires.
6. Quelques actions
Aujourd'hui, la fréquentation du musée avoisine les 22 000 entrées par an. En 1993, un hôtel-restaurant a été créé. Au niveau de la population de la commune, le musée a eu un impact psychologique bénéfique ; les habitants ont pris conscience qu'un public extérieur pouvait être intéressé par leur activité, par leur histoire, alors que la crise avait été tellement importante dans les années soixante-dix que même les petits-enfants en parlent encore comme d'une activité catastrophique alors qu'elle a été source de richesses très importantes pour la collectivité pendant des siècles.
La création d'un site Internet ( www.museeduchapeau.com ) a permis une ouverture assez large et une promotion des différentes activités de visite et de formation, ainsi que la mise à disposition d'informations pratiques pour faciliter la venue du public à Chazelles-sur-Lyon.
La dernière action a été la mise en place d'un concours international de créateurs de chapeaux pour s'ancrer dans le contemporain et montrer que l'accessoire chapeau qui a lui aussi une image pour le moins vieillotte, est quelque chose qui permet véritablement une expression artistique. Il s'agit d'un concours biennal lancé en 1995 avec une trentaine de participants au départ, 124 en 2001, 16 pays représentés, un soutien de la maison Hermès, de Lyonnaise de Banque et un prix de la SEMA. Le flux des concurrents et de l'ensemble de l'organisation génère environ une cinquantaine de nuitées sur la région.
7. Les projets
Les projets dans le sens de l'exploitation économique de ce patrimoine se poursuivent ; un programme européen devrait démarrer prochainement sur la transmission de savoir-faire avec la SEMA. On s'interroge également sur la structure associative, sur son adaptation aux impératifs notamment commerciaux, au champ de la concurrence, sur le degré de renouvellement des produits - transmettre des savoir-faire à travers des formations, c'est bien, avoir également une gamme de produits serait quelque chose d'intéressant - et la capacité à multiplier encore la création de richesses localement.
Pour conclure, l'évolution du musée en atelier-musée est tout à fait atypique dans le monde des musées français. Sans être généralisable, cela semble être une voie de développement intéressant pour lier à la fois patrimoine et économie, et apporter un mode de structuration intelligent et intelligible de micro territoires.
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Ces témoignages montrent qu'il n'y a pas de hasard, il n'y a pas de fatalité, il y a une construction d'un projet qui réussit s'il n'est pas solitaire et s'il reçoit également des soutiens extérieurs. Philippe Chain a également retenu qu'il fallait adapter l'offre par rapport à une demande, qu'une évolution était envisagée on voit poindre par ailleurs l'impact de l'Europe puisque l' Atelier-musée du chapeau bénéficiera également d'un programme européen.
DÉBAT AVEC LA SALLE
Marie-Hélène Devillard a émis un souhait quant aux dates des Journées Métiers d'art, aussi M. le Sénateur Joly profite de cette opportunité pour demander aux participants s'il faut faire un troisième colloque, quand et où.
M. Pierre Chevalier répond que ce colloque, s'il doit se pérenniser, ne peut se dérouler qu'au Sénat. Reste à préciser le thème : il souligne qu'ila beaucoup été question de formation ce matin. M. Chevalier propose donc au sénateur Joly d'envisager un troisième colloque au Sénat, en octobre 2003 et précise que la SEMA , pour sa part, organisera d'autres colloques, mais pas uniquement à Paris, sur le développement local.
La SEMA avait proposé que l'étude d'opportunité sur le développement des routes et itinéraires métiers d'art, réalisée sous la maîtrise d'ouvrage de l'AFIT 12 ( * ) et cofinancée par la Direction du Tourisme et la Direction des Entreprises commerciales, artisanales et de services, soit présentée aujourd'hui. Cette étude n'étant pas terminée, notamment dans sa partie prospective qui paraît la plus intéressante, Mme Landais a considéré qu'une présentation aurait été prématurée, d'autant qu'elle n'est pas validée.
Toutefois, pour en parler rapidement, Mme Landais indique que l'analyse de l'existant est faite et bien faite. Environ 30 routes, dont 16 routes spécifiquement métiers d'art, ont été analysées de manière précise. Une enquête a été menée auprès des professionnels, tant métiers d'art que professionnels du tourisme, collectivités, etc.
