II. LES ARGUMENTS OPPOSÉS AUX POLITIQUES BUDGÉTAIRES MÉRITENT ATTENTION...

Plusieurs courants de la pensée économique ont jeté un certain discrédit sur les politiques budgétaires.

Les arguments avancés sont surtout théoriques, ce qui, en soi, ne les condamne pas.

Une brève récapitulation des principaux arguments contre la politique budgétaire apparaît nécessaire compte tenu de leur relation avec le pacte de stabilité et de croissance. De fait, ses règles apparaissent largement fondées sur des conceptions pouvant inspirer une méfiance de principe envers la politique budgétaire.

A. L'ÉCOLE DU PUBLIC CHOICE OU LA DÉFIANCE ENVERS LES DÉCIDEURS POLITIQUES

Une première classe d'arguments présentés par les théoriciens du Public Choice conduit à préconiser l'encadrement des politiques budgétaires par des règles. Cette recommandation se fonde sur une défiance envers les décideurs politiques dont l'action serait guidée par leurs propres intérêts. L'analyse des cycles électoraux montrerait une préférence des politiques pour le déficit qu'il convient donc de prévenir en encadrant à froid leurs décisions par l'édiction d'une véritable constitution économique. Le pacte de stabilité et de croissance, en instaurant une forme de constitutionnalisme économique européen orienté vers la disparition des déficits publics, relève indubitablement d'une telle approche.

B. LES ANALYSES NÉOCLASSIQUES OU LA POLITIQUE BUDGÉTAIRE REFUSÉE

1. L'effet d'éviction

Une deuxième classe d'arguments met l'accent sur l'inefficacité, voire la nocivité des politiques budgétaires. Appartenant à la mouvance néoclassique, leurs défenseurs insistent sur deux éléments.

La politique budgétaire exercerait un effet d'éviction , ce qui conduit à recommander de tendre vers une amélioration constante des soldes publics.

La mise en oeuvre d'une politique budgétaire restrictive est susceptible de conduire à une baisse des taux d'intérêt à travers différents canaux de transmission :

- La réduction du besoin de financement des administrations publiques permet une réduction du montant net des émissions de titres publics . Il en résulte a priori une baisse du prix du capital - le taux d'intérêt - sur les marchés obligataires.

- L'assainissement de la politique budgétaire réduit « l'effet boule de neige » de l'endettement public, donc le risque de répudiation de sa dette par l'Etat (soit directement par défaut de paiement, soit indirectement grâce à une relance de l'inflation ou grâce à une dévaluation si la dette est libellée en monnaie nationale). Ceci diminue la prime de risque de change et la prime de risque inflationniste attachées aux titres publics ou privés émis en monnaie nationale (en particulier à long terme), s'en trouvent réduites.

- Plus généralement, si la situation budgétaire est fortement dégradée, une politique de réduction des déficits publics est de nature à améliorer la crédibilité de la politique économique d'ensemble , ce qui peut également permettre aux autorités monétaires de réduire les taux d'intérêt directeurs.

- Enfin, lorsque la politique budgétaire restrictive exerce un effet de ralentissement de l'activité économique, ce phénomène est en lui-même susceptible de favoriser une baisse de l'ensemble des taux d'intérêt : d'une part, la diminution de l'investissement privé concourt avec la baisse des émissions de titres publics à une détente des taux de marché ; d'autre part, la contraction de la demande ralentit l' inflation , ce qui peut permettre aux autorités monétaires de réduire les taux d'intérêt de court terme .

2. Les anticipations

En outre, le maniement de l'instrument budgétaire à des fins de stabilisation se heurterait aux anticipations des agents économiques.

Des arguments théoriques , connus sous le nom de théorème d'équivalence de Ricardo-Barro, suggèrent que la mise en oeuvre d'une politique budgétaire restrictive pourrait dans certaines circonstances ne pas entraîner de contraction de la demande totale (et vice versa ). La baisse de la consommation et des investissements publics serait contrebalancée par une hausse de la consommation privée (c'est-à-dire une baisse du taux d'épargne des ménages).

En effet, dès lors que les ménages ont le « souci du futur » , c'est-à-dire que leur consommation ne dépend pas de leur seul revenu courant, mais aussi de leurs anticipations de revenus futurs - leur « revenu permanent » -, et que le système financier leur permet d'effectuer aisément des arbitrages entre leur consommation actuelle et leur consommation future (c'est-à-dire que les ménages disposent d'une gamme étendue de produits financiers pour leur épargne et d'un accès facile au crédit), une réduction des dépenses ou des déficits publics peut accroître la consommation privée selon les mécanismes suivants :

- Si les ménages sont convaincus qu'une hausse des prélèvements fiscaux est inéluctable à moyen terme (pour stabiliser la dette publique), ils se sont déjà constitués une épargne supplémentaire en vue de ces impôts futurs. Inversement, l'annonce que l'ajustement budgétaire ne sera pas différé non seulement ne réduit pas la consommation (les ménages puisent dans cette épargne accumulée), mais peut même l'accroître si la résolution aujourd'hui des difficultés budgétaires les rassure pour l'avenir.

- De manière similaire, si une politique budgétaire restrictive réduit le risque d'une répudiation prochaine de la dette publique (par l'inflation ou la dévaluation) et d'une crise financière , cela augmente la probabilité d'une croissance saine à moyen terme, donc les revenus futurs des ménages ; cette « bonne nouvelle » les incite à accroître immédiatement leur consommation.

- Enfin, si la politique budgétaire restrictive s'accompagne d'une diminution des dépenses publiques perçues comme improductives , les ménages anticipent une meilleure allocation des ressources de la Nation et une augmentation de l'ensemble de leurs revenus disponibles futurs (c'est-à-dire de leur « revenu permanent »), ce qui est de nature à accroître immédiatement leur consommation.

Il est à noter que ces anticipations favorables sont en partie « autoréalisatrices » : si une majorité des ménages estiment qu'une politique budgétaire « trop laxiste » était la cause principale des difficultés économiques et augmentent leur consommation à l'annonce d'une politique budgétaire restrictive, cette dernière est alors susceptible d'avoir un impact favorable sur la croissance.

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