B. MINEUR DÉLINQUANT, MINEUR VICTIME
1. Les victimes des mineurs sont souvent des mineurs
Entendu par la commission d'enquête, M. Jean-Marie Petitclerc, éducateur spécialisé, s'est ainsi exprimé : « (...) O n présente souvent les jeunes comme étant les acteurs, les facteurs, les auteurs de cette violence. N'oublions pas qu'ils en sont les premières victimes et que 80 % des actes de violence commis par les mineurs le sont à l'encontre d'autres mineurs ! Quatre faits sur cinq ! Autrement dit, dans notre pays, le climat de violence qui règne est ressenti quatre fois plus douloureusement par les mineurs que par les adultes : comme j'aime à le rappeler aux politiques, il est plus dangereux d'être jeune collégien dans un collège de quartier sensible que d'être enseignant dans un collège de quartier sensible, il est plus dangereux d'être jeune habitant d'un quartier sensible que d'être éducateur dans un quartier sensible ».
Il semble que les victimes des mineurs délinquants soient le plus souvent des jeunes de sexe masculin.
Plusieurs sociologues ont insisté sur l'importance des bagarres que l'on peut qualifier de violences interpersonnelles et qui opposent essentiellement des garçons dans la rue, dans les transports en commun, dans les cours de récréation, à la sortie des écoles. Selon M. Laurent Mucchielli, « c'est le coeur du risque d'agression aujourd'hui et c'est le phénomène qui, incontestablement, s'est le plus amplifié au cours des dernières années ».
En ce qui concerne le racket, l'étude de M. Sébastian Roché 22 ( * ) insiste sur le fait que, d'après les agresseurs, 77 % des rackettés et 83 % de ceux qui ont subi des coups et blessures sont des garçons. Parmi les 2.288 jeunes interrogés, aucune fille n'a déclaré avoir été rackettée par un garçon et, pour ce qui concerne les agressions violentes, 94 % des auteurs masculins prennent pour cible quelqu'un du même sexe qu'eux. Les filles violentes s'en prennent à peu près autant à des filles qu'à des garçons et la quasi-totalité des filles victimes d'actes violents sont agressées par des filles.
Une exception notable existe cependant : il s'agit des viols, et particulièrement des viols collectifs qui concernent essentiellement de jeunes filles mineures et sont le fait de jeunes garçons dont la plupart sont également mineurs puisqu'ils ont entre treize et quinze ans.
2. Les mineurs délinquants sont souvent des victimes
La commission d'enquête a également constaté l'étroite imbrication des concepts de mineurs auteurs et de mineurs victimes.
Ainsi, Mme Marie-France Ponelle, responsable de l'antenne des mineurs du barreau de Paris, a rappelé qu' « il y a des familles dans lesquelles on ne sait dialoguer que par la violence : victimes de l'indifférence, de coups, de maltraitance et d'abus sexuels, les enfants reproduisent à l'extérieur ce qu'ils vivent chez eux. De nombreux délinquants ont ainsi, en même temps qu'un dossier de délinquance, un dossier d'assistance éducative tant leur vie, leur famille, est difficile et tant ils sont dans un mal-être qui entraîne un mal-faire ».
Une enquête épidémiologique réalisée à l'échelle nationale au début des années 1990 23 ( * ) révèle que les filles, mais surtout les garçons, qui ont été victimes de violences sont eux-mêmes plus violents que ceux qui n'ont pas subi ces atteintes. La violence des garçons ayant subi des agressions sexuelles est particulièrement élevée. Cette liaison « violences subies-violences agies » est d'autant plus forte que les sujets sont jeunes. Ainsi, lorsque les 11-13 ans ont été victimes de violences physiques, 43 % présentent des conduites violentes, proportion qui atteint 49 % en cas de violences sexuelles.
Mme Marie Choquet, épidémiologiste, a réalisé en 1998 une étude sur les publics pris en charge par la protection judiciaire de la jeunesse. Elle a souligné devant la commission d'enquête qu' « une (...) caractéristique de cette population est la violence multiple exercée sur soi et sur les autres, et cela est particulièrement vrai pour les filles (...). En ce qui concerne les tentatives de suicide, les études ont montré que les jeunes qui sont violents envers eux-mêmes le sont envers autrui et ont eux-mêmes subi des violences. On est dans un climat de violence générale qui n'épargne personne. Durant leur vie, 12 % des garçons et 49 % des filles ont déjà fait une tentative de suicide. En population générale, le taux est de 5 % pour les garçons et de 8 % pour les filles (...). Il en est de même de la violence sexuelle subie. Là encore, 6 % des garçons et 34 % des filles de la population PJJ ont été victimes de violences sexuelles, contre respectivement 2 % et 6 % en population générale ».
Dans ces conditions, il peut arriver qu'un véritable échange des rôles se produise, la victime devenant auteur. M. Philippe Lutz, commissaire principal à Noisy-le-Grand, a indiqué à la commission avoir fréquemment rencontré ce cas de figure, en matière de racket en particulier.
Les comportements délinquants s'expliquent parfois par la crainte d'être victime, comme l'a expliqué M. Eric Debarbieux à la commission : « Le respect a un autre sens. Il veut dire aussi : attention, je veux être respecté pour ne pas être moi-même faible, pour moi-même être protégé. En particulier, nous avons beaucoup de témoignages (...) qui montrent que les jeunes filles qui se livrent à des actes de violence répétitive, qui sont regroupées dans un certain nombre de bandes (...) sont d'abord des filles qui cherchent à se protéger : à se protéger de la loi un peu machiste, à se protéger un peu aussi, il faut bien le dire, des violences sexuelles ».
* 22 La délinquance des jeunes - Les 13-19 ans racontent leurs délits, Seuil, 2001.
* 23 Marie Choquet, Sylvie Ledoux : Adolescents, enquête nationale, 1994, page 171.