B. DES INQUIÉTUDES À L'ÉGARD DU MODE DE RECRUTEMENT ET DE LA FORMATION DES MAGISTRATS

La magistrature semble marquée par un recrutement peu diversifié et une formation s'adaptant difficilement à l'augmentation des effectifs.

1. Un corps peu diversifié

L'ensemble des magistrats rencontrés ou auditionnés par la mission a reconnu l'importance de la diversification du recrutement , présentée comme une richesse pour le corps, et comme un moyen de libérer la magistrature de l'esprit de caste dont elle est parfois prisonnière.

L'arrivée de magistrats ayant déjà acquis une expérience professionnelle et des compétences techniques spécialisées paraît unanimement acceptée par le corps judiciaire, à condition qu'ils soient soumis à une formation probatoire et de qualité , ce qui suppose l'accomplissement d'un stage en juridiction et d'une formation théorique à l'ENM suffisamment longs.

A cet égard, un certain nombre de magistrats s'est élevé contre l'institution des concours complémentaires 19( * ) issus de la loi organique du 25 juin 2001 précitée 20( * ) .

En effet, contrairement aux autres modes de recrutement, les candidats reçus reçoivent une formation à l'ENM (d'une durée limitée à six mois) à l'issue de laquelle ils sont automatiquement nommés dans leur fonction sans aucun contrôle de leurs aptitudes professionnelles, ce qui signifie qu'une fois admis au concours, les candidats sont certains d'intégrer la magistrature.

Une telle situation est apparue choquante aux yeux d'un grand nombre de magistrats rencontrés par la mission, qui ont suggéré de rendre cette formation obligatoire.

Force est de constater qu'en dépit d'une volonté affichée d'ouverture, le corps des magistrats éprouve des difficultés à intégrer des magistrats provenant d' horizons différents et ayant antérieurement exercé une activité professionnelle, notamment dans le secteur privé.

a) La prégnance des concours d'entrée à l'Ecole nationale de la magistrature

Ainsi, la grande majorité des magistrats demeure recrutée par les concours d'entrée à l'Ecole nationale de la magistrature ainsi que le montre le tableau ci-après :

Origine du recrutement des magistrats depuis 1991

 

Nomination de magistrats issus de l'ENM

Concours exceptionnels

Conseillers de cour d'appel
en service extraordinaire

Détachement judiciaire

Recrutement latéral intégration directe

Total

1991

196

 
 
 

51

247

1992

169

90

 
 

57

316

1993

179

 
 
 

26

205

1994

167

 
 
 

15

182

1995

155

 
 
 

10

165

1996

114

 
 
 

14

128

1997

106

 

3

 

14

123

1998

147

 

2

3

24

176

1999

154

99

14

4

26

297

2000

161

90

 

10

35

296

2001

196

 
 

10*

35*

241*

2002

208*

125

 

10*

35*

378*

* prévisions
Source : Chancellerie


La plupart des postes offerts au concours d'entrée à l'ENM sont attribués aux candidats issus du premier concours 21( * ) (77 % des postes de magistrats ont été pourvus par le premier concours depuis 1991).

La grande majorité des candidats admis, le plus souvent issus de la filière universitaire classique (titulaires d'une maîtrise de droit, d'un DEA ou du diplôme d'un Institut d'études politiques), ne possède aucune expérience professionnelle. Le recrutement des magistrats demeure donc très homogène.

Les candidats admis par la voie des deuxième et troisième concours, qui s'adressent respectivement à des fonctionnaires ayant une expérience professionnelle de quatre années et à des personnes qui, durant huit ans, ont exercé une ou plusieurs activités professionnelles, ou un ou plusieurs mandats politiques, représentent une part marginale des promotions d'auditeurs de justice (22 % sur la période 1991 à 2001).

En outre, les tentatives de recrutement parallèle destinées à faire entrer dans la magistrature des personnes dotées de profils différents n'ont pas rencontré le succès escompté , en dépit de la volonté affichée par le législateur et tout particulièrement de la commission des Lois du Sénat.

b) La perte de vitesse de l'intégration directe

La voie de l'intégration directe , instituée en 1992 22( * ) et ouverte par les articles 22, 23 et 40 de l'ordonnance organique n° 58-1270 relative au statut de la magistrature, autorise la nomination aux fonctions de magistrat d'une personne titulaire d'une maîtrise et justifiant d'une activité professionnelle d'au minimum 7 ans la qualifiant particulièrement pour les fonctions judiciaires.

Cette voie d'accès apporte ainsi au corps  une respiration précieuse et permet un élargissement de ses bases de recrutement. Elle présente en outre l'avantage substantiel de faire face aux besoins en personnel exigés par l'augmentation des flux du contentieux. Les avantages de l'intégration par cette voie latérale de recrutement semblent faire l'objet d'un consensus de la part de l'ensemble des magistrats entendus par la mission.

Au cours de son déplacement au pôle économique et financier du tribunal de grande instance de Paris, la mission a rencontré une magistrate du parquet recrutée par intégration directe, ayant exercé les fonctions de directrice juridique au sein d'une grande entreprise, qui semblait en effet apporter une compétence spécialisée très utile au fonctionnement du pôle.

