C. LES GRANDS AXES D'UNE RÉFORME DE STRUCTURE
Votre rapporteur général a pris note des propositions du cabinet Archibald International (réseau E&Y) en ce qu'elles révèlent toute une série de difficultés d'application d'une législation trop complexe.
Tout en reprenant à son compte une partie des suggestions de l'étude, il s'est surtout attaché à définir les grandes lignes d'une réforme d'ensemble qui s'efforcerait de rendre notre fiscalité des mutations à titre gratuit mieux comprise par les Français.
A cet égard, deux impératifs lui ont paru devoir guider une réforme d'envergure : assurer la lisibilité des prélèvements et faciliter la fluidité des patrimoines, notamment professionnels.
Tout au long de l'exposé des mesures de nature à rapprocher notre système fiscal de ces deux objectifs, votre rapporteur général considère qu' il faudra au Parlement arbitrer entre deux valeurs essentielles, la solidarité et l'attractivité .
Les axes de réforme dégagés par votre rapporteur général prennent appui sur les propositions du cabinet Archibald International (réseau E&Y) mais plus encore sur les éléments d'information sur les autres systèmes fiscaux étrangers.
La France est un pays dans lequel la transmission des patrimoines est taxée de façon particulièrement lourde. Compte tenu de l'importance des recettes que procurent les droits de mutation à titre gratuit, presque 7 milliards d'euros , il n'est guère possible de procéder à un allègement massif dans la conjoncture économique et budgétaire actuelle et prévisible à moyen terme.
S'il est difficilement envisageable de se rapprocher du niveau de prélèvement allemand ou britannique, on peut s'inspirer de nos partenaires concurrents du point de vue des caractéristiques techniques.
1. Assurer la lisibilité et donc l'acceptabilité des prélèvements
Comme dans beaucoup de secteurs de la fiscalité, il y a une certaine antinomie entre le souci qui consiste à prendre tous les cas particuliers et celui qui veut rendre compréhensible le mode de prélèvement.
La conviction de votre rapporteur général est que les prélèvements doivent être, si ce n'est choisis, du moins compris dans leurs modalités et qu'il faudrait, en conséquence, simplifier au maximum les règles. Telle est la raison pour laquelle il retient, dans les propositions d'Archibald International (réseau E&Y), celles consistant à limiter le nombre de tranches et de seuils tout en renforçant, dans un souci de transparence et d'acceptabilité, le système par une indexation des montants monétaires et le non-encouragement au démembrement de propriétés.
a) Limiter le nombre de tranches et relever les seuils
Actuellement, il y a sept tranches d'imposition de dimensions très inégales. Le cabinet Archibald International (réseau E&Y) propose de n'en garder que trois, égales respectivement, comme on l'a vu, à 0 %, 20 % et 30 %. Il s'agit d'une mesure essentielle que votre rapporteur général reprend à son compte, étant entendu que le réalisme peut conduire à prévoir néanmoins trois tranches non nulles, égales respectivement à 10 %, 20 % et 30 %.
On peut discuter longtemps sur les seuils de ces nouvelles tranches d'imposition. Sans avoir la prétention d'avoir trouvé une formule exempte de critiques, une base de discussion raisonnable consisterait sans doute à prévoir des seuils aux alentours de 100.000 euros à 150.000 euros pour les abattements dont bénéficient les enfants ou les époux.
Pour les limites des tranches supérieures, il a paru cohérent de substituer au montant de 750.000 euros retenu par Archibald International (réseau E&Y) celui de 720.000 euros actuellement en vigueur pour l'impôt sur la fortune.
Ce n'est qu'au-delà du triple de ce montant, soit 2,16 millions d'euros que serait atteint le taux maximum de 30 %, partout dont on note qu'il est inférieur au seuil actualisé de la dernière tranche à 40 %, soit 2,45 millions d'euros.
