EXAMEN EN COMMISSION
Réunie le 23 juillet 2002, sous la présidence de M. Jean Arthuis, président, la commission a entendu une communication de M. Yann Gaillard , rapporteur spécial du budget de la culture , sur sa mission de contrôle sur l'action de l'État en matière de patrimoine monumental .
Après avoir indiqué que cette mission lui avait permis de rencontrer une centaine de personnes en France et une trentaine à l'étranger, M. Yann Gaillard, rapporteur spécial a insisté sur les lignes de force qui sous-tendent ses 51 propositions. Il s'agit de l'accroissement de l'effort d'entretien, de la réorganisation des services et notamment de la révision du rôle ou du statut des architectes en chef des monuments historiques et des architectes des bâtiments de France, du renforcement des prérogatives des propriétaires publics et privés en leur qualité de maîtres d'ouvrage, ainsi que d'une évolution inéluctable vers plus de décentralisation.
Évoquant en premier lieu les mesures générales qu'il préconisait pour renforcer l'efficacité de l'action de l'État en matière de patrimoine monumental, M. Yann Gaillard a tout d'abord indiqué qu'il reprenait à son compte les propositions du rapport commandé au professeur Rémy Labrusse par Mme Catherine Tasca sur la sous-consommation des crédits du ministère de la culture. Il a signalé que l'une des mesures les plus simples consiste à modifier la clé de répartition autorisations de programme/crédits de paiement pour tenir compte de l'allongement de la durée des opérations.
Puis le rapporteur spécial a abordé une des questions clés de son rapport, le statut des architectes en chef des monuments historiques (ACMH). Bien qu'ayant pu apprécier sur le terrain la rare compétence de ces fonctionnaires, il a considéré qu'il fallait faire évoluer un statut sans équivalent à l'étranger. Compte tenu des excès auxquels pouvait donner lieu la multiplication des études préalables, ainsi que la pratique de l'autoprescription et de l'inspection mutuelle, M. Yann Gaillard a préconisé de faire évoluer le statut des ACMH autour de quelques idées simples, dont il a signalé qu'elles recueillaient un certain consensus : conférer un statut de fonctionnaires « classiques » aux inspecteurs généraux- qui pourraient toutefois garder leurs responsabilités de maître d'oeuvre pour certains très grands monuments particulièrement prestigieux ; réévaluer les fonctions de conseil et de contrôle, notamment par une augmentation des tarifs des vacations ; augmenter le nombre et ouvrir le corps par la création d'une liste d'aptitude et une progressive désectorisation des compétences géographiques.
M. Yann Gaillard a indiqué également qu'il convenait de mieux articuler les services départementaux de l'architecture et du patrimoine sur les conservations régionales des monuments historiques.
Toujours dans le cadre des mesures générales, le rapporteur spécial a insisté sur la nécessité d'accroître les prérogatives et les compétences des maîtres d'oeuvre publics : c'est parce qu'ils n'ont pas au-dessus d'eux un maître d'ouvrage qui définirait l'esprit et le programme des travaux que les ACMH peuvent se comporter en véritables « patrons ». Dans le même esprit, il convient d'assurer une intégration plus poussée des services patrimoniaux au sein des directions régionales des affaires culturelles et de renforcer les capacités techniques des conservations régionales en matière de maîtrise d'ouvrage, voire de créer de véritables agences publiques de maîtrise d'ouvrage, qui pourraient prendre la forme d'établissements de coopération culturelle.
Par ailleurs, M. Yann Gaillard a indiqué qu'il convenait de mettre fin à des situations choquantes, qui témoignent de certains blocages en matière de monuments historiques. C'est ainsi qu'il estime nécessaire de retirer l'Arc de Triomphe -dont il a relevé, après la Cour des comptes, la mauvaise image qu'il donne de la France- de la compétence de la direction régionale des affaires culturelles d'Ile de France pour en confier la rénovation à un établissement ou à un service spécialisé dans la maîtrise d'ouvrage.
Dans la même perspective, il lui semble nécessaire d'ériger le domaine de Chambord en établissement public de façon à faire mieux travailler ensemble les quelque cinq départements ministériels compétents pour intervenir sur le site.
