2. Les émissions de gaz à effet de serre, principal enjeu environnemental à long terme ?
Le transport routier correspond à un quart des émissions de gaz à effet de serre et à la quasi-totalité de la croissance de ces émissions
• La part du transport routier dans l'émission de gaz à effet de serre n'est importante que dans le cas du dioxyde de carbone (26 %), comme l'indique le graphique ci-après.
Source : centre interprofessionnel technique d'études de la pollution atmosphérique
Cependant, le dioxyde de carbone contribuait, selon le CITEPA, à 70 % du potentiel de réchauffement global en 1998.
Depuis 1990, en France les émissions totales de dioxyde de carbone seraient stabilisées (après une forte diminution entre 1980 et 1985, qui correspondrait essentiellement à la mise en oeuvre du parc électronucléaire ) :
Mise en oeuvre du parc électronucléaire
Source : centre interprofessionnel technique d'études de la pollution
atmosphérique
Le transport routier est le seul secteur dans lequel les émissions de dioxyde de carbone continuent d'augmenter depuis 1990, comme l'indique le graphique ci-après.
Source : centre interprofessionnel technique d'études de la pollution atmosphérique
Ainsi, en 1997 le transport routier contribuait à 22 % des émissions de gaz à effet de serre, et à la quasi-totalité de la croissance de celles-ci.
• Or, la France s'est engagée à stabiliser, d'ici à 2010, ses émissions de gaz à effet de serre à leur niveau de 1990.
Elle a émis en 1990, pour les six gaz retenus par le Protocole de Kyoto, 144 millions de tonnes d'équivalent carbone. Sans mise en oeuvre de mesures destinées à les réduire, ces émissions atteindraient en 2010 un niveau de 175 MteC, soit presque ¼ de plus.
En prenant en compte la mise en oeuvre intégrale des mesures décidées jusqu'à l'adoption du protocole de Kyoto, ce niveau doit être ramené à 160 MteC.
Le programme national de lutte contre le changement climatique, présenté par le premier ministre le 19 janvier 2000, a donc pour objectif d'éviter 15 MteC.
• La question est de déterminer la manière de répartir cet effort entre les différents secteurs. En effet, certains secteurs peu émetteurs de gaz à effet de serre peuvent voir leurs émissions aisément réduites (comme dans le cas des gaz frigorigènes), alors que la réduction des émissions de certains secteurs fortement émetteurs (comme l'agriculture) peut sembler difficile.
Le programme national de lutte contre le changement climatique met l'industrie et les transports à contribution en proportion de leurs émissions totales, comme l'indique le graphique ci-après.
Source : chiffres du ministère de l'aménagement du territoire et de l'environnement
En revanche, par rapport à leurs émissions totales, certains secteurs sont faiblement mis à contribution (agriculture, bâtiments), alors que celle d'autres secteurs est proportionnellement plus importante : production d'énergie et, surtout, gaz frigorigènes.
Ces inégalités s'expliquent par le fait qu'il est plus difficile de réduire les émissions de gaz à effet de serre dans certains secteurs que dans d'autres. Il ne semble pas à la Délégation que la mise à contribution du secteur des transports soit excessive.
• Les véhicules particuliers correspondent à 60 % des émissions de dioxyde de carbone du transport routier, comme l'indique le graphique ci-après.
Source : centre interprofessionnel technique d'études de la pollution atmosphérique
Il semble donc indispensable de maîtriser les émissions de dioxyde de carbone des voitures particulières. Le programme national de lutte contre le changement climatique indique plusieurs orientations en ce sens : réduction des émissions par véhicule, maîtrise de la demande, développement de l'offre de transports en commun. La Délégation est sceptique quant à l'efficacité de ces deux dernières politiques, comme elle l'explique dans la seconde partie de ce rapport.
Un coût pour la collectivité difficile à chiffrer
La Délégation s'interroge sur la possibilité d'évaluer de manière satisfaisante les pertes de bien-être suscitées par des émissions excessives de gaz à effet de serre.
• En effet, l'impact de l'émission de ces gaz ne se fera sentir que sur le long terme , les dommages étant difficilement prévisibles , comme l'indique le professeur Rémy PRUD'HOMME 36 ( * ) :
« Il n'existe pas le début d'un consensus sur le montant de ces dommages. On sait mal quels changements interviendront au cours des différentes années du siècle. On sait encore moins bien en estimer le coût. Le saurait-on qu'il faudrait choisir un taux d'actualisation approprié pour ramener la valeur de tous ces dommages à des francs d'aujourd'hui. Les quelques estimations qui ont été tentées suggèrent des externalités plutôt faibles ». Sur ce dernier point, M. PRUD'HOMME indique qu' « Un calcul grossier de l'auteur, effectué à partir d'une estimation du dommage de l'effet de serre en 2100 présentée par M. Moussel à une session du Conseil Général des Ponts et Chaussée (1% du PIB de l'année 2100), avec le taux d'actualisation du Commissariat Général du Plan (8%), produit pour l'externalité de l'effet de serre des chiffres cinquante fois plus faibles que ceux qui résultent du calcul de la taxe nécessaire pour assurer le respect des engagements de Kyoto ».
