44. Audition de Mme Annick Delelis, présidente du conseil d'administration de l'Agence de l'eau Artois-Picardie et de M. Martial Grandmougin, directeur adjoint (19 juillet 2001)
M. Marcel Deneux, Président - Nous recevons aujourd'hui Mme Annick Delelis, présidente du conseil d'administration de l'Agence de l'eau Artois-Picardie et de M. Martial Grandmougin, directeur-adjoint.
Le Président rappelle le protocole de publicité des travaux de la commission d'enquête et fait prêter serment à Mme Annick Delelis et M. Martial Grandmougin .
Mme Annick Delelis - Je suis en effet présidente du conseil d'administration de l'Agence de l'eau Artois-Picardie, fonction à laquelle j'ai été nommée par le président de la République et que j'exerce depuis le 25 mai 1999. Cette fonction est bénévole et je suis par ailleurs professeur à l'université Lille II, où j'enseigne en faculté de pharmacie.
Les agences de l'eau, au nombre de six, sont des établissements publics d'Etat à caractère administratif. Juridiquement et financièrement autonomes, elles sont soumises à la double tutelle du ministre chargé de l'environnement et du ministre chargé du budget.
L'agence de l'eau Artois-Picardie, qui recouvre les départements du Nord, du Pas-de-Calais et de la Somme dans leur entier ainsi qu'une partie de l'Aisne, est une des plus petites sur le plan territorial, mais sa circonscription présente, du Nord au Sud, des différences importantes, le régime des eaux étant au Nord lié, pour l'essentiel, au grand bassin versant de l'Escaut, à une multitude de petits bassins le long des côtes de la Manche et à un petit bassin sur la mer du Nord, celui de l'Aa.
Si je puis me permettre d'anticiper sur le calendrier européen, la future loi sur l'eau, qui intégrera la directive cadre, donnera à l'agence un bassin hydro-géographique beaucoup plus étendu et de surcroît international, l'Escaut coulant en Belgique et aux Pays-Bas. Seules deux agences françaises auront ainsi un statut international.
Aujourd'hui, notre petite circonscription n'en est pas moins une des plus peuplées, problème aggravé par un écoulement très lent des eaux dû à la faiblesse des pentes.
Telles sont les caractéristiques de la circonscription qu'il nous appartient de gérer. Ce n'est pas toujours simple : des inondations se produisent assez régulièrement, en particulier dans le Nord-Pas-de-Calais.
La situation à laquelle nous avons été confrontés dans la Somme est cependant nouvelle pour nous, même si les recherches menées par M. Martial Grandmougin, qui a pu remonter jusqu'au XVIIe siècle, démontrent qu'elle n'est pas aussi exceptionnelle qu'on pourrait le croire.
M. Martial Grandmougin - Dans « Les Inondations en France : du VIe siècle à nos jours », le livre de Maurice Champion réédité par le CEMAGREF en 2000, la Somme est citée douze fois -sans beaucoup de détails- pour la période allant de 1615 à 1850.
Mme Annick Delelis - Il s'agit en fait d'une situation qui s'est déjà produite mais elle n'a pas forcément aujourd'hui les mêmes conséquences qu'hier compte tenu de l'augmentation de la population et, surtout, du nombre de constructions le long de la Somme.
Le bassin de la Somme est très particulier parce que, contrairement à celui de beaucoup d'autres fleuves français, son écoulement est -théoriquement- assez régulier tout au long de l'année, le sous-sol, qui est essentiellement crayeux, jouant un rôle d'éponge. Or, après trois hivers extrêmement pluvieux, la craie était saturée et, dès le mois de janvier 2001, elle n'a plus absorbé les pluies, qui, au lieu d'être évapotranspirées comme elles le sont en année normale, ont ruisselé dans les cuvettes, ce qui, l'écoulement étant lent, a eu les conséquences que nous savons.
Dans le questionnaire que vous nous avez adressé, vous nous interrogiez sur le schéma directeur d'aménagement et de gestion des eaux du bassin Artois-Picardie, en nous demandant d'insister « plus particulièrement sur la prise en compte du risque inondations ». M. Grandmougin vous a apporté la partie de notre SDAGE relatif aux inondations. Celles-ci sont, bien entendu, une préoccupation constante de l'agence. Deux chiffres l'illustrent : depuis 1995, l'agence a consacré à la lutte contre les inondations 164 millions de francs, sur un total de 610 millions de francs.
Nous sommes donc partie prenante dans la lutte contre les inondations, et cela de manière permanente.
M. le Président - Vous avez évoqué les caractéristiques de votre circonscription. La région des Wateringues en relève-elle et, si oui, qu'en pensez-vous ?
