II. LES ATTENTES D'AUTRES AUXILIAIRES DE JUSTICE
La
mission d'information a également souhaité prendre la mesure de
l'évolution des métiers de diverses professions qui, à
l'instar des avocats, apportent un concours essentiel au bon fonctionnement de
la justice.
Elle a ainsi rencontré, au Sénat et lors de ses
déplacements à Bordeaux et Dijon, des représentants des
avoués près les cours d'appel, des avocats au Conseil d'Etat et
à la Cour de cassation, des notaires, des huissiers de justice et des
experts judiciaires.
Les difficultés et les défis auxquels sont confrontés ces
professions se rejoignent, qu'ils concernent le montant de leur
rémunération, souvent tarifé, les mutations
imposées par la construction européenne et la concurrence
internationale ou encore le recours aux nouvelles technologies de
l'information.
A. DES AVOUÉS DE COUR D'APPEL ET DES AVOCATS AU CONSEIL D'ÉTAT ET À LA COUR DE CASSATION AU RÔLE APPRÉCIÉ
Les
avoués près les cours d'appel et les avocats au Conseil d'Etat et
à la Cour de cassation forment des ordres distincts de ceux des avocats
des barreaux en raison des spécificités des techniques
applicables devant leurs juridictions.
Peu nombreux, ils sont bien connus des magistrats qui apprécient leur
disponibilité et leur compétence. Telles sont les raisons pour
lesquelles ils ne nourrissent pas d'inquiétude particulière, si
ce n'est à l'égard des conditions de mise en oeuvre de l'aide
juridictionnelle.
1. Les avoués près les cours d'appel : une profession reconnue
Les
avoués près les cours d'appel sont des officiers
ministériels dont le statut est fixé par l'ordonnance
n° 45-2591 du 2 novembre 1945, complétée par un
décret n° 45-118 du 19 décembre 1945.
Au nombre de
415
, ils sont regroupés en 235 charges employant
environ 2.400 salariés. Comme les avocats, ils peuvent créer des
sociétés civiles professionnelles, constituer des
sociétés d'exercice libéral ou encore former entre eux des
sociétés d'avoués
171(
*
)
.
Chaque office compte en moyenne deux collaborateurs. Ainsi, le nombre des
juristes au sein des offices d'avoués est sensiblement égal
à celui des magistrats des cours d'appel.
La compagnie des avoués est organisée en
chambres
régionales
, chargées essentiellement de la discipline de
leurs membres au niveau de chaque cour d'appel. Une
chambre nationale
,
composée de délégués des chambres
régionales, a pour fonction essentielle d'être le porte-parole de
la profession auprès des pouvoirs publics.
a) Une profession ancienne
La
scission entre les professions d'avocat et d'avoué remonte
au XVème siècle. Les premiers se chargèrent
d'assurer la défense orale de leurs clients, tandis que les seconds,
appelés
procureurs
, se virent confier le soin de les
représenter dans l'accomplissement des actes écrits de la
procédure
172(
*
)
, ou
postulation.
Les avoués furent eux-mêmes longtemps divisés en deux
catégories : les avoués de première instance et les
avoués d'appel. La loi n° 71-1130 du 31 décembre
1971 a provoqué la
fusion des professions d'avocat et d'avoué
près les tribunaux de grande instance
.
Devant les cours d'appel
, la
dualité subsiste
:
l'avocat peut assister son client par ses conseils et la plaidoirie mais, en
principe, il ne peut accomplir les actes de la procédure au nom de
celui-ci. En règle générale, la représentation est
le monopole exclusif de l'avoué à la cour mais la
représentation n'est pas toujours obligatoire, en particulier dans le
domaine social.
L'avoué accomplit les actes nécessaires à la conduite du
procès, au nom et pour le compte de son client.
Sa
compétence
est
limitée au ressort de la cour
d'appel
auprès de laquelle il a été institué
pour exercer son ministère
173(
*
)
.
Au fil des ans, la profession est parvenue à affirmer son existence. Les
avoués près les cours d'appel ont su se rendre essentiels aux
yeux des premiers présidents, des procureurs généraux et
des magistrats par leur
disponibilité
et leur
compétence
.
En premier lieu, la procédure impose des contacts fréquents entre
les magistrats et les mandataires. Si la profession d'avoué venait
à être supprimée, l'éloignement géographique
de la cour d'appel contraindrait un avocat exerçant ses fonctions
auprès d'un tribunal éloigné d'avoir sur place un
correspondant qui tiendrait lieu d'avoué. Quant aux magistrats, ils
semblent satisfaits de disposer d'un nombre restreint d'interlocuteurs avec
lesquels ils peuvent établir des relations de confiance.
En second lieu, l'idée s'est répandue d'une nécessaire
spécialisation dans la technique de l'appel, comparable à celle
qui justifie l'existence des avocats au Conseil d'Etat et à la Cour de
cassation.
