CONCLUSION
Le système français de droits de mutation à titre gratuit est un miroir des erreurs et des imperfections de notre système fiscal.
Moralisateur, il avantage en fait les montages les plus complexes, accessibles aux seuls contribuables les plus fortunés et les plus aisés.
Perfectionniste, il est d'une rigidité en totale contradiction avec les évolutions socio-économiques, et tourne donc le dos à la modernité.
Résultant d'adjonctions et de correctifs multiples, il n'est tout simplement plus compréhensible. Spécifiquement franco-français, il devient un réel handicap à la localisation des patrimoines sur notre territoire et à la continuité des entreprises.
Une réforme d'ensemble est assurément une nécessité. L'étude commandée par votre commission des finances et les propositions ci-dessus peuvent y contribuer. Elle ne doit pas être considérée isolément. C'est bien à une réflexion globale sur l'attractivité du territoire national que le Parlement va être prochainement invité. Les progrès à accomplir en matière de fiscalité du patrimoine seront un enjeu essentiel de ce débat. Contrairement à ce que pensait l'ancienne majorité de l'Assemblée nationale, il n'y a, loin de là, aucune contradiction, en ce domaine, entre efficacité économique et équité sociale : si les vrais patrimoines continuent à se localiser ailleurs, les injustices de notre système fiscal ne seront que plus criantes pour les contribuables restants !
EXAMEN EN COMMISSION
Réunie le mercredi 20 novembre 2002 , sous la présidence de M. Jean Arthuis, président , la commission a entendu une communication de M. Philippe Marini, rapporteur général, sur la fiscalité des mutations à titre gratuit .
Après avoir rappelé les conditions dans lesquelles il avait été décidé de mener cette étude dans le cadre du Comité d'évaluation des politiques publiques, M. Philippe Marini, rapporteur général , a indiqué qu'il était devenu seul en charge du rapport par suite de l'entrée au Gouvernement d'Alain Lambert.
Il a ensuite souligné que la question des droits de mutation se pose désormais dans un contexte européen : avec l'avènement de l'euro et l'unification croissante de l'espace économique européen, avec la mondialisation qui amène de plus en plus d'agents économiques à travailler à l'étranger, on ne peut apprécier notre régime d'imposition des transmissions de patrimoine que d'une façon comparative. Telle est la raison pour laquelle son rapport s'est appuyé sur une étude d'un cabinet d'avocats fiscalistes, le cabinet Archibald International, qui lui a fournit, de façon très concrète, des éléments de comparaison internationale.
M. Philippe Marini, rapporteur général , a indiqué d'emblée que, compte tenu de l'état des finances publiques, il ne saurait être question d'aligner le régime français sur celui en vigueur en Allemagne ou en Grande-Bretagne, pour ne rien dire de l'Italie qui vient de supprimer tous droits de mutation et de donation.
En revanche, il a présenté sa démarche comme un rapport d'orientation susceptible d'éclairer les réflexions du Gouvernement dans la perspective annoncée d'une remise à plat de la fiscalité du patrimoine.
Puis le rapporteur général a évoqué les enjeux économiques et sociaux des droits de mutation. Il a indiqué que ceux-ci devraient, sans doute, mieux refléter l'évolution de la société et, notamment, les nouvelles solidarités familiales.
Sur le plan économique, il a affirmé qu'il s'agissait d'un impôt pesant plutôt sur les patrimoines moyens, compte tenu des possibilités d'optimisation offertes par le régime actuel. Pour illustrer cette affirmation, il a commenté plusieurs tableaux comparant le poids de l'impôt pour différents patrimoines professionnels et non professionnels, qui permettaient de conclure que, à l'exception de la Suède, la France était le pays dans lequel les successions étaient le plus imposées, en particulier pour les transmissions d'entreprises.
