II. LA PRATIQUE S'ÉCARTE PROGRESSIVEMENT DE L'ESPRIT DES TEXTES

A. LES PRINCIPES DU FIDOM SONT PROGRESSIVEMENT ABANDONNÉS

1. Le comité directeur marginalisé par la montée en puissance des crédits contractualisés

Le comité directeur du FIDOM, chargé de répartir les crédits du fonds, ne s'est plus réuni depuis le 14 juin 1994. La décision de ne plus le réunir n'a jamais été formalisée.

La mise en sommeil de l'instance qui faisait la singularité du FIDOM s'explique par le décalage croissant entre, d'une part, la solennité de sa composition (qui comprend notamment un ministre, neuf parlementaires et six directeurs d'administration centrale) et, d'autre part, sa marge de décision de plus en plus réduite.

La réduction de la marge de décision du comité directeur du FIDOM provient du fait qu'une fraction croissante des crédits du FIDOM sert à financer la part de l'Etat dans les contrats de plan Etat-régions. Comme le soulignait un participant à la dernière réunion du comité directeur, en 1994, « il faut rappeler la réalité des choses. Les répartitions que vous faites aujourd'hui sont, dans une large mesure, des répartitions contraintes pour tout le monde, y compris le ministre. Le montant des crédits affectés aux contrats de plan n'est pas quelque chose que le comité directeur du FIDOM peut remettre en cause ».

Le tableau ci-dessous fait apparaître la corrélation entre la réduction de la fréquence des réunions du comité directeur et l'augmentation du pourcentage des crédits du FIDOM qui sont contractualisés :

Nombre de réunions du comité directeur

Pourcentage des crédits délégués consacrés aux contrats de plan

Xème plan

9

22%

1989

2

10%

1990

2

38%

1991

2

22%

1992

1

24%

1993

2

19%

XIème plan

1

69%

1994

1

62%

1995

0

82%

1996

0

70%

1997

0

60%

1998

0

70%

1999

0

69%

XIIème plan

2000

0

79%

2001

91%

Source : secrétariat d'Etat à l'outre-mer

Le dessaisissement du comité directeur est d'autant plus important que, comme l'a indiqué à votre rapporteur le secrétariat d'Etat à l'outre-mer, celui-ci n'est pas consulté à l'occasion du choix des opérations contractualisées financées à partir des crédits du FIDOM car « la consultation de cette instance lors des négociations de ces contrats n'est pas prévue par les textes, elle n'a donc pas été mise en oeuvre ».

En l'absence de réunion du comité directeur, les crédits non contractualisés sont désormais répartis par le « comité restreint » du FIDOM, auquel le comité directeur peut déléguer sa compétence, en application de l'article 6 du décret du 17 juillet 1984 et selon des modalités prévues par le règlement intérieur du FIDOM. En pratique, le comité directeur n'a jamais établi son règlement intérieur et n'a donc jamais pu préciser les modalités de sa délégation de compétence au comité restreint.

Le comité restreint s'est réuni deux fois en 1994 et, depuis, une fois par an.

Le secrétariat d'Etat à l'outre-mer semble regretter la très forte contractualisation des crédits du FIDOM et la disparition du pouvoir de décision du comité. Le compte rendu de la réunion du comité restreint du 31 mars 1999 indique en effet qu'  « une remarque identique à celle qui a été faite sur le FIDES est formulée pour le FIDOM, à savoir la faible marge laissée au secrétariat d'Etat à l'outre-mer, compte tenu des opérations contractuelles et obligatoires ».

2. La disparition des enveloppes libres d'emploi

Les administrations centrales ont tenté de compenser, dans des proportions certes très inférieures, la réduction des marges de manoeuvre du comité directeur par la « reconcentration » du pouvoir de décision sur les derniers crédits non contractualisés.

Depuis 1997, les « dotations allouées au représentant de l'Etat » mentionnées à l'article 5 du décret du 17 juillet 1984 ont disparu. L'intégralité des crédits non contractualisés est désormais répartie par le comité restreint.

La disparition des enveloppes déconcentrées est regrettée par les agents des services déconcentrés de l'Etat rencontrés à la Réunion, pour lesquels ces enveloppes constituaient l'un des derniers leviers d'action autonomes, en dehors des procédures contractuelles.

En effet, les enveloppes contractualisées, même si elles représentent un volume de crédits déconcentrés supérieur à celui des anciennes enveloppes déconcentrées, présentent « l'inconvénient » de ne pouvoir être utilisées que sur décision des instances regroupant les différents cocontractants.

