2. Un rapport conflictuel avec les parents

Lorsqu'il estime que l'enfant est en situation de danger, le Président du Conseil général est tenu de saisir le procureur de la République qui, lui-même, décide s'il y a lieu de saisir le juge des enfants. Il s'agit là d'une perspective qui effraie des parents et dissuade, bien souvent, des recours aux services de l'ASE.

Pourtant, les droits des familles et notamment des parents ont été régulièrement améliorés depuis les conclusions du rapport Bianco-Lamy de 1984. La loi du 6 juin 1984 consacrait cinq droits, résumés dans la loi du 6 janvier 1986 précisant les missions de l'aide sociale à l'enfance. Il y est fait référence au terme de « collaboration » avec les familles qui revêt un sens très fort : le consentement de ces dernières est obligatoire pour la mise en place d'une mesure et leur adhésion le plus possible recherchée.

Comment, dès lors, expliquer les phénomènes décrits par le rapport Naves-Cathala sur l'éviction parentale ? En effet, les auteurs de ce rapport n'hésitent pas à écrire que les familles « vivent l'intervention administrative et judiciaire avec un fort sentiment d'injustice et la peur du placement » . Il est expliqué que la perception de l'aide sociale à l'enfance comme une institution « rapteuse d'enfant » est le fruit d'un triple malentendu.

Il y a en premier lieu « incompréhension des logiques » entre familles et professionnels, les premières ayant notamment le sentiment que les décisions sont prises dans l'urgence, en second lieu des « pratiques qui ne favorisent pas le dialogue » et qui nourrissent les familles dans le sentiment d'un complot liant l'institution judiciaire et les travailleurs sociaux contre elles. Cette incompréhension est vécue avec un fort « sentiment d'impuissance et d'humiliation » , surtout dans le cadre d'une limitation de leurs droits, notamment de l'accès aux dossiers.

Dans les perspectives de la Conférence de la Famille 1998, marquée sous le sceau de la valorisation parentale, Mme Ségolène Royal, alors ministre déléguée à la Famille et à l'Enfance, a souhaité que soient étudiés les moyens pouvant aboutir à une réduction des placements de moitié.

Ce contexte n'est en tout cas pas favorable au développement du travail social prévu par le volet administratif de l'ASE et qui constitue pourtant, sur le papier, un instrument de prévention de la délinquance de premier plan.

3. Un système de protection de l'enfance dévoyé ?

a) La judiciarisation des interventions de l'aide sociale à l'enfance nuit à la protection administrative

Les interventions des services de l'aide sociale à l'enfance, lorsqu'ils sont en lien avec l'autorité judiciaire, sont de deux ordres.

L'ASE peut saisir l'autorité judiciaire lorsqu'elle estime que l'enfant est dans une situation de danger afin que le magistrat ordonne le recours à elle dans le cadre de l'article 375 du code civil. L'autorité judiciaire considère aujourd'hui que les départements recourent de manière trop systématique à la justice pour obtenir le placement d'un l'enfant sous le régime de l'assistance éducative, afin de se défausser des cas lourds et d'éviter le plus possible le recours aux mesures d'assistance éducative en milieu ouvert. Les parquets, placés pourtant en position de modérateur, n'ont pas les moyens de jouer ce rôle.

La tendance à la saisine de plus en plus fréquente de l'autorité judiciaire a été confirmée par M. Philippe Nogrix, représentant de l'Association des départements de France, lors de son audition par la commission d'enquête :

« Les signalements sont devenus de plus en plus nombreux de la part de l'Education nationale et des travailleurs sociaux. En effet, les éducateurs qui travaillent avec des familles sous la forme contractuelle se sont vus reprocher de ne pas avoir pratiqué le signalement au pouvoir judiciaire et ont été sanctionnés. Ils ont donc maintenant tendance à signaler les choses dès que la déstabilisation commence.

« Je crois nécessaire d'établir des partenariats beaucoup plus étroits entre le pouvoir judiciaire et le pouvoir administratif des départements. J'appelle à la concertation, à l'harmonisation des pratiques, à la définition de procédures complémentaires autour d'un partenariat basé à la fois sur la confiance, le respect et l'acceptation des procédures des uns et des autres . »

b) La confusion de la procédure d'assistance éducative et de la procédure pénale

Si l'ASE se voit reprocher une saisine trop systématique de l'autorité judiciaire, celle-ci doit elle aussi faire face à des critiques concernant sa tendance à recourir aux procédures de l'assistance éducative à l'égard des mineurs délinquants.

En principe, les règles du code civil relatives à l'assistance éducative sont réservées aux mineurs en danger cependant que les mineurs délinquants doivent faire l'objet d'un accompagnement dans le cadre de l'ordonnance du 2 février 1945 relative à l'enfance délinquante.

En pratique, il est fréquent que les juges des enfants recourent aux règles du code civil pour placer certains mineurs délinquants. Cette attitude n'est pas sans conséquence, dès lors que la quasi-totalité des mesures prises au titre de l'assistance éducative sont financées par les conseils généraux tandis que les mesures prises au titre de l'ordonnance de 1945 sont financées par le ministère de la justice.

*

L'aide sociale à l'enfance est une institution qui doit tenir un rôle déterminant dans la prévention de la délinquance. Mais, si le rôle préventif de la protection administrative est pollué par l'assistance éducative, elle-même polluée par des actions relevant de l'ordonnance de 1945, un glissement de la prévention primaire vers l'accompagnement des cas de délinquance est inévitable.

Pour que le rôle clef du département puisse s'affirmer, il est nécessaire que la confusion sur les actions de l'ASE soit dissipée.

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