3. Développer l'informatique et les nouvelles technologies de l'information
L'informatisation et le recours aux nouvelles technologies de
l'information constituent un enjeu majeur pour la modernisation du
ministère de la justice. Ils devraient modifier en profondeur l'exercice
des métiers, le micro-ordinateur reléguant dans le musée
de l'histoire la plume d'oie illustrée par Honoré Daumier.
Pour l'instant leur impact reste limité en raison des disparités
importantes suivant les cours et les juridictions et du manque de techniciens
qualifiés.
Il convient de veiller à ce que les nouvelles technologies deviennent un
instrument de décloisonnement entre les services, d'ouverture des
juridictions sur l'extérieur et non d'isolement des magistrats et des
fonctionnaires.
a) Les conséquences de l'informatisation sur le fonctionnement interne des juridictions
En
octobre 1998 a été engagée la mise en place d'un
réseau intranet ministériel
, le réseau privé
virtuel justice (RPVJ). Elle se poursuit aujourd'hui avec la création de
sites documentaires et d'application partagés entre l'administration
centrale et les services déconcentrés.
Mme Catherine Trochain, première présidente de la cour
d'appel de Caen, présidente de la Commission de l'informatique, des
réseaux et de la communication électronique (COMIRCE) a
indiqué à la mission que 25.000 agents du ministère
étaient actuellement connectés à l'intranet-justice,
l'objectif étant de permettre à l'ensemble des personnels d'y
accéder.
Les nouvelles technologies de l'information permettent de décloisonner
le fonctionnement des services, de
favoriser l'échange
et
d'ouvrir la voie au
travail en équipe
. Elles induisent un
changement des méthodes de travail
des magistrats et des
personnels des greffes et deviennent un
instrument du dialogue social
au
sein des juridictions : frappe de leurs jugements par les magistrats et
simple mise en forme par les greffes, forums de discussion, gestion de
courriers commune à plusieurs services, gestion de la liste des experts
judiciaires...
M. Joël Rech, représentant du syndicat des greffiers de
France, a indiqué à la mission que le
télétravail «
permettrait aux agents de demeurer
dans leur juridiction, tout en apportant un secours ponctuel aux agents
d'autres juridictions, ne serait-ce que pour effectuer des tâches
purement administratives comme la frappe des décisions
. »
Peut-être les nouvelles technologies de l'information affecteront-elles
également les
relations hiérarchiques
au sein des
juridictions
? En effet, avec la mise en ligne des circulaires et
de la documentation, les chefs de cour et de juridiction verront s'affaiblir
leur rôle d'intermédiaire entre la Chancellerie et les services
judiciaires.
Ces modifications sont parfois mal vécues, tant par les magistrats qui
se refusent à utiliser eux-mêmes l'ordinateur, que par les
fonctionnaires des greffes qui se sentent menacés.
L'informatique doit également permettre d'établir des indicateurs
permettant de contribuer à une meilleure allocation des ressources des
juridictions et d'offrir une meilleure qualité du service public de la
justice
Enfin, une réflexion est en cours en vue d'assurer
l'interopérabilité des systèmes informatiques des
différents ministères afin que ce décloisonnement des
structures concerne l'ensemble de l'administration. A titre d'exemple, la
police et la gendarmerie, qui devront bientôt modifier leurs
équipements, ont constaté que leurs systèmes informatiques
n'étaient pas compatibles. Cette question est essentielle pour les
magistrats, en particulier ceux du parquet, qui entretiennent des relations
permanentes avec les officiers de police judiciaire.
b) Un support performant pour la communication externe
Les
nouvelles technologies devraient favoriser l'accès au droit des citoyens.
Le site web du ministère de la justice constitue un outil de
communication essentiel. Des sites régionaux sont en cours de
développement afin de permettre aux usagers d'obtenir des informations
sur leurs juridictions : cinq cours d'appel et trois tribunaux de grande
instance ont créé leurs propres sites. Des formulaires justice
sont mis en ligne pour faciliter leurs démarches.
Un guichet unique des greffes dématérialisé
dénommé « visio-greffe
106(
*
)
» a été mis
en place en mai 2001 dans l'arrondissement du tribunal de grande instance de
Limoges, permettant aux usagers de la justice situés dans des communes
très éloignées du siège du tribunal de grande
instance d'accomplir des actes de greffe, de recevoir des informations sur
l'état d'avancement de leur procédure, de retirer des documents
« officiels » en temps réel, sans se déplacer
et sous le contrôle de fonctionnaires de justice. Une extension de cette
expérimentation doit être entreprise en 2002 dans des zones
rurales de métropole et d'outre mer.
