C. COMMUNICATION DE M. SERGE LAGAUCHE
Au début de la Présidence espagnole, en janvier 2002, les négociations sur le chapitre « Justice et Affaires intérieures » (chapitre 24) avaient été provisoirement closes avec quatre pays candidats (Hongrie, République tchèque, Slovénie et Chypre). Ce chapitre restait donc ouvert avec sept autres pays (Estonie, Lettonie, Lituanie, Pologne, Slovaquie, Malte et Bulgarie) et n'avait pas encore été ouvert avec la Roumanie. Étant donné le calendrier de l'élargissement, il est très probable que ce chapitre sera également clôturé avec d'autres pays, tels que la Pologne ou les pays baltes, au cours de l'année 2002.
Néanmoins, si ce chapitre n'a pas été jusqu'à présent considéré comme un « point dur » des négociations d'adhésion, il mérite toute sa place dans un rapport consacré à l'élargissement, compte tenu des enjeux qu'il soulève, de ses spécificités et des difficultés qu'il a fait apparaître.
1. Un enjeu majeur et un sujet sensible
Le domaine « Justice et Affaires intérieures » (JAI) ne représente qu'un seul des trente et un chapitres des négociations et, à la lecture des nombreux commentaires sur l'élargissement, son importance peut sembler marginale par rapport à d'autres sujets, tels que l'agriculture ou la politique régionale. Il est vrai que la coopération policière et judiciaire à l'échelle de l'Union européenne est très récente et qu'elle reste encore peu développée. Ainsi, c'est véritablement la première fois que des négociations d'adhésion à l'Union comportent une dimension JAI , puisque, lors du dernier élargissement en 1995, cette dimension venait tout juste d'être intégrée par le traité de Maastricht.
Pour autant, le domaine JAI présente un enjeu majeur pour la réussite de l'élargissement dans son ensemble et il occupe une place sensible dans l'opinion publique des États membres et des pays candidats , en particulier depuis les attentats du 11 septembre dernier.
Ainsi, ce domaine recouvre l'acquis de Schengen qui concerne le contrôle aux frontières externes et la levée des contrôles aux frontières à l'intérieur de l'Union. Or, cette question est très sensible dans les États membres, car elle touche directement à la sécurité des personnes, et elle l'est également dans les pays candidats, qui souhaitent maintenir des liens étroits avec leurs voisins de l'Est.
Ce domaine concerne également la coopération policière et judiciaire , c'est-à-dire la lutte contre les formes graves de criminalité transnationale, comme le trafic de drogue, la traite des êtres humains ou le terrorisme. Les pays candidats, qui sont souvent les premières victimes de ces formes de criminalité (on estime, ainsi, que plus de 500 000 femmes et enfants en provenance d'Europe centrale et orientale sont victimes des réseaux de prostitution), souhaitent participer pleinement à la lutte contre ces atteintes aux droits des personnes, comme l'ont montré leurs réactions aux attentats du 11 septembre dernier.
Mais surtout, ce domaine constitue la garantie majeure d'une reprise effective de l'ensemble de l'acquis de l'Union par les pays candidats . Il appartiendra, en effet, après l'incorporation du droit communautaire dans les législations des pays candidats, aux acteurs des systèmes répressifs et judiciaires de ces pays d'appliquer le droit communautaire. Par exemple, les douaniers de ces États devront effectuer le contrôle des marchandises à l'entrée dans l'Union. Les administrations des pays candidats devront s'assurer de la gestion des fonds structurels. Les juges seront, quant à eux, chargés d'appliquer, en tant que juges de droit commun, le droit communautaire.
Enfin, ce chapitre est la traduction concrète d'un des critères politiques du Conseil européen de Copenhague de 1993 , qui a fixé les conditions générales à l'adhésion, en particulier le respect par les pays candidats, de l'État de droit . Or, à cet égard, les pays d'Europe centrale et orientale sont dans une situation exceptionnelle par rapport aux élargissements précédents, puisqu'ils ont été amenés à mener de concert la construction de l'État de droit et de la démocratie, le passage à l'économie de marché, ainsi que la préparation à l'adhésion.
Le prochain élargissement, qui constitue un défi sans équivalent dans l'histoire de la construction européenne, par le nombre, le profil, la situation géographique des pays concernés, représente aussi une chance à saisir . En effet, le processus d'élargissement, qui aboutira à la réunification politique de notre continent, renforcera la stabilité des pays candidats et augmentera la prospérité de l'ensemble de l'Europe. Il aura donc des conséquences positives pour la sécurité de tous les citoyens européens. À l'inverse, le maintien prolongé des pays candidats en dehors de l'Union européenne ne pourrait qu'entraîner des risques sérieux, en termes de flux migratoires ou de développement de la criminalité organisée.
C'est donc à la lumière de ces enjeux qu'il convient de dissiper les craintes qui s'expriment parfois à l'égard de l'élargissement, car celui-ci sera un important facteur de progrès, y compris du point de vue de la lutte contre la criminalité.