II. LES AUTOMOBILISTES COMPENSENT-ILS, PAR LA FISCALITE, LES NUISANCES QU'ILS SUSCITENT ?
Depuis une dizaine d'années, plusieurs études visant à évaluer les coûts externes de l'automobile (c'est-à-dire ses conséquences négatives pour les non usagers) ont été réalisées. Ce rapport a d'ailleurs abordé précédemment les principales d'entre elles.
Ces études présentent généralement un solde « coût-bénéfices » du transport automobile. Ce solde correspond à la différence entre les recettes fiscales assises sur le transport automobile et les coûts externes de ce dernier.
A. LES ÉTUDES COÛTS-BÉNÉFICES
1. Deux types d'études coûts-bénéfices, ayant des objectifs distincts
Il convient de distinguer deux types d'études coûts-bénéfices.
• Tout d'abord, certaines de ces études sont au « coût marginal », c'est-à-dire qu'elles visent à déterminer la tarification ou la fiscalité devant permettre d'amener l'usager à prendre en compte les coûts externes suscités par sa propre utilisation des transports routiers.
Ces études présentent donc des évaluations du coût externe suscité par le trajet supplémentaire d'un véhicule sur un kilomètre.
Ces études ne prennent ainsi pas en compte le coût de l'investissement, celui-ci étant indépendant du trafic s'effectuant sur l'infrastructure concernée.
En étant taxé à hauteur du coût marginal de son comportement pour la société, l'usager est incité à prendre en compte les effets négatifs de celui-ci, et à le modifier en conséquence. C'est ce que les économistes appellent « l'internalisation des externalités », c'est-à-dire leur intégration au marché.
Cette manière de lutter contre les nuisances de l'automobile est moins intéressante qu'il peut le sembler a priori .
- Tout d'abord, on voit mal comment la fiscalité pourrait fournir les incitations nécessaires pour réduire le nombre d'accidents de la route.
- Ensuite, dans le cas de la congestion, non seulement il faudrait faire varier la fiscalité en fonction du temps et du lieu, avec les problèmes techniques que cela pose (notamment de compréhension par l'usager), mais en plus, cette fiscalité serait néfaste aux automobilistes les plus pauvres, et les taxes de congestion risqueraient d'être bien plus élevées que le coût externe de la congestion 45 ( * ) .
- Enfin, dans le cas de la protection de l'environnement, le jugement est plus nuancé. Certes, la fiscalité est un moyen puissant d'orienter les comportements. Cependant, d'autres instruments peuvent sembler plus efficaces. Ainsi, des normes contraignantes relatives à la pollution ou aux émissions de dioxyde de carbone semblent au moins aussi efficaces que le serait une fiscalité sur les véhicules les plus polluants, sans en avoir les effets régressifs (ce sont généralement les personnes aux plus faibles revenus qui possèdent les véhicules les plus polluants ou émettant le plus de dioxyde de carbone).
La Délégation estime donc ces études modérément intéressantes d'un point de vue pratique 46 ( * ) .
• Ensuite, d'autres études sont au « coût complet », ou « coût moyen ». Leur objectif est de déterminer le coût des différentes externalités. Elles prennent donc en compte l'ensemble des nuisances pour les tiers (ou coûts externes), et en particulier les coûts d'infrastructure (contrairement aux études au coût marginal). Cependant, comme les études au coût marginal, elles ne prennent généralement pas en compte la congestion, qui concerne les seuls usagers.
Ces études, qui se sont multipliées ces dernières années, sont parfois utilisées pour tenter de répondre à la question : les usagers des transports routiers paient-ils, sous forme de prélèvements fiscaux, les nuisances qu'ils suscitent pour les non usagers ?
La Délégation estime que la vraie question n'est pas là. En effet, il lui semble artificiel d'opposer les usagers et les non usagers des transports routiers. On a vu qu'en l'an 2000, 80,3 % des ménages disposaient d'au moins une automobile. Par ailleurs, les analyses « coûts-bénéfices » ne prennent pas en compte les externalités positives autres que les recettes fiscales. Il est vrai qu'elles semblent difficiles à évaluer. Que serait l'économie française sans le transport routier ?
LES EXTERNALITES POSITIVES DU TRANSPORT ROUTIER Si l'on souhaitait prendre en compte la totalité des externalités positives du secteur routier (et pas seulement les recettes fiscales induites par celui-ci), il serait nécessaire d'évaluer tout ce que perdrait la société française si le transport routier cessait d'exister. Ce coût, on le conçoit, serait élevé. Tout d'abord, la filière automobile contribue directement à une part importante de l'activité économique, comme l'indique le tableau ci-après. La filière automobile en France (1998) |
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Part de la filière automobile dans le total national (en %) |
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Valeur ajoutée (1) |
20 |
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Emplois (2) |
11 |
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Source : Comité des constructeurs français d'automobiles. |
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Cet argument doit cependant être nuancé par le fait qu'en l'absence de la filière automobile, l'économie française serait structurée différemment. Ainsi, il existe des pays sans constructeur automobile (comme la Suisse) dont le PIB par habitant est supérieur à celui de la France. |
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Ensuite, le transport routier rend possibles certaines activités économiques, est un outil d'aménagement du territoire et, plus généralement, permet une plus grande efficacité des facteurs travail et capital (il s'agit donc d'un facteur de ce que les économistes appellent le « progrès technique », ou productivité globale des facteurs). |
L'intérêt de l'approche par les coûts complets semble être double. Tout d'abord, elle permet d'évaluer l'impact sur la collectivité des différentes externalités. Ensuite, son solde global permet des comparaisons , afin de choisir entre plusieurs modes de transport. Par exemple, vaut-il mieux construire une autoroute ou une route départementale ? Est-il souhaitable de privilégier les transports en commun par rapport au transport routier ? 47 ( * )
* 45 Ainsi, selon le professeur Rémy PRUD'HOMME, « Selon nos estimations, le coût de la congestion en Ile de France est d'environ 3 milliards de francs. Le montant des taxes internalisantes à mettre en oeuvre serait d'environ 30 milliards. Faire payer 30 milliards aux automobilistes pour leur en faire gagner 3 (en fait moins, car le système, on l'a vu, ne sera ni gratuit ni parfait), voilà qui sera difficile à leur faire avaler » (Rémy PRUD'HOMME, « L'outil tarifaire dans la politique des transports », note publiée dans Les Cahiers du CGPC , n° 2, avril 2001).
* 46 L'étude du CGPC - Christian BROSSIER, André LEUXE, Imputation des charges d'infrastructures routières pour l'année 1997 , Conseil général des ponts et chaussées, 1999 - présente notamment des résultats au coût marginal. Le lecteur peut trouver les principaux résultats de cette étude dans celle réalisée par le BIPE pour la Délégation, reproduite en annexe du présent rapport.
* 47 La Délégation estime que les informations disponibles suggèrent une réponse négative à cette question (cf. page 74 ).