M. Martial Grandmougin - La zone comprise entre Calais, Dunkerque et Saint-Omer que l'on appelle les Wateringues fait en effet partie du bassin Artois-Picardie. Les Wateringues, ce sont 800 km² - 80 000 hectares - sans compter les bassins versants extérieurs.
Je disais que, dans l'ouvrage de Maurice Champion, la Somme était citée douze fois. La région de Dunkerque est, elle, citée trente et une fois entre 1014 et 1770, non pas, d'ailleurs, pour des inondations, mais pour des invasions marines.
La zone des Wateringues, zone plate et basse à tel point menacée par la mer que les Romains avaient jugé préférable de ne pas la conquérir et de la laisser complètement inhabitée, a fait l'objet au cours des siècles de travaux considérables. Plus récemment -à partir des années 1970- d'importants ouvrages de pompage ont été réalisés par les départements du Nord et du Pas-de-Calais. Aujourd'hui, les Wateringues disposent d'une capacité mécanique d'évacuation de l'ordre de 100 m 3 /seconde.
C'est ce qui a permis de faire face aux circonstances pendant l'hiver 1999, en particulier entre Noël et le Nouvel An, mais d'y faire face d'extrême justesse puisque toutes les marges de sécurité ont été consommées et qu'il a même fallu utiliser pour évacuer les eaux des ouvrages dont ce n'était pas la destination, notamment les pompes anti-salure de Mardyck, ce qui a accru la capacité de 18 m 3 par seconde.
Les travaux effectués sur de nombreuses années dans les Wateringues ont, évidemment, un prix : l'investissement, en coût « historique », a été de l'ordre de 170 millions de francs et le coût de fonctionnement annuel est d'environ 7 millions de francs payés par les deux départements ; un programme de rénovation des ouvrages pour 30 millions de francs -d'ailleurs financé à hauteur de 25 % par l'agence- est en cours de réalisation et s'étalera sur trois ou quatre ans.
M. le Président - Considérez-vous que, compte tenu des caractéristiques de la zone, le système des Wateringues fonctionne bien et pourrait même être cité en exemple ?
M. Martial Grandmougin - Les Wateringues ont une caractéristique originale, elle-même liée à un événement considérable, à savoir la mise à grand gabarit en 1965 de la liaison Valenciennes-Dunkerque.
M. le Président - Pour le canal du Nord ?
M. Martial Grandmougin - Non, la mise à grand gabarit des canaux du Nord de la France a été réalisée en vue d'un prolongement vers la Belgique, mais la liaison à grand gabarit avec la Seine n'existe toujours pas. C'était le projet Seine-Nord, qui, aujourd'hui encore, reste à l'état de projet. L'artère de Dunkerque à Valenciennes a désormais une section de 140 m², soit environ le triple d'une section Freycinet. En d'autres termes, c'est à des travaux destinés à la navigation que les Wateringues doivent l'avantage de bénéficier d'une artère hydraulique qui amène les eaux tout près de la mer.
Ne restait donc plus qu'à faire passer les eaux par-dessus les digues à marée haute puisque les portes à la mer sont alors fermées et qu'il n'y a pas d'écoulement -si les débits amonts sont importants-, la situation devient insupportable.
Dans la Somme en revanche, l'exutoire, c'est le canal maritime, dont la cote est relativement élevée, puis le contre-fossé, dont la capacité est modeste. Les distances sont en outre assez importantes puisqu'il y a vingt-cinq kilomètres entre Abbeville et la mer et à peu près quarante kilomètres entre Amiens et la mer, ce qui constitue une difficulté supplémentaire.
M. le Président - La situation est en effet différente.
M. Martial Grandmougin - Au lieu d'un système triangulaire avec une façade contre la mer, on a un système très allongé.
M. le Président - Et toutes les régions n'ont pas bénéficié des investissements qui, pour les raisons que vous rappeliez, ont été réalisés dans les Wateringues.
M. Martial Grandmougin - Les investissements dans les Wateringues sont importants depuis fort longtemps déjà puisque les suzerains du lieu permettaient à ceux qui les mettaient hors d'eau d'exploiter gratuitement les terres.
M. Pierre Martin, Rapporteur - Madame, vous avez indiqué que l'agence avait consacré 164 millions de francs à la lutte contre les inondations depuis 1995, ce qui équivaut à environ 30 millions de francs par an. Quels types d'intervention a-t-elle financés, en particulier dans la Somme ?
Mme Annick Delelis - Les données que nous vous avons transmises portent sur nos interventions dans tout le bassin. Il est peut-être malaisé de distinguer la part consacrée à la Somme.
M. Martial Grandmougin - J'ai fait la liste des travaux d'hydraulique, qui comprennent : l'entretien de rivières, dont la part en francs est la plus importante ; le curage des sédiments toxiques, ce qui ne concerne pratiquement pas la Somme, sauf à l'aval de Saint-Quentin, où les problèmes ont été pris en compte ; des études hydrauliques ; enfin, une série de petites actions.
