2. Des ajustements de nature à améliorer la cohérence du dispositif de règlement amiable
Les mécanismes de règlement amiable des difficultés des entreprises souffrent de quelques contradictions internes mais également d'un décalage avec la réalité qui conduit parfois à des détournements de procédure.
a) Résoudre certaines contradictions en distinguant plus nettement la démarche amiable de la phase judiciaire
Certains éléments de procédure tels que la possibilité de prononcer la suspension provisoire des poursuites ou la formalité de l'homologation de l'accord, introduits par le législateur pour inciter les créanciers à rechercher activement un terrain d'entente et pour conférer au protocole d'accord une autorité morale accrue, mettent fin à la confidentialité qui caractérise le règlement amiable, lequel répond à une logique purement contractuelle. Cette confidentialité est pourtant essentielle au succès de la phase amiable et sa remise en cause risque de précipiter la dégradation de la situation en portant atteinte au crédit de l'entreprise. Il convient donc de s'interroger sur l'opportunité de maintenir ces procédures qui constituent une intrusion de la logique judiciaire dans une démarche d'essence contractuelle fondée sur la confiance mutuelle.
Aux termes de la loi de 1994, le conciliateur , dont la mission est de favoriser le fonctionnement de l'entreprise et de rechercher la conclusion d'un accord avec les créanciers, a seul la faculté de demander au président du tribunal de suspendre les poursuites . Après avoir recueilli l'avis des principaux créanciers, ce dernier peut ordonner cette suspension pour une durée n'excédant pas le terme de la mission du conciliateur. Dès lors, il est interdit au débiteur, à peine de nullité, d'acquitter le paiement d'une créance, sauf lorsqu'elle résulte d'un contrat de travail, née antérieurement à cette décision de suspension, de désintéresser les cautions, de faire un acte de disposition extérieur aux besoins de la gestion courante de l'entreprise ou de consentir une hypothèque ou un nantissement.
Si cet instrument de contrainte que constitue la possibilité de prononcer la suspension des poursuites traduit la volonté du législateur de donner les moyens au conciliateur et au président du tribunal d'inciter les créanciers à aboutir à un accord dans le délai imparti, la suspension effective des poursuites paraît difficilement compatible avec la nature contractuelle, fondée sur l'échange des consentements, du règlement amiable. Il faut cependant reconnaître que cette mesure est rarement prononcée et joue plutôt comme une arme de dissuasion .
Si l'on ne peut que partager le souci du législateur de 1994 de rechercher les moyens de favoriser un accord lorsque la situation de l'entreprise le permet encore, on doit s'interroger sur la pertinence de l'instrument de la suspension provisoire des poursuites qui conduit à une judiciarisation du règlement amiable . Le fait qu'elle soit rarement prononcée paraît révélateur des réticences du juge à rendre publiques les difficultés rencontrées par l'entreprise et de son souci de favoriser la discrétion propice au redressement de la situation.
Outre l'écueil de la publicité, corrélative de toute mesure de suspension des poursuites , cette procédure connaît une autre limite qui peut faire douter de son efficacité : contrairement à ce qui est prévu par l'article 55 de la loi n° 85-98 du 25 janvier 1985 relative au redressement et à la liquidation des entreprises 18 ( * ) , la suspension provisoire des poursuites prononcée dans le cadre d'un règlement amiable ne bénéficie pas aux cautions ; or, en particulier dans les petites et moyennes entreprises, le chef d'entreprise individuelle ou le gérant d'EURL ou de SARL ou un membre de sa famille est fréquemment conduit à se porter caution des dettes professionnelles si bien qu'il aura intérêt à demander l'ouverture de la procédure judiciaire. Pour autant, et contrairement à ce qui est préconisé dans le rapport d'expertise 19 ( * ) , le bénéfice de la suspension provisoire des poursuites ne semble pas devoir être étendu aux cautions au stade de la phase amiable car, privant d'efficacité cette prise de garantie pour les créanciers, cela risquerait de provoquer un tarissement du crédit.
Dès lors, la possibilité de prononcer la suspension provisoire des poursuites ne paraît pas l'instrument le mieux adapté pour favoriser l'aboutissement de la procédure amiable . La nécessité de faire parfois pression sur des créanciers récalcitrants pourrait être satisfaite par la création d'une faculté nouvelle, à la seule diligence du débiteur, de provoquer l'ouverture anticipée du redressement judiciaire : cette procédure présenterait l'avantage d'assurer un meilleur respect de la distinction entre phase amiable et phase judiciaire.
Une autre ambiguïté de la loi du 1 er mars 1984 résulte de son article 36 qui organise l'homologation de l'accord amiable . En vertu de ces dispositions, l'homologation par le président du tribunal est obligatoire pour un accord conclu avec tous les créanciers ; il est alors déposé au greffe et devient donc public. En revanche, l'homologation correspond à une simple faculté du président du tribunal lorsque l'accord n'est conclu qu' avec les principaux créanciers et des délais de paiement peuvent alors être imposés aux créanciers qui n'ont pas participé à l'accord.