3. La mise en extinction des sections décentralisées

Conformément à l'orientation préconisée par la « lettre plafond » du 7 août 1996, les sections décentralisées du FIDOM ont été mises en extinction à compter de l'entrée en vigueur de la loi de finances pour 1997. A compter de cette date, le chapitre 68-03 du budget de l'outre-mer n'a pas été doté en autorisations de programme.

La suppression des sections décentralisées s'est déroulée dans des conditions pour le moins inélégantes :

- elle n'a donné lieu à aucune consultation des départements et régions d'outre-mer ;

- l'Etat n'a pas pris la peine d'inscrire les crédits nécessaires à l'apurement de la « dette » contractée auprès des collectivités locales . En effet, au cours des exercices précédant 1997, les lois de finances avaient ouvert des autorisations de programmes sans les accompagner immédiatement des crédits de paiement nécessaires. Les collectivités locales ont donc avancé les sommes nécessaires à la réalisation des projets financés à partir de ces autorisations de programmes, sans se douter que les crédits de paiement ne seraient jamais délégués.

Un dossier en instance de règlement

Dans son rapport spécial sur les crédits de l'outre-mer inscrits dans le projet de loi de finances pour 1997 6 ( * ) , votre rapporteur constatait le choix de supprimer les sections décentralisées du FIDOM et soulignait que « les élus domiens ne manqueront pas de rappeler la politique conduite lors de la dernière décennie et au début des années 1990 qui a consisté à maintenir un niveau d'autorisations de programme sur les dotations du FIDOM-décentralisé sans l'accompagner de la mise en place des crédits de paiement correspondants ».

Cela n'a pas manqué de se produire. Dans un courrier adressé en janvier 2001 au président du conseil général de la Guadeloupe, le secrétaire d'Etat chargé de l'outre-mer indique que « en 1999, informé de cette situation, le Premier ministre a décidé qu'une solution devait être apportée avant la fin de la législature à une situation qui avait incontestablement pesé sur les finances des collectivités concernées ».

Une étude menée par les services des secrétariats d'Etat au budget et à l'outre-mer a été lancée de manière à évaluer le montant de la « dette » de l'Etat aux collectivités locales.

La dette théorique s'élève à 300 millions de francs. Cependant, les remboursements de l'Etat ne peuvent intervenir que pour des opérations effectivement engagées et payées en application d'une délibération de la collectivité concernée.

A quelques mois de la fin de la législature, il ne semble pas que les évaluations proposées par l'Etat recueillent l'accord de l'ensemble des collectivités.

Les élus locaux d'outre-mer restent, cinq ans après, encore choqués par la suppression du FIDOM décentralisé, auquel ils attachaient souvent une importance particulière. Les crédits du FIDOM étaient principalement utilisés pour financer les compétences transférées (voirie, collèges, lycées) mais votre rapporteur a constaté qu'ils pouvaient également (bien que ce ne soit pas prévu par le décret de 1984) servir d'instrument de solidarité financière avec les communes. Ainsi, le conseil régional de la Guyane à indiqué que le FIDOM décentralisé était utilisé pour financer « l'aménagement et l'équipement touristique en faveur des communes ». A la Réunion, le conseil général consacrait l'intégralité du FIDOM décentralisé aux investissements des communes et, parfois, de l'office national des forêts (ONF).

Le président du conseil général de la Réunion estime en conséquence que « l'extinction du FIDOM au niveau des sections locales décidée unilatéralement par le gouvernement au 1 er janvier 1997 a été très préjudiciable à l'action de nos collectivités dans le domaine du développement et de l'aménagement du territoire ». La suppression est également considérée comme une injustice car, comme le souligne le président du conseil général de la Guadeloupe, le « principe de décentralisation a été rapidement battu en brèche par les dysfonctionnements [l'écart entre AP et CP] que notre collectivité a relevés et dénoncés ». En d'autres termes, les collectivités locales estiment avoir payé les erreurs de gestion de l'Etat.

Les raisons qui ont conduit l'Etat à supprimer les sections décentralisées, sans même essayer de remédier à d'éventuels dysfonctionnements, sont stupéfiantes.

Dans son rapport spécial sur les crédits de l'outre-mer inscrit dans le projet de loi de finances pour 1997, votre rapporteur évoquait l'argumentation du gouvernement justifiant la suppression du FIDOM décentralisé : « les amputations importantes et régulières pratiquées depuis le début de la décennie sur le chapitre concerné ont, en effet, conduit à minorer fortement la part de cette ressource dans les budgets des départements et régions d'outre-mer. Le FIDOM décentralisé ne représenterait plus que 1 % environ des recettes de ces collectivités, même si localement, et pour telle opération particulière, le taux de participation du fonds peut encore atteindre des niveaux significatifs ». En d'autres termes, le gouvernement a préféré supprimer le FIDOM décentralisé plutôt que de le doter, puis de continuer à lui supprimer ses crédits en cours d'année !