Sur 600 millions de francs de travaux en cinq ans, un peu plus de la moitié a servi à l'entretien de rivières et près d'un quart au curage des sédiments pollués ; les travaux effectués après les événements de 1999 en faveur des Wateringues et de Voies navigables de France pour renforcer les digues ont représenté 50 millions de francs ; 10 millions de francs ont été consacrés à des travaux -qui sont en cours- destinés aux mesures de débit dans les canaux, travaux dont l'agence a quasiment la maîtrise d'ouvrage et qu'elle a totalement financés ; 4 millions de francs ont été alloués en faveur des étangs de la Haute-Somme, ce qui a représenté 25 % du montant des travaux ; pour la réalisation, qui n'est pas encore achevée, de l'atlas des zones inondables dans l'ensemble des bassins avec la DIREN, l'agence a versé environ 1,8 million de francs sur un total de 5 millions de francs ; enfin, elle a participé à quelques actions particulières.
Pour ce qui concerne la Somme, les étangs de la Haute-Somme y compris, l'entretien de rivières porte sur deux cents kilomètres environ.
M. le Rapporteur . Le fleuve et le canal relevant de la compétence du Conseil général, ne pensez-vous pas qu'il serait opportun que l'agence mène avec celui-ci une action concertée sur ce bassin, compte tenu des événements qui viennent de se produire ?
Mme Annick Delelis - C'est déjà le cas.
M. le Rapporteur - Je le sais, mais n'est-ce pas parfois difficile ?
Mme Annick Delelis - Si, mais, d'une manière générale, l'agence mène un nombre déjà assez important d'actions concertées avec le Conseil général de la Somme, ne serait-ce qu'en direction des zones humides, sur lesquelles nous avons commencé à travailler.
M. le Président . La convention entre le Conseil général et l'agence est cependant récente.
Mme Annick Delelis - Elle est très récente.
M. le Président - En clair, vous avez mené des actions en amont d'Amiens ; en aval d'Amiens, il ne vous a pas encore été proposé de co-subventionner des actions.
M. Martial Grandmougin - La politique d'entretien de rivières est relativement récente pour l'agence de l'eau Artois-Picardie puisqu'elle date de 1992. Elle a été véritablement lancée dans le cadre des contrats emploi-solidarité.
Lorsque le Gouvernement a demandé aux établissements publics de soutenir les contrats emploi-solidarité, nous nous sommes fixé pour principe de ne pas faire de l'« occupationnel » mais de l'utile et, dans le respect de ce principe, nous avons envisagé huit types d'action. Nous avons lancées ces actions en nous disant que, le temps qui passe étant à la fois impartial et impitoyable, nous verrions à l'usage ce qui réussirait. Et l'entretien de rivières a magnifiquement réussi !
Il n'était cependant pas à l'époque dans les habitudes de l'agence de participer à l'entretien, c'est-à-dire au fonctionnement des ouvrages « de navigation », et il y a eu certaines réticences, qui sont aujourd'hui tombées, à accorder des fonds. Selon le raisonnement qui prévalait alors, le principe de spécialité de l'établissement public interdisait à celui-ci de participer à des ouvrages relevant des voies navigables et donc hors de sa compétence.
Un tel raisonnement est évidemment inadapté aux circonstances actuelles, qui imposent de le combattre. Le conseil d'administration a ainsi récemment accepté -avec tout de même quelques petites réticences qu'il a fallu surmonter en plaidant beaucoup- de financer VNF pour la remise en état de digues ou d'ouvrages annexes qui ne sont pas - mais, vous le savez, la distinction est difficile - des ouvrages de navigation.
M. le Président . Dans le cas de la Somme, la distinction est plus simple parce qu'il n'y a pratiquement pas d'ouvrages de navigation, du moins de Péronne jusqu'à Saint-Valéry-sur-Somme.
M. Martial Grandmougin - La Somme canalisée est, au départ, un ouvrage de navigation, d'ailleurs très ancien puisqu'il a été achevé vers 1843. Cet ouvrage réalisé sur près de soixante-dix ans avait pour objet de permettre la navigation de Saint-Quentin à Saint-Valéry-sur-Somme. Aujourd'hui, la navigation commerciale y est modeste, sauf sur un petit tronçon. Il y a cependant une navigation de plaisance.
