B. DES FAMILLES INSUFFISAMMENT ACCOMPAGNÉES
Les obligations des familles sont établies par la loi, et d'un point de vue général par la culture. Le développement paisible de l'enfant se fait avant tout dans la famille, lieu où il puise ce qui est nécessaire à son développement harmonieux. Cette obligation de résultat n'étant pas facile à remplir, la société a pour devoir d'aider les familles les plus fragiles. Cependant, les dispositifs qui organisent cette assistance ne sont pas tous adaptés et conduisent même parfois à des effets pervers.
1. Soutien et sanction : les familles face à leurs responsabilités
a) Les obligations
Tout parent a à l'égard de l'enfant une triple mission : assurer son entretien, sa sécurité, son éducation. Ces dispositions sont la contrepartie de l'autorité parentale dont disposent les parents sur l'enfant, aux termes de l'article 371-1 du code civil, « pour le protéger dans sa sécurité, sa santé et sa moralité, pour assurer son éducation et permettre son développement, dans le respect dû à sa personne ».
« (...) La fameuse charte des droits de l'enfant me paraît être, d'un point de vue psychologique, la plus grande aberration de nos temps modernes. « Je suis particulièrement réactionnaire en disant cela, me direz-vous. Certainement, je réagis parce que je considère que tout ce qui diminue l'écart nécessaire entre l'enfant et l'adulte, entre les sexes aussi d'ailleurs, la différence nécessaire pour se positionner et se situer, crée de la confusion et génère à terme des conflits et des impasses pour la croissance psychique d'un être humain. Il n'était pas difficile d'appeler la Charte des droits de l'enfant Charte des devoirs des parents en gardant le même texte (...). Le contenu n'est pas mauvais, mais il faut dire que ce sont les parents qui sont obligés de se comporter d'une certaine manière et non pas les enfants qui ont des droits ! Où va-t-on comme cela ! Pour un psychologue, c'est une aberration. Je sais bien que peu le disent, c'est pourquoi je profite de ma présence devant vous pour le faire ! »
Extrait de l'audition de M. Jean-Pierre Chartier, directeur de
l'école des psychologues praticiens
|
L'entretien de l'enfant est le premier devoir des parents qui doivent tout faire pour lui favoriser un développement physique et mental harmonieux. Cette obligation ne cesse d'ailleurs pas avec la majorité de l'enfant ainsi que le précise l'article 371-2 du code civil qui en fixe la teneur : « Chacun des parents contribue à l'entretien et à l'éducation des enfants à proportion de ses ressources, de celles de l'autre parent, ainsi que des besoins de l'enfant. Cette obligation ne cesse pas de plein droit lorsque l'enfant est majeur ». Le devoir d'entretien implique la fourniture de tous les éléments nécessaires à cet épanouissement et, notamment, le gîte, le couvert, la distraction.
La sécurité de l'enfant est également au coeur des missions parentales. Cette sécurité s'entend comme la protection contre des risques extérieurs mais également contre ses propres initiatives. Les sociologues nomment cette fonction "supervision". Une personnalité entendue par la commission, M. Jean-Marie Petitclerc relate le cas d'un père au chômage désarmé face à la réponse de son fils de onze ans, qu'il avait, pour des motifs de sécurité, interdit de sortie : « j'ai quand même le droit de me détendre, et c'est pas toi qui ne fous rien qui va me l'interdire » . La décrédibilisation du père l'empêche ici d'exercer une obligation légale prescrite par l'article 371-3 du code civil qui précise explicitement que « l'enfant ne peut, sans permission des père et mère, quitter la maison familiale » .
L'éducation , qui est la troisième obligation parentale, est peut-être la plus large. Elle découle de la précédente, car assurer l'éducation des enfants est leur inculquer un système de valeurs les rendant à même de juger du bien et du mal. Les parents doivent surveiller leurs enfants pour reconnaître les éventuels comportements déviants et infliger une sanction appropriée. Fait partie intégrante de la fonction éducative l'obligation d'instruction. L'article L. 131-1 du code de l'éducation rappelle de manière solennelle que « l'instruction est obligatoire pour les enfants des deux sexes, français et étrangers, entre six ans et seize ans » . Les parents ne peuvent soustraire leur enfant de l'école sauf à leur procurer par eux-mêmes une instruction équivalente dont le contenu fait l'objet d'un contrôle périodique par les services du ministère de l'Education nationale.
b) Les soutiens
Le soutien prodigué aux familles prend deux formes. Un premier volet compense la charge financière que constitue l'entretien des enfants. Un second volet cherche à accompagner les parents dans le fonctionnement quotidien de la cellule familiale.