Assurance vie et transmission du patrimoine Aux termes de l'article L. 132-12 du Code des assurances, les sommes payables lors du décès de l'assuré à un bénéficiaire déterminé ou à ses héritiers ne font pas partie de sa succession. Elles sont donc en principe exonérées, sous réserve de l'article 757 B du Code Général des Impôts qui soumet aux droits de succession la fraction excédant 30.500 euros des primes versées au-delà de 70 ans. Toutefois, l'article 990 I du CGI, récemment modifié par la loi n° 2001-1276 du 28 décembre 2001, instaure un prélèvement spécifique de 20 % sur la fraction excédant 152.500 euros des sommes dues par les organismes d'assurance et assimilés. |
Récapitulation du tarif proposé
Fractions de part nette taxable |
Taux |
Époux N'excédant pas 150 000 € Comprise entre 150 000 € et 719 000 € Comprise entre 720 000 € et 2 160 000 € Au-delà de 2 160 000 € |
0% 10% 20% 30% |
Ligne directe N'excédant pas 100 000 € Comprise entre 100 000 € et 2 160 000 € Au-delà de 2 160 000 € |
0% 20% 30% |
Frères et soeurs N'excédant pas 20 000 € Au-delà de 20 000 € |
0% 30% |
Partenaires à un PACS N'excédant pas 50 000 € Au-delà de 50 000 € |
0% 30% |
Parents jusqu'au 4 ème degré N'excédant pas 20 000 € Au-delà de 20 000 € |
0% 40% |
Non-parents N'excédant pas 10 000 € Au-delà de 10 000 € |
0% 50% |
Si le taux pour les non-parents reste comparativement élevé par rapport aux tarifs couramment en vigueur dans les autres pays européens, cette rigueur reste parfaitement supportable pour les successions préparées du fait des avantages accordés en matière d'assurance vie sur lesquels il n'est pas question de revenir.
Simulation pour une part nette taxable de 150 000 euros
Part nette taxable |
||
150 000 |
Droit existant |
Réforme proposée |
Cas 1 : époux |
||
Abattement |
76 000 |
150 000 |
Tarif |
5%-10%-15%-20% |
|
Liquidation |
12 170 |
0 |
Cas 2 : parents en ligne directe |
||
Abattement |
46 000 |
100 000 |
Tarif en % |
5%-10%-15%-20% |
20% |
Liquidation |
19 100 |
10 000 |
Cas 3 : Frères et soeurs |
||
Abattement |
15 000 |
20 000 |
Tarif |
35% -45% |
30% |
Liquidation |
58 450 |
39 000 |
Cas 4 : partenaires à un PACS |
||
Abattement |
57 000 |
50 000 |
Tarif |
40 % - 50% |
30% |
Liquidation |
45 000 |
30 000 |
Cas 5 : parents jusqu'au 4° degré |
||
Abattement |
1 500 |
20 000 |
Tarif |
55% |
40% |
Liquidation |
81 675 |
52 000 |
Cas 6 : non-parents |
||
Abattement |
1 500 |
10 000 |
Tarif |
60% |
50% |
Liquidation |
89 100 |
70 000 |
Simulation pour une part nette taxable de 500 000 euros
Part nette taxable |
||
500 000 |
Droit existant |
Réforme proposée |
Cas 1 : époux |
||
Abattement |
76 000 |
150 000 |
Tarif |
20% |
10% |
Liquidation |
84 800 |
35 000 |
Cas 2 : parents en ligne directe |
||
Abattement |
46 000 |
100 000 |
Tarif |
20% |
20% |
Liquidation |
90 800 |
80 000 |
Cas 3 : Frères et soeurs |
||
Abattement |
15 000 |
20 000 |
Tarif |
35% - 45% |
30% |
Liquidation |
218 250 |
144 000 |
Cas 4 : partenaires à un PACS |
||
Abattement |
57 000 |
50 000 |
Tarif |
40% - 50% |
30% |
Liquidation |
221 500 |
135 000 |
Cas 5 : parents jusqu'au 4° degré |
||
Abattement |
1 500 |
20 000 |
Tarif |
55% |
40% |
Liquidation |
274 175 |
192 000 |
Cas 6 : non-parents |
||
Abattement |
1 500 |
10 000 |
Tarif |
60% |
50% |
Liquidation |
299 100 |
245 000 |
A titre de comparaison, on rappellera que l'on se situerait encore très largement au-dessus de la Grande-Bretagne, qui prévoit un abattement de 400.000 euros à la base, mais aussi de l'Allemagne pour laquelle le taux maximum de 30 % n'est atteint que pour une part successorale de 25,6 millions d'euros.