De même, il est difficile d'évaluer le coût de la dépendance énergétique , qui recouvre en grande partie le problème de l'émission de dioxyde de carbone, l'utilisation de carburants fossiles correspondant à la totalité des émissions de dioxyde de carbone du transport routier. Dans le cas des Etats-Unis , il a été proposé de retenir le chiffre des dépenses militaires induites par l'utilisation du pétrole par les véhicules automobiles. Une étude, réalisée avant les attentats récemment perpétrés aux Etats-Unis, suggère que ce coût pourrait être annuellement de 0,6 à 7 milliards de dollars 37 ( * ) . Dans le cas de la France, le coût ainsi évalué serait plus faible. Cependant, on peut considérer que d'autres facteurs pourraient également être pris en compte (impacts sur l'économie, coût « diplomatique », etc.).
• Compte tenu de ces difficultés, les diverses études se contentent d'indiquer le coût de la limitation des émissions de dioxyde de carbone, qui, selon M. PRUD'HOMME, ne constitue « en aucune façon une "estimation" de l'externalité de l'effet de serre ».
Les évaluations supposent, par convention, qu'il s'agirait d'une taxe sur la tonne de carbone. Ainsi, le résultat sera différent selon que l'on retient l'objectif de réduction du protocole de Kyoto (qui semble pouvoir être atteint par une taxation de l'ordre de 100 € la tonne de carbone 38 ( * ) ) ou l'objectif proposé par le Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat (l'étude de l'IFRAS et de l'IWW retenant le chiffre de 135 € la tonne). A titre de comparaison, le programme national de lutte contre le changement climatique prévoit une taxation de 500 francs la tonne (soit environ 76 euros).
Une telle taxe ne serait efficace que dans le long terme, compte tenu de la faiblesse de l'élasticité à court terme de la consommation d'énergie fossile à son prix.
En fonction des critères retenus, le coût externe des émissions de dioxyde de carbone , ainsi défini, varie de 20 milliards de francs à 90 milliards de francs , dont environ la moitié pour l'automobile, comme l'indique le tableau ci-après.
Le coût des émissions de gaz à effet de serre par le transport routier
En milliards de francs
Etude |
INRETS (1) |
CGPC, coût complet (2) |
CNTV (3) |
CCFA (4) |
INFRAS/IWW (5) |
Méthode utilisée : coût de la prévention |
|||||
Référence politique |
N.D./Projet de taxe de la Commission |
Projet de taxe de la Commission |
Valeur recommandée par le rapport Boiteux de 2001 |
- |
Réduction des émissions de CO2 par les transports de 50 % de 1990 à 2030 (recommandation du GIEC) |
Prix de la tonne de carbone |
18-72 € (a) |
70 € |
100 € |
- |
135 € |
Année prise en compte par l'étude |
1991 |
1997 |
1998 |
1989-1999 |
1995 |
Résultats |
|||||
Total |
3,5 à 14,0 |
19,2 |
- |
3,5 à 18,0 |
90,1 |
Automobile |
3,1 à 11,4 (b) |
12,5 |
14,0 |
- |
47,1 |
(a) 100-400 francs par TEP.
(b) Deux-roues et voitures.
(1) Jean-Pierre ORFEUIL, Les coûts externes de la circulation routière , Institut national de recherche sur les transports et leur sécurité, 1997.
(2) Christian BROSSIER, André LEUXE, Imputation des charges d'infrastructures routières pour l'année 1997 , Conseil général des ponts et chaussées, 1999. Les chiffres indiqués ici sont ceux de l'approche au coût complet.
(3) Fabien DUPREZ, Les coûts externes du transport de voyageurs, selon les recommandations du rapport Boiteux de 2001, CERTU, 2001 . Cette étude s'appuie sur les résultats du Compte national du transport de voyageurs 1998 (2001).
(4) Christian MORY, Les coûts externes ou la difficulté d'estimer équitablement ce que représente l'automobile pour la collectivité , Comité des constructeurs français d'automobiles, 2000.
(5) INFRAS/IWW, External Costs of Transport (accident, environmental and congestion costs) in Western Europe , 2000. L'INFRAS est un organisme suisse d'étude des politiques publiques, l'IWW (Institut für Wirtschaftspolitik und Wirtschaftsforschung) un organisme allemand. Étude réalisée pour l'Union internationale des chemins de fer.
* 36 Rémy PRUD'HOMME, « L'outil tarifaire dans la politique des transports », note publiée dans Les Cahiers du CGPC , n° 2 (Avril 2001).
* 37 Mark DELUCCHI et James MURPHY, U.S. Military Expenditures to Protect the use of Persian-Gulf Oil for Motor Vehicles , Institute of Transportation Studies (Davis), Avril 1996.
* 38 Ce chiffre est celui proposé par le rapport BOITEUX de 2001. Il résulte d'un compromis entre les chiffres proposés par le ministère de l'environnement (1 000 francs) et celui de l'équipement (500 francs).