M. le Président . Oui, entre Bray et Péronne.
M. le Rapporteur - Vos interventions se sont concentrées sur la Haute-Somme parce qu'il y a dans cette zone une structure qui s'implique et réalise des travaux ; en aval, vous n'intervenez pas parce que, si des structures existent, elles s'impliquent nettement moins. Or, les différentes auditions auxquelles nous avons procédé font apparaître de la nécessité de créer une structure, ou deux structures et un syndicat mixte, permettant une prise en compte globale des problèmes, ce qui laisse supposer que l'agence sera contactée pour des interventions ultérieures.
M. Martial Grandmougin - Monsieur le Rapporteur, l'agence n'est pas elle-même maître d'ouvrage. Elle intervient s'il y a un maître d'ouvrage, un projet entrant dans ses compétences et dans son programme ainsi qu'un plan de financement, son propre apport ne couvrant évidemment pas à 100 % les projets.
Pour les étangs de la Haute-Somme, un syndicat intercommunal a été créé dans le cadre du contrat de rivière sous l'impulsion du sous-préfet de Péronne. L'agence a assuré environ 25 % du financement du curage -les sommes en jeu n'étaient d'ailleurs pas négligeables- , curage qu'elle a estimé être une excellente opération.
En revanche, si aucune structure ne s'implique et si aucune demande ne nous est adressée, par principe, nous n'intervenons pas.
M. le Rapporteur . A supposer que le département entame des travaux de curage, ce qui relève de sa compétence, peut-il compter immédiatement sur votre aide ?
Mme Annick Delelis - « Immédiatement » est un bien grand mot !
M. le Rapporteur . Le problème est qu'il y a urgence !
Mme Annick Delelis - Nous interviendrons dès l'instant où nous disposerons des décisions du conseil d'administration, mais je pense que ces décisions seront les mêmes que celles que nous avons prises antérieurement pour les interventions dans le Nord et le Pas-de-Calais, c'est-à-dire « oui » pour une participation à hauteur de 25 %. C'est la règle que jusqu'à ce jour nous avons suivie et il n'y a, à l'heure actuelle, aucune raison pour la changer.
M. le Président - Dans votre réponse au questionnaire de la commission, vous avez rédigé un paragraphe dont j'admire la prudence : « Il est à noter que l'action de l'agence en faveur de l'entretien n'a jamais été argumentée devant le conseil d'administration de l'établissement public par référence aux problèmes de maîtrise des écoulements mais par référence à l'amélioration du fonctionnement biologique de la rivière et au maintien de son pouvoir auto-épurateur. De même, et par prudence, l'entretien n'a jamais été présenté aux acteurs locaux comme la solution aux problèmes d'inondation. ».
En clair, cela signifie que, si on vous l'avait demandé avec beaucoup d'insistance, vous auriez participé à des travaux de curage.
M. Martial Grandmougin - Oui...
M. Hilaire Flandre - La mission d'une agence de l'eau est au premier chef d'assurer l'approvisionnement en eau, en quantité et, surtout, en qualité.
Mme Annick Delelis - Tout à fait.
M. Hilaire Flandre - Le reste est, pour ainsi dire, accessoire : si les agences de l'eau se chargent du curage des rivières, ce n'est que pour assurer la qualité de l'eau.
Mme Annick Delelis - Absolument.
M. Hilaire Flandre - Elles ne sont pas là pour faire ce que d'autres doivent faire ! Je le dis pour avoir moi-même travaillé à l'agence de l'eau Rhin-Meuse.
Deuxième remarque, il faut se méfier des comparaisons et, notamment, des comparaisons avec les Wateringues. Les inondations de la Somme ne se sont pas produites à l'aval d'Abbeville, ce qui signifie qu'il n'y a pas eu entre Abbeville et la mer de problème d'écoulement d'eau. C'est donc en amont qu'il faut mener les investigations. C'est vraisemblablement à la hauteur d'Abbeville -zone où la densité de la population aggrave peut-être encore le problème- que se situe le bouchon ou le frein à l'écoulement de l'eau, et donc la cause des inondations persistantes.
M. Martial Grandmougin - La loi sur l'eau de 1964 donne aux agences de l'eau une compétence explicite en matière d'inondations mais cette compétence n'a pratiquement jamais été assumée à défaut -et cela suivant une doctrine du conseil d'Etat- d'une redevance de même nature. Les interventions des agences ne peuvent donc qu'être marginales. L'article 43 du projet de loi sur l'eau, combiné avec les dispositions de notre SDAGE, nous permettrait de retrouver une compétence en matière d'inondations.
Les priorités étant fixées par la représentation nationale, si celle-ci souhaite que les agences de l'eau s'investissent -et donc investissent- dans la lutte contre les inondations, qu'elle l'écrive...
Mme Annick Delelis - Absolument : il faut trouver la contrepartie.