En ce qui concerne le Centre des monuments nationaux, qui avait ému la presse par suite des initiatives fantasques de sa précédente équipe dirigeante et suscité un rapport d'inspection d'une rare sévérité, le rapporteur spécial a simplement indiqué que le nouveau président devait remettre cet organisme sur ses pieds en lui fixant pour priorité non l'organisation de spectacles sans spectateurs, mais le paiement de ses mois de factures en souffrance.
Abordant ensuite les mesures intéressant les monuments privés, M. Yann Gaillard a d'emblée signalé que les propriétaires privés pâtissent moins de régimes fiscaux ou administratifs, qui leur sont globalement favorables, que d'un manque d'écoute ou de considération. Parmi les mesures proposées pour améliorer la situation, il a évoqué les points suivants : la déduction des travaux pour les propriétaires de monuments historiques non ouverts au public même en l'absence de subventions de l'État, l'élargissement du régime des abattements en matière de droits de succession et l'alignement du régime des monuments historiques au regard de l'impôt sur la fortune sur celui applicable en matière de droits de mutation. Enfin, la mise en place d'un droit d'épargne « monuments historiques » lui est apparu une voie intéressante. D'une façon générale, le rapporteur spécial a souhaité que soient mises en place des instances de dialogue entre le ministère de la culture et les propriétaires privés, tels une commission d'arbitrage pour aplanir certaines difficultés ponctuelles en matière de travaux, des tables-rondes régulières, ou le renforcement de la présence des grandes associations dans les instances consultatives compétentes en matière de monuments historiques.
En dernier lieu, le rapporteur spécial a traité des perspectives ouvertes par la décentralisation. Il a signalé d'abord qu'au-delà du vif émoi suscité par l'adoption des articles 111 et 112 de la loi du 27 février 2002, dite de démocratie de proximité, tous les professionnels des monuments historiques qu'il avait pu rencontrer, en se rendant à Villeneuve-lès-Avignon, n'étaient pas hostiles à une certaine collaboration avec les collectivités territoriales.
Rappelant que certaines régions avaient pris des initiatives tout à fait remarquables en matière de restauration et de mise en valeur de monuments historiques, -il a mentionné le cas de l'Abbaye de Fontevraud en espérant que l'exemple de la région des Pays de Loire serait suivi par sa propre région pour l'autre grande abbaye prison de France qu'est Clairvaux-, M. Yann Gaillard a considéré qu'il fallait faire preuve de prudence et suivre une démarche expérimentale comme veut le faire le gouvernement de M. Jean-Pierre Raffarin, suivant en cela les pas de son prédécesseur.
Résumant l'esprit de ses propositions, le rapporteur spécial a indiqué qu'elles pouvaient se regrouper autour de deux pistes principales :
- la globalisation, dans un cadre contractuel, des financements de façon à éviter que la nécessité d'obtenir l'accord successif de toutes les parties prenantes ne ralentisse la mise en oeuvre des projets ;
- la restructuration, à terme, de notre parc de monuments protégés en deux catégories : d'une part, une première catégorie, rassemblant les monuments classés les plus insignes sous le label « monuments de France », qui resterait de compétence nationale ; d'autre part, sous le label « patrimoine national », une deuxième catégorie, regroupant le reste des monuments protégés, qui pourrait être gérée par les régions, la décision de protection restant en principe une compétence régalienne.
Ensuite, en réponse aux questions que lui ont posées MM. Eric Doligé et Maurice Blin, ainsi que M. Jean Arthuis, président, M. Yann Gaillard a indiqué que le goût prononcé de nos compatriotes pour les fêtes, n'était pas incompatible avec leur intérêt croissant pour les « vieilles pierres », et que le suivi de la politique menée de façon décentralisée par des directeurs régionaux des affaires culturelles, eux-mêmes naturellement plus intéressés par le spectacle vivant que par le patrimoine monumental, restait imparfait faute d'outils informatiques pleinement opérationnels. Il a également insisté sur les difficultés de coordination des services des monuments historiques et de l'archéologie et souligné toute l'importance d'une clarification des rôles entre maîtres d'ouvrage et maîtres d'oeuvre en matière de monuments historiques.
A l'issue de ce débat, la commission a donné acte à M. Yann Gaillard de sa communication et a décidé d'autoriser la publication de ses conclusions sous forme d'un rapport d'information .