(1) Les aides financières
Les alinéas 10 et 11 du préambule de la Constitution de 1946 disposent que « la Nation assure à l'individu et à la famille les conditions nécessaires à leur développement » et qu'elle « garantit à tous, notamment à l'enfant, à la mère et aux vieux travailleurs, la protection de la santé, la sécurité matérielle, le repos et les loisirs » .
Inspirée du programme du Conseil national de la Résistance, l'ordonnance fondatrice de la sécurité sociale décline ces principes. L'article L. 512-1 du code de la sécurité sociale dispose simplement que « Toute personne française ou résidant en France ayant à sa charge un ou plusieurs enfants résidant en France bénéficie pour ces enfants des prestations familiales » . Ce soutien financier apporté par la sécurité sociale touche toutes les familles à des degrés divers, en fonction de leur taille, de leur situation ou de leurs revenus.
(2) L'accompagnement social
Les services polyvalents des départements
Les familles les plus en difficultés peuvent trouver une aide auprès des services polyvalents du Conseil général.
Parmi les missions des services de l'Aide sociale à l'enfance figure celle « d' apporter un soutien matériel, éducatif et psychologique aux mineurs, à leur famille, (...) confrontés à des difficultés sociales susceptibles de compromettre gravement leur équilibre » et d' «organiser, dans les lieux où se manifestent des risques d'inadaptation sociale, des actions collectives visant à prévenir la marginalisation et à faciliter l'insertion ou la promotion sociale des jeunes et des familles » . Les dispositions régissant l'assistance administrative aux familles s'appliquent bien entendu hors de tout mandat judiciaire. L'article 42 de la loi n° 86-17 du 6 janvier 1986 adaptant la législation sanitaire et sociale aux transferts de compétences en matière d'aide sociale et de santé précise à ce titre formellement que l'aide à domicile est attribuée sur la demande ou avec l'accord de la famille .
En outre, l'article 45 de cette même la loi prévoit que le département peut « participer aux actions visant à prévenir la marginalisation et à faciliter l'insertion ou la promotion sociale des jeunes et des familles » , cette disposition recouvrant notamment « des actions tendant à permettre aux intéressés d'assurer leur propre prise en charge et insertion sociale (...), des actions dites de prévention spécialisée auprès des jeunes et des familles en difficulté ou en rupture avec leur milieu (...), des actions d'animation socio-éducatives ».
Ces soutiens variés, embrassant tant le conseil que la production de services (garde d'enfant, aide ménagère...) peuvent être menés en association avec d'autres partenaires -les Caisses d'allocations familiales notamment- dont les travailleuses familiales, aujourd'hui nommées techniciens de l'intervention sociale et familiale (TISF) 38 ( * ) , restent appréciées des parents.
Le développement du dialogue parental ou « l'école des parents »
Ces dispositifs s'appuient sur le constat que beaucoup de parents ont besoin de conseils dans leur vie familiale, et que la démarche fondée sur un dialogue entre familles et le partage d'expériences, même orchestrés par des professionnels, est une approche plus efficace.
Le premier lieu d'accueil parents/enfants a été créé par Françoise Dolto en 1979 : c'est la célèbre « maison verte » . Les structures associatives se sont depuis multipliées pour recouvrir un grand nombre d'initiatives : relais familiaux, lieux passerelle, médiation familiale, points-rencontres, lieux d'accueil parents-enfants etc.
Les pouvoirs publics ont progressivement suivi ce mouvement. Les caisses d'allocations familiales ont créé en 1996 une prestation de service destinée à soutenir les lieux d'accueil parents/enfants. Puis, lors de la Conférence de la famille du 12 juin 1998, le Gouvernement a annoncé la mise en place de réseaux d'écoute, d'appui et d'accompagnement des parents (REAAP), qui ont trouvé une traduction législative dans la loi de financement de la sécurité sociale pour 1999. Le rapport sur les orientations de la politique de santé et de sécurité sociale et les objectifs qui déterminent les conditions générales de l'équilibre financier (dit « rapport annexé ») précise que « Un réseau d'appui, d'écoute et de conseil aux parents et aux familles sera mis en place conjointement par l'Etat et la CNAF » avec pour objectif de « conforter les parents dans leur rôle éducatif ». Cette initiative avait par ailleurs une velléité de prévention de la délinquance puisque le Gouvernement avait précisé utiliser cet instrument pour « agir sur l'environnement des jeunes » 39 ( * ) .