Le coût de l'adoption du barème ci-dessus serait, selon les résultats fournis par les ordinateurs de la DGI, particulièrement élevé : 2,6 milliards d'euros au titre des successions, 1 milliard d'euros au titre des donations, soit un total de 3,6 milliards d'euros .
Coût du barème proposé
Par lien de parenté |
Coût successions |
Coût donations |
Coût total
|
Conjoint |
151,2 |
16,9 |
168,1 |
Ascendant |
31,5 |
4,5 |
36,0 |
Enfant vivant ou représenté |
1 155,5 |
806,4 |
1 961,9 |
Petit-enfant (non en représentation) |
59,9 |
30,8 |
90,7 |
Autre descendants |
8,2 |
1,0 |
9,2 |
Parent au 3ème degré |
445,6 |
83,3 |
528,9 |
Parent au 4ème degré |
164,1 |
4,3 |
168,4 |
Parent au-delà du 4ème degré |
66,7 |
23,4 |
90,2 |
Non-parent |
220,5 |
23,9 |
244,4 |
Personne morale |
42,0 |
1,3 |
43,4 |
Frère ou soeur |
308,0 |
14,0 |
322,0 |
Ensemble |
2 653,3 |
1 009,8 |
3 663,1 |
Ce tableau montre que l'essentiel du coût du barème proposé tient à l'avantage consenti en ligne directe aux enfants , qui, avec 1,962 milliard d'euros, absorbent 53,6 % de la diminution d'impôt, ce qui représente la moitié de ce qui serait offert aux frères et soeurs et parents jusqu'au 4 ème degré, soit 1.019,3 millions d'euros. On note que les enfants absorberaient près de 80 % du coût fiscal de la modification proposée pour les seules donations.
Par catégorie de lien de parenté |
Coût successions |
Coût donations |
Coût total en M € |
Entre époux |
151,2 |
16,9 |
168,1 |
En ligne directe |
1 255,2 |
842,7 |
2 097,8 |
Collatéraux privilégiés |
917,7 |
101,6 |
1 019,3 |
Collatéraux ordinaires et non parents |
329,3 |
48,6 |
377,9 |
Ensemble |
2 653,3 |
1 009,8 |
3 663,1 |
Une des raisons de l'importance de la dépense fiscale relative aux enfants par rapport à celle concernant les époux tient au nombre beaucoup plus important de membres de la première catégorie par rapport à la seconde. Il y a à peu près cinq fois plus d'enfants qui héritent que de conjoints.
Faut-il renoncer à une proposition au motif qu'elle aboutit à diminuer de moitié le produit actuel de l'impôt ? S'agissant d'un travail de prospective destiné à fournir des éléments de réflexion au Parlement comme au gouvernement, il a paru préférable à votre rapporteur général de s'en tenir au barème proposé, même si en l'état actuel des finances publiques, il ne semble guère possible d'atteindre un niveau de fiscalité qui ne nous mettrait pas encore à un très bon rang dans la compétition fiscale européenne.
Au surplus, si l'on se place dans une perspective à long terme, on voit que, en termes de part des droits de mutation dans le total des recettes fiscales, on se retrouverait aux alentours de 1,5 %, c'est-à-dire du pourcentage constaté il y a quinze ans en 1987 ! Il faut souligner que si l'on appliquait aux recettes d'aujourd'hui le pourcentage moyen des années 1980 à 1985, soit 1,2 %, les droits de mutation à titre gratuit ne devraient rapporter qu'à peine 3 milliards d'euros.
Depuis lors, l'État a profité des prélèvements rampants maintes fois dénoncée par votre commission des finances pour accroître, année après années, ses recettes à un niveau tel qu'il est difficilement envisageable de revenir en arrière brutalement surtout dans une conjoncture financière incertaine.
Sans doute faudra-t-il jouer, au cours des discussions entre le gouvernement et le Parlement, sur les différents paramètres, taux et abattements et seuils des tranches pour ajuster le coût de la réforme aux possibilités financières de l'heure.
