II. LES DIFFICULTÉS RENCONTRÉES AVEC L'AVAL DE LA FILIÈRE
A. LA QUESTION DES ABATTOIRS
L'abattage des bovins, porcins et ovins doit être obligatoirement réalisé dans un abattoir agréé. Dans la grande majorité des cas, le choix de l'abattoir est limité par la distance à parcourir.
Les éleveurs sont en grande partie dépendants du prix qui leur est payé par les abattoirs. Or les modalités de fixation de ce prix reposent sur deux éléments substantiels au contrat de vente : le poids de la carcasse et son classement .
Si les règles relatives à la présentation, à la pesée, à la classification et au marquage (PCM) des carcasses des espèces bovines, ovines et porcines sont fixées par le décret n° 94-808 du 12 septembre 1994 , les méthodes d'évaluation du prix des carcasses font l'objet de critiques en raison de leur opacité .
En effet, à l'heure actuelle, la valeur d'une carcasse est fixée après analyse par un classificateur au sein de l'abattoir. Même si cet expert a une compétence reconnue, celui-ci est salarié. Il est donc à la fois « juge et partie ». Le classement rendu par le classificateur n'est donc pas toujours aussi fiable que celui d'une machine.
Ce dossier est particulièrement sensible car le classement rendu détermine la valeur de la carcasse et donc le revenu que l'agriculteur tire de ses animaux.
Votre mission est donc tout à fait favorable à une harmonisation de la constatation du poids des carcasses et de leur classement.
Ainsi, le développement de l'utilisation des machines à classer dans les abattoirs contribuera à rendre plus objectives les relations entre les éleveurs et leurs interlocuteurs. Il constituera un élément de rééquilibrage des relations avec l'aval de la filière .
En outre, la remontée quotidienne d'information sur le poids des carcasses, organisée par INTERBEV, devrait offrir des informations précieuses à l'interprofession et permettra d'envisager avec sérénité, sur la base de données objectives, le débat relatif au poids des carcasses.
B. LES CIRCUITS DE DISTRIBUTION DES PRODUITS DE L'ÉLEVAGE
Le mode de commercialisation des viandes a une incidence directe sur le revenu des éleveurs qui s'interrogent sur les raisons pour lesquelles le partage de la valeur ajoutée leur est si peu favorable. Les limites de distribution par les GMS demeurent trop souvent opaques, alors même que s'améliore la traçabilité et la qualité des produits.
1. Le poids de la grande distribution
a) Un monopole grandissant
(1) La concentration des grandes surfaces
Le marché de la grande distribution est extrêmement concentré. En effet, les cinq plus grandes enseignes se partagent 65 % du marché alimentaire .
Même si elle a été sensible aux crises alimentaires du fait de la baisse du tonnage de viande bovine vendue de (- 13 %) et du chiffre d'affaires (- 9 %) de 2000 à 2001, la grande distribution a acquis un poids économique qui la place en situation de force par rapport aux éleveurs . Les rayons boucheries des grandes surfaces représentent une part assez modeste de leur chiffre d'affaires total, estimé à 5,5 ou 6,5 %. Surtout, l'essentiel de la marge du rayon boucherie est réalisée sur la viande bovine, ce qui soumet les éleveurs spécialisés dans l'élevage allaitant à des pressions supplémentaires .
La concentration des distributeurs réduit fortement la capacité de négociation des fournisseurs . En ce qui concerne les achats de viande de boucherie, la responsabilité des acquisitions se trouve entre les mains des équipes nationales responsables des rayons boucherie dans les enseignes des réseaux et demeure encore entre les mains des chefs bouchers dans les réseaux indépendants.
Votre mission ne peut que déplorer que cette situation soit très défavorable aux intérêts des éleveurs qui n'ont ni le poids économique, ni la capacité de négocier d'égal à égal avec la grande distribution alors que la grande majorité de leurs produits sont vendus aux consommateurs par l'intermédiaire des grandes surfaces .
En outre, la très forte percée des magasins « hard-discount » sur le marché des viandes de boucherie, en général, et sur celui du boeuf, en particulier, a constitué une pression supplémentaire à la baisse sur le prix des viandes. Avec 6,9 % des volumes de boeuf achetés par les ménages en 1999, ces magasins ont enregistré une progression de 50 % de leur part de marché entre 1997 et 1999. Même si ces magasins proposent un nombre réduit de pièces (viande haché et pièces à griller de seconde catégorie), les prix des produits sont souvent très compétitifs, même s'ils s'avèrent être de moins bonne qualité.
(2) Une baisse des prix à la production qui ne s'est pas traduite par une baisse des prix à la consommation
La question du partage de la valeur ajoutée se pose avec d'autant plus d'acuité que les éleveurs ont enregistré une forte baisse de leurs revenus, alors même que les marges des GMS semblaient relativement stable.