L'accompagnement sous contrainte
Ces dispositifs ne s'avèrent toutefois pas suffisants pour permettre aux parents de faire face, par eux-mêmes, à des difficultés ayant pris une ampleur trop importante. Dans ces cas-là, la loi prévoit la faculté pour le juge de prononcer des mesures d'accompagnement obligatoires, où une solution basée sur l'accompagnement strict des familles est mise en oeuvre : ce sont la tutelle aux prestations sociales enfants (TPSE) et l'assistance éducative .
L'article L. 552-6 du code de la sécurité sociale prévoit que « dans le cas où les enfants donnant droit aux prestations familiales sont élevés dans des conditions d'alimentation, de logement et d'hygiène manifestement défectueuses ou lorsque le montant des prestations n'est pas employé dans l'intérêt des enfants, le juge des enfants peut ordonner que les prestations soient, en tout ou partie, versées à une personne physique ou morale qualifiée, dite tuteur aux prestations sociales » .
Cette tutelle n'est pas concomitante de la création des prestations familiales puisque c'est par la loi du 18 octobre 1966 que le législateur a reconnu nécessaire de donner à un tiers le pouvoir d'intervenir pour assurer aux enfants le bénéfice de ces prestations, dans les cas où ces dernières seraient mal utilisées.
Pour autant, l'esprit de la loi n'est en aucun cas de marginaliser des parents en proie, le plus souvent, à des difficultés d'organisation. Le décret du 25 avril 1969, devenu l'article R. 167-28 du code de la sécurité sociale, décrit les modalités d'intervention du tuteur. Son rôle est bien de s'assurer que les prestations sont utilisées dans l'intérêt des enfants (alimentation, chauffage et logement) mais le décret précise immédiatement que « dans le cadre de sa gestion, (le tuteur) est habilité à prendre toute mesure de nature à améliorer les conditions de vie des enfants et à exercer auprès des parents une action éducative en vue de la réadaptation complète de la famille » .
L'assistance éducative est d'une portée plus large puisqu'elle dépasse de beaucoup la simple question de l'utilisation des prestations familiales pour remédier à une carence générale dans l'exécution des obligations parentales.
Les mécanismes de l'assistance éducative 40 ( * ) ne doivent pas induire en erreur. Le but de l'assistance éducative est de soutenir et non de se substituer totalement aux parents. Le code civil est formel sur ce point et rappelle que « les père et mère dont l'enfant a donné lieu à une mesure d'assistance éducative, conservent sur lui leur autorité parentale » .
c) Les sanctions pénales et administratives
Malheureusement, il arrive que certains cas justifient que des parents soient évincés de leur fonction éducative et de leurs responsabilités à l'égard de leur enfant.
L'incapacité parentale aggravée et persistante, qui met en péril la situation d'un enfant, ne saurait être simplement résolue dans le cadre d'une mesure d'assistance éducative et de la mise sous tutelle des prestations familiales. Le fait de « priver un mineur d'aliments au point de compromettre sa santé » , ou de « se soustraire, sans motif légitime, à ses obligations légales au point de compromettre gravement la santé, la sécurité, la moralité ou l'éducation de son enfant mineur » sont en conséquence punis par les articles 227-15 et 227-17 du code pénal à respectivement sept ans et deux ans d'emprisonnement.
Plus grave encore, le code pénal réprime les comportements de parents eux-même délinquants et qui y initient leurs enfants. Sont notamment visés le fait de « provoquer directement un mineur à faire usage illicite de stupéfiant (ou de) provoquer directement un mineur à transporter, détenir, offrir ou céder des stupéfiants » et de « provoquer directement un mineur à commettre habituellement des crimes et des délits » par les articles 227-18, 227-18-1 et 227-21 du code pénal.
A côté des cas de mauvais traitement, intentionnel ou par omission, ou de corruption d'un enfant, la législation prévoit une sanction séparée des cas d'inexécution des obligations scolaires. L'article L. 552-3 du code de la sécurité sociale prévoit la suspension ou la suppression des prestations familiales en cas d'absentéisme scolaire, cependant que l'article 227-17-1 du code pénal punit le fait « de ne pas inscrire (son enfant) dans un établissement d'enseignement, sans excuse valable, en dépit d'une mise en demeure de l'inspecteur d'académie » d'une peine de six mois d'emprisonnement.
* 38 Décret n° 99-779 du 9 septembre 1999.
* 39 Déclaration du Premier ministre, 13 septembre 2000.
* 40 Cf infra : le département.