Faire un effort du même ordre de grandeur en montant absolu que celui de la loi de finances rectificative du 6 août 2002 en matière d'impôt sur le revenu, soit 2,55 milliards d'euros, est inévitable, compte tenu de l'importance de la « captation d'héritage » à laquelle a procédé l'État depuis une vingtaine d'année.
Priorité à court terme doit être donnée à l'abaissement des taux et au réaménagement des tranches .
Quant au relèvement des abattements il serait sans doute à envisager, si l'on trouve le moyen d'en neutraliser certains effets d'anticipation en ce qui concerne les donations, sur le moyen terme. A cet égard et sous réserve d'une expertise complémentaire, on pourrait envisager un relèvement progressif des abattements, qui, s'il était assorti de la « proratisation » de l'obligation de rapporter l'abattement en cas de donation suivie d'un décès dans les dix ans, serait de nature à inciter les donateurs à donner le plus tôt possible sans attendre les effets d'un relèvement de l'abattement 6 ( * ) .
b) Indexer les seuils pour éviter les prélèvements rampants
Compte tenu des travaux récurrents à la commission des finances, il a paru souhaitable, de façon à rendre plus acceptable le prélèvement, de lutter contre les prélèvements rampants en prévoyant l'indexation des tranches dans les mêmes conditions que celles de l'impôt sur le revenu.
Ainsi, serait-on amené à avoir des seuils, certes complexes, mais qui, du fait de leur indexation, éviteraient que notre système de prélèvement ne puisse se figer, comme cela a été le cas ces dernières années. L'articulation entre les seuils des droits de mutation à titre gratuit et de l'ISF serait de nature à rendre l'actualisation moins difficile.
c) Assurer la neutralité de la fiscalité à l'égard des démembrements de propriété
En dépit de l'inadéquation du barème fixant le partage de la valeur d'un bien entre l'usufruit et la nue-propriété, les avantages offerts aux transmissions anticipées ont conduit à la multiplication des démembrements de propriétés.
Lors de son audition par votre rapporteur général, le directeur de la législation fiscale a clairement indiqué qu'il lui semblait logique, dès lors que l'on diminuerait les taux d'imposition, de revenir sur les avantages accordés aux transmissions anticipées ne portant que sur la nue-propriété, c'est-à-dire n'impliquant pas de dessaisissement effectif et immédiat du bien transmis.
Tout en considérant cette position comme trop catégorique, dans la mesure où il convient d'inciter les Français à anticiper sur leurs dispositions successorales, votre rapporteur général considère néanmoins qu'il ne faut pas encourager des mécanismes complexes qui aboutissent, en fait, à défavoriser tous ceux qui ne peuvent pas recourir à des conseillers fiscaux.
De façon plus générale, le démembrement de propriété doit être choisi parce qu'il convient aux parties en vue d'organiser leurs rapports économiques et juridiques et non pour bénéficier d'un régime fiscal plus favorable. Les modalités de taxation ne sont que l'accessoire du concept économique et juridique... et non l'inverse.
Le régime fiscal propre au démembrement doit être maintenu. Il n'est ainsi pas question de revenir sur la non-taxation de la réunion de l'usufruit à la nue-propriété. En revanche, il paraît effectivement plus légitime de donner des avantages plus importants aux donations portant sur l'ensemble des droits de propriété attachés aux biens.
d) Revoir les modalités d'évaluation des actifs professionnels dans un contexte volatile
Parmi les mesures ponctuelles, qui constituent des frottements mal compris par les contribuables, votre rapporteur général en retient une qui lui paraît particulièrement importante parce qu'elle concerne l'évaluation de la valeur du bien.
Actuellement, et c'est le cas dans tous les pays de l'Union européenne, il est de coutume d'évaluer le bien au jour de la mutation. Dans un contexte incertain lié à la difficulté de valoriser des sociétés non cotées ou à la volatilité des cours boursiers, il y a là une vraie difficulté.