Puis M. Philippe Marini, rapporteur général , a fait état des données statistiques qui lui ont été transmises par la Direction générale des impôts pour l'année 2000. Il a fait observer que le montant moyen transmis est proche de 100.000 euros, alors qu'il n'atteignait que 56.000 euros il y a quinze ans. Il a également attiré l'attention sur le fait que seuls les droits perçus sur les successions, avec un montant moyen de 15.000 euros, sont substantiels. Enfin, il a mis l'accent sur la concentration de l'impôt, les 10 % des successions les plus élevées donnant lieu à la perception de plus de 46 % des droits.
Puis le rapporteur général commenté une série de courbes retraçant la forte croissance des impôts d'Etat sur le patrimoine : depuis 1980, le total de ces impôts en monnaie constante, y compris l'impôt de solidarité sur la fortune, est passé de 2 à 10 milliards d'euros pour représenter 4 % des recettes fiscales nettes, à comparer au pourcentage de 1 % atteint au début des années 80.
Après avoir renvoyé les membres de la commission à son rapport écrit pour le détail des propositions du cabinet Archibald International, dont l'objet était d'une part de diminuer radicalement le nombre de tranches du barème et d'éliminer toute une série de frottements fiscaux, M. Philippe Marini, rapporteur général , a exposé les axes de ce que pourrait être une réforme de structure de la fiscalité des mutations à titre gratuit. Il s'agit, selon lui, d'une part d'assurer la lisibilité, et donc l'acceptabilité des prélèvements, et, d'autre part, de faciliter la fluidité intergénérationnelle des patrimoines, notamment professionnels.
Pour rendre plus lisible les droits de mutation, le rapporteur général a exposé un certain nombre d'objectifs :
- limiter le nombre de tranches et relever les abattements ;
- indexer les seuils pour éviter les prélèvements rampants ;
- assurer la neutralité de la fiscalité au regard des remembrements de propriétés ;
- et revoir enfin les modalités d'évaluation des actifs professionnels dans un contexte de relativité des prix.
Il a conclu cette partie de son exposé en faisant savoir qu'une telle réforme coûterait 3,6 milliards d'euros d'après les services de la Direction générale des impôts et qu'il ne pouvait, dans les circonstances actuelles, s'agir que d'un cadre de référence démontrant que, si l'on voulait modifier le régime fiscal, il fallait faire un effort du même ordre de grandeur que celui effectué par le collectif de juillet dernier en matière d'impôt sur le revenu.
Puis M. Philippe Marini, rapporteur général , a développé le deuxième volet de ses propositions tendant à faciliter les transmissions de patrimoine entre les générations. Dans cette perspective, il a préconisé les mesures suivantes :
- actualiser le barème de l'usufruit ;
- étendre aux donations le régime dit « Gattaz » ;
- étudier la taxation des plus-values pour la transmission des entreprises de façon dégressive au niveau du patrimoine des bénéficiaires ;
- moduler le régime des donations en fonction de l'intervalle séparant les mutations ;
- enfin, instaurer, en matière de mutations à titre gratuit, une réduction d'impôt pour dons aux oeuvres d'intérêt général dans la perspective ouverte par sa proposition de loi sur les fondations agréées d'intérêt général.
En conclusion de son exposé, M. Philippe Marini, rapporteur général , a souligné que le régime des droits de mutation reflétait tous les défauts de la fiscalité française, en ce qu'il combinait des taux nominaux élevés avec des possibilités de réductions d'impôt aussi nombreuses que complexes, et qu'il fallait, en tout état de cause, s'efforcer de mettre en place un système plus simple susceptible de faciliter la transmission des patrimoines dans une société vieillissante.
A l'issue d'un vaste débat, au cours duquel sont intervenus, MM. Philippe Adnot, Maurice Blin, Eric Doligé, Yann Gaillard, Roland du Luart, Aymeri de Montesquiou et Jacques Oudin , Paul Loridant , ainsi que M. Jean Arthuis, président, pour insister notamment sur l'importance du facteur démographique, la commission a donné acte au rapporteur général de sa communication. Elle a décidé d'autoriser la publication des conclusions de la communication relative aux mutations à titre gratuit sous forme d'un rapport d'information .