Les nouvelles technologies sont également un
facteur de modernisation
des relations de l'institution judiciaire avec les auxiliaires de justice et
les collectivités locales
.
Il s'agit, dans les domaines civil et pénal, de
réduire les
charges liées à la saisie des données
mais aussi
d'
accélérer le processus d'ensemble du traitement des
affaires
, de garantir la qualité de la transmission entre les
juridictions et leurs partenaires : avocats, huissiers, avoués,
donneurs d'ordre.
Une convention a été signée le 6 décembre 2000 par
le directeur des services judiciaires et le président de la Chambre
nationale des avoués pour relier les réseaux intranets du
ministère et de la profession. L'objectif est d'accélérer
le rythme du procès civil, de réduire les délais de
transmission des actes, de supprimer les déplacements inutiles et les
échanges de courrier superflus.
Une expérimentation doit également être conduite par le
tribunal de grande instance et le barreau de Paris.
Le développement des nouvelles technologiques impose d'assurer la
confidentialité des échanges de données souvent
sensibles ; le ministère de la justice, gardien des libertés
individuelles, ne doit pas perdre de vue cette exigence.
c) La gestion des ressources informatiques
La
réussite de la politique informatique suppose d'y consacrer des
effectifs importants et de qualité. De ce point de vue
des efforts
restent à accomplir
.
De nouveaux métiers sont en germe. Actuellement,
les correspondants
locaux informatiques
sont des greffiers des services administratifs
régionaux et même, fréquemment, des agents de justice.
Dans les juridictions, les greffiers en chef font appel à des
contractuels ou recourent à la sous-traitance pour assurer la
maintenance des équipements.
L'opportunité de créer ou non une filière informatique au
sein des métiers du ministère de la justice fait l'objet d'un
débat. L'externalisation entraîne un abandon des savoir-faire et
pose un problème de confidentialité des données. Le
recrutement de fonctionnaires peut toutefois s'avérer lourd et suppose
la mise en place d'une formation continue de haut niveau.
d) Le « tribunal du futur »
En avril
2000, la Commission de l'informatique, des réseaux et de la
communication électronique a lancé puis piloté une
étude de faisabilité sur « le tribunal du
futur », juridiction intégrant pleinement les nouvelles
technologies. Financée par le Fonds interministériel de
modernisation, l'étude a été confiée à la
société EGL.
Une proposition d'expérimentation a été validée le
27 mars 2002, autour de deux axes : le développement de la
visioconférence et l'installation de bornes interactives.
Le droit européen, largement, et le droit français,
spécifiquement
107(
*
)
,
admettent en l'encadrant le recours à la visioconférence.
Des expérimentations sont actuellement conduites en Grande-Bretagne, en
Suède, en Italie et en Espagne. La Grande-Bretagne a déjà
équipé 125 tribunaux et 75 établissements
pénitentiaires. Un «
criminal justice Act »
de 1988 accordait valeur légale aux témoignages par
visioconférence ; un «
crime and discorder
Act
» de 1998 a imposé au juge, lorsque les moyens sont
disponibles, de justifier la non utilisation de la visioconférence pour
la comparution des détenus portant sur la détention provisoire.
En France, l'expérimentation sera conduite par la cour d'appel de Caen
et le tribunal de grande instance de Lisieux dans le cadre :
- des débats devant les juges des libertés et de la
détention et les juges de l'application des peines ;
- des débats devant les tribunaux correctionnels dans les affaires
portant sur des intérêts civils, c'est-à-dire le
contentieux de l'indemnisation.
Le ministère de la justice a déjà mis en ligne 17
formulaires pour les particuliers et 7 pour les professionnels. Les plus connus
sont ceux qui permettent d'obtenir un extrait du casier judiciaire.
Une expérimentation est en cours consistant à mettre une borne
à la disposition du public dans les commissariats, comportant des
formulaires d'aide au dépôt de plainte pour des infractions
simples et courantes. Les informations saisies par le particulier seront
ensuite reprises par un officier de police judiciaire en vue de la mise en
forme définitive de l'imprimé.
Par ailleurs, la dématérialisation des actes et l'utilisation des
moyens informatiques (présentation par powerpoint) lors des audiences
doivent être encouragées.
Il faudra prendre garde toutefois à ne pas déshumaniser la
justice
.