Certes, il existe depuis 1998 une procédure dite de « rescrit » qui permet aux dirigeants d'entreprises individuelles, qui envisagent de donner tout ou partie de leur entreprise, de consulter l'administration sur la valeur fiscale de leurs biens. Cette procédure ne concerne que des entreprises ou des titres de sociétés non cotées rentrant dans la catégorie des biens professionnels au sens de l'ISF. Les délais sont courts : la donation doit intervenir dans les trois mois suivant l'accord de l'administration, lequel doit intervenir dans un délai maximum de neuf mois à compter du dépôt du dossier.
Il y a là un progrès appréciable mais qui ne règle pas le problème de succession, surtout lorsque le décès vient affecter la valeur de l'entreprise.
La proposition d'Archibald International (réseau E&Y) tendant à permettre de valoriser l'entreprise jusqu'à l'expiration du délai de dépôt de la déclaration de succession paraît une bonne piste. Certes la matière est délicate et il est vrai qu'il serait paradoxal de permettre au contribuable de se prévaloir de prix postérieurs au décès, alors que cela a été expressément interdit à l'administration fiscale par la Cour de cassation, mais il n'est pas moins injuste de taxer un hériter sur un actif partiellement fictif.
Le problème se pose a priori de façon différente selon que la société est cotée ou non. Dans le premier cas, il existe des cours officiels et il suffirait d'offrir au contribuable le choix entre le cours du jour du décès et une moyenne de cours définis à l'avance ; dans le second cas, la bonne solution consiste à prévoir que l'administration doit tenir compte dans l'estimation du prix de la décote qui peut apparaître par suite du décès lorsque la personne disparue joue un rôle tellement déterminant pour l'image ou le fonctionnement courant de la société, que la valeur du fonds de commerce est affectée par son décès.
2. Faciliter la fluidité intergénérationnelle des patrimoines, notamment professionnels
Compte tenu de l'allongement de l'espérance de vie, il est indispensable de faciliter la transmission des patrimoines en général et des entreprises en particulier, compte tenu de leurs enjeux : au delà des emplois à court terme, il en va de notre indépendance nationale à moyen et long termes.
On ne dissimule pas la difficulté qu'il y a à concilier deux nécessités : préserver l'attractivité du territoire national et ne pas établir de discriminations critiquables au regard de l'égalité devant les charges publiques, telle que le Conseil constitutionnel en a explicité le contenu.
Si votre rapporteur général estime qu'il faut donner sa chance au dispositif de l'article 789 A du code général des impôts fondé sur le respect d'engagement de conservation des titres ou parts de sociétés par les héritiers, il place plus d'espoir dans les pistes novatrices que constitueraient le report de la taxation des plus-values au niveau du patrimoine des bénéficiaires, ainsi que la modulation de la fiscalité des mutations en fonction de la durée séparant deux mutations.
C'est le système britannique qui inspire un certain nombre des propositions de votre rapporteur général moins du fait du faible niveau des prélèvements que par la souplesse des mécanismes fiscaux utilisés.
a) Actualiser le barème de l'usufruit
Le barème actuel de l'article 762 du CGI est en décalage avec les réalités démographiques d'aujourd'hui. Dans son 16 ème rapport au Président de la République (1998), le Conseil des impôts constatait que « le barème d'évaluation de l'usufruit et de la nue-propriété prévoit que les valeurs respectives des deux droits dépendent de l'âge de l'usufruitier. Or, ce barème a été élaboré au début du siècle et est actuellement obsolète en raison de l'allongement de la durée de la vie : en sous-estimant l'espérance de vie de l'usufruitier, il surestime par voie de conséquence la valeur de la nue-propriété » .
On peut rappeler que pour évaluer l'usufruit, deux paramètres doivent être connus : le rendement du bien mis à la disposition de l'usufruitier et la durée de l'usufruit, qui est assimilée à la durée de vie de l'usufruitier, dans le cas où l'usufruit est viager. Cet élément peut être défini à partir des tables d'espérance de vie publiées par l'INSEE.
L'article 13 de la loi du 25 février 1901 portant fixation du budget général des dépenses et des recettes de l'exercice 1901 a créé le barème fiscal de l'actuel article 762 du code général des impôts. Ce barème est fondé sur les tables d'espérance de vie de 1898-1903 et évalue le rendement des biens détenus en usufruit à 2 %.