En ce qui concerne les résultats, il n'y aura pas de données sur les chiffres d'affaires, ni sur les retombées économiques ; en revanche, on peut dire que les retombées sont positives pour les professionnels métiers d'art en termes de notoriété, de travail en réseau ou de rapprochement avec d'autres professionnels. Sans doute n'y aura-t-il pas de réponse sur l'opportunité de développer les routes métiers d'art, mais Mme Landais indique qu'en revanche il y aura des facteurs-clés de succès, notamment : avoir une véritable stratégie (quels objectifs, quels publics, quels moyens, quels partenaires, quels marchés sont visés, quels moyens humains, quels moyens financiers ?) et associer les professionnels (les routes qui marchent le mieux sont celles qui sont portées par les professionnels, viennent d'une initiative des professionnels, ou dans lesquelles les professionnels se sont beaucoup impliqués). Les autres facteurs de succès : s'associer à d'autres réseaux ; superposer les réseaux, c'est-à-dire associer musée et métiers d'art ou gastronomie et métiers d'art pour regrouper les moyens, prévoir une animation (un chef de projet ou un animateur) ; développer un dispositif de connaissances et de suivi de la demande avec la mise en place d'indicateurs sur la fréquentation, l'impact économique, l'image, etc. ; organiser éventuellement une formation à l'accueil.
L'étude est intéressante et riche d'informations, c'est pourquoi Mme LANDAIS pense qu'elle pourrait donner lieu à une présentation suivie d'un débat qui pourrait être l'un thème du prochain colloque ou d'une demi-journée de ce colloque.
En ce qui concerne l'expérience de A table ! M. Philippe Beltrando aimerait avoir quelques précisions sur le statut juridique.
Mme Sophie Lossky-Aïchelé indique que A table ! est géré par une association loi 1901 qui assure la promotion et la communication. C'est un réseau de professionnels qui sont tous représentés au travers de A table ! Il n'y a pas de coopérative, mais cela pourrait effectivement évoluer vers ce type de structure. La réponse produit n'est pas encore en place, aussi, pour l'instant, l'association loi 1901 suffit totalement.
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Mme Sophie Toti - Déléguée SEMA du Val-de-Marne - attire l'attention sur le fait que l'on a parlé des « artisans d'art », or « artisan » est une qualification, aussi il faudrait dire « Métiers d'art », ce qui permet d'intégrer les professions libérales et les artistes libres qui exercent également leur profession dans les métiers d'art. Ceci soulève la question du statut d'une partie des métiers d'art puisque, d'après l'administration fiscale, une partie des artisans métiers d'art (restaurateurs, conservateurs) va passer du régime BIC au régime BNC. Ces artisans métiers d'art vont sans doute partir des Chambres de métiers ( cf. note du ministère des Finances ) sous prétexte d'excellence . Aujourd'hui, il est question de l'excellence des artisans, des métiers d'art, or il faut reconnaître que si tous les artisans ont une excellence, ils peuvent rester dans les Chambres de métiers.
Mme Marie-Hélène Devillard indique que ce sont les professionnels des métiers d'art de son département qui ont souhaité que les manifestations soient présentées sous le terme « d'artisanat d'art », pour évoquer la genèse même de leur savoir-faire, et c'était entre autres en ouvrant leurs ateliers, qu'ils se considéraient comme de véritables artisans faisant partie de cette grande corporation des métiers d'art.
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M. Hervé Lasseron - Artisan cuisinier - qui a le projet d'animer, avec un ami lithographe graveur, un restaurant exposition en Bourgogne pour s'inscrire dans un patrimoine culturel extrêmement fort, a entendu que « le chef gastronomique est un artisan d'art ».
Pour M. Lasseron , artisan d'art est un peu la consécration du métier artisanal. Un seul savoir-faire répété tous les jours permet d'avoir de la matière, donc de dégager une sensibilité extrême. Il faut absolument dissocier les deux choses, ce sont deux métiers complémentaires et valorisant l'un pour l'autre dans tous les sens.
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* 12 Agence Française d'Ingénierie Touristique