Cette disparité de traitement selon que l'accord est passé avec l'ensemble des créanciers ou seulement certains d'entre eux, l'expression maladroite de « principaux créanciers » ne désignant pas ceux dont le montant des créances serait le plus élevé, ne paraît pas justifiée. En effet, le défaut d'unanimité est de nature à rendre l'accord davantage suspect ; aussi cela conduit-il à s'interroger sur la nature et la portée de la procédure d'homologation.
Les parties à l'accord conçoivent généralement l'homologation comme une garantie d'honorabilité conférant à celui-ci une autorité morale accrue. Fréquemment, une clause est insérée dans l'accord pour faire de son homologation une condition exécutoire. Cette authentification, répondant à la logique selon laquelle le règlement amiable constitue une démarche contractuelle qui se déroule sous le regard de la justice, ne correspond cependant nullement à un brevet de régularité car, à ce stade de la procédure, le président du tribunal de dispose pas d'une information complète lui permettant, en particulier, d'apprécier avec certitude l'absence d'état de cessation des paiements. Il paraîtrait donc opportun de faire de l'homologation une simple faculté, en toutes hypothèses, et de préciser dans la loi qu'elle ne fait pas obstacle à l'application ultérieure, le cas échéant, des dispositions de la loi du 25 janvier 1985 relatives à la nullité des actes illicites passés au cours de la période suspecte .
b) Harmoniser les mécanismes légaux et la pratique
En 1994, le législateur a pris le soin de consacrer dans la loi 20 ( * ) une pratique courante des tribunaux de commerce en matière de traitement amiable des difficultés des entreprises : le mandat ad hoc . Ce mécanisme permet en principe au dirigeant de rechercher, avec l'assistance d'un mandataire désigné par le président du tribunal qui définit sa mission, les solutions propres à remédier à des difficultés mineures ou passagères. Sa mise en oeuvre est placée sous le sceau de la plus grande confidentialité. Les tribunaux de commerce les plus actifs en matière de développement de la prévention y ont fréquemment recours : le président du tribunal de commerce de Paris a ainsi évalué à un tiers la proportion des dossiers méritant d'être traités dans le cadre du mandat ad hoc 21 ( * ) .
Cependant, la procédure très souple du mandat ad hoc est bien souvent détournée de sa finalité initiale pour en faire, comme l'indique le rapport d'expertise 22 ( * ) , un « mandat ad hoc préparatoire » à la phase de conciliation. Cela permet de contourner le dispositif de l'article 35 de la loi du 1 er mars 1984 qui limite à trois mois, ou quatre mois en cas de prolongation, la durée de la mission du conciliateur dans le cadre de la procédure de règlement amiable.
S'il faut éviter que la procédure de règlement amiable ne se prolonge inutilement, ne constitue une démarche dilatoire pour repousser l'échéance de l'ouverture de la procédure collective, il convient de ne pas méconnaître la nécessité, pour pouvoir mener à bien des pourparlers relatifs à des dossiers parfois complexes, de disposer de délais suffisants ; or, le délai légal est dans certains cas un délai trop bref même si le butoir légal constitue un élément de contrainte incitant les créanciers et le débiteur à s'accorder rapidement.
Souplesse et discrétion constituant les deux gages de l'efficacité du mandat ad hoc , il convient de ne pas rigidifier ce mécanisme car cela ne manquerait pas de dissuader les chefs d'entreprise d'y avoir recours. Il serait en revanche envisageable d'allonger légèrement la durée maximale du règlement amiable pour permettre une évaluation plus fiable de la situation de l'entreprise et donner de meilleures chances à la conclusion d'un accord entre le débiteur et les créanciers. La durée de la prolongation, actuellement fixée à un mois, pourrait être portée à trois mois : le président du tribunal aurait ainsi la faculté de moduler la durée totale de la mission du conciliateur en fonction de chaque situation concrète sans avoir recours à l'artifice du mandat ad hoc préparatoire.
* 18 Article 55 alinéa 2 : « Le jugement d'ouverture du redressement judiciaire suspend jusqu'au jugement arrêtant le plan de redressement ou prononçant la liquidation toute action contre les cautions personnes physiques. Le tribunal peut ensuite leur accorder des délais ou un différé de paiement dans la limite de deux ans. ». Ces dispositions sont désormais codifiées à l'article L. 621-48 du code de commerce.
* 19 Rapport d'expertise page 67.
* 20 Article 35 alinéa 1 de la loi du 1 er mars 1984, devenu l'article L. 611-3 du code de commerce.
* 21 Les petites affiches n° 137 du 13 novembre 1996, page 6.
* 22 Rapport d'expertise, annexe 2, page 63.