Or, ces paramètres sont complètement obsolètes : l'espérance de vie a, au cours du siècle, augmenté en moyenne de plus de 60 %, tandis qu'un écart significatif s'est creusé entre les hommes et les femmes.
Par ailleurs, le postulat d'un rendement uniforme de 2 % par an est très critiquable. L'utilisation de ces paramètres conduit à surévaluer la nue-propriété. Selon les informations obtenues par votre rapporteur général, cette surévaluation peut dépasser 70 % de la pleine-propriété, pour des investissements d'un rendement égal ou supérieur à 10 %.
Or, l'obsolescence du barème n'est pas neutre fiscalement. En cas de donation ou de donation-partage avec réserve de l'usufruit, elle s'avère très pénalisante pour les contribuables puisque l'assiette de l'impôt est maximisée par une sous-estimation artificielle de la valeur de l'usufruit.
Age de l'usufruitier |
Bénéficiaires |
||
Usufruit |
Nue-propriété |
||
moins de 25 ans |
80 |
20 |
|
de 25 |
à moins de 30 |
75 |
25 |
de 30 |
à moins de 35 |
70 |
30 |
de 35 |
à moins de 40 |
65 |
35 |
de 40 |
à moins de 45 |
60 |
40 |
de 45 |
à moins de 50 |
55 |
45 |
de 50 |
à moins de 55 |
50 |
50 |
de 55 |
à moins de 60 |
45 |
55 |
de 60 |
à moins de 65 |
40 |
60 |
de 65 |
à moins de 70 |
35 |
65 |
de 70 |
à moins de 75 |
30 |
70 |
de 75 |
à moins de 80 |
25 |
75 |
de 80 |
à moins de 85 |
20 |
80 |
de 85 |
à moins de 90 |
15 |
85 |
de 90 |
à moins de 95 |
10 |
90 |
plus de 95 ans révolus |
5 |
95 |
Votre rapporteur général a choisi une solution de compromis qui vise à conserver un barème unique mais à en actualiser les paramètres. Le taux de rendement du bien retenu est de 4 %. La durée de l'usufruit est calculée en fonction de l'espérance de vie constituée à partir de la table de mortalité 1990-1992 établie par l'INSEE. Enfin, les tranches d'âge sont fixées de 5 ans en 5 ans.
Le secrétaire d'État au budget, M. Christian Pierret avait reconnu en 1999 qu'il était « légitime de s'interroger sur l'adéquation de ce barème instauré au début de ce siècle au regard de deux évidences : le rendement des actifs patrimoniaux a changé et l'allongement de la durée de vie humaine a modifié les tables de mortalité : nous gagnons un trimestre d'espérance de vie par an. Les données ne sont donc plus ce qu'elles étaient en 1903, et c'est la raison pour laquelle je suis favorable à engager une réflexion de fond afin d'examiner dans leur globalité les difficultés que pose l'application de l'article 762 du code général des impôts ».
Votre rapporteur général estime qu'il convient de régler un problème objectif qui perturbe les transmissions tant des entreprises que des patrimoines non professionnels. Si la mesure augmente le patrimoine taxable des conjoints, cet inconvénient est largement compensé par le doublement de l'abattement en faveur du conjoint que l'on envisage dans ce rapport.
Le coût de la mesure, qui a déjà été envisagée par votre commission des finances, serait de l'ordre de 80 millions d'euros.
b) Étendre aux donations en pleine propriété le régime de l'article 789 A du CGI
Le régime de l'article 789 A permet d'exonérer de droits de mutation par décès à concurrence de 50 % les transmissions par décès d'entreprises individuelles comme de parts ou actions de sociétés, sous condition du respect d'un engagement de conservation.
Initialement, l'engagement collectif de conservation, qui doit être conclu avant le décès, portait sur une période d'au moins huit ans et devait être suivi d'un engagement individuel de conservation pour une nouvelle période de huit années. La loi de finances pour 2001 a réduit ces délais à deux et six ans.