M. Martial Grandmougin - Le passage devant le Parlement aura l'avantage décisif de couper dans les esprits le lien entre type de redevance et type d'action. Dès lors, ce sera un acte du Parlement qui fixera le montant de la redevance perçue par les agences, à charge pour elles de remplir telles et telles missions et de rendre compte chaque année, ou tous les deux ou trois ans. Les agences seront ainsi soumises à davantage de contraintes mais elles auront aussi plus de liberté.
Quant à notre position sur l'entretien et les inondations -et je l'assume car j'ai personnellement tenu à ce qu'on l'adopte-, elle a été la suivante : l'entretien courant améliore évidemment les conditions hydrauliques tant que celles-ci sont normales mais, lorsqu'elles deviennent exceptionnelles, on change de registre. L'essentiel était qu'en entretenant les rivières on améliorait leur fonctionnement biologique et auto-épurateur. Et, après tout, quand on a beaucoup investi pour avoir des rivières un peu plus propres, on peut aussi consacrer une partie des fonds à les maintenir en bon état, y compris sur le plan de l'apparence.
Cependant, si l'entretien est une ardente obligation, il ne permet pas à lui seul de maîtriser des situations comme celles que nous avons connues au printemps et au début de l'été 2001.
M. le Rapporteur - Vous dites avoir une compétence en matière d'inondations. Vous avez donc dû examiner la question depuis les événements de mars. Auriez-vous aujourd'hui des recommandations à faire ?
Mme Annick Delelis - Elles sont multiples.
La maîtrise du risque peut passer par l'application de la recommandation suivante : éviter d'implanter quelque construction que ce soit dans les zones exposées. Cette solution est évidemment extrêmement difficile à mettre en oeuvre dans des zones à forte démographie et elle entraîne une diminution de la valeur des terrains, ce qui ne va pas sans poser problème pour les propriétaires fonciers. C'est néanmoins la solution la moins coûteuse et c'est celle qu'il faut mettre en avant.
M. Hilaire Flandre - Elle concerne l'avenir.
Mme Annick Delelis - Bien sûr, mais je parle en termes de développement durable. Cela devrait dorénavant être notre mot d'ordre.
Autre recommandation, il faut conjuguer les différentes actions -à cet égard, les agences de l'eau, qui participent déjà à l'entretien, pourraient jouer un rôle fédérateur- et tendre, dans la concertation, à une restructuration totale des bassins versants. Cela sous-entend notamment des actions concertées avec le monde agricole, éventuellement dans le cadre de contrats territoriaux d'exploitation, pour contrôler, par exemple, le ruissellement des eaux. A condition que la concertation soit très forte, des restructurations relativement peu coûteuses seraient possibles.
Quant à engager des travaux coûteux, c'est toujours envisageable, mais est-ce la véritable solution ? En outre, les chiffres avancés pour une réelle remise en état sont tellement exorbitants que l'on ne voit pas qui pourra assurer le financement.
M. le Président - Il faudra en tout cas l'étaler sur de nombreuses années.
Mme Annick Delelis - Nous avons abordé cette question avec M. Grandmougin. Bien sûr, nous inscrirons une ligne à ce titre dans le VIIIe programme, mais les interventions financières seront obligatoirement étalées sur plusieurs années. Dans l'immédiat, c'est-à-dire dans l'urgence, nous n'avons pas la capacité financière d'apporter une réponse technique.
M. le Président - L'agence dispose-t-elle d'études susceptibles d'aider le Conseil général dans la réflexion qui doit nécessairement précéder la mise en oeuvre d'un vaste programme ?
M. Martial Grandmougin - Les services du Conseil général mènent actuellement une étude sur l'aspect hydraulique, étude dans laquelle nous sommes peu impliqués. J'ai indiqué à ces services que l'agence apporterait son concours à la lutte contre les inondations dans la Somme selon les mêmes formes que dans le Nord et le Pas-de-Calais, c'est-à-dire à condition qu'il y ait un maître d'ouvrage et un projet. Le Conseil général travaille au projet et j'estime qu'il n'incombe pas à l'agence d'imposer des choix.
En l'espèce, l'équilibre est particulièrement malaisé à trouver. La politique de précaution consisterait à maîtriser très rigoureusement l'urbanisme dans les zones basses, lesquelles recouvrent une surface considérable puisque 5.100 hectares ont été inondés entre Amiens et Saint-Valéry-sur-Somme. Convient-il de geler le développement dans toute la vallée ou seulement dans certaines parties ? Faut-il recourir aux mesures administratives de précaution, très difficiles à « tenir » sur la durée mais très peu coûteuses pour les finances publiques, ou à des travaux d'hydrauliques, très coûteux mais correspondant à l'attente des habitants de la vallée ?
Un autre aspect doit être pris en compte : l'effet psychologique des inondations sur les habitants, lesquels s'inquiètent maintenant à la moindre averse.