Les premiers présidents de cour d'appel préconisent d'ailleurs de
rendre obligatoire la représentation devant la chambre sociale de la
cour. En effet, faute de mise en état, les dossiers ne peuvent
être rapidement examinés par les magistrats et sont la plupart du
temps rejetés. Selon Me Jean-Pierre Garnerie, président de
la Chambre nationale des avoués près les cours d'appel, seuls
quatre dossiers sur trente seraient, en moyenne, retenus par les chambres
sociales.
b) Le développement de la formation
La
Chambre nationale des avoués s'efforce d'améliorer la
formation
de ses membres et de leurs collaborateurs.
Pour accéder à la profession d'avoué, il faut être
français ou ressortissant d'un Etat membre de l'Union européenne,
être titulaire d'une maîtrise en droit, avoir accompli un stage de
formation professionnelle de deux ans et avoir subi avec succès un
examen d'aptitude professionnelle. Il faut en outre
«
être admis par l'assemblée générale
des magistrats du siège de la cour d'appel ou par le premier
président de la cour d'appel après consultation des magistrats du
siège
174(
*
)
. »
Jugeant ces conditions insuffisantes, les avoués ont
décidé, il y a vingt-cinq ans, la création d'un
centre
de formation
et ont noué un
partenariat
avec
l'Université Paris II
. Ils ont ainsi obtenu la création
d'un diplôme de DSUP, puis d'un DESS «
droit et pratique du
procès en appel
», permettant à leurs
collaborateurs juristes de suivre une formation professionnelle dans le cadre
de l'apprentissage ou d'un contrat de qualification.
Le centre de formation, qui assure également la formation continue des
avoués et de leurs collaborateurs (langues étrangères,
informatique, droit social, négociation notamment) absorbe
désormais 25 % du budget de la chambre nationale.
c) Le recours aux nouvelles technologies
Le
recours aux nouvelles technologies s'est généralisé. Les
études d'avoués ont rajeuni, la moyenne d'âge étant
actuellement de 42 ans.
Ainsi qu'il l'a déjà été indiqué
175(
*
)
, la Chambre nationale et la
Chancellerie ont signé un protocole d'accord en 2000 afin de
procéder à des
échanges de données informatiques
sécurisés
; six sites pilotes ont d'ores et
déjà été retenus.
Enfin, les avoués sont partie prenante à la réflexion sur
la signature électronique.
d) L'internationalisation
La
postulation existe à peu près partout en Europe, même si
elle n'est exercée par une profession spécialisée que dans
un nombre limité de pays. Le plus souvent, les avocats peuvent postuler
à condition de justifier d'une certaine ancienneté et d'un
agrément.
Depuis douze ans, les avoués français se sont rapprochés
de leurs homologues espagnols, les
procuradores
, et portugais, les
solicitadores
, avec lesquels ils ont créé un
Comité des Postulants Européens
. Ce comité a
formulé diverses propositions à M. Antonio Vitorino, commissaire
européen chargé de la justice, parmi lesquelles la
rédaction d'une
charte européenne de déontologie
.
Sous l'égide du Sénat, les avoués ont accompli une mission
d'aide technique à la Géorgie dans le cadre de sa
réorganisation judiciaire.
e) Les attentes de la profession
La
Chambre nationale des avoués près les cours d'appel se plaint de
la longueur des
délais de jugement
, insupportable pour les
justiciables comme pour la profession, soulignant l'engorgement de certaines
cours d'appel qui se trouvent dans l'incapacité de juger dans un
délai inférieur à deux ou trois ans des dossiers peu
complexes.
Elle considère également que le
tarif des avoués
devrait être revalorisé, le décret n° 80-608 du
30 juillet 1980 prévoyant d'ailleurs sa révision
périodique. Selon elle, l'augmentation des frais généraux
a longtemps pu être absorbée par la croissance du contentieux mais
la tendance s'est inversée car les avoués ont à coeur de
décourager les recours en appel inutiles. La Chambre nationale a
d'ailleurs engagé un contentieux administratif contre le refus de l'Etat
d'augmenter le tarif.
A l'instar des avocats, les avoués souhaitent vivement une
réforme des conditions de mise en oeuvre de
l'aide
juridictionnelle
. Ils estiment subir une
perte nette
dans la mesure
où le coût d'ouverture d'un dossier serait actuellement compris
entre 400 et 600 euros, alors que la rétribution qui leur est
versée par l'Etat, récemment réévaluée,
s'élève à 310 euros
176(
*
)
.
Selon Me Jean-Pierre Garnerie, la situation était supportable, et
acceptée au nom de l'exigence de solidarité envers les plus
démunis, lorsque les affaires bénéficiant de l'aide
juridictionnelle représentaient entre 5 % et 10 % des dossiers
traités et pouvaient être absorbées dans les frais
généraux. Elle est devenue plus délicate lorsque ce taux a
atteint 30 % ou 40 % dans certaines cours d'appel. La proposition de
la Commission de réforme de l'accès au droit et à la
justice présidée par M. Paul Bouchet
177(
*
)
de rendre éligible 40 %
de la population à l'aide juridictionnelle, soit 70 % des justiciables
dans le ressort de certaines cours d'appel, pourrait entraîner des
difficultés considérables si les tarifs n'étaient pas
revalorisés. Le transfert de charges de l'Etat vers les avoués
s'apparenterait alors, selon lui, à «
un
rétablissement de la corvée
. »