A ce jour, on ne compterait que relativement peu de cas d'utilisation de ce dispositif -une enquête est en cours-, probablement parce que son assouplissement est trop récent. Sans doute est-il trop contraignant à la fois du fait des durées de conservation et des sanctions en cas de sortie anticipée du dispositif. Votre rapporteur général a eu souvent l'occasion d'exprimer son scepticisme à ce propos car l'évolution de la vie économique ne permet plus guère de figer les situations patrimoniales pendant de telles durées...
Un autre « défaut de fabrication » du mécanisme d'incitation résulte de ce qu'il ne s'applique pas aux transmissions entre vifs. C'est pourquoi un bon test de l'utilité de la procédure serait son extension aux donations.
Mais, cela ne suffira sans doute pas à susciter un intérêt pour un mécanisme fondamentalement trop rigide. Il faut lui adjoindre un mécanisme plus souple.
c) Taxer les plus-values de façon dégressive au niveau du patrimoine des bénéficiaires
Comme on l'a vu précédemment, c'est le cumul de droits de mutation élevés et d'une taxation des plus-values qui permet aux prélèvements de dépasser 50 % en cas de succession non préparée.
On peut réduire le poids des droits de mutation en aménageant le tarif ou l'assiette des droits ; c'est la voie qui a été privilégiée jusqu'à présent.
Mais il y a une autre piste qui pourrait être explorée c'est celle de l'aménagement des modalités de paiement de l'impôt sur les plus-values.
La France est un des rares pays à pratiquer à une exception près 7 ( * ) la purge des plus-values en cas de mutation à titre gratuit. Tel n'est pas le cas, en matière de donation entre vifs, de la Grande-Bretagne où le paiement de l'impôt sur les plus-values est dû par le donateur sauf lorsqu'il s'agit de biens professionnels pour lesquels l'imposition est reportée jusqu'à leur cession ultérieure par le donataire.
Le mécanisme anglais est particulièrement intéressant par le jeu d'une règle dite du « taper relief », qui réduit l'impôt dû en fonction de la durée de détention : la réduction maximale de la plus-value (75 %) est atteinte au-delà de 4 ans, soit un taux effectif de 10 %.
La France pourrait avoir intérêt à renoncer à la purge des plus-values : si, en cas de donation entre vifs, le paiement de l'impôt sur les plus-values était mis à la charge du donataire et reporté jusqu'à la cession du bien par de ce dernier, on n'aurait plus besoin de multiplier les engagements de conservation : le donataire saurait qu'en cas de vente, il aurait à payer la plus-value. Ce système n'est pas inconnu en France en droit des sociétés, puisqu'il est applicable en cas de fusion ou d'apport qui permet à des entreprises d'obtenir le report du paiement de la plus-value. Il est le plus conforme à la réalité économique.
On pourrait même mettre en place un système de dégressivité , qui en prévoyant une diminution du prélèvement de 2 points de taux par an aboutirait à supprimer tout impôt - stricto sensu, car la CSG resterait inchangée- au bout de huit ans, soit une durée plus longue que celle prévue dans le régime actuel de l'article 789 A .
L'avantage du système est l' absence d'effet de seuil : on peut vendre très vite, mais on perd le bénéfice de l'avantage fiscal. Nul besoin d'engagement de conservation et autres pactes pour inciter les donataires à garder le bien.
d) Moduler le régime des donations en fonction de l'intervalle séparant les mutations
Le régime britannique des donations constitue aussi une source d'inspiration. Outre l'exonération totale des époux et l'existence d'un abattement de presque 400.000 euros, il existe un régime permettant de donner 5.000 euros chaque année, qui a la particularité d'être cumulable sur plusieurs années au point de constituer une « réserve » de donation en franchise de droits.
L'autre point important est qu'en cas de décès dans un délai de 7 ans à compter de la donation, il est fait application de droits dont la particularité est qu'ils sont modulables en fonction de la date du décès : au fur et à mesure que l'on se rapproche des 7 ans, le taux diminue.
En France les effets de seuils sont importants en matière de donation. De ce point de vue, le doublement, par l'article 5 du projet de loi de finances pour 2003, de l'abattement pour les donations consenties en faveur des petits enfants -qui va donc passer de 15.000€ à 30.000 €- est une bonne chose sur le fond.