M. le Président - Dans un domaine différent, quelles sont vos relations avec le BRGM, qui surveille la nappe phréatique ?
M. Martial Grandmougin - Elles sont de nature contractuelle : le BRGM assure le suivi des niveaux de la nappe et fournit les données à l'agence, qui, partant, finance ce suivi.
Ces données sont en libre accès au public sur le site Internet de l'agence.
M. le Président - Est-il très consulté ?
M. Martial Grandmougin - Je ne dispose pas de statistiques récentes mais les gestionnaires du site sont satisfaits.
M. Hilaire Flandre - Il s'agit sans doute surtout de données sur l'eau en tant que ressource, même si elles peuvent aussi avoir un autre usage.
Mme Annick Delelis - Absolument.
M. le Président - C'est peut-être réversible, mais la « culture » des agences de l'eau voulait jusqu'à présent qu'elles se préoccupent davantage des risques de pénurie que des risques d'inondation.
Mme Annick Delelis - C'est un fait : la vocation donnée par la loi aux agences de l'eau -et ce sera encore plus vrai avec la nouvelle loi- est d'agir préventivement pour assurer la qualité de la ressource. C'est notre vocation première, vous l'avez rappelé tout à l'heure, mais le nombre croissant de catastrophes nous contraint à adopter une politique curative -qui reste toutefois une politique au coup par coup- parfois difficile à gérer sur le plan financier, comme c'est actuellement le cas.
M. le Rapporteur . Vous parliez, madame, de « travaux coûteux ». Je ne vous demande pas d'estimation, mais à quels travaux pensiez-vous ?
Mme Annick Delelis . Il s'agit de travaux d'hydraulique : des stations de pompage pourraient être installées partout ou, du moins, dans tous les endroits « stratégiques ». Nous avons, au coup par coup, procédé à de tels travaux. Leur coût à grande échelle ne peut être évalué, mais il serait formidable. Les ouvrages, eux, n'auraient qu'une utilité ponctuelle. Est-ce vraiment la solution ?
Pour ma part, je ne le crois pas. La question doit être envisagée globalement. De ce point de vue, la loi du 3 janvier 1992 comportait une bonne mesure, à savoir l'institution des schémas d'aménagement et de gestion des eaux. Il faut espérer que la future loi sur l'eau facilitera l'établissement des schémas d'aménagement et de gestion des eaux (SAGE), qui se heurtent aujourd'hui à des blocages. Ainsi, depuis 1997, les concertations sur les tronçons de la Somme qui devaient faire l'objet de SAGE sont au point mort, sauf dans la Haute-Somme.
M. Hilaire Flandre . Il faut un patron, un chef !
M. le Président . Sans vous pousser dans vos retranchements, avez-vous ressenti des blocages territoriaux dans l'élaboration du schéma directeur d'aménagement et de gestion des eaux (SDAGE) ?
Mme Annick Delelis - Je les ai ressentis en permanence, même avant 1999. Jusqu'à cette date, j'étais extérieure à l'agence mais je suis une régionale et, de par mes recherches sur l'aménagement rural, j'ai toujours eu à connaître de ce problème. La situation est extrêmement difficile à gérer parce qu'elle est liée à des questions de personne. Pour ma part, je trouve dommage de réduire la loi à ce type de questions.
J'ai grand espoir dans la nouvelle loi parce que son application se fondera sur un dynamisme collectif et non plus sur une personnalité. Le système s'en trouvera assoupli et le mécanisme devrait s'enclencher. Les SAGE qui ont abouti montrent qu'il s'agit d'affaires collectives : les réunions de concertation sont alors intéressantes, le dialogue est permanent et les choses avancent. Surtout, la synergie permet une information globale, au lieu d'une information fragmentée.
C'est en accélérant l'établissement des SAGE que nous parviendrons à progresser : même s'ils n'apportent pas à court terme de solution en cas de catastrophe, ils permettront d'éviter que ne se reproduisent à l'infini les événements dont les archives gardent depuis le XVIIe siècle la trace.
M. le Président - Faut-il qu'une unité gère le bassin dans sa globalité ?
Mme Annick Delelis - Il faut à la fois une unité assurant la gestion globale, parce que les informations doivent en permanence être recueillies et circuler, et des structures chargées de traiter localement et au fur et à mesure les problèmes, l'ensemble fonctionnant dans la concertation.
M. le président - Une nouvelle loi sera adoptée dans les mois qui viennent, mais, au fond, les textes actuels ne permettent-ils pas déjà de parvenir à ce résultat ?
Mme Annick Delelis - Ils permettraient d'y parvenir...
M. le Président - ... s'il y avait la volonté politique nécessaire?
Mme Annick Delelis - Voilà ! Il faudrait surmonter les blocages politiques.
