3. La question des compensations budgétaires
À côté de ces dépenses supplémentaires, la Commission propose un régime transitoire de compensations budgétaires. Normalement, il est prévu que les nouveaux États membres appliquent pleinement la décision concernant les ressources propres dès la première année de leur adhésion. Cependant, lors de chacun des élargissements précédents, les nouveaux États membres ont bénéficié d'un régime transitoire réduisant leurs obligations financières à l'égard du budget de la Communauté. Tous les pays candidats ont demandé à bénéficier d'un traitement non moins favorable que celui qui avait été accordé lors des élargissements précédents (1 ( * )) .
Dans le cas du prochain élargissement, le but du régime transitoire serait de compenser une éventuelle détérioration de la position budgétaire nette des nouveaux États membres par rapport à leur situation l'année précédant leur entrée dans l'Union, durant laquelle ils auront bénéficié d'aides de pré-adhésion. Une telle détérioration pourrait résulter de deux facteurs :
- un décalage entre le niveau des paiements et celui des engagements, alors que les nouveaux États membres devront verser immédiatement l'intégralité de leur contribution au budget ;
- le remboursement des dépenses encourues par les États membres au titre des paiements directs n'est effectué que l'année suivant leur versement aux agriculteurs. Dès lors, aucun remboursement ne serait accordé aux nouveaux États membres sur le budget 2004.
Le régime transitoire proposé par la Commission prendrait la forme de restitutions forfaitaires, dégressives et temporaires, dans la partie dépenses du budget.
Aucun nouvel État membre ne devrait se trouver dans une position budgétaire nette moins favorable que celle de l'année précédant l'élargissement. La Commission ne précise pas le montant précis des compensations budgétaires, qui dépendra du résultat final des négociations, mais considère qu'en toute hypothèse il ne dépassera pas la marge disponible sous le plafond des perspectives financières fixé à Berlin pour les dépenses liées à l'élargissement, soit 816 millions d'euros en 2004, 800 millions d'euros en 2005 et 814 millions d'euros en 2006.
4. La position des États membres
En termes de procédure, la note présentée par la Commission a fait l'objet d'un débat au sein du groupe Élargissement du Coreper, étendu pour l'occasion aux experts budgétaires et financiers, puis au sein du Conseil Ecofin du 12 février, et enfin lors du Conseil Affaires générales des 18 et 19 février.
Il reste à la Commission à présenter un projet de position commune pour les dispositions budgétaires et financières, qui sera examiné parallèlement avec les projets de position commune sur la politique régionale et sur la politique agricole, en vue d'une adoption lors du Conseil européen de Séville, au mois de juin prochain.
Le commissaire chargé de l'élargissement, M. Günter Verheugen, a présenté la note de cadrage comme un document équilibré : « cette offre constitue le juste milieu entre les attentes des pays candidats, qui sont appelés à devenir des membres à part entière de l'Union européenne, et les limites budgétaires de l'Union européenne. En d'autres termes, il s'agit du meilleur arrangement possible, et non d'une invitation au marchandage. » De son côté, la commissaire responsable du budget, Mme Michaele Schreyer, a déclaré : « la proposition de la Commission indique clairement que l'élargissement bénéficiera d'un financement solide et bien calculé. Entre 0,09 % et 0,14 % du PNB de l'Union élargie sera consacré aux dépenses en faveur des nouveaux États membres : voilà qui permet de tirer le meilleur profit des ressources disponibles dans une Europe unifiée. » En clair, il s'agit pour la Commission d'une proposition à prendre ou à laisser, d'un aboutissement et non pas d'un point de départ pour la négociation.
Tactiquement, un certain nombre d'États membres, dont la France, ont regretté cette approche, considérant qu'il serait maladroit de se priver de toute marge de négociation en saturant les plafonds des perspectives financières, alors que les pays candidats demanderont inévitablement plus que ce qui leur est d'emblée proposé.
Sur le fond, neuf États membres se sont déclarés prêts à accepter globalement la proposition de la Commission : l'Espagne, l'Italie, le Luxembourg, le Danemark, la Grèce, la Finlande, l'Irlande, la Belgique et le Portugal.