Aucune considération relative à l'efficacité de la dépense publique, ou même à la façon la plus optimale de dépenser les crédits destinés à favoriser l'investissement outre-mer, n'a semble-t-il été prise en compte dans la décision de supprimer le FIDOM décentralisé.

Pour mémoire, il convient de préciser que l'absence de dotation en loi de finances ne signifie pas que les sections décentralisées ont totalement disparu depuis 1998. Compte tenu des reports de crédits, les sections décentralisées représentaient encore le quart des crédits disponibles du FIDOM dans son ensemble au titre de l'exercice 2000. Les sections décentralisées seront totalement éteintes lorsque ces crédits auront été consommés ou annulés.

4. L'abandon de la logique des blocs de compétence

La répartition des crédits du FIDOM en trois sections s'inscrivait dans la logique des blocs de compétence mise en avant par les lois de décentralisation :

- les sections régionales et départementales devaient permettre aux régions et aux départements de financer des actions dans les domaines de compétence qui leur ont été transférés par les lois de décentralisation ;

- la section générale, si elle a vocation à financer les actions relevant de la compétence de l'Etat, n'a pas un objet aussi précisément déterminé : elle regroupe les interventions relevant de « l'action directe de l'Etat ou résultant de décisions gouvernementales ou encore présentant un intérêt national, notamment à l'égard des collectivités locales des départements d'outre-mer, de Saint-Pierre-et-Miquelon et de Mayotte ». Le respect de la logique des blocs de compétence s'est heurté dès la fin des années 80 à un autre principe important en matière de décentralisation, celui de l'autonomie locale, en application duquel le décret n° 89-357 du 5 juin 1989 prévoit que les crédits des sections décentralisées sont versés sous forme de dotation globale (obligatoirement inscrite en section d'investissement). Dès lors, il n'était plus comptablement possible de vérifier que les crédits du FIDOM servaient bien à financer certaines compétences plutôt que d'autres.

Par la suite, le choix de contractualiser les crédits du FIDOM contenait implicitement la décision d'abandonner la logique des blocs de compétences , avec laquelle la contractualisation est incompatible puisqu'elle consiste précisément à faire financer des projets par différents cocontractants, indépendamment des compétences légales des uns et des autres.

Votre rapporteur a demandé au secrétariat d'Etat à l'outre-mer de classer les dépenses du FIDOM au titre des contrats de plan 1994-1999 en fonction des domaines de compétences transférées aux régions et aux départements et des domaines de compétences de l'Etat. Le secrétariat d'Etat a répercuté cette demande aux préfectures. Seules trois réponses (sur six) lui sont parvenues, et seule une réponse s'est révélée exploitable. En Guyane, sur 195 actions financées dans le cadre du contrat de plan, 30 concernaient les compétences de l'Etat (15 %), 8 les compétences transférées aux régions (4 %) et 50 les compétences transférées aux départements (26 %). 77 actions relevaient du domaine de compétence des communes (39 %).

Il ressort de cet exemple que la suppression des sections décentralisées à compter de 1997 et le développement de la contractualisation n'ont pas forcément conduit le FIDOM à se désengager du financement des compétences des régions et des départements . Cela s'explique par le fait que les besoins d'investissement outre-mer sont dans une large mesure concentrés dans les domaines relevant de la compétence des collectivités locales et notamment des communes (dont le décret du 17 juillet 1984 ne prévoit pas que leurs compétences peuvent être financées par le FIDOM). L'accent mis par le décret de 1984 sur le financement des compétences transférées est perdu de vue au profit d'une logique de financement des besoins.

Il est à noter que la conjugaison de la suppression des sections décentralisées et du développement de la contractualisation traduisent une recentralisation , au profit de l'Etat, du pouvoir de décision dans des domaines de compétence transférées aux collectivités locales. Comme l'a montré notre collègue Pierre André 7 ( * ) , « l'Etat se sert des contrats de plan pour imposer certaines politiques aux collectivités locales ». Outre-mer, ce phénomène ne se traduit pas tant, comme en métropole, par le financement par les collectivités de politiques qui devraient n'être financées que par l'Etat, mais, plutôt, par la mise en place au profit de l'Etat d'un pouvoir de codécision dans les domaines de compétence des collectivités locales.

* 6 Sénat, 1996-1997, n° 86, tome III, annexe 32.

* 7 Pierre André, Les troisièmes contrats de plan Etat-régions (1994-1999) : une ambition inachevée , Sénat, n° 446, 1999-2000, p. 248.

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