M. Hilaire Flandre - Il faudrait surmonter aussi les intérêts contradictoires !
Mme Annick Delelis - En plus ! Ajoutons les complications administratives : il faut reconnaître qu'établir un SAGE sur deux départements est un exercice délicat.
M. le Président - Devra-t-il porter sur deux départements ? L'Aisne est peu concernée et il sera sans doute possible de passer un accord.
Mme Annick Delelis - Dans l'Aisne, seule la zone de Saint-Quentin a posé problème.
En l'occurrence, je ne m'inquiète pas, précisément parce qu'il y a dans la Somme une unité administrative, ce qui n'est pas le cas dans le Nord-Pas-de-Calais.
M. le Rapporteur - Ceux qui veulent faire de la gestion de crise sont tout de même confrontés à une grande inconnue : d'après toutes les personnes que nous avons auditionnées, la crue de nappe phréatique semble impossible à gérer. Comment, dans ces conditions, gérer les inondations que, au moins partiellement, elle provoque ?
Mme Annick Delelis - C'est en cela que la situation est exceptionnelle : on ne peut pas répondre !
M. le Président - Il faut tout de même se doter de moyens ! Il ressort des propos que vous teniez à l'instant que la structure idéale devrait comprendre une unité globale, par exemple un syndicat mixte, coordonnant des SAGE locaux.
Mme Annick Delelis - Absolument ! La coordination est indispensable !
M. Martial Grandmougin - Permettez-moi de revenir sur l'expression « crue de nappe » qu'a utilisée M. le Rapporteur.
Il faut bien distinguer deux éléments : d'une part, la remontée de la nappe phréatique de la craie, qui provoque à flanc de coteau l'apparition de sources temporaires -éventuellement dans les sous-sols des maisons : il existe des photos tout à fait étonnantes sur lesquelles on voit l'eau sortir des maisons et envahir les rues- et qui est un phénomène incoercible ; et, d'autre part, le phénomène d'inondation proprement dit, qui se produit lorsque toute l'eau qui sourd à flanc de coteau se collecte en fond de vallée avec des débits tout à fait inusités que les ouvrages existants ne peuvent pas absorber.
Autant la remontée du niveau de nappe est un phénomène que l'action humaine ne peut maîtriser, autant, en revanche, on peut agir sur l'accumulation des eaux en fond de vallée, voire dans des zones habitées -je pense à la gare d'Abbeville. Or l'effet négatif essentiel des inondations, me semble-t-il, a été la submersion de zones habitées en fond de vallée et celle d'infrastructures précieuses comme des routes.
On peut répondre à cette situation soit par des mesures de précaution, en affectant des superficies au stockage de l'eau excédentaire, soit par des mesures d'hydraulique, c'est-à-dire par la construction d'ouvrages de plus grandes dimensions et éventuellement, notamment pour le canal maritime, par des ouvrages de pompage. Dans les deux cas, il faut évidemment compter avec des coûts non négligeables pour la puissance publique !
M. Hilaire Flandre - Les inondations sont tout de même restées un phénomène relativement modeste au regard des risques pour les personnes : il n'y a pas eu de mort ! Même le nombre d'habitations touchées n'est pas considérable : l'assureur que nous avons auditionné hier expliquait que pour l'instant 2.000 déclarations étaient arrivées, pour 3.000 habitations recensées.
En d'autres endroits, les inondations concernent bien plus de monde que cela ! Mais il est vrai qu'elles ne durent pas aussi longtemps.
Mme Annick Delelis - On ne peut pas avoir de crue dévastatrice, c'est clair : ce n'est pas possible. La particularité, c'est la durée, et elle a été extrêmement difficile à gérer, surtout sur le plan psychologique.
M. le Président - C'est aussi la durée qui a permis la médiatisation que j'oserai qualifier d'excessive par rapport à l'ampleur du phénomène.
M. Hilaire Flandre - Mais ce n'est pas une raison pour ne rien faire, surtout si cela doit recommencer !
M. Martial Grandmougin - On pourrait faire un parallèle avec les accidents de vaccination qui, certes, sont très rares, mais qui malheureusement, pour ceux qui en sont victimes, sont une catastrophe à 100 %.
Si l'on admet que le coût moyen des dégâts est de 200.000 francs ou 300.000 francs par maison, on arrive à un dommage de quelques centaines de millions de francs ; 1 milliard de francs serait le maximum !
M. Hilaire Flandre - Ce serait payé large !
M. le Rapporteur - On en est à 300 millions de francs.
M. le Président - Il faut y ajouter la réfection de chemins, de terrains municipaux -dommages non assurables, en plus !...
Quel fut par exemple, monsieur Flandre, le chiffrage du coût des inondations de 1993-1994 dans les Ardennes ?