Le régime français des doits de mutation est organisé sur la base d'un cycle décennal qui a les inconvénients d'être rigide. Il faut, pour en bénéficier à plein, être en mesure de procéder à des donations tous les dix ans, indépendamment d'une situation personnelle qui peut ne pas correspondre à ce rythme. Un abattement cumulable sur une base annuelle serait certainement plus adapté aux besoins et aux possibilités de chacun et, donc, plus utilisée.
Pour ce qui concerne les enfants, le fait que l'abattement « fonctionne » sur une base décennale peut aboutir à une certaine injustice, puisqu'il faut rapporter les donations antérieures, même en cas de décès du donateur à quelques mois de la fin du délai de 10 ans courant après la libéralité.
On pourrait concevoir un système de « proratisation » de l'obligation de rapport, ce qui serait à la fois plus juste et plus incitatif pour toutes les personnes qui hésitent à donner au motif qu'elles savent que ces dons viendront s'imputer sur les abattements auxquels auront droit leurs héritiers au moment de leur décès.
Concrètement, cela veut dire que, lorsque le décès intervient, par exemple, 9 ans après la donation, l'on pourrait conserver les 9 dixièmes de l'abattement et ne faire le rapport que du dixième de la donation, ce qui permettre a l'héritier de bénéficier de 90% de l'abattement pour le calcul des droits dus au titre du décès.
D'une façon générale, moduler la somme à rapporter à la succession serait de nature à éviter que la crainte de décéder juste avant l'expiration du délai de dix ans décourage les « bonnes volontés » parmi les personnes âgées : dans le système proposé, nombreux sont ceux qui n'hésiteront pas à donner à leurs enfants car ils sauront que, même s'ils meurent prématurément, les donataires n'auront pas « tout perdu » et garderont un avantage en matière d'abattement proportionnel au temps écoulé.
e) Instaurer en matière de droits de mutation à titre gratuit une réduction d'impôt pour dons aux oeuvres d'intérêt général
Sur le modèle de ce qui existe pour l'impôt sur le revenu avec l'article 200 du code général des impôts, il serait souhaitable de permettre au contribuable de bénéficier d'une réduction d'impôt en cas de don à un organisme poursuivant une oeuvre d'intérêt général, éventuellement sur des bases élargies aux fondations agréées d'intérêt général 9 ( * ) .
* 6 A titre d'exemple, on pourrait ainsi annoncer un plan sur six ans de relèvement des abattements entre époux et en ligne directe de 6000 et 5000 euros, par an pour les porter respectivement à 76.000 et 112.000 euros, sans que cette augmentation n'incite les donateurs à l'attentisme, dans la mesure où l'avantage qui pourrait résulter du report de la libéralité, sera pour les six premières années compensé à peu de choses près par le bénéfice de la proratisation, qui, au surplus, continuera de jouer alors même que le plan de remise à niveau des abattements sera achevé.
* 7 8 En effet, lorsque la donation a porté sur la nue-propriété des titres, seule la plus-value existant sur la nue-propriété se trouve purgée par l'effet de la donation. En conséquence, si le donateur a détenu la pleine propriété des titres, objet de la donation, avant leur démembrement, lors de la cession ultérieure des titres, le prix d'acquisition à retenir pour la détermination de la plus-value est constitué par le prix ou la valeur d'acquisition initiale de la pleine propriété, majoré de l'accroissement de valeur du droit transmis (dans l'exemple ci-dessus, de la nue-propriété) constaté entre la date de l'acquisition initiale de la pleine propriété et la date de la donation. Le prix d'acquisition de la nue-propriété correspond quant à lui à la valeur de ce droit retenue pour le calcul des droits de donation, augmenté du montant des droits effectivement supportés par le donataire. La plus-value latente correspondant à l'usufruit est donc désormais intégralement taxable. Cette instruction s'applique aux cessions de titres dont la propriété a été démembrée à compter du 3 juillet 2001, date de publication de l'instruction.
* 9 Proposition de loi n° 408 2001-2002) que votre rapporteur général a déposée, à titre personnel, au mois de septembre dernier.