La crise bovine a mis à jour un paradoxe touchant aux conditions de vente des produits issus de l'élevage. En effet, les prix ont continué à augmenter pour les consommateurs, alors que le revenu des éleveurs a lui baissé. En outre, après la crise, on a assisté à une reprise du niveau de la consommation. Les grandes surfaces en ont alors profité pour rétablir leurs marges, qui ont atteint un niveau supérieur à celui qui prévalait avant la crise de 2001. Les agriculteurs ont donc été clairement lésés à l'issue de cette évolution.
Une étude de l'Institut de l'Elevage de janvier 2002 identifie quatre raisons de l'effet du ciseau entre les prix à la production et ceux au détail en 2001 :
- la hausse des coûts de transformation , liée à l'obligation d'indiquer sur l'étiquette les numéros d'abattoirs et d'ateliers de découpe pour répondre aux exigences de la traçabilité et au coût des tests ESB ;
- la dévalorisation des viandes destinées à la fabrication de viandes hachées , qui a également eu un effet négatif sur l'évolution des prix de vente ;
- la hausse de la taxe à l'équarrissage, qui a provoqué une hausse moyenne de 3 % de la valeur des approvisionnements en produits carnés pour les grandes surfaces, soit 0,23 centime d'euro de plus par kilogramme de viande achetée.
La quatrième et dernière raison a trait plus particulièrement au comportement de la grande distribution. Les distributeurs ont globalement accru leurs marges brutes sur les viandes bovines en 2001 . Dans un premier temps, cela n'a pas permis de compenser la chute d'activité du rayon boucherie, alors qu'ensuite, avec des marges brutes inchangées, les GMS ont bénéficié de la reprise de la consommation des ménages.
(3) Des pratiques contestables
L'effet de ciseau observé entre les profits des GMS et les revenus des éleveurs aurait été compréhensible si les viandes proposées en grandes surfaces avaient été de meilleure qualité. Or, des données confirment que si les rayons boucheries des grandes surfaces ont privilégié les races à viande et que la part des viandes de qualité a progressé dans un premier temps, cet effort ne s'est nullement prolongé !
Une étude du service des nouvelles des marchés (SNM) met en évidence une forte augmentation de la présence des viandes d'origine allaitante dans les rayons boucherie des magasins de la grande distribution. Ce phénomène a été particulièrement notable à la suite de la seconde crise de la vache folle. La proportion de vaches allaitantes acquise par les hypermarchés est alors passée de 27 % en septembre 2000 à 43 % en juin 2001. Cependant, comme le note l'Institut de l'Elevage, le passage radical et massif des hypermarchés à la viande de race allaitant et au jeune bovin n'a duré qu'un an, juste le temps de « réapprivoiser des consommateurs qui, rassurés par les mesures de précaution, oublient notamment sous l'effet d'une actualité toujours riche en sujets d'inquiétude » . Après coup les GMS ont donc renoncé à cette politique de qualité.
Au total, la logique de bas prix des approvisionnements de la grande distribution semble de nouveau largement à l'oeuvre début 2002.
(4) Le désarroi et la colère des éleveurs
Cette situation exaspère les éleveurs, qui le manifestent à l'occasion « d'opérations coups de poing » de contrôle des prix sur le terrain. Des pratiques peu recommandables ont, à cette occasion, été mises à jour à l'exemple de cette grande surface qui, organisant une opération promotionnelle, vantait la présence dans le rayon d'une viande issue d'un label local, alors que l'étal en était totalement dépourvu.
Pour votre mission d'information, il conviendrait de surveiller ce genre de pratiques et de punir leurs auteurs.
b) Une législation mal respectée
(1) Des outils de régulation des relations commerciales insuffisants
La loi relative aux nouvelles régulations économiques (NRE) a créé une commission d'examen des pratiques commerciales . Cette structure a pour mission d'infléchir les comportements commerciaux abusifs et de contribuer à l'élaboration de chartes de bonnes pratiques commerciales ou de codes des usages. Elle a également un rôle consultatif car elle examine les documents commerciaux ou publicitaires, les contrats entre revendeurs et fournisseurs et toutes pratiques estimées abusives dans la relation commerciale.
Elle peut être saisie par le ministre de l'économie, le président du conseil de la concurrence ou toute personne morale, comme les organisations professionnelles ou les associations de consommateurs. Sous la responsabilité du président, l'anonymat des saisines et des documents qui lui sont soumis est garanti, y compris vis à vis de ses membres, tenus au secret professionnel.
Cette commission a été mise en place dans les locaux de la DGCCRF. Néanmoins cette commission dispose de moyens qui semblent bien insuffisants pour faire face à ses nombreuses missions.
(2) Le rapport de force entre producteurs et distributeurs
Si dans le secteur de la viande, des contrats signés entre producteurs et distributeurs précisent les volumes échangés, les prix ou la durée, un grand nombre de relations commerciales continue à s'établir sans qu'aucun document ne soit ni écrit, ni signé.
Les producteurs évoquent souvent des rapports de force plus ou moins « compréhensifs », ce qui les oblige parfois à consentir des livraisons de production gratuites pour permettre aux grandes surfaces de mener leurs opérations promotionnelles. Ces conditions d'achat n'ont donc que peu de rapport avec une négociation commerciale classique.