Bien qu'elle permette le recrutement de juristes expérimentés, d'avocats inscrits au barreau, de fonctionnaires de l'administration en activité (administration préfectorale notamment), et même de personnalités du secteur privé, cette voie d'accès à la magistrature paraît en perte de vitesse , compte tenu de la baisse du nombre de candidats admis accusée ces dernières années (35 en 2002 contre 57 en 1992).

Face à un tel constat, il est permis de s'interroger sur l' attractivité réelle de ce mode de recrutement .

En effet, plusieurs magistrats recrutés par cette voie ont souligné les difficultés matérielles auxquelles les candidats à l'intégration directe étaient confrontés.

La lourdeur du mécanisme de sélection, conjuguée à la complexité des procédures de nomination 23( * ) , peut conduire le candidat à l'intégration directe à attendre près d'une année entre la présentation de sa candidature et sa nomination effective dans les fonctions de magistrat.

Durant tout ce temps, à l'exception de la période de stage 24( * ) , les candidats ne perçoivent aucun traitement puisqu'ils n'ont pas encore intégré la magistrature. Cette situation paraît particulièrement préjudiciable aux cadres du secteur privé et aux avocats qui, pour accomplir leur stage, quittent leur emploi, et ne perçoivent plus aucune source de revenus à l'issue du stage.

Afin d'améliorer l'attractivité du recrutement par la voie de l'intégration directe et de ne pas décourager les candidats issus du secteur privé, la mission d'information propose donc l'institution d'une indemnité spécifique allouée aux candidats ayant accompli leur stage et attendant la décision définitive de la commission d'avancement.

En outre, la magistrate du parquet rencontrée au pôle économique et financier du tribunal de grande instance de Paris a fait observer qu'« aucune perspective d'avancement n'[était] offerte aux candidats intégrant la magistrature au second grade » , leurs carrières étant strictement alignées sur celles des jeunes magistrats débutants affectés en premier poste, sans que leur âge ou leur expérience professionnelle soient pris en compte.

c) L'échec du recrutement des magistrats à titre temporaire

En outre, le recrutement de magistrats exerçant à titre temporaire , institué en 1995 25( * ) , « a été un échec », comme l'a souligné la Conférence nationale des premiers présidents de cour d'appel.

Cette voie d'accès pourtant originale avait été instaurée pour permettre l'exercice de certaines fonctions par des magistrats non professionnels, afin de rapprocher la justice du citoyen, ce dernier participant ainsi au fonctionnement de l'institution judiciaire.

Ces magistrats, qui peuvent exercer les fonctions de juge d'instance ou d'assesseur dans les formations collégiales des tribunaux de grande instance pour une durée de sept ans non renouvelable, présentent la particularité de pouvoir exercer concomitamment une activité professionnelle compatible avec les fonctions judiciaires. Ce dispositif offrait de nombreux avantages liés à sa souplesse, à son faible coût 26( * ) et à la garantie d'obtenir des candidatures émanant de personnes dotées d'une solide expérience.

Pourtant, la Chancellerie n'a fait qu'un usage parcimonieux et décevant de cette voie d'accès : 6 magistrats à titre temporaire ont ainsi été recrutés en 1998, 4 en 1999, 2 en 2000, aucun en 2001 et 1 en 2002 27( * ) . Ces recrutements sont restés limités au cadre expérimental déterminé par la loi de programme de 1995 et concernent donc uniquement 4 cours d'appel. La Chancellerie semble avoir très modérément apprécié ce dispositif qu'elle jugeait « trop éloigné de la culture française ».

La mission, convaincue de l'intérêt du recours à des magistrats exerçant à titre temporaire, invite la Chancellerie à utiliser pleinement cette voie de recrutement.

La mission a pu constater que la plupart des chefs de juridiction approuvait ce dispositif. Tout en soulignant que, « contrôlé étroitement par la commission d'avancement 28( * ) , leur recrutement ne fait plus l'objet de récriminations », un président de tribunal de grande instance a toutefois indiqué que « si les avocats ayant réussi dans leur profession [faisaient] d'excellents magistrats, l'acclimatation des cadres issus du secteur privé [était] plus aléatoire. »

Ce même chef de juridiction s'est néanmoins interrogé sur les modalités retenues, et plus particulièrement sur les risques d'affecter immédiatement ces magistrats dans les juridictions de première instance, compte tenu de la généralisation des formations à juge unique : « ils devront d'emblée travailler seuls et souvent sans aide de leurs collègues sur-occupés dans leurs propres fonctions. Reste à savoir s'il ne faudrait pas plutôt les affecter en priorité au sein des cours d'appel, où ils seront épaulés par des magistrats expérimentés dans le cadre des formations collégiales ».

Sans remettre en cause la vocation première de ces magistrats à titre temporaire, avant tout juges de proximité, il semble légitime de poser la question de leur formation effective afin qu'ils puissent être en mesure d'exercer leurs fonctions de manière satisfaisante.

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