En revanche, cinq autres États membres la contestent : l'Allemagne, le Royaume-Uni, les Pays-Bas, la Suède et l'Autriche. Ces pays, qui sont tous contributeurs net au budget de l'Union, considèrent que le versement des aides directes agricoles aux nouveaux États membres n'a jamais été prévu dans les perspectives financières de Berlin, et que les montants proposés pour le développement rural et les actions structurelles excèderont leurs capacités d'absorption, alors même qu'ils peinent déjà à utiliser les crédits de pré-adhésion. Les dépenses additionnelles consacrées à la sûreté nucléaire, au nord de Chypre, et au renforcement des capacités administratives sont peu contestées.
La position du Gouvernement français est intermédiaire. Il s'est déclaré ouvert au principe du versement progressif de paiements directs agricoles, à condition qu'il soit conditionné par le respect des disciplines sanitaires et de maîtrise de la production. En revanche, il considère également que l'accélération proposée pour les fonds structurels et le développement rural est trop forte.
En ce qui concerne les compensations budgétaires, il est prématuré de parler de ce qui sera, éventuellement, une variable d'ajustement des négociations finales. Mais il faut souligner que l'argument des élargissements précédents invoqué par la Commission n'a qu'une pertinence limitée. D'abord, parce que ces élargissements n'avaient pas été précédés du versement d'aides de pré-adhésion. Ensuite, parce que la situation des nouveaux États membres de l'époque n'était pas comparable à celle des pays candidats actuels. En 1995, il s'agissait de pays contributeurs nets, éligibles à la politique agricole commune, mais subissant des baisses de prix. En 1986, il s'agissait de pays débiteurs nets, mais qui ne recevaient alors pas du tout le même soutien en termes d'actions structurelles, la politique régionale et la politique de cohésion n'ayant pas encore atteint l'ampleur qui est la leur aujourd'hui. Toutefois, si le principe de compensations budgétaires devait être finalement retenu, la technique proposée par la Commission est sans doute la meilleure. Mieux vaut des versements à partir du budget communautaire, aisément réversibles, qu'une réfaction sur les contributions dues, qui nécessite une modification de la décision « Ressources propres » ratifiée par tous les parlements nationaux.
Au total, sur les trois exercices 2004, 2005 et 2006, le coût budgétaire de l'élargissement s'élève à 40,1 milliards d'euros en crédits d'engagement. Face à ces dépenses additionnelles, la contribution des nouveaux États membres est estimée à 5,5 milliards d'euros par an. Au-delà de l'horizon 2006, l'impact budgétaire de l'élargissement dans la nouvelle programmation financière de l'Union européenne dépendra des réformes qui interviendront dans la politique agricole commune et la politique régionale.
Mon rapport de 1996 comportait une projection macroéconomique à moyen terme, qu'il serait sans doute intéressant de renouveler aujourd'hui. Sur vingt ans, elle montrait que l'intégration des pays d'Europe centrale et orientale se traduirait par une augmentation de leur PIB de 29 % supérieure à sa tendance spontanée, soit un surcroît de croissance de près de 1,5 % par an. Pour les Quinze, le bilan serait légèrement positif, de l'ordre de 0,4 % du PIB, la dégradation initiale des soldes publics étant contrebalancée par les effets de l'accélération de la croissance économique dans l'Union européenne.
* (1) En 1981, la Grèce s'est vu accorder une réduction, dégressive sur cinq ans (de 70 % à 10 %), de ses contributions au titre des recettes de TVA. En 1986, l'Espagne et le Portugal ont obtenu une réduction, dégressive sur six ans (de 87 % à 5 %), de leurs contributions au titre des recettes de TVA, réduction qui a été étendue aux contributions liées au PNB lors de leur introduction en 1988. En 1995, l'Autriche, la Finlande et la Suède ont bénéficié, sur le budget général, de paiements forfaitaires dégressifs sur quatre ans, qui sont passés de 1,5 milliard d'euros en 1995 à 0,7 milliard en 1996, à 0,2 milliard en 1997 et à 0,1 milliard en 1998.