M. Hilaire Flandre - Je me renseignerai pour savoir le coût que le Conseil général a supporté au fil des ans.
Il faut savoir que tous les ponts des zones inondées -certes, ils dataient de la guerre de 1914- ont été refaits. En effet, nous avons eu le malheur qu'un pont soit emporté, et deux gendarmes qui faisaient une patrouille se sont noyés : on n'a retrouvé leurs corps que quinze jours ou un mois après. Trois jeunes se sont également noyés, même si les circonstances étaient différentes : ils faisaient du canoë, ils n'ont pas vu la barrière du pont et sont tombés dans la Meuse en crue.
A la suite de ces accidents, le Conseil général a fait inspecter, sur toutes les routes départementales, l'ensemble de son parc d'ouvrages d'art soumis périodiquement à inondation et a décidé de réaliser un programme pluriannuel de réfection des ponts. Le coût était tout à fait considérable !
Bien sûr, il s'agissait d'inondations répétées, et non pas seulement de celles de 1993 et de 1995. Il est vrai que le réseau hydrologique des Ardennes n'est pas comparable à celui de la Somme et que la « culture de l'inondation » y est différente : les habitants, pour certains, y sont habitués !
Sinon, il faudrait raser tout le centre de Charleville, qui est inondé ; on ne va tout de même pas le faire.
Nous avons cependant une contrainte supplémentaire, par rapport à la Somme, liée au fait que la Meuse est un fleuve international et que, en matière d'écoulement des eaux, des traités internationaux nous créent des obligations à l'égard des Belges et des Néerlandais.
M. le Président - Dans la pratique, Madame, quels conseils donneriez-vous aux habitants de la Somme ? Quelles mesures l'agence de bassin suggérerait-elle de prendre, voire appliquerait-elle si elle était amenée à le faire ?
Mme Annick Delelis - C'est une question délicate parce que, comme je le disais à l'instant, seul le long terme permettra d'apporter un résultat, par un ensemble de mesures qui ne pourront être prises qu'à l'issue d'une concertation globale. La première chose à faire est donc de demander à toutes les parties prenantes de se réunir pour mettre en commun ce qu'elles savent et réfléchir ensemble.
Faut-il exécuter des travaux ? Procéder au coup par coup ne semble pas être une solution, parce qu'au bout du compte c'est toujours beaucoup plus coûteux et n'a pas les résultats escomptés, loin s'en faut.
Le conseil que je pourrais donner, dans l'immédiat, serait de continuer dans la voie du travail qu'a mené par exemple la Haute Somme en matière de concertation. Il faut reconnaître que le syndicat de la vallée des Anguillères a des résultats ! Mais on en revient à ce que je disais tout à l'heure à propos des SAGE.
M. le Président - Nous sommes allés voir le syndicat des Anguillères sur le terrain, il y a quinze jours, et nous avons été favorablement impressionnés.
Mme Annick Delelis - Nous avons des relations avec ce syndicat, car nous avons instauré avec lui une importante politique d'emplois-jeunes. Cette démarche est efficace et rend possible la concertation, les jeunes étant l'interface sur le terrain et faisant notamment de l'information au public.
L'établissement d'un lien direct avec le public permet aussi de faire comprendre les choses et d'éviter quelquefois des erreurs ponctuelles qui peuvent, en s'additionnant, provoquer des dégâts considérables.
M. Hilaire Flandre - Nous avons reçu hier M. René Beaumont, président de l'institution Saône-Doubs. Celle-ci, qui concerne quatre régions et neuf départements, a consacré beaucoup de temps et d'argent à des études préparatoires : depuis dix ans, son principal souci a été non pas de faire des travaux, mais de disposer d'une connaissance parfaite des caractéristiques de l'écoulement des eaux du bassin.
J'ai été très sensible à la remarque par laquelle il a terminé son propos, en nous conseillant, lors d'inondations, d'agir tout de suite pour que la population constate que quelque chose est fait, mais de ne pas en faire trop pour éviter des erreurs irréversibles.
Mme Annick Delelis - Je rejoins entièrement de tels propos !
M. Martial Grandmougin - Je souhaiterais vous remettre une carte des zones inondées entre Amiens et Abbeville que l'agence de bassin, sur ses frais de fonctionnement et en concertation avec les services locaux, a demandé à l'IGN d'établir à partir de photos aériennes. Elle ne concerne que la partie aval de la Somme, parce que, lorsque la décision a été prise de commander cette mission, il n'était plus temps de photographier la partie amont.
Mme Annick Delelis - C'est là le genre d'actions que nous avons financées.
M. le Président - Madame, monsieur, nous vous remercions d'être venus et des éclaircissements que vous nous avez apportés, ainsi que des documents que vous nous laissez.